mercredi 30 décembre 2015

Le labyrinthe mène à Vladivostok

"Les nuits de Vladivostok sont grises et opaques" écrit Christian Garcin. Et pleines d'aventures incroyables qui croisent parfois des histoires vraies.
Thomas s'est trompé de train et débarque par erreur à Vladivostok au lieu de rejoindre Marie, comme prévu, à Irkoutsk. Il est arrêté par erreur par un détective chinois, le fameux Zhu Wenguang dit Zorro, déjà rencontré dans le roman Des femmes disparaissent. Heureusement, son acolyte Chen Wanglin (auteur d'histoires inspirées dudit détective) vient réparer la confusion. Pas rancunier, Thomas sympathise avec les deux Chinois, trinque avec eux et s'associe à leur enquête, en attendant Marie qui viendra les rejoindre et apporter de l'eau à leur moulin (mais pas dans leurs verres).
Dans Les nuits de Vladivostok, on croise entre autres, aux bords du lac Baïkal, Shoshana Stevens, une médium anglaise ; un certain Oleg Svechnikov qui a traversé la Russie à pied de Moscou à Vladivostok ; une serveuse blonde, souriante et sexy ; Ye-jin, une prostituée coréenne ; un figurant professionnel de films de Kung-fu ; et dans les sous-sol de New York, un chef de gang international nommé Wilfredo Rodriguez qui donne rendez-vous à un mafieux qui porte un nom d'écrivain russe... Et tous ces dédales et souterrains convergent jusqu'aux galeries du fort n° 3 de Vladivostok.
Un excellent roman d'aventures, aussi brillant que divertissant, où les gangsters ont des lettres et parlent littérature avant de parler affaires.

Éditions Stock, 2013, 368 pages. 

D'autres chroniques sur les livres de Christian Garcin à lire dans ce blog :
- Selon Vincent et un entretien sur Selon Vincen
- Vétilles
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas
- Sortilège
- Des femmes disparaissent
- Les vies multiples de Jeremiah Reynolds
- Romans pour la jeunesse

mardi 29 décembre 2015

Filatures d'un Zorro chinois

Inspiré par un réel détective privé chinois, Christian Garcin compose Des femmes disparaissent, un roman de Chen Wanglin. L'auteur est sensé être ce Chen Wanglin dont Christian Garcin ne serait que le traducteur, une autre histoire dans l'histoire, qui renvoie aussi à Selon Vincent où Paul Hu est en train de traduire l'œuvre de Chen Wanglin, un personnage que l'on retrouve aussi dans Les nuits de Valdivostok — toujours ce jeu subtil d'histoires dans les histoires et de références d'un livre à l'autre de Christian Garcin.
Le récit est entrecoupé des histoires des personnages évoqués pour mieux les situer, de contes traditionnels, mais aussi de musiques chinoises, japonaises ou hongroises (que l'on retrouve dans la table des matières en accompagnement musical).
Des femmes disparaissent est un roman multi-genres ou à la frontière entre différents genres : roman d'aventures asiatiques, roman de voyages (en Chine, à Hokkaido au Japon et dans le Chinatown de New York), roman noir ou policier, roman géo-politique, roman historique et contemporain, roman social, roman fantastique enfin avec la jubilatoire réincarnation d'un personnage en chien qui discute avec une médium et fournit des pistes au détective.
Ce détective privé chinois nommé Zhu Wenguang, dit Zuo Luo — ce qui se prononce Zorro — s'est spécialisé dans la recherche de femmes qui font appel à lui pour les sortir de situations de maltraitance ou de séquestration, alors qu'elles ont été vendues comme des marchandises par leurs parents miséreux et considérées comme telles par leurs acheteurs. Trois d'entre elles sont liées à son propre passé.
Les dernières pages du chapitre "Hokkaido, 4 août" sont une merveille : la description de la scène dans le paysage japonais est entrecoupée par les pensées de la petite Yôko, en italique. Vertigineux. 

Éditions Verdier, 2011, 192 pages.

D'autres chroniques sur Christian Garcin :
- Selon Vincent et un entretien sur Selon Vincent (entre autres) ;
- Vétilles ;
- J'ai grandi ;
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais ;
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas.

mardi 15 décembre 2015

Carver, sa vie, son œuvre

Carol Sklenicka signe une biographie aussi imposante (784 pages) que passionnante sur ce poète et maître de la nouvelle (1938-1988) qui a influencé tant d'écrivains et impressionne toujours autant les lecteurs : Raymond Carver, Une vie d'écrivain, aux éditions de l'Olivier (qui achèvent la publication des œuvres complètes de Carver).
Il s'agit d'une biographie à l'américaine — très détaillée — réalisée pendant une quinzaine d'années, avec de nombreux témoignages, des documents d'archives, des liens directs entre œuvre et vie personnelle puisqu'il puisait ses sujets dans son quotidien et autour de lui. Sa vie familiale était une errance perpétuelle faite de multiples déménagements, de coups durs, de difficultés à joindre les deux bouts, de problèmes d'alcoolisme (ce fameux "éléphant dans le salon") et de dépression.
De cours de littérature en rencontres déterminantes, il a toujours été animé par ce désir très tôt formulé : être écrivain. Une persévérance qui a porté ses fruits puisqu'il a enfin connu le succès, tardivement mais de son vivant.

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau, 2015, 784 pages.

D'autres chroniques sur Carver :
- Parlez-moi d'amour
- Qu'est-ce que vous voulez voir ?
- Les feux
- Les vitamines du bonheur.

jeudi 10 décembre 2015

Boire des coups, pas en recevoir

Aujourd'hui 10 décembre, paraît un recueil de poésie au profit des établissements directement touchés le 13 novembre dernier, publié par Le Contrepoint, éditeur indépendant parisien, en partenariat avec la Fondation de France.
Il s'intitule : Pour La Belle Équipe, Le Carillon, Le Petit Cambodge, La Bonne Bière, Casa Nostra, Le Bataclan.
Il coûte 7 euros qui leur seront intégralement reversés grâce à la chaîne du livre (libraires, imprimeur...) qui s'est mobilisée autour de ce projet entièrement bénévole.
Les poèmes de Baudelaire, Du Bellay, Boileau, Hugo, de Nerval, Ovide, Rimbaud, Verhaeren, Verlaine, etc., ont été choisis pour faire écho à ces endroits de divertissement, de réunions entre amis, de rencontres avec des artistes, où l'on préfère écouter de la musique, chanter, célébrer la vie et l'amour, manger et boire des coups, pas en recevoir.

Éditions Le Contrepoint, décembre 2015, 40 pages.

mardi 8 décembre 2015

Essayons de comprendre

Paru dans la collection Les Indispensables, ce recueil est à sa place puisque indispensable, concis, éclairant. Sensible et sensé.
Sous la direction d'Éric Fottorino, directeur de la publication de l'hebdomadaire Le 1, des spécialistes de l'Islam et du Moyen-Orient, des écrivains, des historiens, des philosophes, des anthropologues analysent, tentent de comprendre et font le point sur le nouveau terrorisme de Daech.
Ces contributeurs sont : Edgar Morin, Tahar Ben Jelloun, Olivier Roy, Régis Debray, Hélène Thiollet, Michel Foucher, Hosham Dawod, Michel Onfray, Dounia Bouzar, Laurent Greilsamer, Raphaël Liogier, Dominique Schnapper, Henry Laurens, Jean-Chistophe Rufin, Gilles Kepel, Leïla Slimani, Gérard Chaliand, Olivier Weber, Jean-Pierre Filiu, Robert Solé.
Leurs textes pluridisciplinaires sont complétés par un dossier qui rappelle les points essentiels de Daech : sa naissance, ses objectifs, ses dirigeants et ses membres, ses repères chronologiques, ses chiffres clés, etc.
Essayons de comprendre, comme nous y invite Edgar Morin.

