dimanche 24 décembre 2023

Où est le bonheur ?

Quelqu'un a vu le bonheur ? est un recueil de textes de Christophe André parus dans l’hebdomadaire Le 1, avec des illustrations de Pascal Lemaître.
Comme l'écrit Éric Fottorino dans son avant-propos : "Pas de grande leçon, pas de grands principes chez Christophe André".
Non, le psychiatre nous parle de ces moments où nous risquons de passer à côté du bonheur parce que nous sommes trop impatients, exigeants, sous pression, alors que nous devrions renoncer et savourer. Respirer.
Ne rien faire. (Pas si facile)
Il nous explique aussi pourquoi notre cerveau résiste au changement, pourquoi nous restons inertes vis-à-vis de l'urgence climatique ou pourquoi nous sommes impuissants à lutter contre les techniques marketing sophistiquées pour nous faire surconsommer : dépenser pour dé-penser... Alors que consommer ne nous rend pas plus heureux.
Il nous éclaire aussi sur ce qu'est la méditation de pleine conscience — une présence au monde, et non une absence (ou un truc de sectes ou de gens perchés) — et ses bienfaits : une meilleure attention, une meilleure concentration (surtout face aux distractions et à la dispersion), des émotions négatives qui s'éloignent plus rapidement en les analysant ou en les observant.
Il met le doigt sur nos anxiétés quotidiennes et comment lutter, mieux traverser les crises qui nous guettent.
Et pour finir, il nous propose une méthode pour prendre de bonnes résolutions et les tenir.
Une invitation à s'arrêter et réfléchir.
Idéal en cette période de l'année !

Éditions de l'Aube et Le 1, 2023, 144 pages.

vendredi 8 décembre 2023

Les zones d'ombre du Japon

Tout est dit dans le titre de cet essai extrêmement instructif : Japon. La face cachée de la perfection. Car bien sûr, ce pays où il fait bon vivre a aussi ses zones d'ombre.
Karyn Nishimura-Poupée, journaliste installée au Japon depuis plus de vingt ans, connait comme sa poche ce pays qu'elle aime et où elle a fondé une famille. (lire aussi la chronique sur un de ses livres précédents sur Les Japonais)
En tant que journaliste, elle s'intéresse depuis longtemps aux douleurs cachées, aux peines et tourments. Elle a enquêté sur des centaines de sujets et nous fait part de son point de vue, avec des exemples édifiants à l'appui.
Elle décortique ainsi, avec une grande précision, les travers de la vie politique, commerciale, journalistique, judiciaire, éducative, culturelle, etc. Sans oublier la place et la vie des femmes, des LGBTQIA+, des enfants, des personnes âgées, des étrangers...
Si la pression sociale permet que tout fonctionne très bien, les fonctionnements particuliers du Japon génèrent aussi des dérives, voire des failles énormes. C'est le revers de la médaille. 
Il y a notamment cette particularité — une règle de vie — où personne ne doit se distinguer, sous peine d'être mis au ban de la société. Du coup, rares sont ceux qui sortent du lot, osent contredire, protester ou bousculer l'ordre établi.
Chacun joue son rôle sans improvisation et sans exprimer son avis personnel : les consignes sont scrupuleusement suivies. Cela entraîne un risque de déshumanisation de la société où tout est trop normé et figé.
Autant dire que Karyn Nishimura-Poupée met un grand coup de pied dans la fourmilière. Elle court d'ailleurs le risque, en s'exprimant de la sorte, de se voir ostracisée. Mais c'est son rôle de journaliste d'informer, de prendre du recul et de critiquer. Bravo !

Éditions Tallandier, 2023, 352 pages.

Les Japonais, éditions Tallandier, Collection Texto, 2012, 664 pages.

jeudi 26 octobre 2023

Tutoyer un cosmos

Tutoiements, de Daniel Cabanis, est un recueil étonnant comme savent en faire les éditions Louise Bottu : ludique et poétique.
Il s'agit d'un portrait, fantaisiste et en creux, en 90 petits chapitres d'une page chacun.
Chaque page, d'où le titre Tutoiements, commence par "Tu as un nom" ou "Tu as un don" ou "Tu as un fourre-tout" et ne nous en apprend pas vraiment davantage sur le (ou les) personnage(s) mais nous emmène dans un univers absurde, mais pleins de jeux de mots décortiqués, de références et d'humour, comme autant de surprises.
On retrouve cette fantaisie dans la forme puisque les chapitres sont présentés à l'italienne, comme des tableaux (l'auteur est également plasticien), ce qui oblige à tenir le livre à l'horizontale (à moins de risquer un torticolis). Ces formats "paysage", comme on dit en peinture, sont autant d'antiportraits.
Chaque page est donc parfaitement rectangulaire. Je n'ai pas compté mais le nombre de lignes est identique à chaque page et semble cadré au signe près.
Un petit bijou d'originalité et de virtuosité.

Éditions Louise Bottu, 2023, 98 pages.

L'eau, source de vie

L'essai, L'humanité a soif et les baleines boivent la tasse, de Thibault Lamarque est petit par la taille, mais concret, complet et immense par le sujet.
En effet, l'eau, c'est la vie. Or, tout le monde n'a pas pris conscience encore des enjeux de ce bien commun, cet élément vital pour l'humanité et la planète, qui commence à manquer à certains endroits du monde et de nos régions.
Lors de son parcours professionnel et militant, l'auteur est passé par Veolia, Alter Eco puis a fondé Castalie, une entreprise qui commercialise des fontaines à eau éco-conçues et reliées au réseau d'eau courante. Il a également lancé le podcast La Relève qui témoigne de volontés de faire bouger nos modes de vie.
Il s'est donc notamment interrogé sur les questions environnementales d'eau potable et la diminution du plastique à usage unique.
Cet essai est extrêmement documenté et précis. Il propose des solutions pour modifier nos habitudes, parfois totalement aberrantes quand l'abondance d'eau potable n'est plus une évidence (surtout lorsqu'elle sert pour les chasses d'eau des toilettes, par exemple).
Certaines habitudes alimentaires sont également issues de cultures ou d'élevages trop voraces en eau.
Dans le premier chapitre, Thibault Lamarque revient sur les origines de l'eau et comment elle arrive jusqu'à nous, parfois polluée par l'agriculture et l'industrie. Bien sûr, les rivières et les mers souffrent également de nos techniques polluantes.
Dans le deuxième chapitre, il passe en revue les différentes utilisations de l'or bleu : pour l'agriculture, l'industrie, mais aussi pour notre consommation quotidienne et nos loisirs.
Enfin, dans le troisième chapitre, il aborde les enjeux politiques et géopolitiques de l'eau.
Loin d'être éco-anxiogène, cet essai essentiel est écrit sur un ton alerte et sans fioritures. Il alerte, fait prendre conscience de nombreuses informations et change nos préjugés. Il ne reste plus qu'à agir au quotidien et changer le monde ! Car les petites gouttes d'eau font les grands ruisseaux.

