vendredi 31 janvier 2014

Merci François !

Je rends hommage à François Cavanna et au moins trois de ses récits autobiographiques (qui forment une trilogie) que j'ai lus il y a... environ trente ans ! Je garde un vif souvenir de ce ton si vivant, drôle ou émouvant, dans un style souvent très parlé (mais si bien écrit) : Les Ritals (l'histoire de son enfance et surtout de son père, maçon d'origine italienne), Les Russkoffs (son expérience de la Seconde Guerre Mondiale, dont la rencontre avec Maria) et Maria (l'histoire d'amour avec cette jeune Ukrainienne perdue de vue).




jeudi 30 janvier 2014

Cuisines intimes d'écrivains

Certains écrivains nous ouvrent les portes de leur atelier de cuisine-bureau et nous livrent leurs secrets de fabrication, leurs tours de mains, leurs recettes... pour écrire.
Je ne sais pas si leurs conseils sont forcément utilisables pour d'autres, vu qu'en cuisine, chacun a sa propre "pâte" et que les mystères de la création restent impénétrables. En tout cas, c'est souvent un régal à lire car cette invitation dans le bureau de l'écrivain est également l'occasion de confessions ou de récits autobiographiques.
On retrouve l'humour et la verve pétillante et épicée de Dany Laferrière dans Journal d'un écrivain en pyjama (édité chez Grasset en France et Mémoires d'encrier au Québec). Par exemple, le paragraphe "119. La chaudière" :
"Quand on me demande de décrire l'art du roman, je pense à la cuisine. Ce sont les deux arts les plus proches. Pour préparer un plat simple — un plat de paysan, on fait bouillir l'eau dans une vieille chaudière. Après, on jette un morceau de viande, des légumes. Ensuite des épices. En dernier lieu, on fait cuire à feu doux. Il faut rester dans la cuisine pour surveiller la cuisine. C'est ce qu'on fait quand vous nous voyez assis devant notre machine à écrire, les bras croisés. On a mis tous les ingrédients. Les épices c'est le style — puisque c'est le style qui donne son goût à la nourriture. Et là, on attend. Comme pour la cuisine, on a mis ensemble des éléments disparates, et on espère un goût surprenant qui n'est celui d'aucun des éléments que vous avez utilisés, mais de l'ensemble."
D'autres livres de recettes valent le détour : les entretiens de Philip Roth avec d'autres écrivains dans Parlons travail ; Écriture : Mémoires d'un métier, une autobiographie assortie d'une boîte à outils de Stephen King ; Écrire de Marguerite Duras (voir aussi le livre d'entretiens de Leopoldina Pallotta della Torre) ou L'art de la fiction de David Lodge (qui a aussi enseigné la littérature à l'Université).





lundi 27 janvier 2014

Une forme épistolaire

Relations aux autres avec la juste distance ou au contraire l'intrusion, relations au corps et à la normalité (anorexie et obésité), modes d'expression artistique, relations épistolaires, courrier des lecteurs, écriture fictive et réalité, guerre en Irak et paranoïa américaine... sont les sujets paradoxaux, graves ou légers, du roman Une forme de vie d'Amélie Nothomb.
Le livre m'est tombé sous la main (et non pas des mains puisque je ne l'ai pas lâché) et je l'ai dévoré (!) en une soirée : fluidité de l'écriture, suspense, richesse des thèmes.
Ce roman a tout pour lui : rondement mené !

Éditions Albin Michel, 2010, 180 pages.
Sur Amélie Nothomb, voir aussi la chronique sur La nostalgie heureuse.

samedi 25 janvier 2014

L'ennui, c'est qu'on s'ennuie...

Ceux qui aiment Bret Easton Ellis aimeront peut-être le dernier roman de Tao Lin : Taipei.
Tao Lin, jeune auteur américain d'origine chinoise (né en 1983), admire Bret Easton Ellis qui le lui rend bien : "Avec Taipei, Tao Lin devient l'écrivain au style le plus intéressant de sa génération, ce qui ne veut pas dire que Taipei n'est pas un roman ennuyeux", a-t-il annoncé sur les réseaux sociaux. Je suis surtout d'accord avec la deuxième partie de la phrase (souvent occultée quand on le cite) : ce jeune homme accro aux écrans et aux médicaments qui s'ennuie et s'observe à la loupe dans les moindres détails, c'est terriblement ennuyeux. L'ennui, avec l'ennui, c'est qu'on s'ennuie.
Par contre, la brillante couverture façon hologrammes pailletés ne cesse de me fasciner.

