mardi 29 septembre 2020

Vivre dans son temps

Le couturier Azzedine Alaïa et Donatien Grau interrogent des artistes et créateurs (architectes, actrices, danseuses, chanteur d'opéra, philosophes, designers, écrivains...) sur la notion du temps. Cela donne un recueil de conversations : Prendre son temps

Lorsqu'on sait qu'Azzedine Alaïa refusait de se plier au diktat du calendrier de la mode et présentait ses créations seulement lorsqu'il était prêt, on comprend l'importance de ce temps nécessaire à la créativité et à l'innovation.
Parler du rapport au temps est un prétexte pour parler de créations en tous genres.
Sa cuisine, qui servait aussi d'atelier et de salon, est le lieu de ces rencontres, échanges, réflexions.

Ces témoignages très variés, touchants, instructifs, surprenants, nous donnent à réfléchir.

Avec : Jean Nouvel et Claude Parent ; Blanca Li et Rossy De Palma ; Jérôme Batout et Bettina Graziani ; Jean-Claude Carrière et Julian Schnabel ; Isabelle Huppert et Robert Wilson ; Michel Butor et Tristan Garcia ; Adonis et Alejandro Jodorowsky ; Emanuele Coccia et Carla Sozzani ; Charlotte Rampling et Olivier Saillard.

Éditions Actes Sud, 2020, 240 pages. Préface de Naomi Campbell.

Cette chronique que j'ai rédigée initialement pour le magazine Sans transition ! est parue dans le numéro 24 de juillet-août 2020, légèrement modifiée pour ce blog.

lundi 21 septembre 2020

Les maisons, ces lieux qui nous habitent

 NathaliLa maison qui soignee Heinich nous invite dans sa maison, La Retrouvée, dans un récit autobiographique : La maison qui soigne. Un récit qui se lit comme un essai et comme un roman : cette histoire d'une maison et de son jardin, particulière, touche de façon universelle par sa portée à la fois symbolique, philosophique, psychanalytique et quotidienne.
L'autrice achète une maison moche et, petit à petit, la transforme, la décore à son goût, jardine. Et cette maison disgracieuse devient le lieu idéal où être seule, à deux, avec des amis, en été comme en hiver... Chaque chose, chaque objet a sa place et chacun y trouve sa place. Il y a comme une correspondance dans la façon d'habiter une maison, une réciprocité : plus on s'en occupe et plus on s'y sent bien. Et comme le dit Philippe Simay : "Habiter, c'est avoir des habitudes". 

"Être habité", cela se dit (et s'éprouve) pour l'inspiration, la création, l'écriture : non pas l'actif "habiter" mais le passif "être habité", prélude et compagnon de toute création lorsqu'on devient soi-même la maison de l'œuvre à venir. Ainsi j'habite la maison en même temps que j'en suis habitée, comme on est habité par l'œuvre qui se fait — cette œuvre qu'est devenue, pour moi, la maison.

Enfin, l'épilogue révèle une histoire de famille où le fait de réparer une maison, d'habiter une région, prend tout son sens.

Éditions Thierry Marchaisse, 2020, 128 pages.

De la même autrice (et chez le même éditeur), lire aussi : Le Pont-Neuf de Christo.



vendredi 18 septembre 2020

L'enfance de l'art

De son émission sur France Culture, Quel enfant étiez-vous ?, Sophie Bober crée ce recueil d'entretiens sur l'enfance de nombreuses personnalités : artistes, journalistes, comédiennes, chanteurs, chanteuses, peintres, écrivaines, écrivains, designers, cuisiniers... Ils répondent à la question : Quel enfant étiez-vous ?

"Tous savent qu'il n'y aura qu'une seule prise et tous ont accepté de parler de leur jeunesse, de l'environnement qui les a vu grandir, de leurs parents, de l'épineuse question de la transmission. Là où l'histoire a commencé. "

Agnès b., Jane Birkin, Christophe Boltanski, Mona Chollet, Gérard Garouste, Dany Laferrière, Thierry Marx, Annette Messager, Marion Montaigne, Jean-Michel Othoniel, Michel Pastoureau, Rudy Ricciotti, Yves Simon, Tomi Ungerer...

"En repensant à ces rencontres, il me semble évident, et plus que jamais, que l'enfance ne peut se défaire des paysages qui l'accompagnent. Ils marchent ensemble, main dans la main, l'un prenant appui sur l'autre qui le domine."

"C'est leur enfance, leurs failles, leurs complexes, leurs espoirs de gosses qui seront visités."

