lundi 22 avril 2024

J'ai rendez-vous avec vous

Dans ce brillant essai, L'art du rendez-vous, le psychiatre Michel Debout décortique cette notion apparemment banale, mais pleine de sens et de dimensions.
L'auteur élève le rendez-vous au rang d'art et nous fait comprendre sa véritable portée.
Ce moment particulier, comme dans les tragédies du théâtre classique, est précis dans le temps, dans un lieu, avec une ou des personnes particulières et pour des raisons plus ou moins précises.
C'est une rencontre régie par des règles, implicites ou explicites, de respect et d'engagement. Manquer un rendez-vous peut avoir de lourdes conséquences.
Attendre le moment du rendez-vous n'est pas anodin non plus et permet de se projeter avec plus ou moins de plaisir selon l'objet du rendez-vous.
Notre rapport au temps est lié à nos rendez-vous quotidiens, périodiques ou exceptionnels. 

Préparation, partage et respect conditionnent l'ensemble des rendez-vous qui étayent notre quotidien, nourrissent notre personnalité tout autant qu'ils socialisent nos existences. Redonner aux rendez-vous toute leur importance et leur force dans la construction de nos vies, dans le rapport aux autres, dans le sens de l'histoire est la meilleure façon d'éviter de sombrer dans l'angoisse existentielle que le monde d'aujourd'hui, à travers la guerre, les violences et les désastres écologiques, nous propose comme destin.

Fondation Jean Jaurès, éditions de L'Aube, 2024, 120 pages.

mercredi 17 avril 2024

Faire histoire

Une fille sans histoire de Tassadit Imache est l'histoire d'une fille qui se croit, ou se voudrait, sans histoire.
Née d'un Algérien et d'une Française, elle vit dans ce métissage et cette confrontation des cultures, mais surtout elle subit le racisme, jusque dans sa famille qui bannit sa mère.
Il y a son histoire personnelle et singulière, et bien sûr l'histoire franco-algérienne, violente et douloureuse.
La narratrice rejette d'abord son histoire, laisse planer le doute sur l'origine de son nom à la consonance poétique. Finalement, elle va s'approprier son histoire et en faire toute une histoire, un roman.
Elle passe alors de la troisième personne du singulier, distante, à la première du pluriel, puis à la première du singulier. 
Ce premier roman, édité initialement en 1989 chez Calmann-Lévy, sera suivi par bien d'autres.
Tassadit Imache écrit notamment dans la postface : 

Il faut rendre leur visage et leur existence aux effacés, aux disparus, au lieu de les retirer aux ciseaux de la photo de famille ! Il faut livrer à tous les descendants la pluralité des récits de ce qui a été vécu, de ce qui s'est passé. Laissons s'écrire et se transmettre toutes les histoires de notre pays, qu'elles soient lues, reconnues de l'intérieur, dans l'intimité d'un roman, voir la place de chacun ensemble.

Un livre tout en émotions, avec une magnifique préface de Faïza Guène.

Hors d’atteinte, préface de Faïza Guène, 2024, 128 pages.

D'autres livres de cette belle maison d'édition, Hors d'atteinte, féministe de fiction et de non-fiction, installée à Marseille :
- Collectif Piment : Le Dérangeur. Petit lexique en voie de décolonisation ;
- Alexandra Frénod et Caroline Guibet Lafaye : On ne va pas y aller avec des fleurs. Violence politique : des femmes témoignent ;
- Daphné Ticrizenis : Ces grandes effacées qui ont fait la littérature ;
- Catherine Laurent : La possibilité d'un enfant ;
- Bruno Le Dantec : Et mon père un oiseau ? ;
- Mariame Kaba : En attendant qu'on se libère : vers une justice sans police ni prison.

Louise ou la vie sauvage

Une île pour elle d'Anne-Solange Muis est l'histoire de Louise, une étudiante en géographie qui part s'isoler quelques semaines sur l'île aux Moutons, au large de Concarneau, dans le cadre de son mémoire de maîtrise. L'îlot est (presque) désert, hormis la faune et quelques visiteurs qui débarquent, dans un esprit pas toujours respectueux de la nature et de la jeune femme.
L'autrice est géographe, comme sa narratrice, d'où une description à la fois littéraire, écologique et scientifique des lieux et de la vie rudimentaire dans un refuge pour marins.
Louise est presque coupée du monde avec juste un téléphone qui ne peut que recevoir des appels.
L'atmosphère est souvent chargée de tensions et de tourments car cette aventure, dont l'étudiante rêvait, n'est pas si routinière qu'on pourrait l'imaginer. Les nouvelles qui arrivent de la terre ferme deviennent inquiétantes, comme la météo.
Petit à petit, la jeune femme fait corps avec les éléments, la nature environnante de cette île, qui est un personnage à part entière et semble la retenir. L'espace de liberté de l'île est aussi une prison.
Ce premier roman très réussi est d'une grande sensibilité. À la fois parcours initiatique et récit d'aventures, c'est aussi une réflexion sur l'écologie et sur le rapport des femmes à la nature (et aux autres), parfois risqué.

Jamais, dans les récits de voyage, il n'était question de la vie de ces aventuriers laissée derrière eux, de ce qu'ils avaient dû sacrifier pour vivre leur périple. Pourquoi les défis des explorateurs étaient-ils toujours si héroïques ? Pourquoi ne parlaient-ils jamais de l'endurance psychologique qu'ils devaient supporter lors de l'épreuve ? Louise aurait voulu trouver dans ces pages autre chose que les raisons qui poussent ces hommes à s'aventurer à l'autre bout du monde — celles-là, elle les connaissait déjà — mais celles qui les amènent, en dehors du challenge physique, à continuer quand tout s'arrête autour d'eux.

Phébus, 2024, 192 pages.

Anne-Solange Muis a également créé les éditions Terre Urbaine, dont ces ouvrages :
- GénérationT pour la Terre (recueil de nouvelles sur l'écologie) ;
- Gilles Fumey : Feu sur le breakfast ! (histoire et démythification du petit déjeuner).

D'autres chroniques aux éditions Phébus :
-
La Dérobade de Jeanne Cordelier ;
- Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka ;
- Quand l'empereur était un dieu de Julie Otsuka.