Coédition Le 1 / Philippe Rey, collection Les Indispensables, novembre 2015, 96 pages.

Le 1 est partenaire du programme spécial de La Grande Table présenté par Caroline Broué sur France Culture, du 21 au 25 décembre, à 12 h 55 : Le 13 novembre, et après ? Cinq réflexions pour l'avenir.
Programme et enregistrement en public le 12 décembre à la Maison de la radio.
Le 13 novembre, et après ? Cinq réflexions pour l’avenir - See more at: http://www.maisondelaradio.fr/evenement/emission-en-public/la-grande-table/le-13-novembre-et-apres-cinq-reflexions-pour-lavenir#sthash.J5vM9lYn.dpuf

mardi 1 décembre 2015

Souterrains et survols avec Christian Garcin

© Ferrante Ferranti
Dans le cadre du festival Livres en tête où, entre autres, des extraits de Selon Vincent étaient lus à haute voix, j'ai rencontré Christian Garcin. L'occasion de survoler avec lui la genèse de ce roman et quelques thèmes récurrents de son œuvre en réseaux souterrains : les voyages aux confins du monde, les espaces confinés et les disparitions. 

Quelle est la genèse de votre roman Selon Vincent ?
Christian Garcin : En 2013 j'avais été envoyé en Patagonie chilienne par la région Nord-Pas-de-Calais, où se trouve l'ancien bassin minier classé au patrimoine mondial de l'Unesco, pour écrire un texte relatif à une mine de charbon qui se trouve sur une île nommée Riesco. En survolant les Andes de Santiago à Puntas Arenas, je me suis souvenu que six mois auparavant j'étais près d'une autre mine, non pas de charbon mais de nickel, à Norilsk au nord de la Sibérie, vers l'embouche du fleuve Ienisseï, et je me suis demandé si par hasard les deux ne seraient pas situées aux antipodes l’une de l’autre. En vérifiant par la suite je me suis rendu compte qu’en réalité, l’antipode de l'île Riesco correspondait à une autre île, sur laquelle je m’étais rendu quelques années plus tôt et qui m'avait fortement marqué : l'île d'Olkhon, sur le lac Baïkal. Elle est le cadre de deux de mes romans, Les nuits de Vladivostok et La piste Mongole, ainsi que d'un chapitre d'un de mes carnets de route. Si l'île Olkhon est relativement touristique, celle de Riesco ne l’est pas du tout : il n'y a rien à voir, et n’y vivent que des mineurs et des estancieros avec leur bétail. J’ai donc pensé que, sauf à ce qu'un mineur ou un éleveur de l'île Riesco soit allé en vacances sur une île du lac Baïkal, j’étais peut-être la seule personne au monde à m’être rendu dans les deux îles. La coïncidence était magnifique. Le roman est né en partie de cette correspondance mystérieuse et formidable : établir un lien entre ces deux points qui m'avaient à divers égards plu, ou intéressé, ou marqué. 



© Christian Garcin
Les correspondances, les souterrains et les passerelles sont une constante dans votre œuvre...

Dans mes romans en tout cas, j'essaie de tracer des liens, des réseaux, des symétries, des lignes de fuite, de les formaliser à l'intérieur d'un même livre, et aussi d'un livre à l'autre, à travers la récurrence de certains personnages par exemple. Du reste il me semble que le cerveau fonctionne ainsi : par associations et réseaux, par correspondances souterraines souvent informulées, par « sauts » d’un système de référence à l’autre. Je crois que depuis que je suis en âge de lire, j’aime cette idée qu'on puisse créer des liens, creuser des galeries d'un livre à l'autre. Ce qui devient envisageable à présent, sans doute, avec le livre numérique.



Ce système de références n'empêche pas de vous lire dans n'importe quel ordre.

Non, heureusement ! Tout cela constitue un réseau de symétries et de causalités que je veux avant tout discret pour le lecteur, absolument non contraignant. Et bien entendu, si d’aventure on veut lire plusieurs de mes livres, on peut commencer par n'importe lequel.



Cette idée d'architecture en réseaux est arrivée comment ?

Progressivement. Il y a une quinzaine d'années, quand j'ai publié Le vol du pigeon voyageur, des amis m'ont dit que le personnage principal, Eugenio Tramonti, avait tout d'un personnage récurrent. Quelques années plus tard, me souvenant sans doute de cet avis, j'ai eu l'idée de bâtir un roman en miroir par rapport au Vol, avec un voyage qui se déroulerait non pas vers l'Est (la Chine), mais vers l'Ouest (les États-Unis), et dans lequel Tramonti ne serait pas à la recherche d'un personnage vivant qu'il ne retrouverait pas, comme dans Le vol du pigeon voyageur, mais d'un personnage mort qu'il retrouverait. Sur cette base est né le roman La jubilation des hasards, paru en 2005.

Or il se trouvait que dans ces deux romans le personnage évoquait ou survolait la Sibérie et la Mongolie. J’ai alors pensé qu’il serait bien que le roman suivant se déroule dans ces lieux, et que dans ce roman-là ce ne soit pas Tramonti qui parte à la recherche d’un personnage disparu, mais que ce soit lui qui disparaisse, et que l’on recherche. C’est le point de départ de La Piste mongole. Et lorsque j'ai terminé ce livre, j'ai tout de suite su qu’il constituerait, en quelque sorte, un réservoir de fictions. Ce qui a été le cas puisque de lui sont nés des livres pour la jeunesse à L'école des loisirs (Aux bords du lac Baïkalnotamment), mais aussi les romans Des femmes disparaissent, Les Nuits de Vladivostok, et Selon Vincent.



© Christian Garcin
Vous faites aussi parfois référence à d'autres fictions d'autres écrivains, mais aussi à des personnages bien réels.

Disons pour simplifier que dans mes romans tout est vrai, sauf l'intrigue. Comme beaucoup de monde je me nourris de faits divers, d'histoires que je lis dans la presse, et qui parfois viennent faire écho à ce que j'écris. Par exemple, le personnage principal de Des femmes disparaissent est un détective chinois qui existe réellement, spécialisé dans la recherche de femmes en détresse. Dans Les nuits de Vladivostok, il y a, entre autres, l’histoire de cet homme qui a traversé la Russie à pied, de Moscou à Vladivostok. Ou, dans Selon Vincent, les feuillets d’un grognard napoléonien retraçant ses années de captivité en Russie - ou encore, dans un registre plus léger, ce type étonnant qui s’est enrichi en vendant des parcelles de la Lune, de Vénus et de Mars. Tout ceci est absolument authentique. Dans ce même roman j'évoque également un pasteur, Thomas Bridges, qui au XIXe siècle s'était installé à Ushuaia, où il avait établi une mission. Il était l’auteur d'un dictionnaire anglais-yaghan (une des ethnies originelles de la Terre de feu, appelés aussi yamanas), une langue d'une richesse lexicale incroyable paraît-il. Son fils, Lucas Bridges, né en 1874 à Ushuaia, a écrit une autobiographie passionnante. Les Yaghans étaient ses compagnons de jeux et ils étaient déjà peu nombreux au début du XXe siècle. Ils ont été décimés.



