lundi 26 mars 2012

Ils font L'Impossible !

Depuis le temps qu'il était annoncé, préparé, reformulé, retardé, on le croyait impossible... Mais, c'est désormais vrai : un nouveau mensuel paraît, comme les nouvelles feuilles au printemps, en ce mois de mars 2012 : L'Impossible.
Michel Butel, son fondateur — qui était aussi celui du mythique L'autre Journal —, confiait, dans un entretien paru dans Libération du 31 janvier 2011 : "Un journal, cela doit être fait comme une œuvre d’art. Comme une sculpture, comme un roman. Ce n’est pas fait pour écrire « il y a eu 10 000 morts dans un tremblement de terre au Pérou » mais pour en faire ressentir les secousses".
Je parle de L'Impossible pour souligner et soutenir le courage de lancer un journal en ces temps de crise journalistique.
Ce n'est pas tout à fait un journal comme un autre (bien que proche de L'autre), ce n'est pas tout à fait un roman ni un livre à parution régulière (d'ailleurs, il est vendu aussi bien en librairie qu'en kiosque). Le format est plutôt celui d'un gros livre que d'un magazine. C'est une sélection de textes, de billets, de poèmes, de photos, de dessins, d'entretiens, de récits...
Et une seule page de publicité sur 128, couverture comprise ! Est-ce possible ?
Pour lire le manifeste, s'abonner, adhérer à l'association : voir le site de L'Impossible.

vendredi 23 mars 2012

Hommages aux Japonais

Le réalisateur allemand Win Wenders, dans le documentaire Tokyo-Ga (qu'on pourrait traduire par "Images de Tokyo"), rend hommage au réalisateur japonais Yasujirō Ozu, en filmant un voyage dans la capitale contemporaine à la recherche de traces ou de scènes de films du maître. Ozu a vraisemblablement passé sa vie à tourner puisqu'il est mort le jour de ses 60 ans, après avoir réalisé 54 films, la plupart se situant à Tokyo. Win Wenders rencontre l'acteur fétiche, Chishū Ryū, et le caméraman et directeur de la photographie, Yūharu Atsuta, qui n'a quasiment travaillé qu'avec le maître. Il raconte, très ému et émouvant, que celui-ci a tiré le meilleur de lui-même et qu'il lui a donné le meilleur de lui, au point qu'il a été incapable, après la mort d'Ozu, de travailler avec d'autres réalisateurs.

Dans un autre documentaire, Carnet de notes sur vêtements et villes, Wenders réalise une commande pour le Centre Pompidou sur la mode. A priori peu intéressé par le sujet, il voit finalement l'occasion de rencontrer quelqu'un qui l'a déjà rendu curieux : le couturier Yohji Yamamoto (voir ma chronique sur My Dear Bomb). Il avait été frappé, en achetant une chemise et une veste du créateur japonais, de porter bien plus que des vêtements, neufs et anciens en même temps : "J'étais bien dedans. Quand je me regardais dans le miroir, je voyais bien moi, mais mieux, plus moi qu'avant. Je portais la chemise même, la veste même".
La rencontre des deux artistes est l'occasion d'allers et retours entre Paris et Tokyo, entre le cinéma et la couture.
Ils évoquent le processus de création, l'inspiration, l'identité, le caractère universel des vêtements malgré le phénomène éphémère de la mode...
Deux hommages magnifiques avec les commentaires en voix off de Win Wenders lui-même.



Grosse faim de vies

Enfant terrible de la littérature, John Fante a été un gamin des rues passionné par les livres. Inspiré par Knut Hamsun, Dostoïevski, Nietzsche... il cite parfois ses auteurs fétiches, comme dans la nouvelle Un type à l’intelligence monstrueuse, publiée dans Grosse Faim. 
Il a lui-même ouvert la voie à des écrivains déjantés et provocateurs, obsédés par les femmes et la littérature, et souvent imbibés d'alcool, comme Charles Bukowski qui le considérait comme son maître.
Dans ses romans et ses nouvelles, des noms reviennent, même si les personnages ne sont jamais tout à fait les mêmes, comme Arturo Bandini, son double littéraire, ou Camilla Lopez, la Mexicaine de Demande à la poussière, ou Mingo Mateo, le Philippin fou amoureux de Mary Osaka... Portraits et tranches de vie taillés au couteau en quelques pages.
Les amours contrariées par le clan d'origine sont un des thèmes de John Fante. En tant que fils d'immigrés italiens, il connaît bien ce paradoxe du rêve américain entravé par le racisme envers les nouveaux venus et les autres en général, qu'ils soient Italiens, Philippins, Mexicains, Japonais...
Grosse faim de vies, à lire sans fin...