Un chantier d'écriture

Au moment où je commence l'animation d'un atelier d'écriture, forcément, je veux lire La Voix des Saules de Nathalie Skowronek. Certes, le contexte et les participants sont différents, mais je me demande aussi où me mènera cette nouvelle expérience... Je suis surtout curieuse de découvrir le dernier livre de l'autrice*.

Et je suis captivée de bout en bout.

Je vous propose de tenter l'aventure de l'écriture. Vous verrez, c'est un lieu magnifique. On est là et pas tout à fait là, à la fois extrêmement lucides et dans l'abandon le plus complet. Le réel, la rêverie, ce qui est advenu, ce qu'on projette, toutes les frontières deviennent poreuses, c'est un espace de grande liberté, le meilleur que je connaisse.

Le texte autobiographique raconte comment, en animant un atelier d'écriture dans un établissement psychiatrique, Les Saules, qui prône l'art comme thérapie, elle est confrontée à ces personnes atteintes de troubles. Les frontières deviennent poreuses. Petit à petit, ces rencontres la renverront, malgré elle, aux démons qu'elle redoute d'affronter.
Les participantes et participants tombent le masque et se moquent parfois des faux-semblants.
Les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. La narratrice va devoir faire face.
Ce récit intime et captivant est tout ce chantier, ce chamboulement qui nous bouleverse aussi.
Un récit intime très émouvant et passionnant, dans la veine de Karen et moi.

Grasset, 2024, 176 pages.

* Lire aussi mes chroniques sur :
-
Karen et moi
- Un monde sur mesure

L'esprit des terrasses

Les beaux jours reviennent.
Le temps des terrasses
de Pascal Lardellier est le livre idéal à lire en terrasse, la vôtre, celle de vos amis, des cafés, des guinguettes... C'est un des lieux typique de l'art de vivre à la française ou à la méditerranéenne, un lieu de rencontres, mais aussi d'observation des passants et des occupants des tables voisines... Cet esprit des terrasses est tout entier dans ce recueil préfacé par Philippe Delerm.
Les histoires de ces nouvelles se déroulent sur toutes sortes de terrasses, de la plus décontractée en bord de route, à la plus chic d'un café parisien. Elles sont le théâtre, public ou privé, de rencontres, de moments joyeux ou dramatiques, d'aventures inattendues ici ou ailleurs...
Les personnages sont toujours très finement décrits. Certainement parce que l'auteur, qui est anthropologue, a un regard affûté d'observateur des comportements et relations entre homo sapiens.
Toujours est-il qu'il s'exprime magistralement dans la capture de ces instants de vie.

Les ateliers Henry Dougier, collection Littérature, préface de Philippe Delerm, 2024, 144 pages.

jeudi 4 avril 2024

Désenchantée

Encore une ! Il y a de quoi se demander ce qui ne va pas ! Elles ne sont pas des cas isolés, ces femmes qui n'en peuvent plus du sexisme de certains hommes. Elles réagissent (se réveillent parfois) et s'interrogent. C'était le cas de Majé dans Ne plus tomber (en amour) mais aussi de Mona Chollet dans Réinventer l'amour ou de Victoire Tuaillon dans Le cœur sur la table.
Et bien sûr, c'est le cas d'Ovidie dont le livre La chair est triste hélas (2023) vient de sortir en poche.
Parce qu'elle a mis beaucoup d'énergie, de temps et d'argent pour être au top "sur le grand marché de la baisabilité", comme elle l'écrit, l'autrice ressort de ses expériences totalement désenchantée.
Elle est dans un tel état d'écœurement vis-à-vis de l'hétérosexualité qu'elle a décidé de faire grève.
Elle aurait pu arrêter sans en faire toute une histoire, puisqu'après tout la plupart des gens, en couple ou pas, ne font plus l'amour et ne semblent pas s'en porter plus mal.
Sauf qu'Ovidie est autrice, documentariste, spécialiste des questions de sexualité, militante et féministe. Donc elle écrit et s'interroge sur ce qui a provoqué ce ras le bol et sur ce qu'elle voudrait. Elle pose des questions et n'a pas forcément les réponses à tout. En tout cas, elle nous invite à réfléchir aux rapports hommes-femmes, aux comportements de part et d'autre, aux injonctions et autres biais culturels.
Cela fait un petit livre autobiographique — mais un gros pavé dans la mare comme on les aime — très bien écrit, intelligent et captivant.
Oui, jetez-vous dessus : c'est passionnant.

Et je voudrais qu'on m'aime moi, pour ce que je suis et non pour ce que je représente. Qu'on m'aime et qu'on me laisse libre de vaquer à mes occupations, de la même manière que je respecterais la liberté de l'autre, parce que cette relation serait fondée sur la confiance et la sécurité. Je voudrais croire en un amour affranchi de notre culture de la domination, en un monde dans lequel il serait possible d'envisager l'égalité entre deux êtres, une « hétérosexualité qui trahirait le patriarcat », pour citer Mona Chollet. Je fantasme une société plus égalitaire, où les individus vivraient et travailleraient ensemble d'égal à égal et qui ouvrirait la voie à des relations d'un type nouveau, fondées sur l'affection mutuelle et non plus entachées par des questions de propriété, de possession, de valeur, de prix et d'échange.
Vous voyez bien que c'est strictement impossible.

Julliard, collection Points, n° P5733, 2024, 128 pages.

On peut aussi écouter le podcast avec Victoire Tuaillon : La dialectique du calbute sale ou le podcast avec Tancrède Ramonet : Qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour ?

lundi 1 avril 2024

Les gardiennes de graines

Même la couverture est superbe.

Les Semeuses est un magnifique et bouleversant roman !
On le sait dès les premières pages et cela se confirme jusqu'à la dernière.
Il est magnifique à tous points de vue : belle écriture précise, sensible et poétique, un beau sujet sur la nature et sur la transmission entre générations, une émouvante histoire de femmes autochtones amérindiennes de la tribu Dakhóta, dont fait partie l'autrice Diane Wilson.
Mais surtout il s'agit d'une mise à jour revue et corrigée de l'Histoire longtemps officielle des États-Unis et qui donne, bien évidemment de nombreux torts aux Blancs qui se sont approprié les terres des Amérindiens, les ont privés de nourriture et de leur culture, ont séparé les familles, etc.
La culture des Autochtones est notamment beaucoup plus proche et donc respectueuse de la nature.
Au fil des pages, ce livre est donc un véritable plaidoyer pour l'écologie et une critique juste et précise de la marche du monde, c'est-à-dire du colonialisme et du capitalisme et de leur système de désinformation et de destruction de la planète.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un roman aussi puissant.