Éditions Novice, 2023, 126 pages.

Lire aussi le numéro spécial du magazine Sans Transition ! pour repenser nos usages et la gestion de l'eau.


mardi 24 octobre 2023

Frontières sensibles

Dieu leur dit de Sotiris Dimitriou se déroule sur un chantier de construction d'une maison en Grèce, tout près de la frontière albanaise.
La pluie contraint à cesser le travail.
Les ouvriers en profitent pour boire, manger, chanter, bavarder, s’engueuler, régler leurs comptes, se confier, entre remords et aveux.
Les souvenirs poignants d'exils, de drames, de peines... sont entrecoupés de chansons populaires et de visites de gens de passage qui cherchent un abri.
La langue est chantée, parlée, dans un sabir étonnant qui nous plonge littéralement, et sur le vif, dans cette ambiance masculine et rurale de travailleurs manuels, maçons ou manœuvres, et de musiciens.
C'est à la fois un documentaire sur le quotidien d'un chantier et l'histoire de cette région frontalière et pauvre de l'Épire, à travers sa langue prodigieusement restituée par la traductrice Marie-Cécile Fauvin.
Insolite et remarquable.

Quidam éditeur, 2023, 128 pages.

vendredi 20 octobre 2023

Sans police ni prison

Mariame Kaba est une autrice américaine, éducatrice et militante qui lutte pour l'abolition de la police et de la prison. Elle défend en particulier les personnes marginalisées — notamment les Noirs qui peuvent être tués d'une balle dans le dos ou par erreur lorsque la police se trompe de maison. Ils doivent faire face à la violence policière et carcérale tous les jours, de façon banalisée et quotidienne.
Mariame Kaba est spécialisée dans les questions sur la fin de la violence, le démantèlement du complexe industriel carcéral, la justice transformatrice et le soutien au leadership des jeunes. Cela peut, à première vue, inquiéter et faire redouter le chaos.
Or, l'autrice explique dans cet essai, En attendant qu'on se libère : vers une justice sans police ni prison, son engagement pour l’abolition de la police et de la prison en s'appuyant sur des entretiens et des articles qu'elle a notamment publié sur son blog. En effet, les abolitionnistes pensent que le système actuel ne peut être modifié ou réformé, mais qu'il doit être totalement supprimé. Car pour Mariame Kaba, la police et la prison ne sont pas les seules solutions aux problèmes de violence.
Elle revient sur l’histoire de la prison et des mouvements abolitionnistes, et prône d’autres ressources comme l’entraide, l’écoute et la solidarité, c'est-à-dire une justice réparatrice et transformatrice. Elle démontre à quoi cette justice ressemblerait et comment il faudrait l’appliquer en cas de viols ou de meurtres, par exemple. Pour cela, il faudrait être prêt à remettre en question toutes les logiques d’oppressions. 
Elle propose des orientations. Par exemple, ce que les auteurs de dommages devraient faire pour assumer la responsabilité de leurs actes ; les efforts préventifs à mettre en œuvre pour limiter les dommages interpersonnels au lieu de recourir à des mesures punitives ; plaider en faveur de réparations pour les victimes de violences policières ; rediriger les ressources de la police vers les programmes sociaux (santé mentale, écoles, soins...) ; appliquer diverses stratégies pour éloigner les gens du système pénal punitif et favoriser une justice transformatrice ou réparatrice, etc.
Ces projets peuvent paraître utopiques mais des initiatives existent déjà dans des communautés de grandes villes américaines, dont Chicago.
Une justice réparatrice et transformatrice est donc tout à fait réalisable (mais bon, il y a des progrès à faire...).

Éditions Hors d'Atteinte, 2023, 380 pages. 

D'autres livres de cette excellente maison d'édition féministe de fiction et de non-fiction où s’arment les luttes émancipatrices d’aujourd’hui et de demain (installée à Marseille) :
- Le Dérangeur. Petit lexique en voie de décolonisation.
- On ne va pas y aller avec des fleurs. Violence politique : des femmes témoignent
- Ces grandes effacées qui ont fait la littérature.

jeudi 19 octobre 2023

Forniés formidable !

Roberto Forniés a rassemblé de ses 54 formidables récits et nouvelles dans le recueil Les chemins de trébuche.
Formidables parce qu'inattendus, comiques ou dramatiques, réalistes ou loufoques, durs ou tendres, mais toujours poignants ou percutants.
Dans la lecture d'un recueil, il est parfois difficile d'enchaîner les nouvelles. Souvent, une pause est nécessaire entre chacune d'elles.
On attend un peu.
On laisse infuser.
On prend le temps de savourer, ou de s'en remettre, de souffler, voire de revenir un peu en arrière... et surtout parce que ces 54 mini histoires de deux à trois pages chacune représentent une prodigieuse et foisonnante inventivité.
Une lecture à déguster à petites gorgées !

Le dessin de la couverture est de Luc Bannes, bien sûr !

Livre autoédité, 2023, 200 pages, 13 euros dans les librairies autour du Ventoux ou directement auprès de l'auteur (roforal@gmail.com)

mercredi 18 octobre 2023

Le pèlerinage mythique des Saintes-Maries

Une remarquable exposition — parmi tant d'autres tout aussi passionnantes — avait lieu lors des dernières Rencontres de la photographie d'Arles de 2023 : Lumières des Saintes. (Elle peut à nombreux égards être rapprochée de celle présentée au Mucem de Marseille du 10 mai au 4 septembre 2023 : Barvalo, sur les Roms, Sinti, Manouches, Gitans, Voyageurs...)
Il s'agissait de retracer une histoire photographique du pèlerinage qui se déroule tous les ans aux Saintes-Maries-de-la-Mer, où Gitans, Manouches, Roms et Voyageurs de France et d’Europe viennent honorer sainte Sara.
Dès le XIXe siècle, de nombreux photographes, ethnographes, ou proches de ces populations immortalisent ces retrouvailles qui sont également le lieu d’expressions sociales, religieuses ou artistiques : danse, chant et musique.
Ilsen About, chargé de recherche au CNRS, historien spécialiste des circulations et des sociétés roms et tsiganes en Europe de l’ouest, est l'auteur du magnifique livre édité en regard de l'exposition : Lumières des Saintes. Le pèlerinage des Gitans aux Saintes-Maries-de-la-mer : une histoire photographique.
Il revient sur les origines de ce pèlerinage et la fascination qu’il exerce. Il explore les composantes et l’évolution de la relation entre photographes et modèles, dans un contexte historique marqué par l’exclusion. Les photographes sont parfois accusés de profiter d'une identité bafouée : "Les Gadjé nous aiment en photo". À partir des années 70 puis des années 90, des reportages visent à lutter contre les discriminations et à dénoncer les conditions réservées aux Voyageurs.
Sont ensuite présentés une vingtaine de portfolios de grands noms de la photographie, comme Lucien Clergue, Sabine Weiss, Erwin Blumenfeld, Jean Dieuzaide ou Martine Franck, mais aussi des anonymes issus des communautés gitanes. Les photographies du prêtre militant André Barthélémy sont particulièrement touchantes : les sourires sincères révèlent la complicité et l'amitié réciproque.
Superbe ouvrage et respectueux hommage.