mardi 20 mars 2012

Poésie du travail ordinaire

En cherchant Bukowski à la bibliothèque, un petit livre attire mon attention : auteur inconnu (Anne Buisson), titre étonnant (Journal d'une serveuse de cafétéria) et mise en page sobre. Je prends.
Le titre complet est Journal d'une serveuse de cafétéria ou La vie ordinaire. Et justement, le style n'a rien d'ordinaire, une pépite brillante dans ce qui est morne et sans saveur. Tout devrait être déprimant : le travail harassant, sale et répétitif, les clients pas folichons et dragueurs, les menus basiques, l'uniforme ridicule, les blagues grasses des collègues, les trajets en métro...
La narratrice note des images marquantes ou de petits événements de la journée qu'elle transforme en prose poétique, simple et efficace, même lorsqu'il s'agit de choses banales ou répugnantes. Elle sublime son travail quotidien, en petites touches : "Cet optimisme, je le tiens de là, de la vie ordinaire qui s'acharne à me rendre vivante." Elle porte un regard distancié sur son quotidien pour mieux le supporter. Elle touche du doigt ce qu'est l'art : porter un regard différent sur le monde, sur tout et rien.
De la poésie, oui, mais pas seulement : en toile de fond, ce roman est une critique sociale. Son chef l'appelle "la syndicaliste". En dehors de son poste d'"hôtesse-buffet", on ne sait rien de ce qu'elle fait chez elle ou en vacances. Sauf qu'elle pense souvent à son papa qui est mort, usé par le travail, avant d'avoir profité de sa retraite.
Le roman a été adapté au théâtre mais il semble qu'Anne Buisson n'ait pas écrit d'autres romans. Dommage !

Éditions Farrago/Léo Scheer, 2002, 84 pages.

mercredi 14 mars 2012

Premières expériences

Après Une année studieuse, d'Anne Wiazemsky (voir ma chronique ci-dessous), j'ai eu envie de découvrir d'autres livres de l'auteur.
Dans Jeune fille, elle parle cette fois-ci d'un autre cinéaste, Robert Bresson, et du tournage du film Au hasard Balthazar, dont elle était l'interprète principale.
Ce roman autobiographique, écrit en 2007, revient sur les expériences qui ont changé la vie de cette jeune fille de dix-huit ans, pendant l'été 1965 : la rencontre et le travail avec Bresson, la découverte du cinématographe (terme employé par le cinéaste qui différencie son travail du cinéma qu'il considère comme du "théâtre filmé"), une première aventure sexuelle avec un technicien de l'équipe...
C'est la métamorphose d'une jeune fille ingénue mais habile, qui suit ses désirs et tire bien son épingle du jeu ambigu, voire manipulateur, du cinéaste.
En effet, au départ mal dans sa peau, elle trouve finalement sa voie et se lance dans la vie.

Éditions Gallimard, 2007, Collection Folio n° 4722, 2008, 224 pages.

lundi 12 mars 2012

Quand la faim justifie les moyens

Le roman Nuit d'Edgar Hilsenrath est terrible parce que réaliste, cru et cruel. L'auteur, survivant de la Shoah, a passé quatre ans dans un ghetto ukrainien, entre 1941 et 1945. C'est aussi dans un ghetto ukrainien que se déroule l'histoire de Nuit, où Ranek se bat pour sa survie. Il escroque et se fait voler à son tour, viole et se fait humilier, comme les autres. Les plus forts ont toujours raison. La faim rend fou et justifie les moyens. Pas pour sa belle-sœur Deborah, qui garde foi en Dieu et en l'humanité malgré la peur des rafles, du typhus, de la famine et du froid. C'est elle qui passe pour folle au milieu de la barbarie et de l'apocalypse, des ténèbres qui ne se dissipent jamais.
La première version de ce premier roman a été écrite en 1954. Il est publié en 1964 en Allemagne mais, jugé trop cru et non consensuel par ses éditeurs, il est finalement saboté, puis réédité en 1978, après le succès des autres romans de Hilsenrath, comme Fuck America ou Le Nazi et le barbier.
Enfin en France, cet hiver 2012, aux éditions Attila, Nuit voit le jour.
Et c'est un choc !

Éditions Attila, 2012, 560 pages.