samedi 31 octobre 2020

Obsession textuelle

Comme pour ses précédents livres*, l'écriture de Bruit dedans d'Anna Dubosc est addictive : impossible de lâcher ses phrases, son récit, entre roman et réalité, avec une mise en abyme vertigineuse sur le processus d'écriture obsessionnel en train de se construire. 

Je pense au bouquin que je suis en train d'essayer de finir. Il n'y a rien, c'est à chier, j'ai envie de m'enfoncer sous terre. Pourquoi je m'acharne ? Il suffirait de laisser tomber, ce serait tellement reposant. Un matin, je me lèverais et ça en serait fini de la lutte avec les mots. Je serais dans la vie et puis c'est tout. La vie en vis-à-vis, le réel sans soupape. Comme ces gens qui se promènent. Ils sont là, ils sont bien. Ils ne sont pas traqués par des mots, ils ne font pas des phrases dans leur tête.

Nous voilà sans cesse bousculé, surpris, par le récit, le débit, à fleur de nerfs, sur le fil, sur le vif, et par l'écriture crue, cruelle, altruiste, tendue, grave, joyeuse, drôle, tendre, en larmes, en fous rires, au bout du rouleau, au bout du stylo...
Comme pour ses précédents livres, cette écriture semble sortie tout droit de son cerveau pour se poser sur le papier, alors qu'il n'en est rien car elle est travaillée, rythmée, mûrie, posée, et très inspirante : elle donne envie d'écrire.

On avait fait le pacte implicite de ne parler que d'écriture et laisser tout le reste hors-champ, mais l'écriture n'est pas coupée de la vie, elle la fait revenir comme un boomerang.

 Quidam éditeur, 2020, 160 pages.

* Lire aussi mes chroniques sur d'autres livres d'Anna Dubosc :
- Spéracurel
- Koumiko.
- Nuit synthétique.

lundi 26 octobre 2020

Métissage et tissage de mère en fils

Il y a des auteurs qui semblent écrire toujours le même livre. Ce n'est apparemment pas le cas de Philippe Annocque. Pourtant, d'après ce que je connais de son œuvre*, des passages souterrains se faufilent d'un livre à l'autre, notamment dans l'exploration du thème de l'identité ou dans la recherche de formes d'écriture originales, l'air de rien.
Par exemple, Les Singes rouges ont un lien de parenté avec Mon jeune grand-père, où l'auteur relisait et commentait les cartes envoyées par son grand-père paternel lorsqu'il était prisonnier de guerre. Dans Les Singes rouges, il rapporte des souvenirs d'enfance et de jeunesse de sa mère, en Guyane et en Martinique. Ce qui est particulièrement intéressant est sa façon de faire le lien avec sa propre histoire, de mêler ses propres souvenirs, réflexions et commentaires, n'hésitant pas à glisser de l'intertexte dans le texte en train de s'écrire.

Il ne peut pas vraiment le garder mais il ne pouvait pas l'effacer complètement non plus. On n'efface pas les souvenirs des enfants qui font des galipettes.

Il en résulte un savant et réjouissant tissage de niveaux de lecture, avec beaucoup d'humour, de délicatesse et de fantaisie. Malgré cela, le texte reste d'une apparente simplicité : un enfant pourrait le lire ou l'écouter, comme on lui raconterait des anecdotes de famille. J'y retrouve parfois quelques accents durassiens (bien que l'auteur dise ne pas l'avoir lue). 
Les titres des courts chapitres sont à l'infinitif, un mode non conjugué, sans temps ni pronom personnel, mais qui tend vers l'universel.
Curieusement, alors que le narrateur semble très proche de l'auteur — voire est la même personne puisque le texte est autobiographique —, il n'emploie pas la première personne du singulier, mais la troisième, une façon de prendre du recul, de la distance, de se dédoubler et se travestir en personnage de livre. On retrouve le jeu sur le dédoublement dans Élise et Lise, et le jeu sur les pronoms personnels dans le remarquable Liquide écrit à la personne zéro.
Les chutes des chapitres créent la surprise, résonnent en nous et invitent à la réflexion. Ils donnent envie de s'attarder sur ce que soulève le court chapitre. N'est-ce pas le propre de la poésie ou de la philosophie ?
Ce texte est un bijou de littérature. On se laisserait emporter encore pendant des centaines de pages et j'aurais encore beaucoup à en dire. Lisez Annocque !

Quidam éditeur, 2020, 172 pages.

 * Lire aussi :
- Liquide
- Pas Liev
- Elise et Lise
- Vie des hauts plateaux
- Notes sur les noms de la nature
- Seule la nuit tombe dans ses bras

samedi 17 octobre 2020

Que les éco-anxieux se réjouissent !