Éditions Textuel, 2023, 20 x 30 cm, 192 pages.



mardi 17 octobre 2023

Sans mode d'emploi

Lire Pierre Barrault c'est comme partir à la chasse au trésor avec une fausse carte : on croit connaître sa route, mais on se perd joyeusement dans le labyrinthe et on trouve d'autres trésors auxquels on ne s'attendait pas ! On se retrouve vite de l'autre côté du miroir.
L'aide à l'emploi était déjà paru aux éditions Louis Bottu en 2019, et je vous invite à (re)lire ma chronique.
On sait que la recherche d'emploi est un parcours du combattant et que les administrations valent leur pesant d'or d'absurdités. L'auteur s'en donne à cœur joie pour forcer le trait des aberrations et contradictions du système.
Nous voilà chez Alice au pays l'imaginaire, mais jamais si loin de la réalité.

Quidam éditeur, 2023, 174 pages.

Histoires de collectionneurs

Entrez dans le monde merveilleux et poétique des cabinets de curiosités des collectionneurs.
Marin Montagut nous invite dans une dizaine de collections extraordinaires dans les pages de ce très beau livre et ses superbes photographies.
Illustrateur et designer, il collectionne lui-même les objets et y trouve son inspiration. Au cours de ses recherches, il a croisé d'autres collectionneurs et antiquaires qui ont ouvert les portes de leurs trésors.
Marin Montagut avait une grand-mère artiste-peintre et des parents antiquaires. Il a donc toujours fréquenté les marchés aux puces, les brocantes et les antiquaires.
D'ailleurs, la plupart de ses collections sont liées à ses souvenirs d'enfance : palettes de peintre, plâtres, sellettes, qui rappellent l'ambiance d'un atelier.

L'antiquaire Cyrille Fassier s'intéresse aux boiseries et meubles de métier, mais aussi aux dessins de nus et portraits au fusain, aux planches d'entomologie, à la verrerie pour la table...
L'atelier Vime est spécialisé en vanneries et faïences provençales.
Stéphanie Mayeux, antiquaire, s'intéresse à l'art populaire et aux objets de curiosité.
L'atelier Lorenzi, mouleur d'art, possède la plus grande et plus ancienne collection privée de moulages en Europe.
Grégoire Courtin collectionne principalement les chapeaux, brosses et couleurs, mais aussi les lampions, les boutons, et autres quincailleries.
Gaëtan Lanzani loue des décors et propose donc une accumulation invraisemblable de sièges, montants de lits, mobilier, valises et bagages, trophées de chasse et autres insectes épinglés dans des vitrines...
Patrick Mauriès, écrivain, collectionne les livres, tableaux et objets d'art.
Le marché aux puces de Saint-Ouen offre à lui seul une impressionnante collection de collections, des plus ordinaires au plus extraordinaires, pour tous les goûts et pour toutes les bourses.
Enfin, Agathe Derieux, également antiquaire, a créé un univers féérique de mannequins et autres trésors.
Ces accumulations, qui rappellent les œuvres d'art du peintre et sculpteur Arman, sont fascinantes et photogéniques en soi. Et le grand plaisir de ce livre vient, en effet, de la contemplation des photographies qui fourmillent de détails.

Flammarion, 2023, 20 x 27 cm, 240 pages.





mercredi 20 septembre 2023

Les écrivaines effacées depuis le Moyen Âge

Après un premier tome de son anthologie de littérature, Autrices. Ces grandes effacées qui ont fait la littérature, Daphné Ticrizenis récidive avec un tome 2 et prépare un tome 3.
L'autrice a travaillé dans l'édition, notamment scolaire, et s'est insurgée du peu de présence de textes d'autrices proposés dans les manuels de français. Elle s'est donc attelée à la recherche de ces œuvres littéraires de femmes injustement oubliées d'après les études des historiens et historiennes de la littérature, et universitaires spécialistes.
Le premier tome, paru en 2022, concernait les femmes qui écrivaient du Moyen Âge à la Renaissance ; le deuxième, celles des XVIIIe et XIXe siècles et le troisième celles du XXe siècle à nos jours.
Trois tomes, quand même ! Que de femmes effacées malgré leur créativité, leur engagement, leur style !
L'anthologie n'est pas exhaustive mais privilégie les textes d'autrices qui nous parlent encore aujourd’hui : autobiographies, théâtre, poésie, romans, essais...
Dans le tome 2 qui vient de paraître (ci-dessus), il est question des femmes qui écrivent et contribuent au courant philosophique des Lumières, des révolutions de 1749 et de 1848 et de la Commune. Une période mouvementée où les femmes ont été particulièrement mises de côté, exclues, désavouées, humiliées, invisibilisées.
(On est bien d'accord : rien n'a changé, qu'on écrive ou pas.)
À cette époque, elles s'appellent Émilie du Châtelet, Louise d'Épinay, Olympe de Gouges, Germaine de Staël, George Sand, Louise Michel, Anne de Noailles...
Un matrimoine littéraire absolument passionnant !

Éditions Hors d'Atteinte, 2023, 336 pages.

Consultez le catalogue des éditions Hors d'Atteinte : "Maison d’édition féministe de fiction et de non-fiction où s’arment les luttes émancipatrices d’aujourd’hui et de demain."

dimanche 10 septembre 2023

Les animaux sont politiques

Dans ce pamphlet, Révoltes animales, sur nos relations croisées humains-non humains, la condition animale est vue sous son aspect politique.
Le philosophe végétalien Fahim Amir annonce notamment que « la gauche est de droite sur la question animale » et s'appuie sur « un marxisme légèrement “ensauvagé“ ».
Les animaux déchaînent les passions, qu'il s'agisse de chasse, de zoos, de cirques ou d'expérimentations animales ; qu'on s'en prenne à la fourrure, aux plumes d'oie ou aux élevages industriels, à la pêche à la baleine, le transport des animaux, la production de viande...
Or, les animaux sont aussi sujets de l’exploitation capitaliste et développent leurs propres façons d’y résister. L'auteur prend pour exemple des animaux qui ont longtemps cohabité avec l'humain : pigeons, porcs, chevaux... et qui ont développé des formes de résistantes fort intéressantes, qui sont de véritables modèles.
Ce livre captivant, foisonnant d'histoires et d'informations, est traduit de l’allemand avec des titres percutants. Il est publié en France par les éditions Divergences, dont le catalogue en
critique sociale et politique est à explorer.  