D'ailleurs, dans Selon Vincent, on retrouve ce thème récurrent de la disparition.

Selon Vincent est en somme l’histoire d’une double disparition : celle, individuelle, de cet homme (Vincent) qui décide de rompre les amarres et de s’exiler au bout du monde, et une autre disparition, collective, historique, celle des peuples du sud de la Patagonie, que l’on voit dans le roman à travers le journal de bord d’un médecin français (personnage réel lui aussi) qui était à bord d'une goélette et qui avait examiné, soigné et étudié certains de ces Indiens.

Je trouve assez fascinant ce phénomène de la disparition volontaire. Le nombre de personnes qui décident de disparaitre chaque année est incroyable, plus de 3000 d’après le ministère de l’intérieur. Je suppose que c'est un fantasme assez commun, ou qui parle à beaucoup de monde. Face à certaines épreuves de la vie, chacun a été confronté un jour, je pense, à ce désir obscur, souvent informulé, et en tout état de cause rarement mené à bien, de tout quitter, de rompre avec le fil de ses jours, de se rebâtir une nouvelle vie – de se refaire une virginité en somme, d’avoir la possibilité de repartir de zéro.

Je voulais aussi parler des Indiens de Patagonie, qu’on connait assez peu. Avant de partir là-bas, j'avais lu des livres sur ces ethnies qui vivaient en Patagonie chilienne et argentine : deux sur terre, les Onas et les Haush, des chasseurs de phoques ou de guanacos, et deux ethnies de nomades marins, les Kawesqar et les Yamanas. Ils ont vécu là pendant des millénaires et ont été exterminés en très peu de temps, au début du XXe siècle, après l'installation massive des Occidentaux au XIXe, due à l’exploitation du charbon (justement la raison pour laquelle j'étais là-bas) et aux activités liées à l'élevage, entraînant donc la déforestation. Ils ont été décimés par les maladies, mais aussi bien entendu par la politique d’appropriation des terres et d’extermination systématique des colons.



Les voyages ont une grande importance dans votre œuvre. Je crois savoir que c'est une tradition familiale.

Je me rends bien compte que les voyages sont devenus un moteur non négligeable de mon écriture depuis quelques années — même si ce n’est pas le seul. Enfant je traçais des itinéraires sur des cartes géographiques, j’imaginais me rendre plus tard dans tel ou tel lieu, ou dans tel ou tel nom, puisque ce sont les noms d’abord qui font rêver. Il y a sans doute de solides raisons familiales à cela, car j'avais des arrière-grands-pères navigateurs au long cours qui sillonnaient les océans, et dont on m’a souvent parlé tout au long de mon enfance. D’ailleurs j’en croise un de temps en temps : après avoir publié Selon Vincent, j'ai appris qu’un de ces arrière-grands-pères avait été mousse sur une goélette qui était partie en Patagonie dans les années 1880 — sans doute la même, « La Romanche », dont il est question dans le roman. Plus tard, ce même arrière-grand-père est devenu commandant à bord d'un paquebot qu’a notamment emprunté l’exploratrice Alexandra David-Néel en 1917 pour se rendre de Singapour à Kobé. Je viens à peine de découvrir cela, en lisant la biographie d'Alexandra David-Néel, sur les traces de laquelle j’étais parti cet été au Tibet et dans le Yunnan en compagnie d’Eric Faye. Nous sommes en train d’écrire un livre à ce sujet. Cet arrière-grand-père est partout. Je l'avais déjà évoqué une fois en citant ses titres honorifiques dans un livre que j’avais consacré à JL Borges (Borges, de loin).



© Christian Garcin
Dans Selon Vincent, on retrouve aussi cette opposition entre les espaces confinés (la cabane de Vincent) et les grands espaces (la Patagonie).

Confins et confinements, en ce qui me concerne, les deux sont étroitement liés, et cela va plus loin que le simple jeu de mots. J’imagine que cela tient à la psychogénéalogie, à laquelle je veux bien croire de temps en temps. Du côté de ma mère, mes ancêtres étaient donc des navigateurs, notamment cet arrière-grand-père mais aussi son père, son oncle, son grand-père, et mon autre arrière-grand-père qui était lui aussi commandant dans la marine marchande. Du côté de mon père, ils étaient paysans ou bergers. Je me suis rendu compte que, dans les deux cas, il s’agissait d’hommes confrontés journellement à l’immensité puissante et vide du paysage, que ce soit l'océan ou la montagne. Une fois qu'ils s'étaient abreuvés complètement de cet horizon infini, de cette nature à perte de vue, ils rentraient dans leur cabine pour les uns, dans leur cabane pour les autres : des espaces étroits, confinés, à leur mesure. Je me dis que c’est un tel équilibre entre les confinements et les confins, entre ces deux plateaux de la balance, qui, au moins généalogiquement, me constitue. C’est en tout cas la fiction que je me suis inventée – mais disons qu’elle fonctionne, et me convient.



Vous venez d'évoquer un livre en cours sur les traces d'Alexandra David-Néel, quel sera votre prochain livre publié ?

Mon prochain roman sort en janvier chez Stock et s’intitule Les vies multiples de Jeremiah Reynolds. C’est l’histoire de la vie incroyable de cet inconnu nommé Jeremiah Reynolds, qui fut marin, explorateur, écrivain, militaire, ami de Poe et probable inspirateur de Melville.



mardi 24 novembre 2015

Plaisir du texte, à haute voix

Autrefois, lorsque les gens ne savaient pas lire, écouter des textes lus à voix haute était une pratique courante et bien agréable. Aujourd'hui, c'est toujours aussi plaisant pour découvrir ou redécouvrir des extraits de romans.
C'est ce que propose, au Festival Livres en tête, en collaboration avec le service culturel de la Sorbonne, le collectif Les Livreurs, des passionnés de littérature et professionnels de la lecture à haute voix.
Lire à haute voix est un art qui se différencie sensiblement du théâtre puisqu'il ne s'agit pas de pièces mais de romans, donc l'orateur prend la place du narrateur. Les extraits choisis sont souvent drôles, toujours émouvants, lus avec talent.
Du 26 au 28 novembre, les lectures se déroulent dans le cadre de soirées variées et animées comme Le Bal à la Page, une soirée dansante où le public est invité à participer.
Parmi les invités : Christian Garcin, Carole Martinez, Bernard Quiriny... et bien d'autres.
Voir le programme complet sur le site du festival.
En savoir plus sur Les Livreurs.
Écouter les extraits lus.

