samedi 30 avril 2016

D'autres facettes de la vie de Fawcett

Les éditions Impeccables insistent sur l'aspect matériel, sensible et sensuel de leurs livres, au nombre de treize à ce jour. Leurs couvertures soignées, graphiques et mates, réservent des surprises jusqu'aux rabats qui les prolongent.
La couverture réserve des surprises jusqu'aux rabats.
Un des premiers livres inscrits au catalogue est celui de Malek Abbou avec Vies de Percy Harrison Fawcett, Du chien-tigre à double-truffe aux lianes de l'illimité solaire.
L'auteur s'intéresse aux mystères et aux mythes qui entourent la vie de l'explorateur britannique Percy Fawcett qui disparut vers 1925 dans la jungle amazonienne à la recherche de civilisations perdues.
Au gré des rencontres et des avancées des découvertes, le narrateur apporte de récents compléments d'information et peut-être de nouvelles pistes sur ces expéditions finalement moins farfelues qu'il n'y paraîtrait.
À l'énigme de Fawcett s'ajoute ce narrateur insaisissable qui signe "M." et envoie son histoire à une femme, à qui il promet une autre forme de voyage.
Si ce récit vous parvient, mon amie, c'est que j'aurai cédé comme à un biscuit au désir de l'illimité solaire. C'est qu'un événement que j'ai peine à vous décrire a bien eu lieu. C'est que je garde sur le feu une bouilloire pour vous faire connaître demain, le chant des yeux.
Des documents (photos et cartes) d'époque de Percy Harrison Fawcett viennent attester le récit, ainsi qu'une dépêche AFP de 2008 sur la découverte, grâce aux techniques GPS et aux images satellitaires, d'une ancienne civilisation urbaine et de tribus encore non répertoriées en forêt amazonienne.
Bienvenue dans le monde du secret et de l'invisible !

Éditions Impeccables, 2011, 48 pages.

mercredi 27 avril 2016

L'amour aux temps du virtuel

Illustration de Pablo Harymbat,
dit Gualicho.
On ne sait pas grand-chose de l'écrivain argentin qui se cache derrière le pseudo J.P. Zooey, un peu comme ses personnages du roman Te quiero : Bonnie & Clyde, Gros Marxxx, Moe! ou Plume_d'ange.
Zooey est une référence à Franny et Zooey de J.D. Salinger, et pourquoi pas un clin d'œil à l'actrice Zooey Deschanel, d'autant que le chat de Bonnie s'appelle Deschanel. Les références littéraires sont nombreuses : Boris Vian, Tao Lin, mais aussi Faulkner, Thomas Mann, Saint-Exupéry...
C'est fastoche, la littérature postmoderne, n'importe qui peut prendre son plus beau cynisme et un petit air narquois, n'importe qui peut faire de l'autodérision. Faudrait relire les grands, Faulkner, Stendhal, Thomas Mann, eux ils savaient soutenir un propos pendant trois à cinq cents pages. Aujourd'hui, tout le monde veut être malin et second degré. Malin mais mort. Tous morts. 
Te quiero (Je t'aime en espagnol) est l'histoire d'amour de deux jeunes geeks qui se rencontrent sur Internet, d'abord, et qui communiquent par mails, textos, tchat, WhatsApp, Facebook, Skype...
Lorsqu'ils se rencontrent réellement, ils ont un peu de mal à tenir une conversation qui ne soit pas décousue et truffée de rêves surréalistes, d'envies sans suite, mais d'une grande inventivité. Tous deux atteints de troubles du comportement, leur équilibre semble précaire, ce qui crée une tension et un mystère dans l'intrigue.
Dans cet univers étrange et virtuel, la réalité s'ancre dans la consommation avec des citations de noms de marques internationales, le détail des menus et boissons, et aussi des indications précises de lieux : bars, rues, itinéraires dans les quartiers de Buenos Aires.
Te quiero est une chronique actuelle et délirante qui aurait pu continuer pendant des pages et des pages sur ce fil tendu, mais l'auteur décide soudain d'y mettre un point final : "On peut s'arrêter là."