Éditions Divergences, traduit par Samuel Monsalve, 2022, 176 pages.

L'aventure Fan(m)zine, fanzine de femmes

Illustration de couverture
de Natacha Eloy

Une superbe revue vient de voir le jour à La Réunion, Fan(m)zine, avec de très beaux textes et illustrations, exclusivement composés par des femmes et autant de belles surprises. Une douzaine d'autrices s'exprime ainsi pour le meilleur et pour les filles ! (mais non, au contraire ces lectures intéressent tout le monde)
Pour en savoir davantage, nous avons interrogé son éditrice, Julie Legrand.

Comment est née l'idée de Fan(m)zine ?

Fan(m)zine est né d'un retour d'expérience. D'une envie de faire cohabiter les textes courts (nouvelles, poèmes, fonnkers) et/ou illustrations d'autrices dans un ouvrage collectif.

Pourquoi le format court ?

En tant qu'autrice, j'ai publié plusieurs recueils de nouvelles. C'est une forme que j'affectionne de lire et d'écrire, bien qu'elle ne soit pas (assez) valorisée en France. Le parcours de l'autrice américaine JoyceCarol Oates, par exemple, a toujours été pour moi une référence. Que ce soit en tant que nouvelliste ou en tant qu'éditrice puisqu'elle a codirigé pendant de longues années la revue littéraire Ontario Review. Ses nouvelles ont été pour la plupart publiées en revues avant d'être rassemblées en recueils. Pour un auteur outre-Atlantique, c'est une façon classique de faire ses armes littéraires. Ce modèle, cette inspiration, ont influencé mon propre parcours.

Mes textes ont paru dans différentes revues indépendantes, recueils d'éditeurs ou de libraires. J’aime cette notion de collectif qui constitue des familles et permet aux textes de circuler. À La Réunion, je collabore depuis plusieurs numéros avec la revue Kanyar qui rassemble les contributions d'auteurs débutants ou confirmés, et privilégie les textes exigeants, libres, audacieux. Ses auteurs prennent plaisir à échanger, lors des séances de dédicaces et/ou de salons littéraires, en créant une dynamique de groupe qui devient source de projets collaboratifs. Éprouver ce collectif m'a donné envie de me lancer en proposant aux autrices de mon entourage de m'accompagner dans l'aventure Fan(m)zine et de créer ainsi, en quelque sorte, un cercle vertueux.

Dear diary de Jeanne Overton
Pourquoi ce titre, Fan(m)zine ?

En réfléchissant à la forme que j'allais donner au projet, celle du fanzine m'est venue à l'esprit, parce que je ne voulais pas publier un recueil de nouvelles classique. Le fanzine est une publication indépendante, souvent bricolée, qui rassemble des amateurs passionnés autour d'un sujet de prédilection. J’aime l’espace de liberté qu'il invoque, l'esprit « Do It Yourself » et la possibilité de faire cohabiter texte et image sur un même support. J'avais envie d'un objet ludique, accessible, au prix et au format de poche, qui passerait de main en main, comme un virus, un grigri, et qu'on prendrait plaisir à feuilleter pour ce qu'il est. L'ajout de la consonne m dans le mot, révélant le mot créole fanm a confirmé mon intuition, puisqu'il s'agissait de mettre en lumière les travaux de femmes-artistes en suggérant une sororité artistique où se répondraient différentes formes d’expressions dans un même ouvrage. Un objet féminin, certes, mais déconstruit, mobile, facétieux... mutant !

Pourquoi ne publier que des autrices?

Ce choix s'est imposé comme une évidence, du fait des interactions évoquées précédemment. Aussi, parce que le sujet de la féminité est central dans la plupart de mes textes. Par ailleurs, l'émergence de podcasts, médias ou écrits autour du féminisme a révélé ces dernières années de nouveaux espaces d'expression. Il m'a semblé que ces espaces manquaient à La Réunion, où l'exposition littéraire — bien qu'en nette évolution — restait jusqu'alors réduite et réservée aux mêmes « acteurs littéraires », souvent masculins. J'ai voulu créer un objet conçu comme un lieu où les femmes se sentiraient libres de faire entendre leur voix, de la manière dont elles le souhaiteraient, sous la forme de leur choix.

J'ai envisagé un objet-livre qui s'inscrirait dans cet élan collectif, et se positionnerait en tant que témoin de la mutation du féminisme contemporain. Une mue qui s'est, de fait, imposée comme thème du premier numéro de Fan(m)zine : Filles à la peau de serpent. Une publication singulière, qui offrirait un espace mixte de création et de réflexion.


Qui sont les contributrices de ce premier numéro ?

Papillon de nuit
de Natacha Eloy

Elles sont douze autrices et/ou illustratrices (dont un binôme), de La Réunion et de métropole. Les contributrices réunionnaises sont pour la plupart bien connues du milieu littéraire et artistique de l'île puisque toutes ont publié romans, nouvelles, théâtre, poésie ou illustrations chez des éditeurs locaux ou nationaux. Elles m'ont fait l'amitié de répondre à ma proposition avec enthousiasme et générosité, en respectant les consignes du thème et les délais d’écriture. Leur implication m'a confirmé que la création d'un Fan(m)zine à La Réunion était bienvenue voire nécessaire.

Pourquoi n’as-tu pas participé en tant qu’autrice, mis à part l’édito ?

En fait, si, j’ai participé, sous nom d’alias (Alya S.), ce qui n’était pas prévu au départ. Autant l’édito a été composé en amont de la réception des contributions, autant ce texte s’est imposé au moment du montage de la maquette, dans un souci d’équilibre, comme dans un tout, un point d’orgue, au travers duquel les voix résonneraient ensemble. De ce point de vue, il m’a semblé que ce texte aurait pu être écrit à plusieurs mains, jusqu’à former une identité virtuelle, qui n’exclurait pas l’intelligence artificielle, raison pour laquelle il est doté d’une identité propre, bien qu’imprécise. Le fanzine permet toutes sortes de surprises et d’excentricités. J’ai pensé au travail de Sophie Calle qui a fait de sa vie intime une œuvre, à Alfred Hitchcock et ses caméos dans ses films, une façon ludique de mettre son grain de sel dans une œuvre collective sans tirer la couverture à soi…

La petite fille aux allumettes
de Nicole Legrand
Pourquoi avoir ajouté des extraits de textes d’autrices renommées et connues pour leur engagement féministe ?