lundi 16 novembre 2015

Éloge de la fuite

Dans Sortilège de Christian Garcin, suite à une vision fantomatique, Ezra Bembo fuit sa maison de Marseille et part vivre en ermite dans une grotte, au milieu du désert, dans un autre continent.
La vie solitaire ne l'effrayait pas. Même, il la voulait. Les routes là-bas étaient vastes, les déserts effrayants, les nuits sans complaisance. Les ciels étaient de fer, et lui se sentait pierre. Le dernier bar qu'il avait fréquenté ressemblait à ceux qu'il avait vus avant, et tous semblaient sortis tout droit d'un de ces multiples films où rôdent les épaves en fin de course, où danse la poussière, et durcissent les cœurs de ceux qui s'y échouent.  
Souvent, dans l'œuvre de Christian Garcin, des passerelles et des souterrains communiquent d'un livre à l'autre. Dans ce recueil de deux nouvelles publié en 2002, réédité en 2014, on trouve déjà les thèmes du repli, de la fuite dans un pays lointain et des grands espaces comme dans Selon Vincent.
Mais aussi d'autres clins d'œil comme ce nom de Bembo qui deviendra le Bembo Café dans Des femmes disparaissent tenu par une certaine Misra Samjak, la même ou l'homonyme, qui tient ce bar perdu au milieu de nulle part dans Sortilège (qui n'est pas sans rappeler cette gargote nommée Ruta Sur, perdue à l'extrême sud du Chili et tenue par une Allemande dans Selon Vincent).
La nouvelle suivante, Cinq jours et une éternité, fait réapparaître Ezra Bembo quelques années après son exil. Il confie à Gaspard un mystérieux paquet (que celui-ci s'empresse d'ouvrir) à remettre à un couple de bergers.
La mort, les momies et le morbide rôdent dans ces deux nouvelles. Beaucoup de secrets et de mystères planent et nous hantent longtemps après la lecture, bien au-delà de l'histoire portée par un style sensible. On sent une urgence, une échappée nécessaire, loin de tout, une façon de se retrouver et de se reconstruire après avoir coupé les ponts ou brûlé ses traces.
Et toujours des liens tendres avec des femmes apportent un peu d'espoir et de bienveillance, un autre refuge dans ce monde hostile.

Éditions Champ Vallon, 2002 et 2014, postface de J.-B. Pontalis, 128 pages.

D'autres chroniques à lire dans ce blog :
- Selon Vincent
- Vétilles
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas

mercredi 4 novembre 2015

Éloge des libraires

Frank Andriat (un auteur belge, comme Bernard Quiriny), avec Jolie libraire dans la lumière, signe un bel hommage aux livres, aux lecteurs et aux libraires, aux rencontres autour des livres, aux librairies qu'il appelle des "jardins de livres".
Les clients de Maryline, la jolie libraire, viennent demander des livres et des auteurs fictifs, comme une certaine Aurélie Pompon (un nom qui sonne comme celui d'une célèbre romancière belge), et d'autres bien réels comme Christian Bobin ou Michèle Marineau. Dans les rayons de la librairie, sont aussi évoqués Erik Orsenna, Garcia Marquez et Anna Gavalda.
L'histoire parle de ces livres achetés au hasard et qui résonnent comme s'ils avaient été écrits pour le lecteur. Et parfois racontent sa propre histoire. Justement Maryline se reconnait trait pour trait dans un récit. Quelle est l'intention de l'auteur ? Quel message a-t-il à lui transmettre ?
Une anecdote : une cliente peintre entre dans la librairie, inspirée par la lumière qui tombe sur la libraire. Elles entament une conversation au cours de laquelle la peintre précise qu'elle habite à Melrand, en Bretagne, comme Marie Godest qui signe l'illustration de la couverture.
Quand fictions et et réalité se croisent.

Éditions Desclée de Brouwer Poche, 2015, 156 pages.

dimanche 1 novembre 2015

Voyage au pays de Lapouge

On se croirait confortablement assis au coin du feu en compagnie de Gilles Lapouge qui égrène ses souvenirs, ses réflexions, ses rencontres, sur le ton de la confidence et de l'humour. Pour quelqu'un qui aime se perdre, le principe de l'abécédaire lui convient parfaitement, flânant d'un sujet à l'autre, de A comme Amado (Jorge) à W comme Western, il nous parle de son enfance, de la neige et du vent, d'anecdotes de travail, de voyages, de géographie, de rencontres... Lecture et écriture sont bien sûr les fils rouges du livre écrit en collaboration avec Éric Poindron. Il évoque les écrivains qui ont compté pour lui, et ses amis comme Nicolas Bouvier ou Jacques Lacan.
Je voudrais exhumer, réveiller et revisiter cette collection de lumières que chacun de nous possède, comme on possède un herbier pour se rappeler les promenades qu'on a faites et les amours qu'on a vécues, comme on tourne les pages d'une collection de timbres, de photos, de larmes, une collection de souvenirs, car au fond c'est bien cela, une lumière. (Extrait de l'entrée Collection)
En toute liberté est le titre de cet Abécédaire intime de l'écrivain et journaliste, notamment correspondant du quotidien brésilien O Estado de S. Paulo
Un abécédaire savoureux et poétique.

Le Passeur Éditeur, 2015, 240 pages.

dimanche 25 octobre 2015

Cocktail détonnant

Dans le septième livre de Bernard Quiriny, Histoires assassines, vingt-et-une nouvelles s'enchaînent et s'entrechoquent, délirantes, étonnantes et amusantes — avec un certain humour noir puisqu'on y meurt beaucoup, mais pas toujours. Parfois on s'y écharpe par textes interposés et on y fait souvent l'amour aussi, mais de manière bien étrange.
Par exemple, dans la première nouvelle, "Bleuir d'amour", le texte est bleu comme le bord des pages, et pour cause :
Rappelons d'un mot ce qui nous arrive, pour ceux qui l'ignorent encore : depuis six mois, l'accouplement nous rend tout bleus. 
S'ensuivent des situations pour le moins étranges et hautes en couleurs puisque les relations sexuelles se révèlent en bleu, ce qui donne plutôt l'occasion de rougir, de rire jaune ou de verdir de rage. À moins qu'il s'agisse d'un hommage burlesque à Paul Éluard...
Dans "Sévère, mais juste" la règle est énoncée dès le départ :
Un critique littéraire, à Londres, décide d'assassiner un écrivain par jour, pendant un mois. 
Absurde ? Pas vraiment puisque, du propre au figuré, et inversement, une critique assassine peut détruire une ambition.
De jeux de mots en clins d'œil, l'auteur nous entraîne dans un univers décalé et prend un malin plaisir à décliner ses histoires fantastiques sous forme de rapports anthropologiques, de listes, de correspondances qui se répondent par séries disséminées dans le recueil....
Une des plus désopilantes et rebondissantes histoires fait partie de la série Correctifs (I). Dans une polémique d'intellectuels, deux spécialistes de Proust s'affrontent et s'accusent de plagiat via une critique parue dans la presse, puis un droit de réponse et quelques rectificatifs : tout y passe et tout s'emmêle pour tirer l'affaire (presque) au clair.
Pour obtenir un cocktail (d)étonnant à la Bernard Quiriny, prenez une mesure de Marcel Aymé, une de Jorge Luis Borges, une autre d'Edgar Allan Poe, une bonne pincée de René Magritte et quelques ingrédients aussi farfelus que saugrenus.
À déguster sans modération.