Éditons Rue de l’échiquier, 2024, 384 pages.

D'autres chroniques sur les livres de la maison d’édition :
- Passage piéton ;
- De la démocratie ;
- Mousse ;
- Écotopia ;
- Devenir chevreuil ;
- Gorge d'or.

Un catalogue de livres pratiques, albums jeunesse, bandes dessinées et fiction à explorer : fondée en 2008, Rue de l’échiquier est une maison d’édition indépendante spécialisée en écologie et sur tous les sujets qui s’y rapportent : changements climatiques, choix de mobilité, pratiques alimentaires alternatives, zéro déchet, engagement citoyen, féminismes, etc.

mercredi 27 mars 2024

Il nous faut des arguments !

C'est toujours fascinant comme les bonnes idées fleurissent comme des coquelicots en même temps : encore un guide pour nous aider à répondre à tous les réfractaires à l'écologie, qu'ils soient nouveaux sceptiques immobilistes, économico-anxieux, optimistes candides, techno-solutionnistes, dissonants cognitifs (voir ma chronique ci-dessous).
Cette fois, c'est Margot Jacq, spécialiste de la transition écologique des territoires, qui nous propose cet excellent Petit manuel de répartie écologique.
Comme il n'est pas simple de parler d'écologie avec son entourage, l'autrice propose des arguments et une posture bienveillante, pédagogique et empathique pour éviter de casser l'ambiance (et de braquer les autres).
En effet, ce n'est pas en stigmatisant ou en agressant son interlocuteur qu'on fera avancer le débat.
Elle cite des solutions concrètes et reste positive.
Pour elle, les opposants ne se ressemblent pas et il faut adapter nos arguments.
Son livre est donc divisé en autant de chapitres que de typologies d'interlocuteurs. Mais attention : certains cumulent les casquettes !
Quelques exemples de propos : "L'écologie, c'est vraiment un truc de riche bobo citadin !" ou "Arrêtez de me dire ce que je dois faire à la fin... C'est pas les petits gestes individuels qui vont nous sauver ! " ou "Mais comment vous allez financer tout ça ?" ou "Tu as vu ? Je me suis mis au tri !"
Une lecture très documentée qui montre l'exemple avec tous les arguments qu'il nous faut.

Les Liens qui Libèrent, 2024, 256 pages.

lundi 25 mars 2024

Qui a peur du féminisme ?

Pour la collection "Le mot est faible" Éléonore Lépinard s'empare avec talent du terme féminisme en spécialiste et lui redonne du sens. Elle le décortique et en détaille toutes ses nuances, ses courants et ses particularités.
Sociologue, professeure en études de genre à l'Université de Lausanne, ses travaux portent sur les mouvements et les théories féministes, l'intersectionnalité, le genre et le droit.
Le mot est chargé, explosif. Il sonne comme un combat sans cesse recommencé et relancé (on l'a vu avec les vagues de Metoo), sans cesse enrichi.
C'est comme si demander plus de respect, plus d'égalité était entendu comme le contraire, comme s'il s'agissait d'une volonté d'inverser les rôles et la situation, de prendre la place au lieu de prendre sa place. Ou comme s'il y avait malentendu sans nuances, comme s'il s'agissait de demander la fin de la galanterie, de la séduction, etc.
D'où vient cet anti-féminisme ? Qui a peur de quoi ? De perdre ses privilèges ? Pourquoi les mythes et la désinformation fleurissent ?
La définition du féminisme est difficile à circonscrire tant les personnalités en vue et les luttes diffèrent et se spécialisent, voire s'opposent.
Parmi les valeurs communes : liberté, égalité, autonomie.
Mais le sujet féministe est, toujours, en crise et ne concerne pas que "les femmes" qui ne peuvent évidemment pas être définies de façon homogène.

Cependant, la longue liste des demandes féministes de renommer le réel, de reconnaître les torts, de transformer les identités et les relations sociales nous montre à quel point le féminisme est avant tout une exigence d'élargissement permanent de notre horizon moral, une exigence de changer de perspective, de décentrement pour adopter le point de vue de l'autre, mais surtout de l'autre qui a moins de pouvoir.

Comme Chimamanda Ngozi Adichie nous le suggère, nous devrions toutes — et tous — être des féministes.

Anamosa, 2024, collection Le Mot est faible, 112 pages. 

Dans la même collection, lire aussi ma chronique sur Nature de Baptiste Lanaspeze.

mardi 19 mars 2024

Le poète de la vie ordinaire

Un beau pavé de 500 pages pour une biographie : il n'en fallait pas moins pour raconter Une vie de Charles Bukowski, écrite par son ami de longue date, le poète Neeli Cherkovski.
Très détaillé, donc, ce long récit s'appuie sur des souvenirs, des entretiens entre les deux hommes ou sa riche correspondance, et c'est vraiment passionnant.
Neeli Cherkovski rend l'auteur culte attachant, en tout cas, il en révèle toutes les qualités, sans oublier ses côtés sombres (dont ses beuveries sans fin et sa jalousie maladive). Et bien sûr, il met la poésie à l'honneur car celui qui s'est construit un personnage de "vieux dégueulasse" a révolutionné le genre.
Je résume les 500 pages. Né en Allemagne en 1920, il est élevé aux États-Unis par un père particulièrement rigide et sadique. Sa mère suit à la lettre les directives de son époux sans prendre la défense de son fils. Cette éducation en fait déjà un être à part.
À l'adolescence, solitaire et extrêmement complexé par son acné dont il gardera à vie les cicatrices sur le visage, il écumera les bars et les bibliothèques où il découvrira les auteurs qui l'inspireront tels que John Fante, Dostoïevski ou Hemingway.

Même au fond du désespoir, sa vision du monde ironique et grinçante, son aptitude à rire, même des situations les plus terribles, lui permirent d'aller toujours de l'avant. Il avait un objectif très précis en tête : vivre de son métier d’écrivain.

Il commence à publier des poèmes et se faire un nom, puis écrit des nouvelles et des romans, ainsi que le scénario du film Barfly. Tous les détails sont dans cette biographie, ainsi que ses relations tumultueuses et arrosées avec les femmes, sauf avec la dernière qu'il épousera et avec sa fille Marina avec qui il était extrêmement patient et attentif.
Un psychiatre de l'armée l'avait parfaitement bien compris : "Bukowski cache une sensibilité extrême sous un masque impassible."

