dimanche 31 décembre 2017

Dialogue imaginaire avec la mère

Il y a des livres qui vous passent entre les mains par hasard. Et parfois le hasard fait bien les choses.
Dès les premières pages, l'attention est happée par des sujets douloureux et difficiles, abordés avec un style simple, qui va droit au but, parfois de façon abrupte et crue, mais si juste.
Je découvre Stéphane Corbin, pourtant actif et engagé sur les scènes musicales et théâtrales, avec ce premier livre : Nos années parallèles.
Les chapitres se succèdent, sobrement numérotés et intitulés "Elle" ou "Lui". Ce sont les voix d'une mère et de son fils, le narrateur, qui correspondent dans une communication profonde et douce, au-delà de la mort, pas vraiment un dialogue, ou bien imaginaire.
Le récit, triste et vivant, est probablement autobiographique pour l'auteur qui imagine la voix de sa mère trop tôt disparue, emportée par la maladie alors qu'il était en pleine jeunesse et cherchait sa voie.
Des textes courts, sur des souvenirs cuisants, douloureux, des regrets, d'autres plus joyeux ou attendrissants, dessinent par petites touches un lien mère-fils, et surtout deux parcours pleins de force et d'espoir.
Un émouvant hommage.

Éditions Lamao, 2017, 80 pages.

lundi 11 décembre 2017

Love, etc.

Après Outre-Mère, Dominique Costermans revient avec un recueil de dix-sept nouvelles sur l'amour : En love mineur.
Un thème délicat, difficile, autant dire un défi que l'autrice belge relève brillamment en glissant de façon inattendue sur des variations de tons, pas toujours romantiques, parfois nostalgiques, tendres ou drôles puisque de l'amour à l'humour, il n'y a qu'un léger pas de côté.
Au risque de décevoir ses lectrices — ses lectrices forcément. Son fonds de commerce, c'était plutôt la célébration du quotidien, la tension amoureuse, les étincelles. Le juste avant. Ou alors, la faille, le trou, les parallèle qui ne se rejoignent jamais. Pire que le tragique : le désespéré. 
Oui, les histoires d'amour finissent mal, en général, en tout cas pas tout à fait comme on l'aurait souhaité.
— Mais comment ça va se terminer, cette histoire ?
— Mal. Par un baiser peut-être.
— C'est ça que tu appelles mal se terminer ?
L'amour prend toutes les formes : physique, maternel, espiègle, solidaire, comme ce très matinal voyage en train aux côtés des ouvrières en colère. L'amour donc, mais aussi les voyages, l'écriture, etc.
Car avant tout, Dominique Costermans cultive l'amour des mots pour raconter des histoires, des petits moments de vie quotidienne, captés prestement, vifs et lumineux. Des craques, peut-être, où l'on se laisse volontiers prendre.

Éditions Quadrature, 2017, 118 pages.
Excellente nouvelle : depuis leur création en 2005 en Belgique, les éditions Quadrature sont entièrement dédiées à la publication de nouvelles.

Le site de Dominique Costermans.

mardi 5 décembre 2017

Des prostituées vues par des hommes

Mireille Dottin-Orsini et Daniel Grojnowski, dans L'imaginaire de la prostitution - De la Bohème à la Belle époque, répertorient et analysent une grande variété de documents, artistiques (littérature, peinture, opéras...) ou officiels (études de médecine ou rapports de police), qui ont traité de la prostitution au XIXe siècle.
À l'époque de Zola, Maupassant, Degas, Mérimée, Baudelaire... la façon dont ces œuvres ont représenté la prostitution et les prostituées a nourri un imaginaire collectif qui perdure de nos jours.
Le naturalisme en vogue alors, avec le succès de Nana en littérature, incite parfois de jeunes auteurs à forcer le trait d'une certaine prostitution jusqu'à l'outrance, probablement aussi pour se faire connaître en recherchant le scandale, malgré la censure et le risque de poursuites.
Soulignons que les auteurs de ces œuvres sont majoritairement des hommes, face au quasi silence des concernées.
L'essai, passionnant et abondamment documenté, met donc en exergue l'exercice d'une violence ordinaire et la domination masculine qui s'étend à bien d'autres domaines.

Éditions Hermann, 2017, 268 pages.

Lire aussi mes chroniques sur :
- Elles de Sophie Bouillon ;
- La Dérobade de Jeanne Cordelier.

lundi 4 décembre 2017

Un homme à vau-l'eau

Toute cette histoire, a repris le juge, c'est d'abord la vôtre.
Oui. Bien sûr. La mienne. Mais alors laissez-moi la raconter comme je veux, qu'elle soit comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit, parce que je n'ai pas comme vous l'attirail du savoir ni des lois, et parce qu'en la racontant à ma manière, je ne sais pas, ça me fait quelque chose de doux au cœur, comme si je flottais ou quelque chose comme ça, peut-être comme si rien n'était jamais arrivé ou même, ou surtout, comme si là, tant que je parle, tant que je n'ai pas fini de parler, alors oui, voilà, ici même devant vous il ne peut rien m'arriver, comme si pour la première fois je suspendais la cascade de catastrophes qui a l'air de m'être tombée dessus sans relâche, comme des dominos que j'aurais installés moi-même patiemment pendant des années, et qui s'affaisseraient les uns sur les autres sans crier gare.
Article 353 du code pénal de Tanguy Viel est un huis-clos dans le bureau d'un juge. Le narrateur, Martial Kermeur, expose factuellement comment il en est arrivé à jeter Antoine Lazenec à la mer. En même temps qu'il se confie, il cherche lui-même à comprendre et trouve une oreille attentive et bienveillante en la personne du juge, qui cherche à savoir — comme nous  — pourquoi et comment.
J'ignore si tous les juges sont aussi compréhensifs que celui-là, qui semble même agacé par la situation dans laquelle s'est fourré son accusé :
Kermeur, bon sang, Kermeur, mais qu'est-ce qui vous a pris ?
Et, dénouement final, on apprendra aussi quel est ce fameux article 353 du code pénal.
Un roman très prenant et bien écrit, où il est question de justice, de providence, de destin et d'espoir dans un monde tristement banal et injuste en temps de crise.

Éditions de Minuit, 2017, 176 pages.