Éditions Rivages, 2015, 240 pages.

vendredi 16 octobre 2015

Histoires perchées et cadavres exquis

Vie des Hauts plateaux, sous-titré fiction assistée, de Philippe Annocque, est une série de micro-fictions bien perchées et ponctuées d'interludes tout aussi loufoques. Apparemment.
Il y a du Tati dans cet univers surréaliste de cadavres exquis, drôle et déroutant.
Il est question d'une dernière partie de pêche avant la mort, de gens qui dorment dans le lit des autres sans y être invités, de morts soudaines (souvent de faim) et parfois prévues, de naissances spontanées, de mariages à tours de bras et de divorces en veux-tu en voilà... Tout un programme !
La surprise et le cocasse nous attendent à tous les coins de phrase et surtout où on ne les attend pas. Seuls les narrateurs semblent trouver de la normalité et de l'évidence où il n'y en a pas, et vice-versa.
Comme on irait aux antipodes pour mieux se retrouver et sentir ses racines, il y aurait dans ce bouleversement des règles une invitation à observer nos propres codes. En effet, Philippe Annocque indique à son éditeur* : "Je suis très sensible à l'absurdité des règles qui régissent les relations sociales, et même la vie quotidienne en général. Ou plutôt, il suffit que j'arrête un peu mon regard sur ces règles pour éprouver très vivement le sentiment de l'absurde. J'avais envie de jouer un peu avec ces règles pour faire partager ce sentiment."
Car derrière l'apparente incongruité de ces textes se cachent une logique et quelques indices à décoder, comme le sous-titre (fiction assistée) ou l'étymologie de interlude (entre les jeux) ou cette énigmatique quatrième de couverture : "Un dispositif que n'identifiera pas forcément, c'est aussi bien, le lecteur même lettré — mais un plus jeune, peut-être, et c'est bien aussi — donne à cette Vie des hauts plateaux le léger décalage nécessaire pour une mise au point attendue (ou non) sur la vie. Et la mort. Et l'amour. Carrément." Et en bonus, de nombreux jeux de mots à débusquer.
Quand lire devient un jeu d'enfant.

Éditions Louise Bottu, 2014, 158 pages.
* Les éditions Louise Bottu ont vu le jour fin 2013 et comptent déjà une douzaine de livres à leur catalogue, dont Ozu de Marc Pautrel.

- Le blog de Philippe Annocque.

Mes chroniques sur d'autres livres de l'auteur :
- Élise et Lise
- Liquide.
- Pas Liev

samedi 10 octobre 2015

Ozu éternel

Marc Pautrel s'est inspiré du journal intime de Yasujirô Ozu (1903-1963) pour retracer des moments de sa vie dans un style tout en retenue, grâce et poésie.
L'existence du cinéaste japonais a été marquée par les deuils, de son père puis de ses neveux, et les catastrophes : le terrible tremblement de terre de Tokyo en 1923, la guerre sino-japonaise en 1937, des années plus tard l'incendie de son bureau qui anéantit tous ses souvenirs ; mais aussi une existence marquée par l'amitié, l'amour, le travail, le succès...
Nous marchons dans les pas de celui qui s'est consacré corps et âme au cinéma, coûte que coûte, luttant contre l'avis des autres, à commencer par sa famille. Perfectionniste, il aurait même renoncé à épouser la belle actrice Setsuko Hara pour mieux se concentrer sur son travail, jour et nuit.
Il part ensuite le long de la route jusqu'à un des temples, et là il s'assoit devant l'entrée et mange sous les arbres, avant de franchir la porte et d'aller marcher dans l'enceinte sacrée, faire quelques offrandes, observer les immenses bambous, et plus loin les fleurs des arbustes, penser un peu à lui-même, à la tragédie de sa vie. Il sait qu'il boit trop, qu'il ne dort pas assez, qu'il n'a une vie ni saine ni sainte, et pourtant il sait qu'il fait exactement ce qu'il doit faire, qu'il suit sa voie, écrire et filmer, capturer l'émotion, inventer, tout faire pour bouleverser le cœur de chaque spectateur.
Le roman de Marc Pautrel recrée parfaitement cette atmosphère nostalgique et pleine d'émotions des films du maître : Voyage à Tokyo, Une femme de Tokyo, Printemps tardif....
Un subtil hommage au cinéaste, mais aussi aux Japonais qui subissent les pires catastrophes et toujours reconstruisent.

Éditions Louise Bottu, 2015, 136 pages.
Louise Bottu est la poétesse fictive du roman Monsieur Songe de Robert Pinget. Les éditions Louise Bottu ont vu le jour fin 2013 et comptent déjà une douzaine de livres à leur catalogue. À suivre !

Le site de Marc Pautrel

jeudi 8 octobre 2015

Selon Christian

Selon Vincent, de Christian Garcin, est un roman entre dédale littéraire et puzzle, entre fantastique et réalisme, qui multiplie les narrateurs, les styles, les angles de vue, les documents authentiques dans la fiction, la fiction dans la fiction, les personnages et les pistes, apparemment sans rapport, pour nous révéler finalement une clé du mystère qui hante tous les chapitres : pourquoi Vincent a tout quitté (famille, maîtresses, travail, pays) pour vivre en ermite dans une cabane au bout du monde, en Terre de Feu, donc pas vraiment pour prendre des vacances.
L'intrigue est finement menée dans un style qui semble couler de source : un régal.
Il est question d'un manuscrit envoyé par Vincent après vingt ans de silence ; de Rosario, son neveu, qui part à la recherche de Vincent en Patagonie chilienne avec son ami Paul en 2013 ; de feuillets retrouvés sur un soldat mort sur le champ de bataille de Waterloo ; d'explorateurs de la fin du XIXe siècle en Terre de Feu ; du propriétaire autoproclamé de la Lune, de Mars et de Vénus ; d'un chaman bouriate ; de la dernière survivante des Indiens Yagans...  
Christian Garcin est décidément un écrivain — passionnant et inclassable — qui pratique et combine tous les genres : romans, récits et impressions, notes de voyages, mini-fictions, nouvelles, essais...
Il explore la littérature comme il explore le monde, les pays, les énigmes, les thèmes contradictoires et entrelacés : les grands espaces et les espaces confinés, les antipodes, le réel, l'imaginaire ou le fantastique, le hasard et la coïncidence, l'absence et l'attachement, la fuite et les racines...
Une vision du monde selon Christian Garcin dont l'œuvre foisonnante (plus d'une quarantaine de titres), selon moi, fait partie de celles qui comptent.
À explorer !

Éditions Stock, 2014, 312 pages.

D'autres chroniques à lire dans ce blog :
- un entretien sur Selon Vincent et autres thèmes
- Vétilles
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas
- Sortilège- Des femmes disparaissent
- Les nuits de Vladivostok
- Les vies multiples de Jeremiah Reynolds
- Romans pour la jeunesse

Christian Garcin est publié chez différents éditeurs : Stock, Gallimard, Verdier, L'escampette, Le bec en l'air, etc.

lundi 28 septembre 2015

Je reconstruirai les fragments

Habiba Djahnine réalise des films comme elle écrit ses poèmes, avec une authenticité sensible, combattante, émouvante. Son poignant long-métrage Lettre à ma sœur était un hommage à sa sœur Nabila, militante féministe assassinée en 1995 à Tizi-Ouzou.
Après un premier recueil Outre-Mort, paru en Algérie, Fragments de la maison paraît cette année aux éditions Bruno Doucey*.
Une poésie de partage, qui nous porte et nous élève.
Blanc est le ciel
Sourdes sont les rafales de vent
L'air se remplit de milliers de grains de sable
La tempête n'attend plus
Elle envahit la ville.

