jeudi 29 novembre 2012

Le silence est noir

Carla Guelfenbein est Chilienne. L'histoire de son roman, Le reste est silence, se passe dans son pays, où il est question aussi de Buenos Aires et Bogotá, des lieux qui évoquent forcément un passé sombre où le silence, la violence et la folie ont marqué l'Histoire et les gens.
C'est un roman à trois voix, de trois personnages d'une même famille : un petit garçon de douze ans, son père veuf et sa belle-mère. Chacun a ses fantômes secrets. Leur impossibilité, ou incapacité, à se parler met le lecteur dans la position dérangeante de celui qui sait tout et assiste avec impuissance aux ratages, aux pulsions, aux non-dits et aux dérapages. 
Dès le début, on sent le drame émerger avec ce petit garçon qui écoute les conversations des grandes personnes et découvre des secrets enfouis :
"Parfois, les mots sont comme des flèches. Ils vont et viennent, blessent et tuent, comme à la guerre. Voilà pourquoi j'aime bien enregistrer les adultes."
Le MP3 qui grave les conversations est comme l'arme des romans noirs : il y a certainement une raison pour qu'on parle de cet instrument dangereux dès la première page... 
Le roman est noir parce que planent des gestes retenus, des paroles tues, de vieux traumatismes qui ne demandent qu'à jaillir, sous quelque forme que ce soit, pas forcément la meilleure. 
Le style est lumineux, l'histoire est de plomb.

Éditions Actes Sud, 2010, 320 pages.

lundi 26 novembre 2012

Échappée belle en Islande

Dans L'Embellie, Auður Ava Ólafsdóttir nous emmène, avec une narratrice fantaisiste et attachante, dans un voyage initiatique en boucle sur la Nationale 1, la route circulaire qui fait le tour de l'Islande. Le paysage volcanique et le climat exotique — dans le sens de lointain, étrange et dépaysant — de l'île créent à eux seuls un univers spécial accentué par la nuit continue à cette latitude et cette époque de l'année (novembre). Inutile d'en raconter davantage, je préfère la citer :
"En fait, il manque très peu de choses à mon bonheur et à ma joie de vivre. Il n'est même pas nécessaire d'y voir clair, il n'y a qu'à mettre les essuie-glaces à plein régime et le chauffage à fond la caisse pour que la buée se dissipe peu à peu sur les vitres. C'est une grande liberté que de ne pas savoir exactement où l'on va en s'abandonnant à la sécurité de la route circulaire où tout s'enchaîne, pour revenir ensuite simplement à la case départ, presque sans s'en être aperçu."
Plus loin, comme si tout pouvait être comptabilisé (les chiffres ont beaucoup d'importance dans L'Embellie) :
"En résumant mes aventures depuis le début du voyage, je pourrais dire que j'ai provoqué la mort de quatre bêtes — cinq en comptant l'oie de la ville —, que j'ai tout de même franchi sans encombres quarante ponts à voie unique, huit éboulis difficiles et que j'ai eu des relations intimes avec trois hommes sur le premier segment d'une route d'un peu plus de trois cents kilomètres, non asphalté pour l'essentiel, tracé littéralement entre la montagne et la côte."
Les chiffres, mais aussi le hasard, tiennent une grande place dans cette histoire où les rencontres et les personnages épiques ne manquent pas, comme Tumi, ce petit garçon de quatre ans — un peu spécial et très attachant aussi — qui accompagne la narratrice. Les éventualités jalonnent le texte, donc, comme ces mystérieux passages en italique qui évoquent des flash-back, peut-être des souvenirs.
Enfin, autre surprise et cerise sur le roman, comme un bonus dans un DVD, en fin de livre, l'auteur reprend tous les plats et boissons, ainsi qu'un ouvrage de tricot, cités dans le roman et en indique le mode d'emploi précis avec beaucoup d'humour : "Quarante-sept recettes de cuisine et une recette de tricot" dont de nombreuses spécialités islandaises, boissons, desserts, plats de mouton et de poisson (églefin, saumon, morue, baleine...). Pratique et farci de clins d'œil, comme les différentes façons de préparer un café imbuvable ou, au contraire, un délicieux hamburger maison, bien meilleur que ceux qu'on achète dans les fast-food. Et de ce point de vue, l'Islande n'a rien d'exotique : on en trouve à tous les coins de rues (ou virages de route circulaire) comme partout ailleurs.

Éditions Zulma, 2012, 400 pages.

lundi 19 novembre 2012

La Reine du silence et le Roi de la Mode

J'ai été attirée par le titre étrange et répétitif, Photo-Photo, de Marie Nimier et les premières lignes de la quatrième de couverture :
"Il est une question que l'on me pose souvent, la question des idées. Comment elles arrivent, où je les pêche, le fameux “mais où va-t-elle chercher tout ça“. De quelle façon s'est imposée, en l'occurrence, l'idée d'écrire un roman à partir d'une séance photo avec Karl Lagerfeld ?"
Prise dans cette histoire qui semblait passer du coq à l'âne mais tournait autour des rencontres induites par une séance photo avec le Roi de la Mode, je me suis intéressée à d'autres romans de Marie Nimier et notamment La Reine du silence où elle tente de démêler les questions autour de son père, Roger Nimier, mort alors qu'elle n'avait que cinq ans et dont elle a peu de souvenirs et quelques trésors dont une carte postale où il lui demandait en lettres capitales : "QUE DIT LA REINE DU SILENCE ?"
Pour répondre à l'énigme, elle écrit, avec un style étonnant qui nous balade de son bureau à sa cuisine, c'est-à-dire de ses déambulations, réelles ou imaginaires, à ses réflexions sur l'écriture.