Le livre se découpe en onze chapitre et autant de thèmes : L'enfance bourlinguée, Empreintes de la guerre, Une vraie rencontre, Espaces confinés, L'école buissonnière, Sensualités...
Autant de voyages dans la vie des autres, dans les origines et trajectoires, dans les émotions. Ces souvenirs des autres nous plongent dans les nôtres, les enfances des autres nous ouvrent des fenêtres ou font écho aux nôtres.
Passionnant !

Éditions La Librairie Vuibert & France Culture, 2020, 176 pages.

jeudi 17 septembre 2020

Poésie graphique en langue des signes

Un livre-objet magnifique et poétique en langue des signes : Colombe... blanche conçu et illustré par Pénélope sur des poèmes écrits par le poète sourd Levent Beskardès, avec l'interprète Monique Gendrot.

La forme en accordéon permet une fluidité de la lecture des dessins en langue des signes, accentuée par le contraste du mat et du brillant, ton sur ton, créé par le vernis sélectif. Les poèmes sont dessinés comme une chorégraphie légère et lyrique.

D'un côté, un poème décline le blanc : nuage, neige, ours, colombe... De l'autre côté, un poème décline le noir — panthère, araignée, chauve-souris, nuit — et se termine en explosion de couleurs, en feu d'artifice. 

Pénélope collabore avec l'Institut national de jeunes sourds de Paris et de Metz pour créer des livres destinés aux sourds comme aux entendants, aux enfants comme aux adultes. Colombe... blanche est le quatrième livre né de cette collaboration.

Éditions Les Grandes personnes, 2020, 44 pages en accordéon.



mercredi 16 septembre 2020

L'antiracisme mode d'emploi

Pour Ibram X. Kendi, auteur de Comment devenir antiraciste, être antiraciste n'est pas "ne pas être raciste", qui contient trop de neutralité et de passivité, mais c'est s'engager contre le racisme.
L'auteur est directeur et fondateur du Centre de recherche de politiques antiracistes de l'American University. Professeur d'histoire et de relations internationales, il est également journaliste pour The Atlantic

Dans ce livre militant, il raconte l'histoire de sa famille, de sa propre expérience depuis l'enfance et de son parcours jusqu'à l'antiracisme.
Il décrit une à une les iniquités entre Noirs et Blancs au vu des statistiques, du point de vue de la santé, du taux de personnes incarcérées, d'enfants renvoyés de l'école...
Après un premier chapitre sur les définitions, il détaille — et démonte — une à une toutes les formes de racisme : biologique, ethnique, corporel, culturel, comportemental, de classe, de genre... mais aussi le racisme selon la couleur, plus ou moins foncée, d'une peau ; le racisme envers les Noirs et envers les Blancs, parce que ce n'est pas parce qu'on est Noir qu'on ne peut pas être raciste. Quelle que soit notre place, de temps à autre, nous pouvons nous faire complice d'un certain racisme, consciemment ou inconsciemment.

Et bien sûr, c'est à l'histoire en général que sont reliées les origines et les ressorts de tous les préjugés, et que l'histoire contemporaine continue de présumer.

Un livre profondément humain, touchant, puissant, qu'on lit avec intérêt, indignation et colère devant l'injustice. Un mode d'emploi de la question du racisme pour savoir le débusquer, le reconnaître et qu'en faire.

Éditions Alisio, 2020, 384 pages.


lundi 14 septembre 2020

Kanyar 7, en librairies

Ce Kanyar 7 est sorti juste avant le confinement. Il était prêt pour le salon du livre Paris. (Avec tout ça, j'ai oublié de publier la chronique...)


Sa superbe couverture est l'œuvre de Natacha Eloy.
Nous voilà encore embarqués dans des histoires rocambolesques où des personnages perdent leur clé de chambre d'hôtel, se perchent sur les toits, pérégrinent dans les transports en commun, montent des poneys récalcitrants, parlent avec les fantômes, questionnent leur mémoire, essuient des orages, vivent des crises de mères, escortent des vedettes de cinéma, voyagent au centre de la terre, s’enfuient en marronnage, incarnent des héroïnes de contes.
Enfin, dans une nouvelle bilingue en russe et français, un écrivain affronte des questions improbables de lecteurs.

Avec des nouvelles de : Estelle Coppolani, Emmanuel Gédouin, Emmanuel Genvrin, Nathalie Hermine, Jocelyne Le Bleis, Julie Legrand, Nathalie Valentine Legros, Xavier Marotte, Marie Martinez, Monique Mérabet, Sergueï Nossov, Stéphanie Rivière, Edward Roux.

La revue Kanyar est en vente en librairies et sur le site de la revue.

lundi 7 septembre 2020

Comment relire Dany Laferrière sans se fatiguer

 
Couverture créée par David Pearson
à partir d'une œuvre originale
de Randolpho Lamonier.

