samedi 26 février 2011

Quand le passé ne passe pas

J'ai du mal à croire que c'est le même Robert Goolrick qui a écrit Féroces et Une femme simple et honnête tellement les styles n'ont rien à voir (voir chronique ci-dessous). Alors que Féroces est un roman à la première personne au goût autobiographique, réel, acéré, contemporain, le deuxième est un roman classique avec des personnages invraisemblables qui se débattent dans le Wisconsin glacé des années 1907.
Rien à voir.
Bien que j'aie préféré le style caustique de Féroces, je n'ai pas pu lâcher Une femme simple et honnête. D'ailleurs, aucun des personnages n'est simple et honnête. Il y a une tension et un suspense dans leurs interactions, à la poursuite d'une revanche ou d'une rédemption. Tellement blessés par le passé, enfermés dans leurs secrets, qu'ils sont incapables de saisir le bonheur qui se présente, parce qu'ils cherchent une chose et qu'une autre arrive. Et là, je vois le rapport avec Féroces.
Cela me rappelle le texte de Stig Dagerman : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Pourquoi certains acceptent et pardonnent quand d'autres ne remontent jamais la pente ?

Éditions Anne Carrière, 2009, 416 pages.

Voir aussi mes chroniques sur :
- Féroces
- La chute des princes.

mercredi 23 février 2011

L'humour fait rosse

Comment raconter des histoires horribles de façon décalée et humoristique ? Avec mordant, comme l'indique justement le titre du livre de Robert Goolrick : Féroces. Le titre original est : The end of the world as we know it : Scenes from a life. Cela n'a rien à voir, mais donne le ton.
Dialogues absurdes, situations abracadabrantesques, anecdotes extravagantes, repas incongrus d'une famille névrosée : c'est tellement cocasse qu'on a sans cesse envie de s'interrompre pour lire à haute voix un passage à la personne qui se trouve à côté.
On sent tout de suite que cela cache quelque chose. Et en effet, petit à petit, cela devient moins comique et plus terrible, vraiment terrible...
On pourrait dédier ce livre à toutes les familles qui tiennent beaucoup à tout garder sous contrôle, sauf le reste.
(formule que j'emprunte à l'exergue du blog d'Antioche, Edible Poisons : "Tout est sous contrôle. Sauf le reste.")

Éditions Anne Carrière, 2010, 254 pages.
Voir aussi mes chroniques sur les autres romans de Robert Goolrick :
- La chute des princes.
- Une femme simple et honnête.

vendredi 18 février 2011

Encore quelques nouvelles de Carver

Histoire d'asséner le coup, je parle encore de Raymond Carver, parce que justement cela vaut le coup (voir ma chronique de novembre 2010).
"Les feux" est un recueil de textes (nouvelles, poèmes, interview et autres récits) rassemblés par l'auteur lui-même, en 1985, soit trois ans avant sa mort. L'éditeur parle d'"autoportrait littéraire d'un genre inédit".
Dans "Un maître écrivain : John Gardner", il rend hommage à son professeur d'écriture créative et raconte comment son mentor lui a transmis le plaisir du travail bien fait.
"De l'écriture" évoque ses influences, sa façon d'écrire et notamment pourquoi il écrivait des textes courts : parce qu'il manquait de temps. Accaparé par son travail alimentaire, c'est-à-dire la nécessité de nourrir sa famille, il lui fallait écrire le premier jet en une soirée, deux maximum. Ensuite, commençait le travail de révisions, correction, ciselage...
Et pas des moindres pour Carver, l'orfèvre sculpteur qui change le charbon en diamant. Brillant. Pas bling-bling.