Éditions Bruno Doucey, 2015, 64 pages.
*Bruno Doucey a longtemps dirigé les éditions Seghers avant de créer sa propre maison pour continuer à faire découvrir les poètes du monde entier, pratiquant ainsi une poésie de combat.

samedi 19 septembre 2015

Apocalypse noire

Charøgnards de Stéphane Vanderhaeghe est un objet rare où le fond et la forme s'imbriquent pour jouer avec les codes de l'écriture et de l'édition : langage, mise en page, ponctuation, pagination, couleur des pages... Tout repère est perdu, réinventé, dans la présentation comme dans l'intrigue. Le livre joue aussi avec notre imagination et nos nerfs, jusqu'au bout. Il est d'ailleurs difficile de le lâcher alors qu'on sait, dès les premières pages et au vu des dernières pages (qu'on n'a pas pu s'empêcher de regarder : grises, puis complètement noires), que ça va forcément mal finir.
Que se passe-t-il exactement ? Le journal dont il est question est-il celui du dernier homme, comme le laisse supposer le premier chapitre dans une étrange langue que l'on déchiffre aisément ? Est-il celui d'un psychotique, voire d'un criminel, qui réécrit sa propre histoire ? Ou d'un scénariste piégé dans sa trame ou qui nous piège à notre tour ? Des diverses versions qu'il réécrit, quelle est la vraie ?
Beaucoup de mystères, de suspense et de parts d'ombre jouent sur la noirceur et les oiseaux de mauvaise augure qui rognent l'espace, envahissent tout. Les gens et les choses disparaissent, partis ou morts, peut-être dans des trous de mémoire.
Et si tout n'était que pure invention d'écrivain doué et joueur ?

Heureusement, dans cette ambiance d'apocalypse noire et suffocante, quelques traits d'humour apportent un peu d'air frais :
"Personne évidemment ne viendra à lire ces lignes." 
(Je souhaite au contraire de nombreux lecteurs à Charøgnards.)
Et après une scène où un oiseau est massacré :
"(Aucun corbeau n'aura été maltraité au cours de l'écriture de cette scène.)
Un premier roman brillant, étonnant, insolite et singulier, qui trouve donc tout naturellement sa place dans le catalogue hors du commun de Quidam Éditeur.

Quidam Éditeur, 2015, 272 pages.
Le site de l'auteur : À l'intérieur du crâne.

samedi 12 septembre 2015

Very Goudes !

C'est avec grand plaisir que l'on retrouve l'humour, la verve et le petit monde de Charles Gobi dans son quatrième roman : Les Goudes, c'est de l'anglais...
Cette fois-ci, on sort des quartiers sans grand intérêt touristique pour s'extasier dans le petit port des Goudes, à l'extrême sud de Marseille. Les héros, Esprit — "petit par la taille et grand par la qualité d'âme" — et ses amis du Bar de la Sidérurgie, prennent la vie du bon côté et expédient les vrais méchants de l'autre côté (de la vie). 
La lecture est d'autant plus jubilatoire qu'on sait d'avance que, dans les romans de Charles Gobi comme dans les films de Tarantino, plus ils sont bêtes et sans foi ni loi, et plus la vengeance sera terrible.
Mais il n'est pas seulement question de justice à la David contre Goliath, il se trame aussi des histoires d'amour, sur fond d'art de vivre à la marseillaise : passage obligé par les cabanons, les apéritifs et les repas entre amis, les parties de pétanque et les parties de pêche, sans oublier les parties de rigolade. Les nombreux dialogues sont servis dans leur jus et bien assaisonnés d'expressions pittoresques.
Very Goudes !

Chaque roman peut se lire indépendamment, mais toute la série vaut son pesant de petites olives à l'heure du pastis :
- Bar de la sidérurgie
- Chemin des Prud'hommes
- Hercules des Trois Ponts
- Il est pas con, ce con ?- La grosse Janine.   

Le site de Charles Gobi pour commander les livres ou les acheter à Marseille.

samedi 5 septembre 2015

Au-delà de la mémoire

Le Deuil blanc de Jean Biès est le récit posthume (il a mis fin à ses jours en janvier 2014) des sept dernières années de sa vie avec sa femme Rolande, atteinte de la maladie d'Alzheimer.
Après quarante-cinq ans de bonheur et d'amour, la maladie-sans-nom — comme il ne la nomme pas —, transforme son épouse en la privant de mémoire. Elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, encore là, elle-même et si différente. L'un et l'autre ne se reconnaissent plus.
Dans un style subtil et poétique, il rend compte de cette souffrance de l'accompagnant qui doit renoncer à ses repères pour soutenir l'autre par des réajustements permanents face à une situation toujours variable, faire son deuil avant le deuil.
Un très touchant hommage, à la mémoire de celle qui perdait sa mémoire.
De ce livre, je ne t'aurai lu aucune page. Mais s'il est vrai qu'il est de tous le plus authentique, c'est encore à toi que je le devrai. Or, le plus intense hommage que je t'aurai rendu, la plus grande preuve d'amour que je t'aurai donnée, tu n'en auras nulle connaissance.

Éditions Hozhoni, 2015, 160 pages. 
Crées en janvier 2014, par Bernard et Nûriël Chevilliat, les éditions Hozhoni se proposent notamment de "participer par l’écrit au débat d’idées sur l’évolution du monde en offrant une contribution spirituelle, philosophique, métaphysique ou écologique".

lundi 31 août 2015

La guerre, et après

"Je lui ai expliqué que le but de ma visite était double : je cherchais des informations sur l'arrestation d'Émile, ou au moins une piste, mais je voulais aussi obtenir de la matière pour un roman qui s'inspirerait en partie de la Seconde Guerre mondiale. En partie seulement, car je m'étais aperçue en travaillant sur la trame du roman que ce qui m'intéressait le plus, c'était ce qui était arrivé après, plus exactement comment on avait pu continuer à vivre dans le même village que ceux que l'on soupçonnait d'avoir été à l'origine de l'arrestation d'un proche, quand ce n'était pas une certitude."
Cet extrait du Bercail de Marie Causse résume bien ce qu'est ce livre double : la première partie est une fiction, la seconde est une enquête sur son arrière-grand-père et son grand-oncle qui ne sont pas rentrés chez eux après la guerre.
Le tout est passionnant, bien écrit, sincère, bienveillant, avec ces détails — une expression ou une sensation —, qui font mouche.
Un troisième roman d'une grande qualité.

Collection L'Arpenteur, Gallimard, 2015, 256 pages.

lundi 10 août 2015

Fractions, effraction de mémoire

Effraction est le neuvième roman d'Alain Defossé et devrait jaillir du flot de cette rentrée littéraire.
Il a suffit d'un cambriolage, une effraction, pour que la vitre brisée dans le salon de cette dame, apparemment sans histoires, à la vie trop bien rangée, provoque une brèche, un courant d'air dans ses souvenirs.
"Quelque chose du passé s'immisce, peut-être. On ne sait pas pourquoi ce cambriolage fait resurgir quelque chose du passé. Peut-être est-ce un simple accroc dans une vie très lisse, qui dévoile, comme une déchirure sur un canapé montre au-dessous quel tissu le recouvrait avant, qu'il était rouge et doré avant d'être beige et neutre, que ça foisonnait au-dessous, les couleurs, les conversations, les postérieurs posés là de morts depuis des lustres, les verres qui s'entrechoquent et les drames qui se dénouent."
Alain Defossé sème de petits cailloux — des pierres précieuses — comme des indices, des secrets soigneusement oubliés, des contradictions mystérieuses, avec une étrange mise à distance. Nous entrons alors, sur la pointe des pieds, dans l'intimité de ce personnage ambigu en passant de la première à la troisième personne. Des témoignages des autres personnages, testes en italiques comme des dépositions de police, on n'en apprendra guère plus.
Un portrait en creux, magnifique, haletant, hanté de trous de mémoire et de cicatrices.