Pour le clin d'œil. Sans verser dans la pédagogie ou le militantisme à tout crin, j'aimais l'idée de partager mes réflexions de lectrice autour de la question féministe en recontextualisant les écrits emblématiques d'autrices pionnières comme Virginie Despentes, (King Kong Théorie), Chloé Delaume (Mes bien chères sœurs) ou Valérie Solanas, considérée comme la mère fondatrice du féminisme radical, dont le Scum Manifesto a été réédité en 2021 (et préfacé par l'essayiste Lauren Bastide). Ces autrices ont fait bouger les lignes en ouvrant la voie aux jeunes générations. Elles ont œuvré à la mue féministe et il me semblait important de le rappeler. Par ailleurs, j'aimais l'idée que ces extraits s'intègrent au recueil en faisant écho aux autres textes, avec leur langue, leur musicalité propre, identifiable. Ainsi, chaque contributrice de Fan(m)zine serait appréhendée de la même manière par le lecteur, bénéficierait de la même visibilité que ses consœurs d'écriture.

Peux-tu nous dire quelques mots de l'œuvre de Natacha Eloy en couverture ?

Il déchire ! Natacha Eloy, autrice et dessinatrice réunionnaise issue à la fois des arts visuels et du collectif BD Le Cri du Margouillat, est un peu la marraine de ce premier numéro. Hormis la couverture, deux autres de ses contributions (texte et illustrations) sont au sommaire. Qui dit fanzine, dit aussi identité visuelle forte. Natacha a su restituer l'état d'esprit que je voulais insuffler à la couverture : des couleurs vives, de l'impertinence, une pointe de sophistication, de la drôlerie saupoudrée de mysticisme. Tout y est, et ce portrait de « fille à la peau de serpent » est simplement magnétique.

À quelle fréquence sera publié Fan(m)zine ?

J'envisage une publication annuelle. Comme je m'occupe seule du travail éditorial, six mois sont nécessaires pour la sélection des contributions et six mois supplémentaires pour les corrections, la réécriture et la finalisation de In maquette.

Quel sera le thème du second numéro ? Comment seront sélectionnés les textes ?

Le prochain thème sera annoncé sur la page Facebook de Fan(m)zine par le biais d'un appel à contributions (textes, illustrations en noir et blanc). J’en préciserai les délais ainsi que toutes les modalités.


Où est diffusée la revue ?

Pour le moment, exclusivement à La Réunion. Pour la suite, on verra bien ce que l’avenir (lui) réserve !

jeudi 31 août 2023

Plaidoyer pour la nature

Gorge d'or est le premier roman de la Finlandaise Anni Kytömäki.
La nature sauvage, la forêt et ses animaux sont au centre de cette fresque qui se déroule entre 1903 et 1937 en Finlande.
La description de la nature est si détaillée qu'on la sent vivre, bruisser et exhaler ses parfums, parfois effrayante, parfois protectrice et souvent enchanteresse.
Le récit est imprégné de réalisme magique et de contes traditionnels, avec notamment l'histoire d'une ourse et son ourson. En effet, une légende nordique veut que les humains se changent en ours et les ours en humains.
Les destins des personnages, qui ont tous un lien fort à la nature, seront bouleversés en raison des événements de l'histoire du pays (Première Guerre mondiale, Indépendance de 1917, guerre civile de 1918...). 
C'est un roman impressionnant (pas seulement par son volume) et envoûtant, un véritable plaidoyer, un manifeste de défense de l'environnement.

D’île en île, dans l’onde engourdie par le froid de cette fin d’automne, elle traverse à la nage le grand lac. Elle évite les barques à la proue desquelles brûlent des torches, se pétrifie en rocher à fleur d’eau en entendant des voix – et atteint l’autre rive, car les flots, dans la nuit, l’enveloppent d’une brume protectrice.

Éditions Rue de l'échiquier, 2023, 656 pages.

Impressions du Japon

Calligraphie de Yukako Matsui
Quand je range ma bibliothèque (ou mes piles de livres), je trouve des ouvrages géniaux que j'accumule et que je n'ai pas encore lus.
C'est ainsi que je tombe sur Le Japon imaginaire de Pierre Vinclair. Superbe (re)trouvaille !
Le narrateur est lauréat d'une résidence d'écriture à la Villa Kujoyama de Kyoto. Puis il poursuit son séjour de quelques mois à Tokyo avec sa compagne avant de partir pour la Chine.
Il raconte sa vie quotidienne japonaise en quatre parties, entre chroniques et haïkus : Sanctuaires, Chaos demeure, La ville tremble.
La quatrième partie, Mots imaginaires, est un glossaire extraordinaire.
Pour un gayjin (celui de l'extérieur, l'étranger), les aventures et découvertes étonnantes sont au coin de la rue (quand on ne s'y perd pas par manque de lisibilité des plans et absence de noms de rues).
Le choc des cultures, l'incompréhension et les déconvenues sont également au rendez-vous, comme si l'étranger ne pouvait rester qu'à distance, coincé dans son imaginaire.
Merci pour ce voyage poétique !

Le Corridor bleu, 2014, 136 pages.

Le blog de Pierre Vinclair. L'auteur a, entre autres, fondé la revue Catastrophes avec Laurent Albarracin, auteur du merveilleux Grand Chosier.

mardi 29 août 2023

La sauvagerie des conquistadors

Le dernier roman de David Vann, La Contrée obscure, se passe à l'époque des conquistadors espagnols à l'époque des premiers contacts avec les Cherokees.
L'auteur de Désolations et de Sukkwan Island nous plonge cette fois dans l'histoire.
Il remonte aux sources de ses propres origines cherokees puisqu'il s'inspire d'une légende que lui racontait son grand-père sur un enfant sauvage né dans les flots.
Il s'appuie également sur un ouvrage historique de Charles Hudson et développe toute l'horreur de l'interminable expédition espagnole menée par le chef, complètement fou, Hernando de Soto et ses hommes.
En cherchant de l'or, ils s'enlisent dans les marécages et ne sèment que violences, massacres, cruautés.
Ils se conduisent en véritables sauvages envers les Autochtones qui résistent âprement.
Un choc des cultures et un vibrant hommage aux Cherokees.

L'homme s'appelle Kana'ti, qui signifie chasseur chanceux, et la femme s'appelle Selu, qui signifie maïs. Ils ont érigé une maison de branches et d'arbrisseaux tressés en forme de petit dôme qu'ils ont enduite de boue et couverte d'écorce de peuplier. Ils dorment avec leur fils entre eux, afin de le protéger. Ils sont installés dans cet endroit, ils le connaissent et ils y sont chez eux. C'est le pays cherokee, à l'époque où le monde est encore neuf, où la terre humide sèche encore.

Gallmeister, 2023, 508 pages.

