mercredi 31 janvier 2024

Psychomagique !

La voie de l'imagination. De la psychomagie à la psychotranse est une synthèse très complète, avec exemples à l'appui, des travaux relatifs à la psychomagie d'Alejandro Jodorowsky.
La genèse, les grands principes et l'évolution de cette pratique sont d'abord rappelés, suivis d'une conférence-démonstration donnée à l’université de Jussieu en 1987 qui s'est terminée par la distribution de cahiers. Les étudiants étaient invités à répondre à de nombreuses questions pour développer la conscience et à réaliser un acte, que le lecteur pourra également effectuer.
Pendant des décennies, notamment dans le café Le Téméraire à Paris (et ailleurs dans le monde), Alejandro Jodorowsky a rencontré des milliers de personnes qui venaient lui demander de l'aide pour tenter de résoudre leurs blocages, conflits, névroses, traumatismes...
Il examinait leur arbre généalogique ou lisait le tarot afin d'identifier leur problème et proposait un acte psychomagique, qui mobilise le corps et l'esprit, pour communiquer directement à l’inconscient.
En échange de cette consultation gratuite, il demandait qu'on lui écrive ensuite une lettre rappelant le problème, l'acte conseillé, la façon dont il avait été réalisé et les résultats obtenus.
La publication de 84 de ces lettres constitue la plus grande partie de cet ouvrage.
Ces témoignages et parcours de vies d'une grande diversité se lisent comme un roman, mais peuvent aussi inviter à l'introspection.
Ce qui frappe, chaque fois, c'est le caractère étrange, osé et radical de certains actes, dont la réalisation demandait un certain courage, et donc une grande volonté de guérison de la part des intéressés.
Et comme par magie, les voilà libérés et pleins de gratitude envers celui qu'ils appellent le Maître, car "Pour notre inconscient, tout ce que nous imaginons est réel."

Actes Sud, 2024, 320 pages.

Oh ! Le style haut, avec ou sans stylo

Pas de nom d'auteur, deux textes et donc deux titres pour un même livre imprimé tête-bêche, pas de pagination : l'objet littéraire surprend et le concept singulier donne à réfléchir.
Les titres sont : Sans son stylo, du côté de la couverture bleu ciel, et Avec mon stylo de l'autre côté, sur fond bleu foncé.
Pourquoi l'auteur* se cache-t-il ? (plus ou moins). Il donne un début d'explication, fort intéressant, sur le site de l'éditeur

"il y a plein de raisons de ne pas mettre le nom de l’auteur sur une couverture. De nombreux livres gagneraient à paraître sans nom d’auteur. Tous, peut-être. L’auteur, c’est rien du tout. Je crois très peu à son autorité. Le livre est souvent au moins autant l’auteur de son auteur que son auteur n’est l’auteur du livre. Relisez ça. Et, en tant que lecteur — je suis aussi lecteur —, il me semble que le nom de l’auteur, très souvent, pollue ma lecture."

C'est tellement vrai !
Évidemment, la surprise ne s'arrête pas là quand on plonge dans le texte : qui est le narrateur ? Un double de l'auteur à la première personne ou un personnage imaginaire ? Le sait-il lui-même ? Est-il atteint d'hallucinations ou de pertes de mémoire quand divers objets disparaissent (ou bien n'ont peut-être jamais existé) : son stylo avant tout, mais aussi un château d'eau, un arbre, sa femme... ?
Si ce n'est pas très clair, cela ne l'empêche pas d'écrire de façon limpide, par circonvolutions pour mieux illustrer ses obsessions. Il réfléchit beaucoup à sa façon d'écrire, avec ou sans stylo, et se soucie — avec ironie — de ne pas perdre les lecteurs, malgré le récit labyrinthique, les mises en abîmes et sa distance avec la réalité. Mais la fiction n'est-elle pas à opposer à la réalité ?
Si ce livre est un audacieux OLNI (objet littéraire non identifié), perturbant et déroutant (où l'éditeur non moins audacieux a joué le jeu), il est aussi plein d'humour  et de jeux de mots. Le texte attise la curiosité car on a tendance à chercher des indices, à vouloir percer les mystères de ce livre où tout est, à la fois, double et en creux, à prendre dans tous les sens.

Éditions DO, 2024, 180 pages.

* Dans la liste des livres du même auteur, on trouve des titres de Philippe Annocque (mais cela reste entre nous), un auteur toujours en recherche de concepts littéraires. Cherchez dans ce blog les autres chroniques en tapant Annocque dans "Rechercher".

lundi 29 janvier 2024

La fille qui murmure à l'oreille des animaux

Virginia Markus est une jeune militante animaliste.
Dans ce récit sur son expérience, notamment au sanctuaire suisse des animaux de l'association Co&xister, elle parle avec passion de la sensibilité des animaux et du lien étroit qu'elle a réussi à tisser avec eux.
Le titre, Ce que murmurent les animaux, fait référence à son rapport étonnant car extrêmement proche et sensible des animaux. En effet, elle est capable de comprendre leur langage, d'entrer en communication avec eux et parfois de recevoir leurs messages en rêve.
Elle raconte avec talent le comportement d'animaux d'élevage (veaux, vaches, cochons, lapins, couvées... dont une poule incroyable !) qu'elle a sauvé de l'abattoir, leur résilience quand ils ne sont plus soumis à des conditions de vie effroyables, leurs capacités exceptionnelles. Non seulement, elle leur apporte beaucoup mais elle apprend et grandit aussi à leurs côtés.

