lundi 20 février 2023

Voyage en 912 pages en littérature

Dans la collection L'abeille de Plon (version poche) et des dictionnaires amoureux, celui sur les écrivains et la littérature a été rédigé par Pierre Assouline.
L'incipit de l'avant-propos est paradoxal : "Ce n'est pas pour me vanter, mais je hais les livres" alors que le journaliste (qui a dirigé le magazine Lire et tient le blog La République des livres), romancier et biographe ne vit que par et pour les livres. Il explique plus loin que s'il les hait, c'est certainement parce qu'ils leur voue une véritable passion, trop intense.
Il a notamment obtenu en 2007 le prix de la langue française qui récompense « l'œuvre d'une personnalité du monde littéraire, artistique ou scientifique qui a contribué, de façon importante, par le style de ses ouvrages ou son action, à illustrer la qualité et la beauté de la langue française ».
À propos des dictionnaire, il écrit :

Je ne sais plus qui a lancé le premier qu'un dictionnaire était un roman dont tous les mots étaient dans l'ordre. Michel Tournier disait souvent, dans le même esprit, que le dictionnaire est un grenier à mots avec un mode d'emploi pour chacun d'eux. Un dictionnaire, c'est l'univers en pièces détachées. On en connaît qui lisent les dictionnaires comme s'ils étaient atteints d'un trouble obsessionnel compulsif bien particulier : de la première à la dernière page, dans l'ordre, et sans en sauter une seule. Il faut croire que cela raconte une histoire.

En tout cas, cela raconte une relation particulière entre l'auteur et les autres auteurs, une relation et une sélection toutes subjectives, et même injustes puisque des écrivains qu'il admire manquent à l'appel, tels Claude Simon ou Nathalie Sarraute, comme ceux qu'il a écarté car membres du jury du Goncourt, comme lui.
Singulière relation car son dictionnaire traite des sujets selon un angle original, plein d'humour, parfois du point de vue des coulisses ou de l'anecdote piquante.
De A à Z, de l'Académie française à Stefan Zweig, c'est un merveilleux et pittoresque voyage en littérature.

Plon, 2022, 912 pages.

vendredi 17 février 2023

Le célibat sans tracas

Il y a 18 millions de célibataires en France, soit une personne sur 5, et une bonne partie qui le vit mal (comme Bridget Jones).
C'est à ceux-là que s'adresse le guide pratique de Charlotte qui a pour titre Célibataire Mode d'emploi et pour sous-titre : Le célibat c'est comme la vie : parfois c'est très cool, parfois c'est très chiant. (Une formule qui fonctionne aussi avec le couple.)
Le ton est donné : cool, plein d'humour et pas du tout chiant.
L'idée est donc d'atténuer le côté chiant, de moins subir la situation (temporaire ou pas), d'en finir avec la pression sociale, les idées reçues, les petites réflexions assassines... (pleines de bonnes intentions ?).
L'autrice de 34 ans donne une foule de conseils pour répondre à sa grand-mère, à ses potes, etc., ou comment passer d'agréables moments seule (avec une belle liste de "trucs cool à faire en solo chez soi" ou à l'extérieur, etc.).
Il s'agit donc de profiter de la vie et de sa liberté (voire de la garder), de faire des rencontres (avec notamment les applis et leur bonne gestion), d'entretenir de bonnes relations (et fuir les toxiques, évidemment).
Charlotte fait une synthèse de tous les thèmes abordés et échanges avec les lectrices-abonnées (plutôt des filles hétéros) de son compte Instagram @lacelibataire_lavraie (on n'en sait pas davantage sur son vrai nom et ce qu'elle fait par ailleurs, mais cela n'a pas d'importance). Ses propos sont illustrés de sympathiques dessins d'une autre autrice énigmatique : @latrentainetmtc.

Pour autant, il n'y a pas de recettes ni de modes d'emploi mais juste un élargissement des idées, des mentalités et de l'état d'esprit.
Non, ce n'est pas la honte d'être célibataire.
Oui, il y a une vie épanouie hors du couple sans pour autant se transformer en célibattante.