Lire aussi mes chroniques sur Désolations et Sukkwan Island.

mercredi 23 août 2023

Les cartes et les territoires

La couverture (56 x 65 cm)
C'est un événement éditorial pour les amoureux des cartes! La magnifique œuvre cartographique de Cassini (c'est-à-dire quatre générations d'astronomes, de mathématiciens, de topographes, de dessinateurs et de graveurs) fera l'objet d'une superbe publication l'an prochain !
Les premières feuilles avaient été publiées en 1756 puis pendant une trentaine d'années.
Cette édition limitée à 900 exemplaires numérotés reproduit l’intégralité des 181 feuilles numérotées de la carte de Cassini, grandeur nature.
Il s'agit d'une version dite « de la Reine » rehaussée en couleurs à l'aquarelle.
L’ouvrage sera accompagné d’une introduction de Jean-Luc Arnaud, historien de la cartographie, directeur de recherches au CNRS, ainsi que des légendes et index des noms de lieux.
Grand luxe pour un ouvrage exceptionnel !

Éditions Conspiration, 2024, format 56 x 65 cm, 392 pages.
Pour plus de détails sur l'ouvrage et les souscriptions (avant le 31 octobre : 1 800 euros au lieu de 2 400 euros), suivre ce lien.

mardi 22 août 2023

Le rendez-vous attendu avec Delerm

Depuis La première gorgée de bière, le rendez-vous avec Philippe Delerm est fidèle à nos attentes.
On le déguste à petites gorgées en prenant notre temps car ces Instants suspendus obligent à ralentir, à apprécier ces moments précis, presque imperceptibles et fugaces, ou ces expressions savoureuses que l’écrivain nous débusque et nous décortique.
Un geste anodin, une façon de tenir une veste ou remplir un récipient d'eau et ce mot d'enfant que nous avons tous entendu ou prononcé : il en parle comme personne.
Aviez-vous remarqué cet instant où le train sort du tunnel, ou celui où le train s'arrête en pleine voie ? De quel sportif oublié vient le nom de cette paire de chaussures iconiques ?
Il pousse la mise en abîme jusqu'à nous raconter, en fin de recueil, comment Trouver un sujet de texte court.
Il est vrai qu'on se demande comment il fait pour capter ces instants — où il nous suspend/surprend — et pour nous les restituer avec autant de grâce.

Seuil, 2023, 128 pages.

D'autres chroniques sur les livres de Philippe Delerm :
-
New York sans New York ;
La vie en relief ;
- L'extase du selfie et autres gestes qui nous disent ;
- Et vous avez eu beau temps ? La perfidie ordinaire des petites phrases ;
- Journal d'un homme heureux ;
- Je vais passer pour un vieux con et autres petites phrases qui en disent long ;
- Elle marchait sur un fil ;
- Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter la terre. 

mercredi 2 août 2023

Ultra poétique attitude

Comme une suite au premier recueil de Notes sur les noms de la nature, voici de Nouvelles notes sur les noms de la nature, toujours magnifiquement illustrées par Florence Lelièvre.
Ce sont à nouveau des courts poèmes — des texticules — qui dissèquent et viennent tordre le sens des noms botaniques ou des espèces fongiques ou animales, pour jouer sur les mots et les noms, en extraire toute la contradiction, la fantaisie, l'analogie, l'humour et la poésie.
Un régal à lire et à relire.

Éditions des Grands Champs, 2023, 40 pages.

Lire aussi mes chroniques sur les romans de Philippe Annocque parus chez Quidam et Louise Bottu :
- Notes sur les noms de la nature ;
- Seule la nuit tombe dans ses bras ;
- Élise et Lise ;
- Pas Liev ;
- Liquide ;
- Vie des hauts plateaux
- Biotope et anatomie de l'homme domestique
- Les Singes rouges.


mercredi 26 juillet 2023

Klent président !

Toujours une belle illustration de Simon Roussin
Souvenez-vous du jubilatoire Paresse pour tous d'Hadrien Klent. Voilà une suite tout aussi réjouissante, éblouissante, pertinente... avec La vie est à nous.
Le texte rappelle suffisamment les épisodes précédents pour rafraîchir notre mémoire et permettre à ceux qui ne l'auraient pas lu (mais n'hésitez pas, ça vaut le coup et ça fait du bien) de suivre parfaitement.
Donc notre héros, Émilien Long, professeur d'économie, est désormais président. Mais, vu son état d'esprit, le statut et l'exercice du pouvoir ne lui conviennent pas : il propose un référendum aux Français pour une autre forme de gouvernance à six personnes au lieu d'un seul président. Cela nous renvoie à Léon Blum, comme un hommage au Front Populaire, surtout dans le début du roman.
Ne s'arrêtant pas là, notre président propose son art de vivre à l'ONU, donc au monde entier.
Comme dans Paresse pour tous, le roman, très vivant avec sa galerie de personnages et situations, a plutôt l'allure d'un manifeste ou d'un essai utopique — mais pas tant que ça : on voudrait tellement que ce soit vrai —, voire un conte philosophique, tant il est pointu en réflexions économiques, géopolitiques, mais aussi en art de vivre et en poésie !
Il est très plausible dans le moindre détail de ses attachants personnages plus réels que nature, dans leur vie quotidienne, personnelle et professionnelle. Mais il y a en a aussi de très antipathiques, tellement bien dépeints avec leurs biais de désinformation ou de vision réduite qu'ils en seraient presque comiques. Quelques vraies personnes sont subtilement égratignées au passage.  Les ados sont ado-rables : blasés comme il se doit. Les amoureux sont émouvants. Bref, on y croit à fond !
Si Hadrien Klent (un pseudonyme) n'est pas professeur d'économie comme son personnage principal, il est un excellent pédagogue car tout est parfaitement limpide.
Donc, je propose, à l'image d'Émilien Long, qu'Hadrien Klent se présente aux prochaines élections pour qu'enfin nous prenions le temps de vivre.
Klent président ! Et vivement la suite...

Le Tripode, 2023, 352 pages.

vendredi 23 juin 2023

Auto-promo Marie M.

J'ai le plaisir de vous informer que mes nouvelles parues dans la revue Kanyar sont rassemblées dans un recueil, grâce aux éditions Esprit des Lieux, ainsi que quelques surprises.
Tout d'abord, Éric Briot a eu la gentillesse de rédiger la préface.
Ensuite, une nouvelle inédite vient compléter l'ouvrage.
Enfin, une partie que j'ai appelée "Jardins secrets" fonctionne comme des portes dérobées ou une lecture entre les lignes. Il s'agit de commentaires et anecdotes sur l'écriture de ces nouvelles et mes sources d'inspiration.
Bien sûr, j'y évoque l'histoire de la revue Kanyar créée par mon ami André Pangrani à qui je dédis ce recueil, ainsi qu'à mon frère, Jean-José Martinez, dont l'illustration de couverture est une de ses œuvres. 