Te quiero, suivi de Tom et Guirnaldo, traduit de l'espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud, éditions Asphalte, 2016, 144 pages.
Et comme toujours chez Asphalte, la playlist choisie par l'auteur, J.P. Zooey lui-même.

jeudi 21 avril 2016

Les Inaperçus, une remarquable petite maison d'édition

Le principe des éditions Les Inaperçus est de faire se rencontrer un poète et un plasticien pour créer une alchimie entre leurs univers, une œuvre commune et originale.
Le sixième ouvrage suscité par la maison s'intitule Or, il parlait du sanctuaire de son corps. Il réunit les textes de Mathieu Riboulet, cinéaste et écrivain (par ailleurs édité chez Verdier, Gallimard, Maurice Nadeau), et les gravures de Frédéric Coché, également auteur de bandes dessinées et peintre.
Le magnifique texte de Mathieu Riboulet se lit lentement, avec respect et délectation, tant son style est poétique, profond et léger. Limpide. Il pourrait nous entraîner dans n'importe quelle histoire, on le lirait toujours avec un intense plaisir.
Son sujet, justement, est aussi original qu'extrêmement connu puisqu'il est question de cette histoire vieille de deux mille ans, celle de Jésus, et de l'histoire actuelle sur ces mêmes terres où il vécut.
Le texte est une sorte de réflexion, un voyage aussi, sur ce que l'on sait — ou du peu que l'on sait — sur ces événements mystérieux qui ont marqué les esprits, ont été racontés tant et tant de fois et sont parvenus jusqu'à nous. C'est autour et dans les interstices de l'histoire que le texte navigue tranquillement, en insistant sur ces personnages à peine évoqués dans les textes, en marge des noces de Cana ou de la résurrection de Lazare.
On ne sait rien de la naissance ni de la mort, on ne sait rien de la parole ni du pays, sinon que ce dernier, à l'heure où j'écris, est un théâtre où le sang coule dans l'ombre des oliviers, le murmure des eaux rares, le détachement du vent. Le sang épais et tiède des hommes bruns, circoncis, acharnés, léger et pâle des enfants frêles, fluide et chaud des femmes muettes, obstinées, courageuses. Rien ne change, sinon l'échelle.
De même, les gravures de Frédéric Coché nous plongent dans un univers onirique, imaginaire, avec des personnages étranges, ou bien des paysages immenses et familiers, comme on pourrait en voir dans les plaines françaises ou bien ailleurs dans le monde. On s'y attarde, on scrute les détails, on cherche à en interpréter les scènes, à en percer les mystères.
Or, il parlait du sanctuaire est un livre singulier, original, rare et précieux, c'est-à-dire d'une grande valeur artistique car tout à fait abordable (14 euros).
Ce n'est qu'un aperçu des Inaperçus, mais assurément cette petite maison d'édition créée en 2011 vaut davantage qu'un simple coup d'œil.   

Éditions Les Inaperçus, 2016, 58 pages.

mardi 12 avril 2016

États de sièges

Un format original,
de 12 x 27,5 cm, tout en hauteur.
Asseyez-vous est le nouveau livre* de Didier Cornille aux éditions Hélium.
Les passionnants ouvrages de ce professeur de design et créateur de meubles et luminaires s'adressent aussi bien aux petits qu'aux grands : instructifs, ils vont à l'essentiel et sont joliment illustrés (les dessins originaux sont exposés du 13 avril au 13 mai au Musée de Poche à Paris).
Cette fois-ci, il s'agit de sièges — chaises, tabourets, fauteuils, pliants, bancs publics...) des XX et XXIe siècles classés selon leurs formes décoratives, pratiques, efficaces, confortables, ingénieuses, sportives, inventives, artistiques, durables ou pour le plein-air...
 
La chaise Hill House
de l'architecte écossais Mackintosh.
Plus d'une cinquantaine de modèles sont présentés, de la superbe chaise Hill House (ci-contre) créée en 1902 par Charles Rennie Mackintosh aux cent chaises fabriquées manuellement en cent jours, en 2006 et 2007, par Martino Gamber avec des matériaux recyclés.
De courtes histoires sur l'objet et leur créateur accompagnent les présentations.
Vraiment bien fait et passionnant.