Le site officiel de Marie Nimier.

dimanche 11 novembre 2012

En attendant le Livre 4

Revenons sur la trilogie (pour l'instant) de Haruki Murakami : 1Q84. Les lecteurs attendent le Livre 4 et je ne vois pas pourquoi, si l'auteur y prend plaisir, il n'y aurait pas une suite, d'autant que le dernier tome se termine par un "Fin du Livre 3", qui le laisse supposer, et qu'il y a matière.
Je suis donc arrivée au bout de ces plus de 1500 pages en 3 livres, parfois agacée par les longueurs, les répétitions et autres précisions inutiles. Mais quelle est cette manie de faire de gros pavés bavards ? Ce n'est pas la première fois que je m'en plains. Il est tellement agréable de lire ces histoires servies en creux par un style qui fait appel à l'imagination du lecteur, comme chez Toni Morrison, par exemple, ou Christian Garcin ou Pierre Michon... auteurs qui taillent leur œuvre comme des diamants. Bref, inutile d'en écrire des tonnes pour briller.
Enfin, tant pis, c'est le style qu'a choisi monsieur Murakami pour cette belle histoire fantastique, magique et romantique où un homme et une femme se retrouvent vingt ans plus tard.
Ce serait dommage de s'arrêter à cette fin convenue de conte de fée.
Et après ? C'est peut-être là que l'histoire commence, dans un monde réinventé pour leur histoire commune.

Éditions Belfond, 2012, 544 pages.

jeudi 8 novembre 2012

Un long titre pour des histoires courtes

J'aime bien lire des nouvelles.
On a dix minutes : hop ! On se plonge dans un univers, le temps de se rafraîchir les idées.
J'ai déjà parlé de l'écriture de Christian Garcin dans de précédentes chroniques, à propos d'essais ou de romans (J'ai aimé "J'ai grandi" et Labyrinthes et sorties jubilatoires). Je lui consacre encore une chronique parce que, parfois, je trouve qu'on parle toujours des mêmes, surtout en cette période de Prix littéraires, et si peu des autres qui le valent tout autant.

La neige gelée ne permettait que de tout petits pas est un recueil de neuf nouvelles sur les thèmes de la fuite, du rejet, de la disparition, de l'absence... Magnifiques.

Éditions Verdier, 2005, 96 pages.

lundi 5 novembre 2012

Tous à l'asile !

Moi qui ne suis pas férue de romans policiers, j'ai pris plaisir à lire Au temps pour moi de Serge Scotto, écrivain marseillais. Ce n'est pas le genre de polar que l'on lit en diagonale : le style vaut la peine qu'on prenne le temps de savourer chaque phrase, de dégoter entre les lignes le deuxième degré, bon mot après bon mot. C'est d'ailleurs l'un des thèmes de ce roman : le mot juste et la chasse aux fautes, comme on ferait la chasse aux sorcières à coups de bons à tirer. On sent l'amour de la langue (souvent mauvaise langue) et du bon usage du français, exemples à l'appui. Dans une mise en abyme burlesque des romans dans le roman, Serge Scotto se moque de lui-même comme des autres, professionnels du livre et écrivains à posture. Sa gouaille et sa dent dure font rire jaune ou de bon cœur tant on passe de la lucidité à l'outrance, de la réalité à la fiction, de la tragédie à la farce. Et pour cause : le narrateur, Herbert Turaive, écrivain et tueur à gages, est un psychopathe et un misogyne surnaturel qui prend souvent ses désirs pour la réalité (comme son nom l'indique). Après un bref séjour à New York, Marseille est le théâtre de ses aventures délirantes :
"(...) je crois carrément que Marseille rend cinglé, à l'usage !... Assurant sa propre production de jobards, selon une recette tenue secrète, comme celle des navettes et du Coca-Cola ! En tous cas il est clair que chez nous, les fous se sentent comme chez eux : on en croise de toute sorte, à longueur de journée à chaque coin de rue, comme nulle part ailleurs... Marseille, terre d'asile !"
Une histoire de fous furieux où la part d'ombre de l'humanité n'est jamais loin des places au soleil, et où les plus dangereux ne sont pas toujours à l'ombre.
Éditions L'écailler, 2012, 164 pages.

Suite de Gagnant à vie, Au temps pour moi ne serait que le deuxième (pour l'instant, le second) d'une série à venir, avec Herbert Turaive pour héros déjanté.

Éditions L'écailler, 2008, 196 pages.