samedi 28 mai 2022

George Orwell, auteur visionnaire

Titrer que George Orwell est un auteur visionnaire frise le pléonasme.
Mais j'insiste. Je suis arrivée à ce livre car Deborah Levy, dans son Autobiographie en mouvement disais qu'elle répondait au texte de George Orwell : Pourquoi j'écris.
Dans ce recueil sont rassemblés six textes de l'auteur de 1984. On le savait visionnaire avec cette œuvre de science-fiction qu'on lisait avec horreur et qu'on voit se réaliser sans trop broncher.
Mais son génie va au-delà : il était un auteur lucide, un journaliste politique (de son vrai nom Eric Arthur Blair). Et avant cela a vécu dans la dèche, notamment à Paris.

Je le répète, il n'y a pas de livre dénué de préjugé politique. L'idée selon laquelle l'art ne devrait rien avoir affaire avec la politique constitue elle-même une opinion politique.

Parmi ces textes, ses écrits sur la guerre civile espagnole, dans laquelle il s'était engagé en 1936 dans les rangs républicains, font écho à celle qui frappe à nos frontières en ce moment.
Son récit d'un séjour dans un hôpital parisien fait froid dans le dos.
Tout cela pour dire que presque rien n'a changé : si tout est politique, l'argent et le capitalisme mènent le monde.
Mais revenons au thème de l'écriture :

Je n'ai pas écrit de roman depuis sept ans, mais j'espère en écrire un autre avant longtemps. Ce sera forcément un échec, car tout livre est un échec, mais j'ai une idée assez claire du genre de livre que je veux écrire.
À relire ces derniers paragraphes, je m'aperçois que j'ai pu laisser croire à la nature purement citoyenne de mes motivations d'écrivain. Je ne voudrais pas que s'installe durablement pareille impression. Tous les écrivains sont vaniteux, égoïstes et paresseux, et, au plus profond de ce qui les motive, gît un mystère. Écrire est un combat affreux et épuisant, pareil à celui qu'on livre contre une longue et douloureuse maladie. Jamais on ne se lancerait dans une entreprise pareille si l'on n'y était poussé par quelque démon auquel il est impossible de résister ou de comprendre quoi que ce soit.

Un texte qui fait aussi écho au Parfum des fleurs la nuit de Leïla Slimani. 

Folio n° 7026, 2022, 144 pages.

Pourquoi j'écris

Il suffit de peu (ou beaucoup) pour croiser un livre. Dans la même semaine, un ami me raconte sa découverte de Leïla Slimani et je tombe sur un texte de Pedro Almodovar, dans Telerama, où il parle d'écriture et de sa lecture de Leïla Slimani. Il n'en fallait pas plus pour me donner envie de lire Le parfum des fleurs la nuit.
J'aime ces livres où les écrivains tentent d'analyser leur besoin d'écrire, le pourquoi du comment et le comment du pourquoi.
L'autrice y raconte cette expérience proposée par la Fondation Pinault de passer une nuit, seule, enfermée dans un musée : la Punta della Dogana à Venise.
Et les fantômes surgissent des ténèbres.
Enfermée de son plein gré, elle pense à son père qui a été emprisonné à tort, puis réhabilité après sa mort. Elle pense à la liberté de l'écrivain, même enfermé. Elle pense que si elle écrit, c'est pour rétablir une forme de justice.

Écrire a été pour moi une entreprise de réparation. Réparation intime, liée à l'injustice dont a été victime mon père. Je voulais réparer toutes les infamies : celles liées à ma famille mais aussi à mon peuple et à mon sexe. Réparation aussi de mon sentiment de n'appartenir à rien, de ne parler pour personne, de vivre dans un non-lieu.

Folio n°7073, 2022, 160 pages.

mardi 3 mai 2022

Plonger en eaux troubles

Sous l'eau est un roman trouble et troublant de Deborah Levy qui nous donne à voir la surface et nous invite à plonger en profondeur, surtout quand l'eau n'est pas claire.
Une jeune fille, belle et fantasque, vient troubler les vacances d'un poète anglais dans la villa qu'il a louée sur la Côte d'Azur avec sa famille et un couple d'amis. Botaniste et poétesse en herbe, elle est fan du poète, possède tous ses livres et veut lui faire lire un poème qu'elle a écrit, intitulé Sous l'eau.
On ne l'attendait pas ; elle est inattendue.
Elle va troubler leurs vacances, troubler l'eau de la piscine, troubler les autres par sa beauté et son extravagance. Imprévisible, est-elle folle ? Originale ? Talentueuse ? Déterminée ? Suicidaire ? Exhibitionniste ?
C'est comme si chaque personnage était à son point de bascule — ou de rupture — et avait décidé que tout devait se jouer pendant ces vacances, sous le soleil ardent de l'été méditerranéen.
Le mystère et la tension planent sur ce roman jusqu'au dénouement, inattendu.

Points, traduit par Pierre Ménard, préface de Chantal Thomas, 2021, 192 pages.

Lire aussi la chronique sur l'autobiographie en mouvement de Deborah Levy.