mardi 19 novembre 2019

Li-An, un autodidacte devenu dessinateur pro

À l'occasion de la sortie du superbe roman graphique qu'il a dessiné sur Mishima, Jean-Michel Meyer dit Li-An, répond à nos questions. Il nous parle de Moebius qui est un peu à l'origine de sa vocation, de ses débuts, de son lien avec La Réunion...

 

Tout d'abord, pourquoi Li-An ?
Quand j’étais jeune, je ne voulais pas signer Meyer et la BD aime bien les pseudos. Li-An, c’est une interprétation du nom de jeune fille de maman (un nom chinois qui a été francisé).
Moebius, découvert dans Métal Hurlant

Raconte-nous ton parcours : comment as-tu débuté la BD ? Quel a été le déclic ?
Je suis autodidacte en dessin et j'ai décidé à 17 ans d'apprendre à dessiner pour faire de la BD après la découverte du travail de Moebius dans des Métal Hurlant achetés d'occasion. Mais avant cela, j'écrivais de petites nouvelles, j'ai créé un magazine en classe de troisième, j'enregistrais des histoires sur magnétophone avec bruitages. J'avais donc envie depuis longtemps de raconter des histoires quelle que soit la forme que cela prendrait.

Depuis quand dessines-tu en professionnel ?
Depuis 2000 à peu près. J'ai sorti Planète lointaine chez Delcourt en 1998, mais ça n'a pas été payé très cher. 

Quelles sont les œuvres dont tu es le plus fier, pourquoi ?
Je peux difficilement être fier de mes albums, j'y vois toujours beaucoup de défauts. Et en même temps, ce sont comme des enfants. Chacun a ses qualités et ses défauts, on ne peut en préférer aucun. Évidemment, ceux dont je suis l'auteur complet correspondent le mieux à ma vision de la BD.

Avec la coloriste Laurence Croix
Comment se passe une création en général ?
Pour ce qui est de mes propres albums, je rumine quelques années un sujet, je passe quelques semaines à écrire le scénario et une année à dessiner l'album.

Comment cela s'est passé pour le roman graphique sur Mishima ?
Après l'échec des Maîtres de l'étrange, mes projets n'ont pas trouvé preneur et Vents d'Ouest m'a proposé d'illustrer une biographie sur Mishima sur un scénario de Patrick Weber. Comme je connaissais un peu l'œuvre et le personnage, j'ai pensé que cela pourrait faire quelque chose d'intéressant et j'ai accepté.

Quel est ton lien avec La Réunion et le magazine de BD Le Cri du Margouillat ?
En tant que fils de militaire, je suis venu deux fois à La Réunion pour cause de mutation. J'ai donc fréquenté Le Tampon en tant que collégien et lycéen, puis Saint-Denis en tant qu'étudiant en DEUG Sciences. C'est à ce moment-là que Le Cri du Margouillat s'est créé et je fais donc partie des fondateurs du magazine. J'ai fait enfin un troisième séjour d'une durée de six ans comme enseignant et j'ai rencontré ma femme à cette occasion. La Réunion est donc très importante pour moi dans ma construction en tant qu'auteur BD et dans ma vie personnelle tout court. Même si je ne fais plus que des courts séjours occasionnels, c'est une île où j'ai vécu des moments très intenses sur une longue durée de ma vie, quelque chose de difficile à réaliser lorsque l'on est fils de militaire où les déménagements sont fréquents. J'y ai aussi des amis du Margouillat (et même d'avant) avec lesquels j'ai réalisé de belles choses. Revenir à La Réunion, c'est comme retrouver son enfance et, en même temps, observer une société en mouvement. C'est un mélange très stimulant.

Tu as dessiné l'album Fantômes blancs avec le scénariste Appollo : qui a eu l'idée ? Comment avez-vous procédé ?
Avec le scénariste Appollo
Après plusieurs albums de la série de science-fiction aventureuse Tschaï, j'avais envie de me changer les idées avec Appollo. On s'est dit que l'on pouvait surfer sur le succès surprise de La grippe coloniale. Il m'a donc proposé cette histoire de fantôme pirate et de chasse au trésor dans un univers inspiré de La Réunion, sans que ce soit vraiment explicite. Il a écrit l'histoire que je trouvais géniale (le scénariste en bandes dessinées écrit tout, dialogues et histoire, il a plus d'importance que le scénariste de cinéma parce qu'un album BD a un nombre précis de pages et le dessinateur ne peut donc pas improviser ou adapter le scénario sans conséquences graves) et j'ai illustré sans intervenir. En général, j'interviens très peu sur le travail des scénaristes sauf pour des problèmes de compréhension ou de logique narrative.