Au Diable Vauvert, 2024, 484 pages.

Lire aussi mes autres chroniques sur d'autres livres de Bukowski, tous édités par le Diable Vauvert :
- Sur l'alcool
- Sur l'écriture
- Deux nouvelles illustrées par Robert Crumb : There's no Business et Bring me your love.

lundi 18 mars 2024

L'empreinte carbone en détail

Mike Berners-Lee est le pionnier de la quantification carbone, également auteur d'un autre essai inspirant : Il n'y a pas de planète B.
Dans Peut-on encore manger des bananes ? il détaille tout sur l'empreinte carbone. Voilà qui va nous aider à nous rendre compte de l'impact en émission de CO2, sur le climat, et surtout à faire des choix sur ce que nous consommons.
En effet, nous pourrons estimer combien pèsent nos voyages, nos déplacements, nos comportements, nos achats, etc. et désormais compter en carbone.
C'est primordial pour tenter de limiter le changement climatique, c'est-à-dire la fonte des glaciers, les espèces qui disparaissent...  Malgré la situation angoissante, l'auteur s'est efforcé de garder un ton léger. Anglais, il s'est tout de même adapté à la culture et au mode de vie français avec le coût de la baguette, du TGV, du vin...
Une dernière partie est composée de conseils pour agir en faveur du climat car nos actions individuelles comptent, surtout si nous arrivons à convaincre les autres.
L'auteur avoue que, lorsqu'il s'adresse à des responsables politiques, il ne prend plus de gants. Nous avons justement vu, avec Jeremy Bismuth, qu'on pouvait riposter tout en gardant son humour : voir la chronique ci-dessous.
Alors pour répondre à la question du titre : l’empreinte carbone de la banane, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, est tout à fait raisonnable puisqu'elles voyagent en bateau (et pas en avion). Donc oui, vous pouvez continuer à manger des bananes.
La liste des autres produits et actes est longue : repasser une chemise, suivre une visioconférence, se faire une tasse de thé, un livre de poche, prendre un bain, un bouquet de fleurs du jardin ou achetées chez le fleuriste et en provenance du Kenya, une nuit à l'hôtel, un gigot d'agneau...
Les comparaisons sont parfois étonnantes. Où l'on apprend qu'une année de consommation d'eau potable froide équivaut à un trajet de 50 km en voiture.
Par contre, sans surprise, un aller-retour Paris-Marseille en train est le plus léger, mais si vous conduisez un gros SUV sans passager, c'est pire que l'avion.
C'est une bible à consulter sans modération. 

L'arbre qui marche, 2024, 304 pages.

L'arbre qui marche est une toute nouvelle maison d'édition spécialisée en voyage et non-fiction. Ses premiers livres sortent en mars 2024.

dimanche 17 mars 2024

Comment répondre à ses amis anti-écolos sans se fâcher

Quels sont les freins à la transition écologique ? Comment répondre aux détracteurs ?
C'est ce que propose, avec humour et bienveillance, de développer Jeremy Bismuth dans Manuel de riposte écologique. Les armes et les mots contre 30 arguments anti-écolo.

Voilà qui va pimenter vos rencontres dans la file d'attente de la boulangerie, à la terrasse des cafés ou dans les dîners !

Dans sa websérie Ami des lobbiesJeremy Bismuth prenait le contre-pied en faisant l'éloge de ce qui détruisait le vivant. Cette expérience lui a permis d'entendre les arguments et les idées reçues sur l'écologie, souvent issus du lobbying industriel.
Il a donc répertorié 30 sujets autour de la biodiversité, l'agriculture et l'alimentation, le climat et les énergies, l'économie et la société, la cause animale et nous donne les moyens de riposter.
Cela va de "La disparition d'espèces a toujours existé" à "Les animaux, ça n'est pas la priorité" en passant par "Le bio, c'est du marketing" ou "C'est la Chine le problème" ou bien encore "Le vrai problème, c'est la surpopulation". J'en passe et des pires.
Voilà de quoi ne pas laisser le dernier mot à ceux qui se complaisent dans l'inaction et le déni en laissant le déluge aux autres.
Cela permettra de rectifier le tir, voire de créer le doute chez vos interlocuteurs et de contribuer à votre petite part de colibri.

Tana éditions, 2024, 256 pages.

mercredi 6 mars 2024

Climatères et autres mystères

Élise Thiébaut est une autrice féministe qui s'attaque aux tabous. Après notamment les règles, la virginité, l'identité et le racisme*, elle nous décortique le climatère dans son nouvel essai : Ceci est mon temps. Ménopause, andropause et autres aventures climatiques.
En effet, le manque d'informations et de préparation (en plus de la ménopause, il y a la préménopause) sur le sujet est impressionnant quand le corps se transforme et vit parfois des effets désagréables.
Comme à son habitude, Élise Thiébaut déconstruit les mythes, les préjugés et les injonctions, et documente son sujet, tout en se référant à sa propre expérience.
Elle reparle de ces prétendus traitements, qui ont parfois causé plus de mal que de bien, et surtout du manque de recherches et d'informations sur un phénomène qui n'est pas une maladie et touche quasiment tout le monde (hommes et femmes). Mais dès lors que cela concerne les femmes, comme par hasard, tout le monde (ou presque) s'en fout et on se rend compte que les études font plutôt défaut.

Non contente d'inventer une pathologie, la médecine s'est mise elle-même dans le pétrin en étant incapable ni de l'identifier clairement, ni de la soigner. En effet, il y a très peu de moyens de diagnostiquer de façon certaine une ménopause.

Les hommes ne sont pas oubliés pour autant dans cet essai, puisqu'ils ne sont pas dispensés de cette évolution de leur métabolisme, souvent nommée andropause. Et il leur est fortement conseillé de lire cet essai, pour leur information.
Avec beaucoup d'humour, Élise Thiébaut nous fait la synthèse documentée, accessible et très instructive, que nous attendions sur ces sujets.

Au Diable Vauvert, 2024, 250 pages.

* Lire aussi mes chroniques sur d'autres livres d'Élise Thiébaut :
- Ceci est mon sang. Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font
- Mes ancêtres les Gauloises - Une autobiographie de la France
- L’Amazone verte. Le roman de Françoise d'Eaubonne.