Éditions Fayard, 2015, 200 pages.

lundi 3 août 2015

L'envoûtement de Carole M.

Au début, l'univers de Carole Martinez peut surprendre, avec ce style unique, poétique, fantasque et fantastique, d'une autre époque, moyenâgeuse pour La terre qui penche, son troisième roman. Or, il suffit de passer un sas — quelques pages à peine —, et les phrases travaillées, le vocabulaire daté, l'histoire crue et cruelle, créent une atmosphère de conte qui pénètre et envoûte, à notre insu.
L'épopée se brode et se tisse vers 1630, en pays Comtois, où l'on retrouve le Domaine des Murmures, cadre du deuxième roman de l'écrivain qui se passait au XIIe siècle.
Le texte chante et danse, rythmé de comptines, chansons de geste et airs de caroles (danses du Moyen Âge).

Deux narratrices alternent, Blanche, une petite fille, et sa vieille âme. Parmi les personnages hauts en couleurs et forts en caractères — dont un ogre bien réel et une sirène de rivière —, on croise des chevaliers, des serfs, des sorcières et des femmes en butte au pouvoir des hommes. Mais parfois, les hommes éprouvent des sentiments et une petite fille peut échapper à l'ogre...
 "Il est mort, la face contre terre, mort, une épée inutile au côté, mort, et je me souviens même qu'il a pleuré avant de s'affaisser sur son gros caillou, pleuré de tristesse à l'idée de quitter ce monde formidable où tout est possible pour un géant en armes, où la violence l'emporte le plus souvent, où les enfants perdus dans les bois n'ont aucune chance de passer la nuit s'ils ignorent qu'ils peuvent être chardons."
De secrets de familles en batailles de fiefs, de mariages forcés en amours clandestines, la petite Blanche grandit, apprend et découvre le monde des adultes.

Éditions Gallimard, 2015, 368 pages.

Le  premier roman de Carole Martinez, Le cœur cousu, a remporté de nombreux prix littéraires et rencontre toujours un beau succès, avec déjà ce style de conte fantastique qui mêle la légende à la vie réelle de l'aïeule espagnole de l'autrice, jouée et perdue au jeu par son mari.


jeudi 23 juillet 2015

Vétilles qui valent la peine

© Yves Tennevin (licence : CC-BY-SA).
La définition de vétille, dans le Larousse, est sans appel : Chose insignifiante, qui ne mérite pas qu'on s'y arrête. Tiens donc...
Christian Garcin mérite qu'on s'attarde, qu'on savoure, qu'on relisent ses Vétilles, son nouveau recueil de soi-disant petits riens : tranches de vies, anecdotes du quotidien ou souvenirs de voyages au bout du monde, notes de lectures ou de théâtre, pensées petites et grandes, citations littéraires ou conversations cocasses entendues ici ou là...
On sent le regard pétillant, pas toujours tendre, souvent moqueur et drôle, un brin pessimiste, sur le monde. Le tout avec le style qui est le sien, apparemment simple, tout en poésie subtile et vagabondages tranquilles.
Christian Garcin nous invite dans son univers — par petites pièces d'un puzzle incomplet —, partage ses points de vue et ses doutes, pour finalement nous ramener à nous et agrandir notre propre horizon, avec jubilation.

Par exemple, page 73 :
"Parmi les escroqueries de notre société de consumérisme effréné, il y a celle qui consiste à dire que lorsque la consommation baisse, c'est le “moral des ménages“, ou  “des Français“, qui baisse dans les mêmes proportions. Or, c'est précisément l'inverse qui se produit, chacun ayant déjà fait l'expérience de ce type de vases communicants : lorsque les gens ont le moral en berne, ils compensent cette légère déprime en consommant le plus possible. Plus on va mal, plus on consomme — et non l'inverse."
Et surtout, page 100 :
 "Logé dans un appartement agréable, près de l'abbatiale de Romainmôtier où ont lieu les rencontres. Une bibliothèque avec les habituelles sous-merdes américaines : Dan Brown, John Grisham, etc. Affligeante sous-littérature qui sera bientôt, chez nous aussi, la seule disponible à tous — les happy few devant alors connaître les circuits et réseaux de distribution parallèles où trouver une littérature qui vaille la peine."
En effet, nous, les happy few, savons déjà où la trouver.

L'escampette Éditions (Poésie & Vagabondages), 2015, 130 pages. 
La plupart de ces notes sont parues dans les revues L'Atelier contemporain, L'Animal et Théodore Balmoral entre 2001 et 2012.

D'autres chroniques sur :
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas


mardi 21 juillet 2015

De belles raisons d'habiter sur terre

Les recueils des petits plaisirs de Philippe Delerm sont des moments attendus que l'on croque avec gourmandise, comme un navet fraîchement épluché et volé en douce.
Le petit dernier, Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter la terre, ne faillit pas à la tradition. Il décortique ces instants qui font sourire, à côté desquels il serait dommage de passer sans s'arrêter, avec une pointe de nostalgie et la promesse d'y être désormais plus attentif.
Où l'on observe mieux le mensonge de la pastèque, un enfant absorbé dans sa lecture, ceux qui dansent comme des ours, une halte le temps d'une averse, un long dimanche à la plage ou au vide-grenier, les murmures de Venise, la vie des natures mortes, le plaisir d'en rajouter une couche (de peinture), le nom des journalistes de radio, l'art de boire un spritz ou un Guignolet ou un mojito, la fragilité d'une belle soirée d'été, un train bondé en période de grève, l'été indien en Provence, une réunion guindée ajournée, la première page de Blake et Mortimer et la dernière d'Astérix, toutes celles du Journal de Tintin, les pianistes de gare, les danseurs de tango, la vue d'avion du troisième balcon, les traces de Monsieur Hulot, une échappée belle à l'entracte, une escale en aire d'autoroute, le farniente des vacances, l'amour qui brille sur les ponts de Paris, les sourires à la sauvette, les noms des jardins ou des places qui en disent long, le souvenir d'une voix, le passage d'un avion publicitaire le long des plages et, pour finir, un baiser.
On ne s'en lasse pas.

Éditions du Seuil, 2015, 124 pages.

Quelques pages lues par l'auteur sur France Culture.

Voir aussi mes chroniques sur :
- Elle marchait sur un fil
- Je vais passer pour un vieux con et autres petites phrases qui en disent long

 © Portrait de Philippe Delerm par Hermance Triay.

vendredi 17 juillet 2015

Sur les chemins de Shikoku

Marie-Édith Laval, habituée des chemins de Compostelle, a parcouru, en une cinquantaine de jours, les 1 200 km de chemins sacrés qui relient les 88 temples de l'île de Shikoku, au Japon.
D'après son journal, elle compose un livre touchant et plein d'entrain : Comme un feuille de thé à Shikoku — un véritable carnet de voyage, initiatique et pratique, avec, en annexe, des informations détaillées pour suivre sa trace dans ce pèlerinage japonais.
Marie-Édith Laval, curieuse et ouverte aux autres, ne cesse de s'étonner de la gentillesse des Japonais et de la complicité avec les autres pèlerins qu'elle croise sur sa route, d'autant qu'elle a revêtu la tenue consacrée du pèlerin local qui se déplace à pied (aruki henro) et qu'elle fait sensation tout au long de son périple.
Son style alerte est plaisant à lire, poétique et plein de grâce, nourri de nombreuses citations littéraires.
Étape après étape, nous suivons avec intérêt son expérience personnelle, spirituelle et initiatique — avec ses difficultés et ses émerveillements — qui finit par changer sa vie et sa vision du monde.
"Sur ce chemin, chaque pas m'a rapprochée de moi, de ma présence au monde et du monde présent en moi. Convergence vers le centre de mon être."

