dimanche 29 juillet 2018

Appollo, en attendant le Léopard


La sortie prochaine de ses Chroniques du Léopard, avec le dessinateur Tehem, est l'occasion d'un entretien avec Olivier Appollodorus, dit Appollo, scénariste de nombreuses bandes dessinées et auteur de nouvelles pour la revue Kanyar.

Appollo par Ronan Lancelot

Tu as grandi à La Réunion où tu vis actuellement, après plusieurs années passées en Afrique : Nigeria, Angola, Congo. Dès le lycée, tu participes à la création de la mythique revue de bande dessinée, Le Cri du Margouillat. Justement, dans Chroniques du Léopard, les personnages principaux sont lycéens. L'adolescence est une période qui t'inspire ?
Appollo : Oui, beaucoup. J'ai une obsession de l'adolescence, ces années charnières entre 16 et 18 ans. C'était le cas déjà dans Pauline (et les loups-garous), dans Une vie sans Barjot et maintenant dans Chroniques du Léopard, dont Tehem a réalisé les dessins. Il s'agit d'une chronique de La Réunion dans le cadre historique des années 40. Il se trouve que j'ai fréquenté, comme Serge Huo-Chao-Si et Tehem, le même lycée Leconte-de-Lisle (maintenant collège de Bourbon) que Raymond Barre, Paul et Jacques Vergès au moment de la Libération et de l'arrivée du contre-torpilleur Léopard.
Sans vouloir raconter leurs vies, je voulais évoquer cette période de grandes amitiés fulgurantes et fusionnelles qui me tient à cœur — où j'ai moi-même rencontré Serge et Renaud Mader, dit Mad —, cette période où on rencontre des personnages atypiques et où on découvre la culture, le cinéma, la BD, etc. Pour Chroniques du Léopard, je me suis demandé quelles pouvaient être leurs lectures. On y retrouve donc beaucoup de références littéraires : Monfreid, Cendrars, Alain-Fournier, Rimbaud...

L'histoire, et surtout celle de l'île de La Réunion, fait partie des autres thèmes qui t'inspirent. Quels autres sujets ?
Bien sûr, l'histoire de l'île de La Réunion me passionne, et notamment les épisodes historiques que tout le monde oublie, mais aussi les questions d'identité, les rapports entre les gens... On retrouve ces thèmes dans La Grippe coloniale, créée avec le dessinateur Serge Huo-Chao-Si, ou dans Les Voleurs de Carthage avec Hervé Tanquerelle.

Alors que vous vous connaissez depuis longtemps, c'est la première fois que tu travailles avec Tehem. Comment nait un projet entre un scénariste et un dessinateur ?
Quand des envies rencontrent d'autres envies. Je suis devenu auteur de BD à 16 ou 17 ans, pour créer quelque chose avec mes copains dessinateurs, Serge et Renaud. Plus tard, j'ai rencontré Brüno pour Biotope, une BD de science-fiction, qui va d'ailleurs être rééditée fin août. J'ai connu Stéphane Oiry sur les forums de BD où nous nous sommes trouvé beaucoup de goûts communs, puis nous nous sommes rencontrés à Angoulême. Le scénario de Chroniques du Léopard ne pouvait pas être dessiné par quelqu'un d'autre que Tehem qui est réunionnais et arrive parfaitement à saisir des ambiances, à faire revivre dans sa mémoire et sur le papier La Réunion longtemps [La Réunion d'autrefois, NDLR]. Cela ne m'intéresserait pas de travailler avec un dessinateur qui aurait passé quinze jours de vacances à La Réunion, par exemple, et n'en rendrait peut-être qu'une image exotique. Pour La Grippe coloniale, on peut suivre pas à pas le cheminement des personnages dans Saint-Denis, tellement Serge est d'une précision obsessionnelle pour des décors fidèles à la réalité.

L'adolescence et l'époque des rêves : des thèmes de prédilection d'Appollo.
Serge et Tehem font aussi partie depuis le début du Cri du Margouillat dont la parution a cessé puis a repris pour son trentième anniversaire. L'aventure continue ?
Oui. Au moment de la création du Cri, Tehem était parti vivre en métropole, mais il nous a envoyé des planches quand Serge — dont il était un copain de lycée — l'a contacté. Le Cri a fait une pause quand quelques-uns d'entre nous ont été édités au niveau national et ont moins eu besoin de se faire la main par l'intermédiaire d'un fanzine. Aujourd'hui, alors que toute une équipe de jeunes dessinateurs est arrivée, notamment autour de Stéphane Bertaud, l'édition d'une revue redevient d'actualité. C'est très bien qu'elle existe de nouveau avec un gros numéro annuel, dans une dynamique de groupe et d'identité réunionnaise, comme un lieu de rencontres, avec plein de jeunes, des créoles et surtout des filles. Ça, c'est une nouveauté parce qu'il faut bien dire qu'à une époque, à part Flo, il n'y avait pas de filles et, au Cri du Margouillat, ça sentait un peu la chaussette !