Je reprends un extrait de la quatrième de couverture : 

Dans ces dix histoires, la nature, réconfortante et inspirante, tient un rôle discret mais particulier. Une soi-disant folle se prend pour un coquelicot et parle aux arbres, un ouvrier s'épanouit en créant des jardins, une jeune femme laisse aller ses pensées sur les pentes du Ventoux, une autre se ressource au bleu infini de la mer...
Ces nouvelles évoquent parfois des moments difficiles, des phases de transition, des mondes flottants, mais elles finissent toujours par trouver la lumière et l'espérance.

Éditions Esprit des Lieux, 2023, 168 pages, 13 euros.

Pour commander le livre, suivez ce lien.

lundi 12 juin 2023

Parlons photo

Voilà un passionnant entretien de Maurice Rome (un mystérieux Canadien de 37 ans qui fait le tour du monde des innovateurs en photographie et, en tout cas, qui en connait un rayon) avec ce passionnant photographe chercheur expérimental qu'est Michel Charles.
Bien que je connaisse un peu l'artiste en question, qui est aussi un excellent écrivain qui signe ses livres du pseudonyme de Charles Gobi, j'ai beaucoup appris sur lui, ses débuts dans la photographie, ses inspirations, son parcours, ses techniques et ses inventions.
En plus de répondre avec la grande modestie, simplicité, et non moins profondeur, qui le caractérisent, Michel ne nous prive pas non plus de son humour irrésistible, plein de jeux de mots et de fantaisie.
Il est un peu question de technique, forcément, mais juste ce qu'il faut pour ne pas perdre les néophytes. Le mode de l'entretien rend l'échange très vivant. D'ailleurs, pour lui, une séance photo est aussi banale qu'une conversation : "Intéresser, rendre intéressant, poursuivre." Et c'est bien ce qu'il se passe pour le lecteur qui poursuit, avec intérêt, la lecture.
L'entretien est accompagné d'une douzaine de photos, ces fameuses métacinèses dont il est l'inventeur.
Bref, je me suis souvent demandé pourquoi Michel n'était pas mondialement (re)connu. Il me semble avoir trouvé une partie de l'explication dans cet entretien : d'abord, la photographie expérimentale n'est pas à la mode. Ensuite, Michel a tendance à chercher là où les autres ne vont pas. Par exemple, il s'intéresse aux paysages qu'on ne photographie habituellement pas. Forcément, ce n'est pas dans l'air du temps, complètement à contre-courant donc complètement à l'avant-garde.
Ce livre est une pièce du puzzle indispensable avec l'album Femmes mouvementées qui comprend plus d'une cinquantaine de photos, format A4.

La photographie mouvementée. Maurice Rome avec Michel Charles, éditions du Radian, 2023, 64 pages.

Pour acheter ces livres : michel.charles@gmail.com ou via son site.


Lire mes chroniques sur les livres de Michel Charles Gobi.

dimanche 11 juin 2023

S'affranchir de son milieu

Enthousiasmée par la lecture de Karen et moi de Nathalie Skowronek, je poursuis l'exploration de l'œuvre avec le roman Un monde sur mesure.
Cette fois-ci, la narratrice, qu'on sent encore très proche de l'autrice, nous immerge dans le milieu de la couture et du prêt-à-porter qui est celui de sa famille depuis quatre générations : des tailleurs juifs de Pologne aux propriétaires de boutiques en Belgique.
C'est à la fois l'histoire des siens, une saga familiale, et la description d'une profession qui a beaucoup évolué depuis les vêtements faits sur mesure puis ces "pièces" achetées chez les grossistes du Sentier ou dans le quartier de la rue Popincourt à Paris. Cette époque est révolue puisque les grandes enseignes internationales ont maintenant remplacé les commerçants indépendants et font fabriquer directement en Asie.
On découvre alors cet univers de la mode, des grossistes — ce qui rappelle un peu le film La Vérité si je mens ! mais en version documentaire et des boutiques, vu de l'intérieur avec sa frénésie, son jargon, ses us et coutumes et son déclin.
C'est un très bel hommage à sa famille, son épopée, ses métiers et ses drames, puisque certains membres ne sont pas revenus des camps de concentration. D'ailleurs, une partie de la lignée continue à porter ce poids du passé, alors qu'une autre se tourne résolument vers l'avenir et veut vivre dans son temps.
Et surtout, le roman nous parle — comme un parcours initiatique — de l'expérience personnelle de la narratrice qui a grandi dans les commerces de ses parents et de sa grand-mère et y a ensuite travaillé pendant sept ans : il ne pouvait pas en être autrement dans cette famille.
Or, cette voie toute tracée n'allait pas de soi. Le costume n'était pas vraiment taillé pour elle car elle rêvait d'autre chose. Elle a vécu comme un déchirement et une trahison le fait de rompre avec la tradition familiale et de choisir d'autres métiers et activités : l'édition et l'écriture. Sa vocation littéraire n'était pas soutenue par les siens, qui trouvait cela plutôt incongru.
C'est donc le récit d'une libération, d'un choix personnel, puisqu'elle s'est affranchie d'un avenir tout tracé.

Espace Nord, 2019, 220 pages.

Le roman, dans son édition poche, est suivi d'un entretien avec Françoise Chatelain puis d'une postface sur l'œuvre de Nathalie Skowronek.

Lire aussi la chronique sur Karen et moi.

vendredi 26 mai 2023

Retrouver la flamme

Pour fuir la flemme et retrouver la flamme, le plus dur est souvent de s'y mettre et de dépasser la page blanche. Mais comment trouver l'étincelle ?
Guillaume Lamarre propose 365 façons de dé-procrastiner, de débloquer sa créativité, parfois en prenant un peu de recul en allant se promener : une excellente façon de retrouver l'inspiration.
C'est l'objectif de ce petit pavé à conserver toute l'année sur son bureau (il est un peu épais pour la poche ou le sac) : L'étincelle du créatif. 365 jours pour réinventer votre pratique créative.
Rien n'empêche de lire plusieurs pages, jusqu'à ce que la source jaillisse à nouveau. On peut aussi ouvrir le livre au hasard et méditer sur la phrase, le conseil, l'exercice proposé.

Quelques exemples : 

Plus d'une fois, il s'agira de commencer votre projet par LA FIN.

La création, c'est de la répétition. Jour après jour, vous vous dédiez à votre projet jusqu'à ce que la magie opère.

Prenez l'habitude de vous parler à vous-même comme vous parleriez à votre meilleur ami.

Arrêtez immédiatement de vous comparer aux autres ! Immédiatement.

Faire a le pouvoir de rendre heureux.

Voilà de quoi apporter quelques surprises dans vos réflexions et un peu de magie dans vos projets.

Éditions Pyramyd, 2023, 372 pages. 

Guillaume Lamarre est aussi l'auteur, aux éditions Pyramyd de trois autres ouvrages : La voie du créatif, L'art du storytelling et Festins
Lire aussi ma chronique sur L'art du créatif.


jeudi 25 mai 2023

La vie selon Annie E.