Mango éditions, collection Society, 2023, 176 pages.


lundi 13 février 2023

15 nouvelles piquantes

Une quinzaine d'histoires courtes et très variées sont rassemblées dans ce recueil de Christian Navaro-Vera et créent la surprise : on ne sait jamais à quoi s'attendre.
D'une nouvelle à l'autre, on ne s'ennuie jamais : non seulement elles sont très bien écrites mais on change d'époque (dans le passé ou le futur), de pays (Russie, Vietnam, Italie, Inde), de genre... 
On rencontre ainsi des écrivains, un philosophe, un journaliste, un tueur à gages, des orpailleurs, mais aussi des girafes et des fourmis, Montaigne et Isaac Newton !
Elles sont parfois un peu sombres, d'où le titre du recueil, Idées noires sur feuille blanche, mais plutôt cyniques ou piquantes. En effet, l'auteur est sans pitié pour ses personnages et souligne leurs travers, avec beaucoup d’humour et d'auto-dérision.
On sent que Christian Navaro-Vera a pris plaisir à écrire et nous prenons plaisir à le lire !

Recueil édité à compte d'auteur, avec des dessins de Jacky Bretaudeau, et principalement vendu à la librairie Montfort de Vaison-la-Romaine, 2022, 182 pages, 14 euros.

samedi 11 février 2023

Une porte ouverte sur l'œuvre d'Annie Ernaux

Si j'avais lu la 4e de couverture (ce que j'évite de faire, souvent), j'aurais tout de suite appris que ces 12 textes brefs (mais pourquoi ne pas les appeler des "nouvelles" ? parce que ce sont des récits autobiographiques ?) étaient extraits du volume Écrire la vie d'Annie Ernaux.
Pour deux euros, cela valait le coup de les relire. Ils sont très bien choisis car reflètent parfaitement l'œuvre, comme une porte ouverte qui donne envie de lire et relire le volume entier.
Les thèmes essentiels de son œuvre sont ici réunis : souvenirs d'enfance, de sa mère, d'amours, de jalousie, d'engagement politique...
Cela commence par Hôtel Casanova qui donne son nom au petit recueil : l'histoire d'une liaison d'amour physique.

Et dans chaque geste, dans chaque étreinte ensuite, il y a eu quelque chose de lui et de l'hôtel Casanova, comme une substance invisible unissant des hommes et des femmes qui ne rencontreront jamais.

Histoires est un souvenir d'enfance cruel et triste.

J'ai raconté cet épisode de mes dix ans pour comprendre un peu pourquoi j'avais envie d'écrire, mais cela ne fait jamais qu'une histoire de plus.

Gallimard, collection Folio n° 6778, 2022, 98 pages.

Autres chroniques sur ce blog :

- Écrire la vie.
- L'autre fille.
- Les Années Super 8, Le jeune homme et Retour à Yvetot.
- L'Usage de la photo.

vendredi 10 février 2023

Lire (ou pas), relire Proust, aborder Proust

Cent ans après sa mort, en 2022, on parle toujours de Proust, on écrit sur Proust, et on le lit (ou pas), on le relit (haha !), on fait semblant de le lire ou on rêve de le lire sans trop comment s'attaquer à la montagne.
Robert Proust, le frère de Marcel, disait d'ailleurs : "Le malheur c'est qu'il faut que les gens soient très malades ou se cassent une jambe pour avoir le temps de lire la Recherche". Sympa le frérot. Non, on peut y aller petit à petit et se laisser envoûter par le style si précis et évocateur de Marcel.
Les éditions Larousse éditent notamment deux beaux livres : une réédition (de luxe) des Plaisirs des jours, la toute première œuvre de jeunesse, écrite à 25 ans et publiée, qui contient déjà les thèmes de prédilection de l'auteur : le milieu mondain, l'art, la musique, la jalousie.
À lire comme les prémisses d'une grand œuvre à venir.

Dans l'autre beau livre, intitulé À la recherche de Marcel Proust en BD, Jean-Baptiste Éloi s'appuie sur la bande dessinée de Stéphane Heuet, Du Côté de chez Swann (éditions Delcourt et propose de découvrir les lieux, personnalités artistiques et littéraires que fréquentait l'écrivain. Du Combray de l'enfance au monde de Swann et Odette, jusqu'à Balbec en passant bien sûr par la vie parisienne.

Il y avait aussi une très belle expo à la BNF, Proust, la fabrique de l'œuvre, où l'on pouvait notamment voir ses brouillons, ses fameuses paperoles et ses corrections sur épreuves (l'enfer de l'éditeur ou de l'imprimeur).

Inutile de tomber malade ou de vous casser une jambe, mais lisez, relisez ou laissez-vous glisser dans son univers.