On te connaît comme scénariste de BD, un peu moins comme auteur de nouvelles.
C'est vrai que sans André Pangrani, fondateur de la revue Kanyar, qui m'a sollicité et a beaucoup beaucoup insisté, je n'aurais pas osé me lancer dans l'écriture de nouvelles. Dans la BD, on est au moins deux auteurs, ce qui est rassurant : on se dit que si le dessinateur est bon, il va sauver la mise ! Dans l'écriture de nouvelles, c'est plus intimidant parce qu'on se retrouve derrière Flaubert et tous ces grands maîtres et grands chefs d'œuvres de la littérature.

Tu as finalement signé quatre nouvelles dans Kanyar.
La première, Le prophète et la miss de l'Équateur, est un récit de voyage sur le fleuve Congo, assez proche du reportage. Dans la deuxième, La Désolation, j'y suis allé un peu plus franco sur le côté fiction. Je reviens à La Réunion dans Les Cendres et Les petits événements, dans un genre SF.
Avant Kanyar et l'insistance d'André, je n'avais rien dans mes tiroirs : j'ai écrit spécialement pour la revue.

Cela fait donc trois projets pour les mois à venir.
Oui, la parution de Chroniques du Léopard et la réédition de Biotope pour fin août. Et le n° 32 du Cri du Margouillat en octobre.
[avec des chroniques à suivre dans ce blog ! NDLR]
Dans Chroniques du Léopard, de nombreuses références littéraires.

vendredi 20 juillet 2018

Walt et Roy Disney

The moneyman est un roman graphique sur les frères Disney d'Alessio de Santa, qui a travaillé chez Disney. Il met notamment en lumière celui qui est resté dans l'ombre : Roy, l'homme d'argent, sans qui les studios Disney n'auraient peut-être pas pu exister.
Roy Disney, le frère de Walt, rencontre une dame dans un hôtel d'Orlando juste avant de venir inaugurer le parc d'attractions Disney. Il a déjà atteint un âge mûr. Une sympathique discussion s'ensuit avec la dame qui l'interroge sur sa vie et les métiers du dessin animé et du cinéma. Roy se confie, se remémorant les moments les plus importants de sa vie : leur enfance, son soutien de toujours à son frère qui voulait être artiste, leurs débuts, leurs coups durs, les dettes colossales et les coups de génie de Walt, leurs succès depuis Mickey et Blanche-Neige, et aussi, malgré les disputes, leurs différences de caractère et leurs liens indéfectibles.
Ce roman graphique est donc à la fois une double biographie, un document réaliste sur la façon dont le studio Disney s'est créé et développé et sur le fonctionnement du cinéma.
Un passionnant roman graphique qui se lit d'une traite.

Éditions du Long Bec, 2018, 11,5 x 26 cm, 176 pages couleurs.

samedi 14 juillet 2018

La vie d'Alma Novi

Nous avons connu Julie Legrand dans Kanyar n° 4 et lu avec plaisir sa nouvelle La Petite communion, qui recrée avec finesse et émotion l'ambiance d'un banquet familial à La Réunion, mais qui pourrait se dérouler, à quelques détails typiques près, n'importe où ailleurs.
Julie s'inspire, dans la novella La Fleur que tu m'avais jetée, de la vie de Mina Agossi, chanteuse de jazz franco-béninoise. Sur fond d'histoire d'amour passionnelle, elle aborde les thèmes des racines et du métissage, entre Afrique et Europe, du voyage et de l'errance d'une vie d'artiste brillante, mais à l'équilibre fragile...
J'avais les lèvres pleines de mots qui n'étaient pas les miens. La couleur de mon horizon était plus sombre encore que ma peau. Noirs, étaient mes ongles peints ; noirs, mes oripeaux adolescents ; noires, mes humeurs après l'enfance dont je venais de franchir la frontière, sans espoir de retour. Combien de fois dans ma vie me faudrait-il affronter la violence de disparitions qui réveillaient la douleur fantôme, l'absence de l'Afrique ? 
Par petites touches musicales, entre scénario de documentaire et fausse auto-fiction, c'est un portrait poétique, à la fois haut en couleurs et sombre, d'une femme hors du commun, passionnée, imprévisible et prête à tout.
La fugue, cette fois, fut définitive. Le voyage devint un mode de vie ; seul moyen d'assembler les parcelles d'une âme, oscillant entre ombre et lumière. Je m'exilai aux frontières de pays inexplorés : Maroc, Espagne, où je restai fille au pair une année, le temps de sentir s'épanouir la distance entre les événements qui m'avaient construite, et ce que j'étais en passe d'expérimenter de neuf, exaltant, dangereux peut-être... À dix-huit ans, mes possibilités semblaient infinies. 
Éditions Zonaires, 2018, 48 pages.