Les éditions de l'Olivier publient son œuvre complète en huit volumes, dont Débutants, le texte intégral de Parlez-moi d'amour.


dimanche 13 février 2011

La romanesque Milena Agus

J'ai connu Milena Agus grâce à Adele, qui tient l'épicerie sarde de ma rue et, offusquée par mon ignorance, m'a sommée de lire sa compatriote.
J'ai dévoré trois romans d'affilée de Milena Agus.
J'ai commencé par Le mal de pierres, une histoire romanesque comme on n'en fait plus. La narratrice raconte l'histoire de sa grand-mère, un rien décalée et entêtée, et notamment l'amour de sa vie, grâce à un carnet que l'aïeule a laissé. La fin réserve une belle surprise...
Ensuite, Mon voisin est une autre histoire d'amour, réjouissante. Une jeune femme dépressive ne pense qu'à mourir. Son voisin, lui, n'a qu'une angoisse : mourir. Les deux histoires vont se croiser.
Et enfin, Battement d'ailes, avec tous les ingrédients de l'auteur : la Sardaigne comme décor, un grain de folie, un souffle de magie, des scènes érotiques et l'amour, toujours.
L'écriture de Milena Agus est romanesque, dans les deux sens du terme. Mais entendons-nous bien : ce n'est pas mièvre. Un style contemporain, magnifique, avec une petite pointe de soufre...

En France, toute l'œuvre de Milena Agus est publiée par les éditions Liana Levi. 
Voir aussi ma chronique sur le film Mal de Pierres de Nicole Garcia.


lundi 7 février 2011

Marilyn, le revers de l'icône

Éditions Gallimard, Collection Folio n° 4663, 
2008, 544 pages.
Dans Marilyn dernières séances (prix Interallié 2006), Michel Schneider avait très justement retracé les derniers temps de la vie de Marilyn Monroe, sa fragilité, sa détresse, son impossibilité à garder la tête hors de l'eau. Il s'agit surtout de sa relation ambiguë avec son psychanalyste, l'incapacité de celui-ci à la sauver, voire ses erreurs et ses contradictions. Derrière l'icône — belle, riche et célèbre — se cachait une petite fille inconsolable de son enfance disloquée.
Ce livre, bouleversant et très documenté, publiait déjà quelques textes de l'artiste de cinéma, révélant ainsi sa sensibilité poétique. 

Éditions du Seuil, 2010, 272 pages.
En 2010, paraît Fragments. Poèmes, écrits intimes, lettres, une compilation de ces textes, retrouvés dans des carnets, sur des feuilles volantes, des mots griffonnés au crayon à papier, d'autres soigneusement tapés à la machine... Tout est scrupuleusement reproduit : les documents originaux, la transcription anglaise mot à mot et la traduction française. Le livre présente également des photos de Marilyn, en train de lire ou d'écrire, illustrant ainsi son goût pour la littérature, qui n'était pas une pose de star.
Derrière l'icône, qu'on voulait blonde et un peu idiote, l'éclairage intime de ces deux ouvrages montre une femme intelligente et cultivée, en tout cas attendrissante.
Une icône pas conne, ou "Potiche, mais pas cruche", comme dirait François Ozon.

mardi 1 février 2011

Sujet hyperréaliste : Angot

Christine Angot énerve autant qu'elle fascine, qu'elle crée l'admiration ou qu'elle suscite la pitié... On entre ou on n'entre pas dans son univers.
Mis à part ses tout premiers romans, elle a affirmé son style dans l'autofiction (il semblerait qu'elle n'aime pas cette étiquette) et l'hyperréalisme. Forcément, elle se met en scène, raconte ses expériences privées, très intimes parfois, carrément crues ou douloureuses, cite de vraies personnes, souvent connues, mais pas toujours. Elle règle ses comptes.
En même temps, il s'agit de romans, donc elle cuisine le tout à sa sauce aigre-douce et on perçoit mal la limite du vrai et du faux dans ces inextricables jeux de miroirs et de mises en abyme. Elle embrouille. Elle dérange. Elle choque. Elle agresse. Elle s'expose. Elle se protège mal. Elle souffre toujours de l'horreur de l'inceste subi, thème récurrent.
Quant à l'écriture hyperréaliste, ce sont parfois des dialogues purs et durs, comme sortis du magnéto. Ce sont aussi des pensées brutes de décoffrage, des réactions impulsives d'écorchée vive, des pleurs hystériques, des mots d'amour tendres et si compréhensifs...
C'est très fort parce qu'elle ose parler de ce qui n'est pas toujours beau dans l'intimité et qu'elle parvient à recréer la réalité.