Éditions Larousse, 2022, 128 et 224 pages.


mercredi 8 février 2023

Des nouvelles d'une grande modernité

Katherine Mansfield (1888-1923) est une nouvelliste venue de Nouvelle-Zélande, qui a étudié et vécu en Europe et qui est décédée près de Paris, à Avon. Elle a mené une vie très libre pour l'époque (à tel point que sa mère l'a déshéritée) et a succombé à une tuberculose à l'âge de 35 ans.
Virginia Woolf a écrit d'elle : "Elle nous apportait la simplicité et la fraîcheur. Ses livres, comme son regard, incarnaient la jeunesse."
Et à sa mort : "Je ne voulais pas me l'avouer, mais j'étais jalouse de son écriture, la seule écriture dont j'aie jamais été jalouse. Elle avait la vibration."
Les éditions de l'Aube viennent de rééditer, cent ans après sa mort, cinq de ses nouvelles dans un recueil : Révélations et autres nouvelles.
On dit qu'elle a révolutionné la nouvelle parce que ses textes n'ont pas forcément d'intrigues. Ces nouvelles qui ne datent pas d'hier ont un petit air désuet parce qu'elles parlent d'une époque, mais elles sont d'une grande modernité. Katherine Mansfield décrit avec une grande finesse et de manière très vivante ses personnages, leurs émotions, leurs pensées.
Dans Psychologie, il est question de ce moment, juste avant une relation, où deux personnages se donnent rendez-vous, ont envie de se voir et n'osent pas aller plus loin. Ils s'auto-sabotent et s'en veulent.
Dans La petite institutrice, une jeune fille voyage seule. Elle est confrontée à la méchanceté et à la grossièreté des hommes — une situation qui n' pas pris une ride non plus.
Une révélation.

Éditions de l'Aube, collection Mikros classique, 2023, 112 pages.

La collection Mikros classique a pour objet de proposer des œuvres françaises et étrangères issues du domaine public, véritables pépites littéraires, souvent injustement oubliées.

Le 77 porte doublement bonheur

Pour ses 77 ans, la toujours très jeune Susie Morgenstern imagine et nous propose un carnet intime du bonheur avec 77 bonjours 77 bonheurs.
Susie est comme nous, mais en plus créative : elle se demande qui elle est, c'est quoi la vie, le bonheur, comment améliorer et enrichir le quotidien ?
Elle se le demande et elle trouve des pistes pour simplifier la vie, la rendre plus pétillante, étonnante, rayonnante... et bien d'autres superlatifs comme elle les aime.
Elle nous y invite — et y réussit — avec ce livre qu'elle juge ambitieux : elle nous bouscule gentiment et nous propose un merveilleux programme pour nous faire chanter, danser, interroger, découvrir, profiter, oser dire non, aimer... pour mordre la vie à pleines dents, et surtout avec le sourire !
Avec elle, le bonheur, c'est simple comme bonjour !
Elle nous propose donc 77 petites activités ou interrogations pour rendre notre vie plus créative et joyeuse, à faire, à noter, à dessiner, à gommer, à réécrire... sur un album souple comme un cahier grand format, intime et compagnon de tous les jours. 

Qu'est-ce que le fun pour nous ?
Épicer sa cuisine.
Faire peau neuve en faisant une liste de ses erreurs et en pensant à qui pardonner.
Imaginer une recette de l'amitié.
Partager plein de choses.
Oser plein de choses.


Les belles illustrations sont réalisées par Atieh Sohrabi.
On peut le remplir et le compléter à tous les âges, de 7 ans à bien plus que 77 ans.
Merci merveilleuse Susie !

Saltimbanque éditions, 2022, 112 pages.

mercredi 1 février 2023

Lost in Tokyo

Dans Alone in Tokyo de Thierry Clech, le narrateur, critique de cinéma, part au Japon pour interviewer un maître du cinéma japonais et une grande actrice française, Aurore Granger (un nom Durassien), sur le tournage du film Alone in Tokyo.
Il cherche aussi à échapper aux déstabilisantes visites dominicales à sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, dans sa maison de retraite.
Perturbé par le décalage horaire à Tokyo et sans repères, la nuit, il déambule dans les rues autour de son hôtel, décrivant de grands cercles pour éviter de se perdre. Il reste endormi et loupe le rendez-vous avec Aurore Granger. 

Photo de Thierry Clech, 2022.

Puis la terre tremble et c'est le chaos. Il part à la recherche de l'actrice.
Le narrateur nous entraîne dans ses déambulations physiques et mentales, toujours à la lisière entre réel et fiction (dont le tournage du film), cauchemar, imagination et fantasmes, dans cette ville comme un décor, surtout quand on n'en comprend pas la langue, comme dans Lost in translation.
L'auteur a été lui-même critique aux Cahiers du cinéma, scénariste et photographe (voir son site).

Serge Safran éditeur, 2023, 176 pages.

Photo de Thierry Clech, 2022.