vendredi 13 juillet 2018

La Nouvelle Revue de 73 ans

La Revue Nouvelle paraît en Belgique depuis 1945, désormais 8 fois par an. Un bel âge qu'elle porte admirablement avec une présentation sobre et régulièrement ajustée au goût du jour.
Elle tient une place particulière dans les médias en prenant le temps et la distance pour traiter de questions de société en toute indépendance.
Si cette revue intellectuelle est belge, elle s'intéresse bien sûr au reste du monde avec un esprit critique, du sérieux et souvent beaucoup d'humour comme les Belges savent en avoir (lire l'extrait ci-dessous).
Comme le précise Baptiste Campion, membre du comité de rédaction : “Depuis sa création, l'idée centrale de la revue est de partir des faits d'actualité pour les mettre en perspective. Elle traite de l'actualité, mais indirectement : il ne s'agit pas de donner des informations nouvelles ou toutes fraîches (ce qui n'a pas de sens avec sa fréquence de parution), mais plutôt de donner au lecteur des clés et cadres d'analyse sur ces faits d'actualité (y compris de manière contrastée à travers des dossiers qui peuvent donner des points de vue parfois divergents). On ne va par exemple pas donner les résultats des élections, que les lecteurs auront eu tout le loisir de découvrir dans les médias généralistes, mais mettre en perspective ceux-ci sur le temps long. Par exemple, dans le dernier numéro, on traite de l'achat d'un nouvel avion de chasse pour l'armée belge, non en révélant de nouvelles péripéties d'un dossier qui tient du feuilleton politico-médiatique, mais en expliquant les tenants et aboutissants contradictoires d'un tel achat, faisant que le processus est nécessairement long et controversé.
Chaque numéro comprend un dossier thématique (Algorithmocratie, Monstres, Féminismes en lutte,  Ressources naturelles...), des articles sur l'actualité mensuelle, ainsi que de la fiction (sur un thème de société) dans la rubrique Italique.
Comme par hasard, je tombe, en feuilletant le numéro 4 de 2017, sur un billet d'humeur écrit au lendemain des élections présidentielles françaises, signé par un mystérieux Anathème, et qui commence ainsi :
Les Français sont des idiots. 
Voilà qui est dit, reste à le démontrer, ce qui ne devrait prendre que quelques lignes, en cette période post et préélectorale française. À l'heure où nous écrivons ces lignes, la présidentielle s'est achevée par la victoire presque éclatante d'Emmanuel Macron sur Marine Le Pen. Le Français, qui aime à se faire peur, va maintenant par monts et par vaux, clamant que la démocratie l'a emporté, que la bête est morte, que les méchants sont défaits et que le Front national ne tardera pas à s'effondrer. Sur le champ de ruines qu'est la politique française — un PS à l'agonie, des Républicains laminés, une gauche radicale plus divisée que jamais —, le coq gaulois salue le petit matin blafard comme si se levait l'aube d'un monde nouveau. C'est beau. Parfois, l'idiotie flatte l'œil.  

Des blogs complètent la revue et sont accessibles sur le site de La Revue Nouvelle.
Longue vie à cette revue de 73 ans !

jeudi 12 juillet 2018

Les dents de la mère


Rebecca Lighieri réduit en charpie toute une famille dans Les garçons de l'été.
Un requin mord la jambe d'un beau surfeur et cela fait l'effet d'une bombe dans sa famille bourgeoise apparemment parfaite et bien sous tous rapports.
Rebecca Lighieri révèle ce qui se trame dans l'esprit de chaque personnage, multiplie ainsi les points de vue et allie un style soutenu avec des langues qui appartiennent à chacun.
Elle dissèque avec une méticulosité de médecin légiste, mais aussi beaucoup d'humour et de cynisme, les dysfonctionnements du clan, en éclairant les zones d'ombre d'un univers solaire. Il n'y a pas que les requins qui ont la dent dure.