À écouter également, un podcast avec Élise Thiébaut : Chaud Dedans.
et un autre podcast avec beaucoup de témoignages très vivants sur le sujet : Allez j'ose ! d'Elsa Wolinski.

Pas d'équerre

Si les cordonniers sont les plus mal chaussés, les futurs maçons et menuisiers sont les plus mal logés, puisque leur lycée professionnel est en mauvais état, Pas d'équerre, comme l'indique le titre de ce livre inclassable de Judith Wiart.
Inclassable parce qu'il s'agit d'un puzzle où chaque pièce — scènes vues, anecdotes, bons mots ou dialogues avec les élèves, textes de réformes de l'enseignement professionnel —, forme un tout, à la fois réel et extrêmement poétique, poignant ou comique sur la vie d'une professeur face à ses élèves.
Elle enseigne dans un quartier sensible, et se demande où sont les quartiers insensibles.
Par petites touches, donc, et textes brefs qui se lisent avec un immense plaisir tant ils sont vivants, vibrants, si près du quotidien souvent difficile des uns et des autres, elle nous parle de ses élèves (à qui elle dédie le livre) qui sont parfois des migrants mineurs, parfois des cas sociaux, souvent issus de milieux défavorisés et souvent poètes.
Ils sont là parce qu'on a jugé qu'ils n'étaient pas bons en maths et en français, ou dyslexiques (et autres dys), ou qu'ils rendaient fous leurs profs et leurs parents, qu'ils étaient bizarres !

 — Dans mon pays, madame, les filles n'ont pas le droit de se mettre en maillot de bain sur la plage.
—Ah bon ? Sinon, que se passe-t-il ?
— Elles iront en enfer !
— Ah ? Vous voulez dire que l'enfer est peuplé de filles en maillot de bain ? Ça a l'air sympa.
—Bah...


Les chapitres du livre correspondent aux trimestres de l'année et sont accompagnés de commentaires que l'on a l'habitude de lire sur les bulletins scolaires.
Elle se demande si les élèves se saisissent de ce qu'elle laisse "au bord" pour eux. J'en suis sûre, au moins pour certains — en tout cas pour nous, oui, c'est évident. D'ailleurs, la rencontre avec un ancien élève est très émouvante.
C'est drôle et poétique, tout simplement, parce que l'art est dans tout, "malgré tous les malgré".

Éditions Louise Bottu, 2023, 136 pages.

lundi 4 mars 2024

Le savoir-faire de l'écrivain

Plusieurs textes et articles de Virginia Woolf sur le thème de la lecture, de la chronique littéraire, de la création littéraire et de la condition de l'écrivain sont rassemblés dans ce recueil intitulé L'écrivain et la vie. Ils ont été écrits au fil des années, de 1916 à 1939.
Élise Argaud
a assuré la traduction et a écrit la préface avec brio.
Les chroniqueurs littéraires en prennent souvent pour leur grade (mais je ne me suis pas sentie visée). Ils ont leur utilité.
Je suis d'accord avec Virginia Woolf qui s'essayait à cet exercice entre deux fictions : cela reste de l'écriture et une réflexion sur la littérature. Le métier d'écrire est plus large que l'écriture de romans.
Le texte le plus vivant, le dernier, est la retranscription d'une émission de radio, Le savoir-faire de l'écrivain.

Éditions Rivage poche, collection Petite Bibliothèque, 2024, 192 pages. 

Une affaire de femmes

Autant annoncer la couleur tout de suite : Des larmes de crocodile de Mercedes Rosende est un roman policier exceptionnel, comme on en fait peu, noir et haut en couleur, drôle.
Est-ce un hasard ? L'auteur est une autrice, et ses deux personnages féminins principaux sont les plus incroyables et courageux de ce roman. En effet, les hommes sont tous (ou presque) bancales et pitoyables : veules, corrompus, ridicules, dépressifs, ratés... Grâce à cela, il y a de l'humour, du suspense et de l'action. Et de la tendresse.
La première partie du roman présente tous les personnages. L'intrigue s'installe tranquillement.
On retrouve, comme dans le précédent roman de la trilogie, L'autre femme, cette fameuse double Ursula Lopez qui embrouille tout le monde (et le lecteur aussi parfois). Quand Ursula s'ennuie, elle est prête à tout avec un époustouflant aplomb et un beau grain de folie. son credo est : Dieu vomit les tièdes.
L'autre personnage féminin est une redoutable inspectrice de police qui ne lâche pas l'affaire.
Dans la deuxième partie, dont les titres de chapitres sont numérotés à la minute près, tout s'accélère avec un braquage complètement dingue et explosif. À partir de là, la lecture devient fébrile et réjouissante : impossible de lâcher le livre.
La troisième partie, comme un épilogue ou une suite énigmatique, nous laisse sur le carreau.
Il paraît qu'il s'agit d'une trilogie : j'attends la suite avec impatience.
Pour résumer, c'est jubilatoire.

Quidam éditeur, traduit de l'espagnol (Uruguay) par Marianne Millon, 2024, 260 pages.

Lire aussi ma chronique sur le précédent roman L'autre femme qui sort en format de poche actuellement.

samedi 2 mars 2024

Une vie de femme

Le titre du roman de Joëlle Bault, Trois âges, est inspiré d'un poème d'Anna Akhmatova : "Les souvenirs en nous vivent trois âges".
Ce sont trois âges de la vie d'une femme.
De l'enfance à l'âge où les parents ont disparu, en passant par l'âge adulte, les années défilent, de fillette et fille à femme, en passant par tante et amie. L'amitié a, en effet, une grande et belle place dans ce roman que l'on sent très autobiographique.
D'abord on se laisse porter par une écriture fluide et précise, très juste et sensible, où chaque mot est à sa place, par opposition à la narratrice qui ne se sent pas toujours à sa place.
Le texte est parsemé de phrases en italique, comme soulignées.

Née fille. On tente de ne pas le devenir ou de le subir le moins possible.

