jeudi 22 août 2013

Garder en vie, rester en vie

Le titre original est A wydow's story, l'histoire d'une veuve. Le sujet est clair. Le titre français est J'ai réussi à rester en vie, ce qui donne une idée de l'état d'esprit. Ce livre autobiographique de Joyce Carol Oates est le récit de son veuvage brutal après quarante-sept ans de mariage : son époux a été emporté par une maladie nosocomiale alors qu'il était entré à l'hôpital pour une simple pneumonie. Elle raconte l'incrédulité et l'état de choc qui suit la terrible nouvelle et la survie qu'il faut entamer, dans un hébétement total, pendant les premiers jours, puis les semaines et les mois suivants, interminablement. L'absurdité qui s'ajoute parfois à la situation déjà absurde : les requêtes administratives, les cadeaux de condoléances (la tradition américaine veut qu'on offre des paniers de victuailles de luxe), certaines réactions des autres... Heureusement, il reste l'amitié et la compréhension de certains proches qui aident à lutter contre l'anéantissement et la dépression.
Ce témoignage de Joyce Carol Oates est monumental par sa justesse et sa forme. Par exemple, des passages en italiques figurent des commentaires, comme en voix off, sur le statut de la veuve, tel un manuel pratique, non sans un certain humour malgré l'insoutenable souffrance.
"Nous sommes résolus à garder en vie ceux que nous aimons, nous désirons ardemment les protéger, leur épargner toute souffrance. Être mortel, c'est savoir que c'est impossible ; il nous faut pourtant essayer."
Éditions Philippe Rey, 2011, 480 pages. 

vendredi 9 août 2013

Le goût de la vie

Un grand malheur ôte la couleur et le goût de la vie. Les retrouve-t-on un jour tout à fait, quand rien n'est plus comme avant ? Combien de temps et de petites pincées de sel pour redonner du goût ? Combien de petits bonheurs et de petits riens pour panser une grande peine ?
Je me souviens des livres Les petits riens qui font du bien et qui ne coûtent rien et Les petits délices à partager d'Élisabeth Brami, illustrés par Philippe Bertrand, que j'avais offert à Savannah lorsqu'elle ne savait pas encore lire. Avec elle, nous nous régalions, sa mère et moi, de les relire sans fin tant ces petits plaisirs de la vie, d'enfant ou d'adulte, évoquaient pour nous des émotions et des souvenirs délicieux : sentir l'odeur du pain grillé le matin, se faire des boucles d'oreille avec des cerises doubles, attendre avec impatience une lettre ou un coup de fil...
Le principe du recueil Le sel de la vie de Françoise Héritier (plus connue comme anthropologue) est le même : une énumération de ces petits instants agréables, soi-disant sans importance, mais qui donnent ou redonnent du goût pour peu qu'on y prête attention. Les fous rires, les conversations à bâtons rompus, faire un gâteau pour régaler ses amis, prendre le café au soleil, se lever tôt en été puis faire la sieste, chercher des étoiles filantes dans le ciel, feuilleter des albums de photos...
"Le monde existe à travers nos sens avant d'exister de façon ordonnée dans notre pensée et il nous faut tout faire pour conserver au fil de l'existence cette faculté créatrice de sens : voir, écouter, observer, entendre, toucher, caresser, sentir, humer, goûter, avoir du "goût" pour tout, pour les autres, pour la vie."
"Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d'exister, au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements politiques et de tous ordres, et c'est uniquement de cela que j'ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie."
Éditions Odile Jacob, 2012, 96 pages.

En tout cas, ces livres aident à apprécier le moment présent, à rechercher ces instants précieux qui, pincée après pincée, donnent ou redonnent un peu de sens et de goût à l'existence.