— Tiens, Mylène. Ça va te détendre. C'est du rhum arrangé bibasse vanille. C'est ma mère qui le fait. Tu vas voir, c'est trop bon.
Je me fous de sa mère alcoolique, et puis d'où tient-elle qu'elle peut me tutoyer et que j'ai besoin de me détendre ? Mystère, mais elle n'en continue pas moins de m'agiter avec insistance son gobelet de polystyrène juste sous le nez. À bien la regarder, elle est effectivement très jolie, mais elle est passée à deux doigts de la laideur, avec ses yeux dorés à fleur de tête, ses lèvres surdimensionnées et comme tendues. 
— Non, merci. Contrairement à vous tous, je n'ai rien à fêter. 

Un roman carnassier et trash comme un thriller où la violence et la perversion hurlent derrière la normalité.
Excellent de bout en bout.

Éditions P.O.L, 2017, 448 pages.

lundi 9 juillet 2018

Que lire cet été ?

Dessin de Greg Loyau pour
Le Major contre le gang des Canotiers blancs
 d'André Pangrani
Mes meilleures lectures depuis Noël. La sélection est draconienne puisque j'ai aimé tout ce qui figure dans ce blog.

Romans, récits et poésie
Un galet dans le pare-brise et Le Major contre le gang des Canotiers blancs d'André Pangrani
Quichotte, autoportrait chevaleresque d'Éric Pessan 
Taqawan d'Éric Plamondon
Les oiseaux morts de l'Amérique de Christian Garcin
Berlin on/off de Julien Syrac
Le géographe des brindilles de Jacques Lacarrière
- Strip-tease d'Emma Subiaco
Les arbres d'Armelle Leclercq
Dans les pas d'Alexandra David-Néel, du Tibet au Yunnan de Christian Garcin et Éric Faye 
La Confession de John Herdman
Ma voix est un mensonge de Rafael Menjívar Ochoa
- L'amour après de Marceline Loridan-Ivens
En route vers Okhotsk d'Eleonore Frey
Article 353 du code pénal de Tanguy Viel 

Humour et BD
CONversations de Jorge Berstein  et Fabcaro 
Down with the kids de Dav Guedin

Essais
Bad News, derniers journalistes sous une dictature d'Anjan Sundaram 
La Note américaine de David Grann 
Marseillais de Patrick Coulomb et François Thomazeau 

Et aussi toute ma liste de Noël encore valable au soleil :
- Le meilleur de 2017

La vérité sur les Sioux


L'assimilation ou l'extinction — voilà l'alternative que Benton offrait aux Indiens. En bon Américain s'exprimant sur le sort des tribus, Benton abait utilisé la forme passive, comme si l'extinction devait survenir sans l'intervention humaine. Mais derrière l'expression de Benton, il y avait des actes intentionnels de génocide et d'ethnocide, certains déjà perpétrés, d'autres à venir. Les conséquences réelles d'un engagement national envers la Destinée Manifeste ont varié selon les situations et les époques. Au début des années 1850, sur la piste de la Platte River, cela servit à justifier l'extermination.
Est-ce que cela vous étonne si on vous dit que tout ce que l'on disait sur les Sioux était faux ?
Faux témoignages, fausses accusations, faux documents, escroqueries... désinformation jusqu'au massacre. C'est l'implacable machine de guerre pour bafouer la parole des opprimés pour mieux asservir, exproprier, coloniser et rayer de la carte.
Encore une fois, lorsque les historiens se penchent sur la véritable Histoire des Amérindiens, on découvre une toute autre vérité et on s'en doutait.
Cette fois-ci*, c'est Jeffrey Ostler, responsable du département d'Histoire de l'Université de l'Oregon, qui se penche méticuleusement sur le cas des Sioux des Plaines face au colonialisme et rétablit dans le détail leur véritable Histoire.
Trop tard pour les Sioux et les autres Amérindiens ? En partie. Mais il n'est jamais trop tard pour la vérité et peut-être pour une forme de réparation.

Éditions du Rocher, collection Nuage rouge, 2018, 608 pages.

* Lire aussi l'excellent roman d'Éric Plamondon, Taqawan, sur les Mi'gmaq du Québec, et la passionnante enquête sur les Osages dans l'Oklahoma du journaliste David Grann.