Le Passeur Éditeur, 2015, 304 pages.
Préface de Bernard Ollivier
Le site du livre Comme un feuille de thé à Shikoku, avec des photos, informations et commentaires de l'autrice.

jeudi 9 juillet 2015

Pépites pour l'été

L'été, c'est la saison des découvertes.
Voici, dans une classification quelque peu fantaisiste, quelques écrivains rares qui gagnent à être connus. J'ai donc éliminé — à regret parfois — les grands prix, les gros tirages, les classiques, les suffisamment renommés...
Cliquer sur les noms pour lire les chroniques.

Les Monstres sacrés
- Gabriel Josipovici
- Julian Barnes
- Brian Stanley Johnson

Les pépites
- Philippe Annocque
- Jérôme Lafargue
- Grégoire Bouillier
- Arnaud Dudek
- Catherine O'Flynn

Les coups de poing
- Kate Braverman
- Claire Deville
- Robert Goolrick
  
Au Pays du Soleil Levant
- Aki Shimazaki
- Éric Faye
- Julie Otsuka

Les poètes
- Christian Garcin
- Peter Bakowski
- Christian Bobin

Les bonnes nouvelles 
- Marseille Noir
- La revue Kanyar (parce qu'il n'y pas de mal à s'auto-promouvoir).


jeudi 2 juillet 2015

Balades et ballades qui frappent au cœur

Le cœur à trois heures du matin est un recueil de poèmes de Peter Bakowski, écrits entre 1995 et 2014 et issus de différentes publications.
Traduit de l'anglais (Australie) par Mireille Vignol et Pierre Riant, il est présenté dans une édition bilingue.
Le poète australien aime les voyages et marche dans les pas de Jack Kerouac et Allen Ginsberg. Sur sa route à lui, on fait la tournée des tavernes australiennes, on croise des blessés de la vie et de la guerre, les mains fatiguées de Joe Blaine, des cavaliers polonais de 1241, le soldat Roland sur son lit d'hôpital, les rêves de Billie Holiday, un portrait de la couleur noire, un écolier bègue, les cigarettes d'Edna, la peinture de Diego Rivera et des poèmes extra courts comme Asile :
On peut se reposer
à l'ombre d'un arbre,
mais pas
à l'ombre d'une hache.
Dans son poème Autoportrait avec convictions, 19 octobre 1997, il nous confie :
(...) J'essaie d'écrire
j'essaie de convier la vérité
à danser avec moi
sur
quelques pages blanches.

Il y réussit à merveille car sa vérité nous frappe droit au cœur — et au rire aussi —, à toute heure du jour et de la nuit. Car, comme il l'écrit : "La vérité seule peut faire durer un poème plus longtemps qu'une bougie".
Un des poèmes que je préfère est, justement, Je préfère, qui commence ainsi :
Je préfère
les jeux d'échec à la boxe,
la solitude aux commérages,
les tombes de vieux aux tombes de jeunes.
Je préfère la victime à la brute,
les baguettes aux matraques,
la raison au patriotisme.
Je préfère l'errance à la fuite,
la légèreté à l'apesanteur,
la perte de mes lunettes à celle de ma confiance. 

Éditions Bruno Doucey, 2015, 128 pages.
Bruno Doucey a longtemps dirigé les éditions Seghers avant de créer sa propre maison pour continuer à faire découvrir les poètes du monde entier, pratiquant ainsi une poésie de combat.

jeudi 25 juin 2015

Ceux qui rendent la mort plus douce

Avant, j'étais dans le déni. La mort ? Ce truc de vieux ou de malade, morbide et mortifère ? Oui, mais quand la mort est un truc de jeune qui frappe sans prévenir... elle force à la regarder en face, ce qui finit par ouvrir les yeux. Tôt ou tard, il va falloir s'y confronter et, le paradoxe, c'est qu'en observant de plus près, ce n'est pas si morbide ni mortifère. Alors, qu'est-ce que la mort ? Comment vit-on et meurt-on aujourd'hui en France et dans le monde ?
Patrice Van Eersel, journaliste et écrivain, fait partie de ces auteurs qui ont enquêté sur ce qu'il se passe, juste avant et juste après la mort, et il en parle de façon aussi bouleversante que captivante.
Dans La source noire, il explore les expériences de mort imminente et rencontre les pionnières (oui,  ce sont souvent des femmes) des soins palliatifs — comme Elisabeth Kübler-Ross ou Michèle Salamagne.
Dans Réapprivoiser la mort, il poursuit son enquête sur ces professionnel(le)s et bénévoles qui accompagnent les mourants et font en sorte de rendre la mort plus douce. Oui, plus douce, plus calme, plus humaine. Presque incroyable, mais vrai.
Il interroge également des scientifiques sur l'avancée des recherches sur les mystères de la fin de vie.
Des lectures indispensables et émouvantes.

Du même auteur, lire aussi ma chronique sur J'ai mal à mes ancêtres, livre d'entretiens des spécialistes de la psychogénéalogie.

samedi 20 juin 2015

Heureux dans les jardins du monde

Une petite semaine ailleurs. J'ai emporté beaucoup trop de livres à lire en si peu de jours et de nuits, mais je ne peux pas m'empêcher de farfouiller quand même dans la bibliothèque sur place. On ne se refait pas.
Voilà mon excellente trouvaille du jour : la bande dessinée Une vie sans Barjot, un récit d'Appollo avec des dessins et couleurs d'Oiry.
L'histoire : les tribulations de Mathieu, un ado de 18 ans, pendant la dernière nuit dans la ville de son enfance avant son départ à Paris pour ses études.
Les personnages : ses copains, comme Barjot le skateur, Christophe qui veut embarquer sur un cargo, Fred le plus cool ; mais aussi les jolies filles de la classe, dont Noémie dont il est secrètement amoureux depuis la seconde.
Un concert, des déambulations nocturnes, une bagarre, une fête où il entraîne ses copains et où il espère retrouver Noémie...
Quand même, il y avait un truc un peu flippant à voir ces types dont le crâne commençait à se dégarnir se comporter comme n'importe quel ado de mon bahut. Est-ce qu'à partir de 18 ans l'idée qu'on se fait de la fête ne bouge plus pour le restant de notre vie ?
Voilà un charmant voyage initiatique le temps de la traversée d'une nuit, entre déprimes et rêves d'adolescents, questionnements sur la vie d'adulte, évocations littéraires et émois amoureux.
Une bande dessinée, joliment dessinée, bien écrite, poétique et intelligente.

Éditions Futuropolis, 2011, 64 pages.

- Voir aussi ma chronique sur La grippe coloniale, du même scénariste, c'est-à-dire Appollo, alias Olivier Appollodorus, également un des auteurs publiés dans la revue Kanyar.