Éditions Hélium, 2012, 128 pages.

*Voir aussi ma chronique sur Toutes les maisons sont dans la nature du même auteur aux mêmes éditions.

 Tout savoir sur l'expo des dessins originaux et de certains modèles de sièges au Musée de Poche.

samedi 9 avril 2016

Brave Margot pleine de bravoure

Avec Marguerite n'aime pas ses fesses, Erwan Larher signe un roman à la fois réaliste, cynique et drôle sur le monde contemporain et... plutôt "zinzin". La comédie familiale se mêle aux obsessions sexuelles et aux complots politiques, talonnés par l'enquête policière. Sur un rythme de plus en plus haletant, les scènes, très cinématographiques, s'enchaînent avec un bel effet de fondu enchaîné : sur le même sujet mais avec des personnages différents.
Au début, Marguerite semble n'avoir qu'un seul problème : elle n'aime pas ses fesses. En fait, elle n'aime pas grand-chose chez elle. Acheteuse compulsive de fringues, elle rêve de fonder une famille. Elle est surtout bonne poire avec son boulet de mec, cossard et exhibitionniste en douce. Marguerite, elle, n'est pas portée sur la chose — c'est bien la seule dans son entourage, mère comprise.
Au moins, si elle n'aime pas ses fesses, elle se les bouge. Elle accepte d'écrire les mémoires d'un homme politique à la retraite (synthèse de plusieurs bien connus) qui commence à yoyoter de la mansarde et lâche des bribes de secrets d'alcôve et d'État.
Et voilà notre brave Margot qui découvre l'envers des décors, s'avère pleine de bravoure et bascule dans des aventures échevelées...
Les mots. Là est la clé, l'explication. Les mots. Ils ont déclenché le corps. Ils commandent sa vie. Elle n'est que mots. Un roman en train de s'écrire ? Ce chapitre-ci la sidère et la chavire.
Quidam éditeur, 2016, 260 pages.
Voir le site d'Erwan Larher : sa vie littéraire, son agenda, ses autres romans, ses billets politiques, ses mauvaises feuilles et sa bonne humeur.

samedi 2 avril 2016

L'âme de fond

Anne von Canal a déjà remporté un beau succès en Allemagne, son pays d'origine, avec ce premier roman : Ni terre ni mer. Le titre original est Der Grund : la raison ou le fond (de la mer). Le titre français, plus poétique, illustre bien le style de l'autrice et cette impossibilité du personnage principal à s'attacher désormais à un lieu, à se laisser amarrer. Pianiste sur des bateaux de croisière, le Suédois Laurits sillonne les mers au gré de ses contrats.
De même, le roman, sans chronologie linéaire, va et vient comme les vagues et les souvenirs qui reviennent à la surface, petit à petit, avant de nous plonger dans les profondeurs de son histoire. Pourtant, Laurits prend bien garde à ne pas regarder par les hublots, à ne pas ouvrir ces portes verrouillées sur le passé. Mais les boîtes de Pandore gigognes s'entrouvrent malgré lui, de plus en plus près du cœur, de la raison de sa dérive.
Un drame est annoncé dès le début mais on ne sait pas encore comment le relier à son parcours. Pourquoi ce mal de vivre, cette fuite perpétuelle ? Quelle fissure — crevasse plutôt — dans l'enfance l'a dévié de sa route ? Et ces souvenirs de bonheur trop parfait : quelle tempête les a engloutis ?
(...) quand il avait compris que son existence tout entière était construite sur des sables mouvants, que tout ce qu'il avait jusqu'ici pensé solide et juste n'avait aucun fondement stable et qu'il n'était vraisemblablement pas celui qu'il aurait dû être, Laurits s'était échoué sur les bas-fonds de son âme, affaissé comme une montgolfière prise dans les branches d'un arbre.
La musique court tout au long de ce roman et accompagne Laurist le pianiste : elle est son essence même. Une grande musique qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière note, la dernière page, quitte à veiller très tard dans la nuit. Mais le sommeil ne serait pas venu avec ce suspense insoutenable.

Éditions Slatkine & Cie, 2016, 256 pages.