Les animaux m'ont appris la naissance et la mort, l'amour, la joie, la tristesse et la colère. Les côtoyer m'en apprend autant sur eux que sur les rapports entre humains. Et sur moi. À leurs côtés, j'ai appris à percevoir la vie avec davantage d'ouverture, d'humilité et de confiance. Par-dessus tout, ils m'ont amenée à faire fi des étiquettes pour apprendre à connaître autrui au travers du filtre du cœur. Pour porter leur voix au mieux, il a fallu dépasser les clivages.

En effet, elle réussit à transmettre un message sensible de notre façon de vivre avec, ou plutôt d'exploiter, les autres êtres vivants. Elle accompagne également des éleveurs qui souhaitent se reconvertir.
Un petit livre puissant, et vraiment impressionnant, qui change le regard.

Bayard, 2024, 140 pages.

mardi 16 janvier 2024

Restons lucides

Vous êtes éco-anxieux, voire politico-anxieux ? C'est terrible, mais ça pourrait être pire : vous pourriez être dans le déni. Donc vous êtes lucides, ce qui est normal et légitime. C'est le signe d'une bonne santé mentale dans un monde qui ne tourne pas rond. Mais comment faire face et vivre avec sa peur, sa colère, sa tristesse, sa culpabilité ?
Dans Vivre avec l'éco-anxiété l'éco-lucidité, Tanguy Descamps et Maxime Ollivier * proposent une multitude de pistes pour réagir (comme le veut cette collection Je passe à l'acte des éditions Actes Sud). 

Leur message est : "Nous sommes éco-lucides, politico-anxieux et ultra-motivés."
Alors comment s'y prendre ?
Ils répondent en 5 chapitres, croquis à l'appui  : Pourquoi, Se préparer, Se lancer, Tenir bon, Et après.
Pour ne pas céder au fatalisme ou au défaitisme, il faut garder l'équilibre entre le trop et le pas assez écologique dans un monde qui ne l'est pas du tout. On peut réfléchir à notre façon de faire (et notamment de consommer) différemment pour que cela ait du sens. Par exemple, on peut voyager, mais autrement. Il faut aussi trouver de la joie dans notre quotidien, et transformer ou réveiller notre énergie.
Pour résumer, ce livre est un outil, un accompagnement bienveillant pour rester lucide sans céder au désespoir mais avec de l'espérance.
Aussi éclairant que convaincant ! 
 
Actes Sud, collection Je passe à l'acte, 2024, 64 pages, avec des illustrations didactiques d'Orégane Plailly.
 
* Tanguy Descamps et Maxime Ollivier ont également coordonné l'ouvrage très inspirant Basculons ! dans un monde vi(v)able.

lundi 15 janvier 2024

L'effet bascule

Basculons ! Dans un monde vi(v)able se lit de la première à la dernière page avec grand intérêt.
L'ouvrage collectif est coordonné par Tanguy Descamps et Maxime Ollivier. Il rassemble les témoignages d'une trentaine de jeunes de la génération Climat habités par l'envie d'agir. Chacun raconte comment, à sa façon, il ou elle a « basculé », c'est-à-dire pris conscience et pris acte, pour s'engager car réussir sa vie dans un monde qui la détruit n'a aucun sens pour eux.
Inquiets, indignés, révoltés, graves, lucides, mais surtout pleins d'énergie et d'espoir, ils ont la rage de vivre et de construire en commun de nouveaux systèmes pour un monde meilleur, viable et vivable.
Ils sont en quête de sens, regardent l'avenir en face et pensent « collectif ».
En parallèle, des acteurs écologistes des générations précédentes portent un regard sur leurs valeurs et engagements.
Avec de nombreuses pistes et ressources pour réfléchir et s'inspirer.
Concret, joyeux et incitatif : c'est l'effet bascule.

Actes Sud, 2022, 304 pages, avec des illustrations de Romane Rostoll. (voir aussi les vidéos sur le site)

 Cette chronique (à peine modifiée) est initialement parue dans le n°36 du magazine Sans Transition !

mardi 9 janvier 2024

Sa vie est un roman

Réussir, plus ou moins est la troisième partie de l’autobiographie de l'écrivain anglais David Lodge, des années 1992 à 2020.
Après Né au bon moment (de sa naissance en 1935 jusqu'en 1975) et La chance de l'écrivain (de 1976 à 1991), il nous ouvre les coulisses de sa vie et son œuvre, qu'il s'agisse de ses essais, romans, pièces de théâtre ou adaptations. Il est notamment connu pour Thérapie, Pensées secrètes, Les Quatre vérités, Nouvelles du Paradis, L'art de la fiction...
Il raconte donc ses réussites, mais aussi ses difficultés, notamment pour monter des pièces de théâtre ou des séries télévisées, avec les bons acteurs, les bons réalisateurs, etc.
De nature inquiète et pessimiste, mais aussi plein d'humour, il est d'une grande franchise avec lui-même et n'hésite pas à égratigner les autres au passage.
Il raconte donc, au fil de ces années, d'où lui sont venues ses idées, ce qui l'a inspiré (comment il se sert de ses névroses), s'il s'agissait de commandes, de collaborations, si le succès était ou pas au rendez-vous, et pourquoi.
Il y a aussi les voyages, les invitations, les récompenses, et sa vie personnelle, dont il fait un roman.

Rivages, 2023, 284 pages.