Même si chaque vie est particulière, on peut se retrouver dans ce récit, surtout en tant que femme car, par petites touches délicates mais affirmées, le texte est, en filigrane, un manifeste féministe.
Joëlle Bault nous plonge dans cette sensation de flottement à la recherche d'une voie, souvent contre les injonctions familiales, sociétales et professionnelles, et face à une injustice patriarcale. Il y a parfois un décalage entre ce qui est demandé et ce qui est permis.
Il s'agit, par exemple, de ces pressions pour être en couple, "se caser" (trouver sa case), avoir des enfants... auxquelles la plupart des femmes sont confrontées.
Dans nos parcours professionnels, il y a ce fameux plafond de verre qui fait qu'on a beau cocher toutes les cases du profil, l'ascenseur n'est pas pour nous. Sans compter qu'il faut sourire malgré les caprices, sautes d'humeur et comportements sexistes (mais bien sûr, nous manquons d'humour et c'est nous qui choquons en soulignant ces agissements).
C'est finalement dans les randonnées de montagne que la narratrice peut enfin s'élever, non sans peine, et parvenir aux sommets.
Un beau récit qui laisse une impression profonde.

Éditions des Offray, 2023, 102 pages.

dimanche 25 février 2024

Le retour de la fine équipe

Attention ! Charles Gobi publie un nouveau tome de sa série de personnages marseillais rocambolesques.
Le titre, qu'il faut lire à haute voix en détachant les syllabes pour mieux comprendre le jeu de mot (j'avoue, je n'ai pas compris tout de suite), est : L'aidant de la mère. En effet, cet épisode ne manque pas de mordant !
Cette fois-ci nos justiciers, la fine équipe qui se retrouve au Bar de la Sidérurgie, s'attaquent à des racketteurs, des prêtres pédophiles, des racistes qui n'hésitent pas à passer à tabac juste pour se défouler, mais aussi des promoteurs sans cœur qui expulsent de braves gens... et j'en oublie peut-être.
Des victimes sans défense — des sans-papiers qui travaillent pour un salaire de misère, une personne âgée qui veut rester chez elle et ne pas aller à l'Ehpad — vont trouver de sérieux appuis.
Donc, comme d'habitude dans les livres de Charles Gobi, et pour notre plus grand plaisir, l'action, la justice, mais aussi l'humour et les jeux de mots sont au rendez-vous.
L'amour aussi, et ce dernier tome me semble d'ailleurs plus pimenté que les autres en scènes érotiques.
À lire et relire, dans le désordre et comme il vous plaira !

Éditions Le Confort numérique, 2024, 238 pages.

Pour acheter les livres, lire des extraits, consulter la liste des librairies qui les vendent, consultez le site de Charles Gobi.
Mais aussi chez "Marseille in the box", 13, rue de la reine Élisabeth 13001 à Marseille.

* Chaque roman peut se lire indépendamment :
- Le Bar de la Sidérurgie
- Les Goudes, c'est de l'anglais...
- Hercules des Trois Ponts
- Chemin des Prud'hommes
- Il est pas con, ce con ?
- La grosse Janine
-
Fatche d'eux.   

mardi 6 février 2024

Pas d'histoires

Très jolie illustration
de Lisa Masse

On leur a demandé de ne pas faire d'histoires et de vivre dans l'ombre. Alors Catherine Laurent les met en lumière et en écrit une très belle histoire : La possibilité d'un enfant.
Elle s'adresse à son petit-fils et lui explique pourquoi il a quatre grands-mères et pourquoi sa mère avait deux mères et deux pères. Et surtout comment cela s'est passé.
La narratrice raconte son homosexualité à partir des années 70 et 80, à une époque où il était encore plus dur de le vivre sans se cacher. (C'était d'ailleurs un délit jusqu'en 1982.)
Issue d'une famille catholique et rigide, sa vie avec une femme n'a jamais été acceptée par sa famille, contrairement à sa compagne, et elle a passé sa vie à culpabiliser, coupée en deux, niée. Au travail aussi, il valait mieux ne pas trop se révéler. (Il est peu probable que ce soit beaucoup plus simple aujourd'hui.)
Il est question des années du Sida qui ont décimé toute une génération, mais surtout du désir d'enfant et de la relation pas toujours simple à établir quand les parents sont multiples. 

Je ne savais plus très bien qui j'étais. J'occupais la place d'un homme à côté d'une femme devenue mère, j'étais une femme à laquelle avait été greffé un cœur de mère, j'étais la fille indigne de mes parents, une fille qui avait perdu le sens des réalités, sans morale ni viatique, une fille en mal d'enfant qui se procurait un enfant.

Une écriture délicate et très juste.

Éditions Hors d'atteinte, 2024, 192 pages.

dimanche 4 février 2024

Il y a maldonne sur l'amour

Majé a beaucoup aimé, et a peut-être beaucoup trop donné. Elle s'est brûlée. Elle en a marre et décide de s'en passer et de ne plus s'engager dans une relation amoureuse. En fait, elle propose autre chose, une autre forme de relation, plus tendre. C'est le propos de cet original essai, court et puissant, Ne plus tomber (en amour).

J'ai eu envie d'écrire sur l'amour parce que je ne crois plus qu'il y ait quoi que ce soit à reconstruire ou à réinventer. Il faut détruire l'idée de l'amour. Il faut cesser de nourrir des relations qui nous affaiblissent terriblement, parce qu'elles sont à la fois déterminantes et très fragiles.

Un peu radical, mais Majé est anarchiste.
Elle nous raconte qu'elle est issue d'une lignée d'enfants illégitimes où l'absence du père, et donc du mari, se répète. D'où la difficulté à faire couple. Mais y a-t-il nécessité à faire couple ? On confond amour et couple. Mais c'est l'amour qui nous met en danger, chaque fois, à chaque histoire. Majé pense qu'il "existe un lien puissant et inexplicable entre l'amour et la mort." C'est peut-être parce que les histoires d'amour finissent mal, en général, comme dit la chanson. D'ailleurs, les chansons traversent le texte et viennent à point nommé l'enrichir, puisque les chansons d'amour ne manquent pas.
Et le sexe dans tout ça ? Faut-il s'en méfier ? Est-ce que cela entraîne de l'attachement ? Sommes-nous égaux vis-à-vis de nos figures d'attachement ? Non. Bien sûr que non. Et la jalousie ? Et les doutes ? Peut-on dire "plus jamais" ? Qu'est-ce qui différencie une rencontre, un coup d'un soir, une plus longue relation, une amitié-amoureuse ? Est-on vraiment libre ? Est-ce qu'une relation amoureuse enferme ? Qu'est-ce que ça change d'être une femme ? Et si "habiter ensemble" suffisait ?
Autant de questions soulevées, de réflexions à mener.
Au fait, c'est quoi l'amour ?