Vous êtes lucide sur l'état de l'environnement et vous êtes désespéré ? C'est normal. Mais consolez-vous : Laure Noualhat a des remèdes à votre mélancolie et vous les livre dans son essai Comment rester écolo sans finir dépressif.
Cette spécialiste de l'environnement, ancienne journaliste de Libé qui écrit actuellement pour Yggdrasil et Siné, aurait pu intituler son livre Tchernobyl mon amour car elle a dépassé le burn-out écolo. S'appuyant sur les étapes psychologiques et successives du deuil, elle a une vision très réaliste de l'état du monde. Néanmoins, elle redonne espoir à tous les éco-anxieux en insufflant du sens à la vie, notamment par une véritable ode à la nature, à la méditation, etc. Elle imagine également un futur idéal où la loi défendrait mieux l'environnement.
Son cheminement est passionnant, très documenté, et servi par un style vif et plein d'humour : un essai très agréable à lire et réjouissant !

Éditions Tana, 2020, 256 pages.

Cette chronique, que j'ai rédigée initialement pour le magazine Sans transition !, est parue dans le numéro 24 de juillet-août 2020.

Un roman vertigineux et envoûtant

L'édition limitée, réalisée par l'auteur.
Vertige
, le cinquième roman de Pierre-Louis Rivière, est envoûtant et pénétrant. Dans les pas de Joseph, le narrateur arpenteur, nous entrons dans un univers troublant de femmes, présentes et absentes à la fois, fantomatiques.
Une morte est retrouvée dans la terre rouge : sera-t-elle ou non Henriette, la propriétaire de la maison que Joseph investit et fait revivre ? Pendant ce temps, la sœur jumelle de Joseph, Agathe, est dans le coma, telle une Belle au bois dormant. Sa fiancée Nora est partie et l'a laissé comme une statue de sel. Enfin, un jour, l'énigmatique Clarisse lui rend visite dans cette maison isolée dans la forêt. Pourquoi vient-elle ?
La maison et la forêt sont deux autres personnages à part entière du roman, vivantes, protectrices et menaçantes, chargées de secrets et de souvenirs.
Mais les terrains glissent, les tempêtes passent sur le monde et les hommes, changent la donne. Les histoires glissent aussi, se superposent et se télescopent, entre réminiscences du passé et présent. Les personnages échangent leurs destins...

Parfois le soir, la pluie farine jusqu'à s'interrompre, et derrière les vitres vous contemplez enlacés la brume qui descend, s'avance entre les arbres, efface un instant la forêt et fait surgir des êtres sombres, fantomatiques.

Éditions Poisson rouge, 2020, 190 pages.

Lire aussi :
- un entretien avec Pierre-Louis Rivière ;
- Todo mundo ;
- Clermance Kilo, voyante extralucide ;
- Le Vaste monde
.

Une année (à venir) de bonheur !

Je fais partie de celles et ceux qui aiment le papier et les agendas dans lesquels on gribouille et qui vous accompagnent partout. C'est le compagnon d'une année, alors autant qu'il soit pratique et joli. Et si en plus il fait rêver, inspire et donne de bonnes idées, c'est le bonheur assuré.
Voici deux beaux agendas.
Chris Martin-Passalacqua a rédigé les textes qui animent son Agenda du bonheur (éditions Grancher, 13,95 euros) avec une foule de conseils sur une hygiène de vie à pratiquer saison par saison, des petits conseils à mettre en pratique pour voir la vie du bon côté, mois par mois, des citations positives et poétiques chaque semaine...
Chris martin est autrice de livres et tient le blog Nana Turopathe.

On peut aussi passer une très belle année en compagnie des arbres (j'ai déjà personnellement parlé du pouvoir extraordinaire des arbres) avec un agenda Arbres poétique, instructif, engagé et joliment illustré (éditions Tana, 14, 90 euros). Il est rédigé par deux paysagistes, Lucile Chapsal et Lise Saporita (qui ont fondé l'agence Les Cueilleuses de paysage), en partenariat avec l'association Les planteurs volontaires. Cette dernière propose des chantiers participatifs pour planter des arbres collectivement.
Toute l'année, des conseils sur comment planter les arbres soi-même ou par l'intermédiaire d'une association, comprendre la forêt, en savoir plus sur des espèces du monde entier et celles qui nous entourent et des adresses pour aller en voir de près dans les arboretums. L'univers visuel, très réussi, a été concocté par Mon Petit Art qui conçoit et fabrique de la jolie papeterie et des jeux.
Bon bain de forêt !

dimanche 4 octobre 2020

Embarquez avec Sea Shepherd !

Passionné de plongée sous-marine et du monde marin, Guillaume Mazurage rencontre le capitaine Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, ONG de défense des océans.
Il embarque alors à bord d'un navire de l'organisation écologiste pour une expédition de sauvetage du marsouin vaquita, en voie d’extinction, qui périt d'étouffement dans des filets qui ne lui sont pas destinés.
D
e cette aventure et d'une enquête approfondie, il crée sa première bande dessinée, très réussie, guidé par des maîtres en la matière : le scénariste Pierre Christin et le dessinateur Jean-Claude Mézières.
L'album est donc le récit de la vie à bord de ces éco-pirates, qui jouent aussi le rôle de police des mers, et de leur combat quotidien et périlleux contre la mafia.
Une BD captivante comme un documentaire et digne des grandes aventures à la Moby Dick.

Éditions Robinson, juin 2020, 56 pages.

Cette chronique, que j'ai rédigée initialement pour le magazine Sans transition !, est parue dans le numéro 24 de juillet-août 2020.