Couverture sobre
pour un volume foisonnant

Ce Cahier de L'Herne dirigé par Pierre-Louis Fort a été publié en 2022, juste avant qu'Annie Ernaux soit lauréate du prix Nobel de littérature.
Fidèle à son concept, ce Cahier rassemble toutes sortes de documents, photos, souvenirs, articles d'autres personnes (artistes, écrivains, cinéastes, chercheurs...), et surtout de nombreux inédits sortis des archives d'Annie Ernaux : extraits de journaux, correspondances, discours, entretiens et autres textes. 

Comme l'écrit Pierre-Louis Fort dans l'avant-propos : 

Porté par l'enthousiasme de ses participants et enrichi par ses très nombreux inédits, ce Cahier de L'Herne consacré à Annie Ernaux propose une promenade stimulante et innovante dans les multiples chemins que dessine une des œuvres les plus denses et les plus belles de notre temps. Une œuvre qui, dépassant les frontières génériques et refusant les assignations rigides, ne cesse d'interroger sa forme au regard de son projet, et d'engager le lecteur dans "ce temps vécu, de l'avoir été, qui concerne tous les vivants."

On plonge alors dans les coulisses d'une écriture particulière, factuelle et comme elle l'énonce elle-même dans Une femme

"Ce que j'espère écrire de plus juste se situe sans doute à la jointure du familial et du social, du mythe et de l'histoire."

Quant à la comédienne Dominique Blanc, elle ose un souhait qui s'est réalisé : 

"Il faut rêver d'Annie Ernaux pour le prix Nobel de littérature (ne riez pas, Annie). Son œuvre qui est en cours est pure lumière."

Et pour finir, un grand entretien avec Pierre-Louis Fort où Annie Ernaux reste étonnée par le regard porté sur son travail, se dit heureuse par l'appropriation collective de ses textes : "C'est ça, pour moi, la plus grande joie, qu'on s'empare de ce que j'écris."

Une somme — plus de 300 pages en grand format — passionnante, éclairante et inspirante.

Cahier de L'Herne, éditions de l'Herne, 2022, 320 pages.

Autres chroniques sur ce blog :

- Écrire la vie.
- Hôtel Casanova.
- L'autre fille.
- Les Années Super 8, Le jeune homme et Retour à Yvetot.
- L'Usage de la photo.

vendredi 19 mai 2023

Ce monde à part de l'enfance

Le nouveau livre de Julie Legrand, L'Antichambre de la pluie, est un récit en dix-huit courts chapitres comme autant de fragments, de souvenirs.
Il est revêtu d'une jolie couverture aux couleurs tendres de l'enfance, illustrée par Nicole Legrand, comme les dessins des pages intérieures.
Le ton est donné : l'autrice nous embarque en voyage dans ce monde à part, complétement étranger à celui des adultes et de leurs conversations ennuyeuses.
Elle fait revivre une atmosphère familiale particulière — que l'on suppose être la sienne — et tend à l'universel avec ces moments que nous sommes nombreux à avoir connu, comme le rituel de la galette des rois ou la splendeur de Noël, ou bien qu'elle nous fait ressentir comme réels et palpables.

Est-ce pour conjurer l'ennui des discussions passant au-dessus de leur tête que les petits enfants de la rue de Fleurus disparaissaient systématiquement de table entre la poire et le fromage ?

Le récit est jalonné d'objets, de parfums et de goûts de sa mythologie personnelle et sensuelle : les boudoirs Brossard (tels des madeleines), la desserte à roulettes, un téléphone orange, le bain moussant Obao, des billes de plomb, le calendrier de l'Avent, la barbe à papa, les émissions de divertissement ou politiques assorties des commentaires du grand-père, le parfum Shalimar et le "pépin" de la grand-mère.
Deux personnages sans noms, figures des grands-parents, simplement désignés par La Cuisinière et Le Grand Garagiste, traversent le recueil. C'est justement dans le (presque) huis-clos de leur appartement de la rue de Fleurus que se déroulent ces histoires les jours de pluie et lors des interminables repas familiaux.
Dans cette unité de lieu, pièce par pièce, de la fameuse antichambre à la chambre bleue, reléguée au fin fond du couloir, en passant par la salle de bain et sa baignoire à pieds de lions, tout est prétexte à un jeu, une aventure, une espièglerie ou une chute cuisante sur le tapis.
Ce pays de l'enfance est celui de la joie, mais aussi celui de la mélancolie du dimanche soir et d'un monde qui n'est plus.
Un récit tout en finesse et sensibilité, très réussi.

Éditions Zonaires, 2023, 80 pages.

Lire aussi :
- un entretien avec Julie Legrand ;
- des chroniques sur ses précédents livres : Sur le rivage ; Bons baisers de l'île ; Petites morsures animales ; La fleur que tu m'avais jetée ; L'extinction.

vendredi 12 mai 2023

L'écriture et la vie

C'est toujours un plaisir de retrouver l'écriture d'Anna Dubosc
Ce nouveau récit, Plus vivant que la vie, forme une trilogie avec Koumiko et Bruit dedans, un hommage à sa mère, dont elle parlait déjà dans les nouvelles du recueil Spéracurel.
L'autrice crée, au fil de ses ouvrages, un univers singulier, très vivant et agréable à lire.
Sa vie est un roman. L'écriture est sa vie, toujours au centre de ses récits, comme un moteur, une véritable obsession textuelle :

Je me suis encore raccrochée à l'idée d'une scène pour mon prochain bouquin.

Elle écrit et se livre comme si elle nous confiait ses tribulations, sans filtre et sans complaisance, ni envers elle-même ni envers les autres.
Même si le fond du récit est grave — le deuil après la mort de sa mère et un avortement —, il y a toujours une scène cocasse ou inattendue qu'elle restitue avec une justesse des mots et un franc parler, cru, drolatique, ou bien terriblement émouvant, troublant. 

Il me traque avec sa tablette pour me montrer des photos de Koumiko. Déjà, au Père-Lachaise, il voulait qu'on les regarde ensemble, mais j'avais coupé court. Je ne pouvais pas voir des photos de ma mère, pas pour l'instant. Il insiste, il est venu exprès pour ça. Je lui répète que je ne peux pas. J'ai l'impression d'avoir affaire au Chinois fou dans Le Lotus bleu, qui poursuit Tintin avec un grand sabre en lui assurant qu'il va simplement lui couper la tête.

La fantaisie, l'angoisse, la panique ou l'humour se succèdent dans le récit ; ce qui fait que, comme d'habitude, Anna Dubosc réussit à nous embarquer et nous tenir en haleine jusqu'au bout.

Quidam éditeur, 2023, 170 pages.

Lire aussi les chroniques sur :
- Bruit dedans ;
- Koumiko (dont une édition poche, revue et augmentée, est prévue chez Quidam) ;
- Spéracurel ;
- Nuit synthétique.