Il est temps d'aérer tout ça. D'ouvrir les portes, les fenêtres, de secouer les tapis. De fair circuler l'air, la parole.

Éditions iXe, 2023, 96 pages.

Adieux volés

De rage et de chagrin de n'avoir pas pu accompagner son père qui s'est laissé mourir de solitude à l'hôpital pendant le Covid, Bruno Le Dantec écrit d'abord un texte pour lui, qui deviendra finalement un livre incandescent, Et mon père un oiseau ?
L'auteur revient sur les absurdités du confinement, sur le travail des soignants, sur l'état du milieu hospitalier (pas toujours hospitalier) et ses dysfonctionnements qui déglinguent parfois la santé, physique et morale, des gens.
S'il n'y avait que l’hôpital qui partait en "biberine", comme on dit dans le Sud... Cette histoire familiale et personnelle devient universelle en abordant la vie politique, et notamment marseillaise.
De fil en aiguille, les souvenirs reviennent et Bruno Le Dantec raconte la vie de son père, professeur de sciences naturelles, puis celle de sa mère. Leurs relations n'ont pas toujours été faciles, lui qui a été un jeune punk rétif au système, puis qui a roulé sa bosse à l'étranger, avant de revenir vivre à Marseille, et qui a exercé tous les métiers.
Sa fille métisse, qu'il élève seul, apparait aussi dans ce récit autobiographique, offrant ainsi un point de vue différent.
On se laisse emporter par ce livre poignant, impossible à lâcher, écrit avec les tripes — pétri de colère et de tristesse —, mais écrit aussi avec le cœur, et donc d'une grande sensibilité et une émouvante poésie.
Un magnifique hommage à sa famille.

Éditions Hors d'atteinte, 2024, 272 pages.

mercredi 31 janvier 2024

Psychomagique !

La voie de l'imagination. De la psychomagie à la psychotranse est une synthèse très complète, avec exemples à l'appui, des travaux relatifs à la psychomagie d'Alejandro Jodorowsky.
La genèse, les grands principes et l'évolution de cette pratique sont d'abord rappelés, suivis d'une conférence-démonstration donnée à l’université de Jussieu en 1987 qui s'est terminée par la distribution de cahiers. Les étudiants étaient invités à répondre à de nombreuses questions pour développer la conscience et à réaliser un acte, que le lecteur pourra également effectuer.
Pendant des décennies, notamment dans le café Le Téméraire à Paris (et ailleurs dans le monde), Alejandro Jodorowsky a rencontré des milliers de personnes qui venaient lui demander de l'aide pour tenter de résoudre leurs blocages, conflits, névroses, traumatismes...
Il examinait leur arbre généalogique ou lisait le tarot afin d'identifier leur problème et proposait un acte psychomagique, qui mobilise le corps et l'esprit, pour communiquer directement à l’inconscient.
En échange de cette consultation gratuite, il demandait qu'on lui écrive ensuite une lettre rappelant le problème, l'acte conseillé, la façon dont il avait été réalisé et les résultats obtenus.
La publication de 84 de ces lettres constitue la plus grande partie de cet ouvrage.
Ces témoignages et parcours de vies d'une grande diversité se lisent comme un roman, mais peuvent aussi inviter à l'introspection.
Ce qui frappe, chaque fois, c'est le caractère étrange, osé et radical de certains actes, dont la réalisation demandait un certain courage, et donc une grande volonté de guérison de la part des intéressés.
Et comme par magie, les voilà libérés et pleins de gratitude envers celui qu'ils appellent le Maître, car "Pour notre inconscient, tout ce que nous imaginons est réel."

Actes Sud, 2024, 320 pages.

Oh ! Le style haut, avec ou sans stylo

Pas de nom d'auteur, deux textes et donc deux titres pour un même livre imprimé tête-bêche, pas de pagination : l'objet littéraire surprend et le concept singulier donne à réfléchir.
Les titres sont : Sans son stylo, du côté de la couverture bleu ciel, et Avec mon stylo de l'autre côté, sur fond bleu foncé.
Pourquoi l'auteur* se cache-t-il ? (plus ou moins). Il donne un début d'explication, fort intéressant, sur le site de l'éditeur

"il y a plein de raisons de ne pas mettre le nom de l’auteur sur une couverture. De nombreux livres gagneraient à paraître sans nom d’auteur. Tous, peut-être. L’auteur, c’est rien du tout. Je crois très peu à son autorité. Le livre est souvent au moins autant l’auteur de son auteur que son auteur n’est l’auteur du livre. Relisez ça. Et, en tant que lecteur — je suis aussi lecteur —, il me semble que le nom de l’auteur, très souvent, pollue ma lecture."

C'est tellement vrai !
Évidemment, la surprise ne s'arrête pas là quand on plonge dans le texte : qui est le narrateur ? Un double de l'auteur à la première personne ou un personnage imaginaire ? Le sait-il lui-même ? Est-il atteint d'hallucinations ou de pertes de mémoire quand divers objets disparaissent (ou bien n'ont peut-être jamais existé) : son stylo avant tout, mais aussi un château d'eau, un arbre, sa femme... ?
Si ce n'est pas très clair, cela ne l'empêche pas d'écrire de façon limpide, par circonvolutions pour mieux illustrer ses obsessions. Il réfléchit beaucoup à sa façon d'écrire, avec ou sans stylo, et se soucie — avec ironie — de ne pas perdre les lecteurs, malgré le récit labyrinthique, les mises en abîmes et sa distance avec la réalité. Mais la fiction n'est-elle pas à opposer à la réalité ?
Si ce livre est un audacieux OLNI (objet littéraire non identifié), perturbant et déroutant (où l'éditeur non moins audacieux a joué le jeu), il est aussi plein d'humour  et de jeux de mots. Le texte attise la curiosité car on a tendance à chercher des indices, à vouloir percer les mystères de ce livre où tout est, à la fois, double et en creux, à prendre dans tous les sens.

Éditions DO, 2024, 180 pages.