Éditions Au Diable Vauvert, 2014, 346 pages.

samedi 18 janvier 2014

Voyage au Chili, pays des extrêmes

Quarante ans après le coup d'État de Pinochet au Chili, le 11 septembre 1973, les éditions Privat publient un émouvant livre de photos en noir et blanc de Georges Bartoli, comme un état des lieux du pays.
Le photographe et journaliste nous emmène en voyage dans le Chili actuel et réel, de l'extrême sud et les glaciales Patagonie et Terre de Feu, en passant par le territoire Mapuche de l'Araucania, puis les villes du centre, Valparaíso et Santiago, jusqu'au torride désert d'Atacama, à l'extrême nord.
Dans ce pays des extrêmes, étiré tout en longueur en bordure de l'océan Pacifique, on voyage en bateau, à pied, en autocar, en trolley, en camion... dans les paysages sauvages, les villes, les îles, les stations de ski, les friches industrielles, les églises, les cafés et les cantines... mais aussi ces lieux de mémoire où furent détenus et torturés des milliers d'hommes et de femmes sous la dictature.
Bien sûr, nous croisons les visages d'autres voyageurs ou d'habitants nativos, mineurs, peones ou gauchos, femmes de pêcheurs, enfants...
Les légendes de photos nous plongent plus profondément dans les images.
Le souvenir du président Salvador Allende est toujours bien présent dans la mémoire collective. Dans deux textes, sa fille, Isabel Allende Bussi (femme politique et cousine de la romancière Isabel Allende) raconte d'abord ce jour funeste du coup d'État, puis le parcours politique de celui qui sacrifia sa vie pour la démocratie et qui reste un symbole pour les jeunes d'aujourd'hui. Gérard Mordillat revient également sur la mort de Salvador Allende et sur son image, toujours vive, comme le prouvent certaines photos du livre : un portrait de militant, une statue ou une fresque qui lui sont dédiées.
Bien que le Chili regorge de paysages touristiques à couper le souffle, ce n'est pas le parti pris de ce livre en noir, blanc et rouge. C'est un parcours initiatique poignant dans l'Histoire profonde et les histoires quotidiennes du Chili et des Chiliens.

Éditions Privat, 2014, 30 x 24 cm, 144 pages. 

Voir aussi :
- le site de Georges Bartoli
- la chronique sur Le reste est silence de Carla Guelfenbein
- la chronique sur La danse de la réalité d'Alejandro Jodorowsky

jeudi 16 janvier 2014

En attendant le père

Le paysage et la saison sont toujours très importants pour Claudie Gallay : ils créent l'atmosphère, souvent lourde et rude. Les déferlantes avaient pour cadre le Cotentin sauvage. Seule Venise se déroulait en hiver, comme Une part de ciel  qui se passe en Savoie, plus exactement dans le parc de la Vanoise, au Val-des-Seuls (un nom qui en dit long). Autres thèmes qui reviennent : la solitude, l'amour finissant, la possibilité d'une autre histoire...
Dans Une part de ciel, la narratrice revient sur ses terres d'enfance, convoquée par le père pour un rendez-vous sans date précise. C'est l'occasion de se pencher sur son passé et l'histoire familiale avec son lot de non-dits : le père fantasque qui partait souvent, la mère qui n'est plus, le frère et la sœur qui sont restés au pays, l'incendie de la maison qui l'a traumatisée, l'amour de jeunesse qui la cherche... En attendant le père, elle tient un journal, du 3 décembre au 20 janvier, où elle raconte la vie lente et dure — limite sordide parfois — dans cette vallée reculée où un projet de piste de ski partage les habitants et, surtout, ses retrouvailles avec la fratrie. Le temps est lent dans ce roman épais ; le temps de l'attente nécessaire pour mieux cerner les uns et les autres, leurs vérités derrière leurs secrets. Traductrice d'une biographie de l'artiste Christo, elle puise une ressource dans ce travail qui donne, par petites touches, du souffle venu d'ailleurs, comme la photographie qu'elle pratique de façon un peu obsessionnelle. D'autres personnages, deux jeunes, pratiquent la vidéo ou le dessin. L'art donne un espoir, une ouverture dans ce milieu peu bavard où tout le monde attend ou espère quelque chose, sa part de ciel.