Parlons des œuvres dont tu es l'auteur complet : pourquoi Boule de suif de Maupassant ?
Boule de suif, scénario et dessins de Li-An
Lorsque j'ai terminé Tschaï, Jean-David Morvan (scénariste sur cette série) m'a proposé de travailler dans une nouvelle collection qu'il a créée chez Delcourt et dont l'objectif était d'adapter des ouvrages étudiés dans les collèges français. Mon fiston venait juste de travailler sur Le Horla de Maupassant et je pensais que c'était une bonne idée avant qu'Appollo ne me dirige vers Boule de Suif. L'intérêt principal (en dehors de la qualité de l'histoire et de l'écriture de Maupassant), c'était le format de la nouvelle qui me permettait d'en faire un seul album de 46 planches.

Quelles étaient les difficultés et comment t'y es-tu pris ?
Ça a été assez simple à adapter finalement. J'ai un peu coupé dans certains dialogues qui auraient été trop longs pour une BD. Je me suis amusé à faire parler les animaux pour la voix off et puis c'est tout. L'histoire est très simple, les personnages bien marqués, tout coulait naturellement. Seul le physique de Boule de Suif, le personnage principal, s'est révélé problématique. Elle est décrite comme une montagne de saindoux (littéralement) et je me suis dit que les lecteurs d'aujourd'hui risquaient d'être désarçonnés de voir une énorme dame, au risque de parasiter l'histoire. J'ai donc choisi de l’amincir quelque peu.

Voir aussi :
- Le blog de Li-An
- Mishima. Ma mort est mon chef d'œuvre.

Lire d'autres entretiens avec des membres du Cri du Margouillat :
- Appollo
- Tehem

samedi 9 novembre 2019

Une vie de masques

Patrick Weber s'est inspiré de l'autobiographie Confessions d'un masque pour écrire le scénario du roman graphique Mishima. Ma mort est mon chef d'œuvre. Les dessins en noir et blanc, subtils et expressifs, sont de Li-An.
L'ouvrage nous plonge à la fois dans l'Histoire du Japon, des années 1920 (et avant) jusqu'aux années 1970, et celle de Mishima. Très tôt initié au kabuki par sa grand-mère, il comprend l'importance des masques dans sa vie.
L'écrivain se rend compte très jeune qu'il est différent, fasciné par la mort et la souffrance. Il est fortement impressionné par la découverte du Saint Sébastien de Guido Reni.
Il commence à publier des poèmes dans le journal de son école et adopte alors le nom de Mishima car son père lui interdisait de lire et écrire pour l'élever à la dure. Son amitié avec Kawabata, un autre très grand écrivain japonais, durera toute sa vie.
Ce beau roman graphique donne un aperçu de la vie énigmatique et extrêmiste de l'écrivain japonais et surtout donne envie de (re)lire son œuvre.

Éditions Vents d'Ouest, 2019, 17,5 x 24,8 cm, 248 pages.

À lire, un entretien avec le dessinateur Li-An.

vendredi 1 novembre 2019

Entrez dans les danses

Un puzzle d'histoires, un entrelacs de destins croisés, de personnages secrets, manipulés, manipulateurs, est le cœur de l'histoire de Danses du destin de Michel Vittoz. C'est un roman noir, un polar haut de gamme, au style ensorcelant et au dispositif narratif original et choral.
Mais l'auteur fait aussi référence à la littérature, au théâtre, aux grands mythes comme à sa propre œuvre, Œdipe à Paname, qu'il semble revisiter ici. Dans le roman, la tragédie d'un personnage prend ses racines dans la tragédie de l'Histoire et notamment dans les ténèbres de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans ces mystérieux et dramatiques destins qui n'en finissent pas de peser sur les générations suivantes ou sur le cours de l'Histoire, nous entrons directement dans la danse macabre par la voix de certains protagonistes qui dérapent sans trop comprendre ce qui leur a pris : un homme se rend compte après coup qu'il a tué son père, un jeune flic qui se voit confier l'enquête sort du cadre, un tueur à gages aguerri se met à regretter un crime...
Il est aussi question d'un roman en train de s'écrire.
Il est surtout question d'un grand moment de lecture !
VOUS lisez : devant vous des signes noirs sont tracés sur un rectangle blanc. Vous êtes assis ou couchés, certains, c'est plus rare, lisent debout. Sur le rectangle blanc, les signes font leur travail, ils fabriquent sous vos yeux quelque chose qui n'est pas sur la page mais qui se trouve peut-être juste derrière — ce qui vous conduira à tourner la page si nécessaire — si vous continuez à lire, c'est peut-être qu'il y aurait quelque chose dans le livre, que vous avez envie de connaître ou de rencontrer, une histoire sans doute, que les signes vous racontent et qui, cette fois, vous ferait vraiment descendre dans la rue et courir pour de bon après cette femme qui vient de passer.
Quidam éditeur, 2019, 248 pages.