Les éditions Zulma ont la bonne idée de rééditer les premiers romans de Dany Laferrière*, la fameuse autobiographie américaine, dont Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, initialement paru en 1985.

Le titre provocateur et paradoxal annonce clairement la couleur, si je puis dire. L'auteur haïtien se permet l'emploi proscrit du terme Nègre pour mieux le vider de son sens péjoratif à force de le répéter et dénoncer les préjugés racistes. La formule façon "mode d'emploi pour les Nulles" laisse présager cependant l'humour et l'un des thèmes de ce premier roman où il est beaucoup question de sexe avec des Blanches. Autant s'amuser avec les mythes et les clichés dans une espèce de revanche.
Fraîcheur de ton, sens de la formule, humour, cynisme... il y a du Bukowski et du Henry Miller dans ce livre bref et énergique. Le narrateur cite également Baldwin (qu'il rêve d'envoyer se faire rhabiller), Hemingway, Chester Himes (dont il a acheté la machine à écrire), Borges et bien d'autres figures d'écrivains.
L'histoire est la chronique de deux colocataires qui partagent un taudis à Montréal dans la chaleur de l'été et passent leur temps à philosopher, à lire, à écouter du jazz, à draguer...
Le narrateur, un écrivain en herbe, résume bien l'histoire dans une mise en abîme dont le roman use avec prémonition :

— C'est simple, c'est un type, un Nègre, qui vit avec un copain qui passe son temps couché sur un Divan à ne rien faire sinon à méditer, à lire le Coran, à écouter du jazz et à baiser quand ça vient.

Oui, Divan est toujours écrit avec une majuscule, comme un nom propre, car "Le Divan a la forme plantureuse et offerte des femmes de Rubens." Les filles, elles, sont surnommées Miz Littérature, Miz Suicide, Miz Sophisticated Lady...
Le statut d'immigré de ces jeunes Noirs ne leur laisse pas espérer grand-chose sinon pour le narrateur d'écrire un roman, comme l'exprime le dernier et court chapitre intitulé On ne nait pas Nègre, on le devient : "Il est dodu comme un dogue mon roman. Ma seule chance. Va."
Et que de chemin parcouru depuis ce premier roman explosif puisque Dany Laferrière est désormais entré à l'Académie française. 

Éditions Zulma, 2020, 192 pages.

* Le Cri des oiseaux fous, L'Odeur du café, Le Charme des après-midi sans fin, Le goût des jeunes filles, Pays sans chapeau.



 

jeudi 3 septembre 2020

Coup de mistral sur la rentrée

Le dit du mistral d'Olivier Mak-Bouchard est un thriller provençal constellé d'expressions du Midi et de la langue de Frédéric Mistral. Ce premier roman rend hommage aux écrivains de cette terre (Giono, Bosco, Char, Pétrarque...) et au Vaucluse natal de l'auteur : son histoire, ses contes et légendes, ses us et coutumes (avec parfois quelques arrangements et fantaisies), ses traditions, ses éléments.
En effet, s'il est question du mistral, ce vent emblématique, il est évidemment question des autres éléments : l'eau si rare ici, la terre d'ocres et de calcaire blanc, et le feu des forêts, malheureusement... Nous sommes bien dans un roman contemporain, entre thriller et fantastique, où la magie opère au fil de l'eau et de l'histoire.
Tout se passe entre L'Isle-sur-la-Sorgue, Sault, Vaison et le sommet du Ventoux. Ceux qui ne connaissent pas le coin pourront se référer aux cartes des rabats du livre, qui est en lui-même est un très bel objet : beau papier, belle typo... Sa superbe couverture est signée par la grphiste Phileas Dog.
Après un orage et un éboulement sur son terrain, un paysan découvre des poteries anciennes et veut aussitôt tout enterrer pour ne pas que les archéologues et les musées viennent chambouler son verger. Le narrateur , son voisin, le convainc alors de poursuivre les fouilles à eux deux, en catimini, mais ils deviennent alors hors-la-loi.
En creusant dans le jardin, ils plongent également dans l'histoire et la culture de leur terroir qui traversent les siècles.
Et parmi les personnages attachants du roman, se trouve un chat, énigmatique et omniprésent, élégamment nommé le Hussard, en hommage à Giono.

C'est un coup de mistral qui souffle sur la rentrée littéraire puisque le roman est déjà couronné du prix Première Plume par le Furet du Nord.

Le Tripode, 2020, 360 pages.

Cette chronique est également parue dans Le Dauphiné.