Éditions Actes Sud, Collection Babel n° 1277, 2014, 576 pages. 

lundi 6 janvier 2014

L'art du vaudeville contemporain

Avec Le saut du requin*, son deuxième roman**, Romain Monnery remet au goût du jour le vaudeville à rebondissements, sur des airs de chansons populaires. Cet auteur de trente-trois ans n'a pas l'air de se prendre au sérieux — ce qui fait tout son charme : "Je ne vais pas vous mentir : ça n'est pas (tout à fait) du Dostoïevski. Mais si cette petite farce parvenait à vous amuser un peu, sa mission sera comme qui dirait accomplie." Objectif atteint : c'est divertissant et plein de fantaisie, avec un sens aiguisé de l'observation de notre époque.
C'est l'histoire d'une gentille fille qui vit une relation (on ne peut guère parler d'amour), depuis un an, avec un goujat de première, hâbleur, glandeur et geek. Patiente et compréhensive, elle finit par se rendre compte de la muflerie du type et, sur les conseils de sa copine de bureau qui n'a pas froid aux yeux, elle décide de le tromper. Revirement de situation. Or, la formule pour transformer un crapaud n'ayant toujours pas été mise au point, notre malotru se métamorphose en prince chiant et notre gentille fille en chipie. La guerre des sexes aura-t-elle lieu ? Entre fantasmes virtuels et réalité décevante, que reste-t-il de leur couple ? Et de l'amant ? Et si on essayait le polyamour ?
"Quoi qu'on dise, les hommes avaient besoin d'être rassurés. Sans cesse — quitte à prendre des vocalises pour des orgasmes. Fragilisés par la concurrence à laquelle les soumettait l'ouverture du marché amoureux, ces derniers vivaient dans la peur de ne pas être à la hauteur. Il fallait assurer. Tout le temps. Sans quoi, c'était la fin. Destitués de leur rôle ancestral, ils se cherchaient un genre — dominants ? dominés ? —, ils ne savaient plus comment se positionner." 
Une histoire actuelle et (presque) ordinaire de couple, racontée avec beaucoup de verve.

Éditions Au Diable Vauvert, 2014, 264 pages.

*Le saut du requin désigne ce moment fatidique où une série télé bascule dans le "n'importe quoi", explique l'auteur.
**Le premier roman de Romain Monnery, Libre, seul et assoupi, va être édité en poche et adapté au cinéma.

jeudi 2 janvier 2014

La prison des regrets

Milena Michiko Flašar, de mère japonaise et de père autrichien, vit à Vienne (Autriche). Son roman La cravate se passe au Japon et traite de deux phénomènes de sociétés très particuliers dans ce pays, vécus comme honteux : l'un est un hikikomori (qui vit reclus dans sa chambre depuis des mois), l'autre est un employé qui vient de perdre son travail et n'ose pas en parler à sa femme. Ils se voient tous les jours dans un parc où chacun est venu trouver refuge, assis sur un banc. Ce sont deux personnages en rupture avec la société, étouffés par leurs regrets et enfermés par leur incapacité à communiquer, à exprimer leurs émotions. Contre toute attente, ils finissent par se parler et se confier.
L'histoire est écrite comme un long poème. Le ton est mélancolique, le rythme est lent, l'histoire est triste, mais au fur et à mesure de leurs entrevues, une petite lucarne s'ouvre. Et surtout, le mot de la fin qui est "DÉBUT" et qui laisse penser que l'histoire continue, normalement.

Éditions de l'Olivier, 2013, 168 pages.