* Dans la liste des livres du même auteur, on trouve des titres de Philippe Annocque (mais cela reste entre nous), un auteur toujours en recherche de concepts littéraires. Cherchez dans ce blog les autres chroniques en tapant Annocque dans "Rechercher".

lundi 29 janvier 2024

La fille qui murmure à l'oreille des animaux

Virginia Markus est une jeune militante animaliste.
Dans ce récit sur son expérience, notamment au sanctuaire suisse des animaux de l'association Co&xister, elle parle avec passion de la sensibilité des animaux et du lien étroit qu'elle a réussi à tisser avec eux.
Le titre, Ce que murmurent les animaux, fait référence à son rapport étonnant car extrêmement proche et sensible des animaux. En effet, elle est capable de comprendre leur langage, d'entrer en communication avec eux et parfois de recevoir leurs messages en rêve.
Elle raconte avec talent le comportement d'animaux d'élevage (veaux, vaches, cochons, lapins, couvées... dont une poule incroyable !) qu'elle a sauvé de l'abattoir, leur résilience quand ils ne sont plus soumis à des conditions de vie effroyables, leurs capacités exceptionnelles. Non seulement, elle leur apporte beaucoup mais elle apprend et grandit aussi à leurs côtés.

Les animaux m'ont appris la naissance et la mort, l'amour, la joie, la tristesse et la colère. Les côtoyer m'en apprend autant sur eux que sur les rapports entre humains. Et sur moi. À leurs côtés, j'ai appris à percevoir la vie avec davantage d'ouverture, d'humilité et de confiance. Par-dessus tout, ils m'ont amenée à faire fi des étiquettes pour apprendre à connaître autrui au travers du filtre du cœur. Pour porter leur voix au mieux, il a fallu dépasser les clivages.

En effet, elle réussit à transmettre un message sensible de notre façon de vivre avec, ou plutôt d'exploiter, les autres êtres vivants. Elle accompagne également des éleveurs qui souhaitent se reconvertir.
Un petit livre puissant, et vraiment impressionnant, qui change le regard.

Bayard, 2024, 140 pages.

mardi 16 janvier 2024

Restons lucides

Vous êtes éco-anxieux, voire politico-anxieux ? C'est terrible, mais ça pourrait être pire : vous pourriez être dans le déni. Donc vous êtes lucides, ce qui est normal et légitime. C'est le signe d'une bonne santé mentale dans un monde qui ne tourne pas rond. Mais comment faire face et vivre avec sa peur, sa colère, sa tristesse, sa culpabilité ?
Dans Vivre avec l'éco-anxiété l'éco-lucidité, Tanguy Descamps et Maxime Ollivier * proposent une multitude de pistes pour réagir (comme le veut cette collection Je passe à l'acte des éditions Actes Sud). 

Leur message est : "Nous sommes éco-lucides, politico-anxieux et ultra-motivés."
Alors comment s'y prendre ?
Ils répondent en 5 chapitres, croquis à l'appui  : Pourquoi, Se préparer, Se lancer, Tenir bon, Et après.
Pour ne pas céder au fatalisme ou au défaitisme, il faut garder l'équilibre entre le trop et le pas assez écologique dans un monde qui ne l'est pas du tout. On peut réfléchir à notre façon de faire (et notamment de consommer) différemment pour que cela ait du sens. Par exemple, on peut voyager, mais autrement. Il faut aussi trouver de la joie dans notre quotidien, et transformer ou réveiller notre énergie.
Pour résumer, ce livre est un outil, un accompagnement bienveillant pour rester lucide sans céder au désespoir mais avec de l'espérance.
Aussi éclairant que convaincant ! 
 
Actes Sud, collection Je passe à l'acte, 2024, 64 pages, avec des illustrations didactiques d'Orégane Plailly.
 
* Tanguy Descamps et Maxime Ollivier ont également coordonné l'ouvrage très inspirant Basculons ! dans un monde vi(v)able.

lundi 15 janvier 2024

L'effet bascule

Basculons ! Dans un monde vi(v)able se lit de la première à la dernière page avec grand intérêt.
L'ouvrage collectif est coordonné par Tanguy Descamps et Maxime Ollivier. Il rassemble les témoignages d'une trentaine de jeunes de la génération Climat habités par l'envie d'agir. Chacun raconte comment, à sa façon, il ou elle a « basculé », c'est-à-dire pris conscience et pris acte, pour s'engager car réussir sa vie dans un monde qui la détruit n'a aucun sens pour eux.
Inquiets, indignés, révoltés, graves, lucides, mais surtout pleins d'énergie et d'espoir, ils ont la rage de vivre et de construire en commun de nouveaux systèmes pour un monde meilleur, viable et vivable.
Ils sont en quête de sens, regardent l'avenir en face et pensent « collectif ».
En parallèle, des acteurs écologistes des générations précédentes portent un regard sur leurs valeurs et engagements.
Avec de nombreuses pistes et ressources pour réfléchir et s'inspirer.
Concret, joyeux et incitatif : c'est l'effet bascule.

Actes Sud, 2022, 304 pages, avec des illustrations de Romane Rostoll. (voir aussi les vidéos sur le site)

 Cette chronique (à peine modifiée) est initialement parue dans le n°36 du magazine Sans Transition !

mardi 9 janvier 2024

Sa vie est un roman

Réussir, plus ou moins est la troisième partie de l’autobiographie de l'écrivain anglais David Lodge, des années 1992 à 2020.
Après Né au bon moment (de sa naissance en 1935 jusqu'en 1975) et La chance de l'écrivain (de 1976 à 1991), il nous ouvre les coulisses de sa vie et son œuvre, qu'il s'agisse de ses essais, romans, pièces de théâtre ou adaptations. Il est notamment connu pour Thérapie, Pensées secrètes, Les Quatre vérités, Nouvelles du Paradis, L'art de la fiction...
Il raconte donc ses réussites, mais aussi ses difficultés, notamment pour monter des pièces de théâtre ou des séries télévisées, avec les bons acteurs, les bons réalisateurs, etc.
De nature inquiète et pessimiste, mais aussi plein d'humour, il est d'une grande franchise avec lui-même et n'hésite pas à égratigner les autres au passage.
Il raconte donc, au fil de ces années, d'où lui sont venues ses idées, ce qui l'a inspiré (comment il se sert de ses névroses), s'il s'agissait de commandes, de collaborations, si le succès était ou pas au rendez-vous, et pourquoi.
Il y a aussi les voyages, les invitations, les récompenses, et sa vie personnelle, dont il fait un roman.

Rivages, 2023, 284 pages.