mercredi 15 février 2017

Ivre de mots et de littérature

Le Son de ma voix de Ron Butlin, poète écossais et virtuose des mots, est un excellent roman sous tension.
Le point de vue est celui du narrateur qui lutte entre son monde intérieur — le fameux son de sa voix, à la deuxième personne du singulier — et le monde extérieur.
Vu de l'extérieur, Morris Magellan est un cadre brillant, marié à une femme patiente et compréhensive, père de deux enfants — que sa voix intérieure nomme curieusement "les accusations".
À l'intérieur, c'est un alcoolique chronique au bord de la décomposition, qui lutte pour faire tenir ensemble les parties disjointes. Il est encore jeune mais aux deux-tiers détruit par la boisson, et surtout par les faux-semblants, ses rôles à tenir en famille et au travail, une violence rentrée au bord de l'explosion.
Les premières phrases annoncent une faille, un malaise familial et comportemental, une personnalité trouble.
Tu étais à la fête quand ton père est mort — et à l'instant où tu l'as appris, un miracle a eu lieu. Un vrai miracle. Il n'a pas duré, bien sûr, mais est resté convaincant assez longtemps. Puis, une heure plus tard, tu as raccompagné une fille et tu l'as forcée à faire l'amour.
Les souvenirs d'enfance reviennent, et notamment des images du père, cinglant ou indifférent.
Le présent vacille lorsque Ron Butlin nous embarque à bord du bateau ivre jeté dans l'ouragan. On se demande quand la goutte fatale fera chavirer le navire, l'équilibre fragile. Ça gîte, ça tangue, ça donne le vertige...
Un vertige dû à la beauté du style, à la maîtrise des mots, à la justesse des sensations.
Le problème avec l'alcool, c'est de savoir comment l'utiliser — et de ne pas le laisser t'utiliser toi. Un verre vous recharge le système, le met en prise ; mais un deuxième peut être de trop. Savoir quand boire et quand s'arrêter — c'est ça le truc.
Quidam éditeur, collection Made in Europe, 2004, 144 pages (existe aussi en poche, 2012).

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