mardi 23 mai 2017

Justes délinquants

Les éditions Don Quichotte ont été crées en 2008 par Stéphanie Chevrier avec le souhait de croire que "les livres peuvent influencer le cours des choses" et de publier "ceux qui relèvent des défis, ou qui marchent contre le désenchantement du monde".
Un ouvrage collectif, intitulé Ce qu'ils font est juste, dirigé par Béatrice Vallaeys rassemble des dessins d'Enki Billal et des textes et poèmes de vingt-six auteurs sur le thème des étrangers, des réfugiés, des immigrés...
En réponse à la loi de 1938 qui dicte que "toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France" encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, des écrivains répondent par les mots — avec pour maîtres-mots : humanité, solidarité, hospitalité...
Évidemment ces auteurs ont cédé leurs droits d'auteurs pour soutenir des associations humanitaires — humanitaires, cela va de soi mais il fallait le souligner pour rappeler qu'elles sont aussi illégales, coupables de délit d'hospitalité ou de solidarité — qui viennent en aide à ces étrangers qui viennent chercher refuge en terres d'accueil (je n'irai pas jusqu'à ajouter des guillemets mais on aura compris l'ironie de la formule). Outre que ladite loi L 622 a vocation à lutter contre les passeurs et trafiquants sans scrupules, elle met quasiment — avec des peines moindres — dans le même panier (à salade) les citoyens n'écoutant que leur bon cœur qui osent sans contrepartie soigner, héberger, nourrir ces hommes, femmes et enfants sans titres de séjour.
Les auteurs : Antoine Audouard, Kidi Bebey, Clément Caliari, Antonella Cilento, Philippe Claudel, Fatou Diome, Jacques Jouet, Fabienne Kanor, Nathalie Kuperman, Jean-Marie Laclavetine, Christine Lapostolle, Gérard Lefort, Pascal Manoukian, Carole Martinez, Marta Morazzoni, Lucy Mushita, Nimrod, Serge Quadruppani, Serge Rezvani, Alain Schifres, Leïla Sebbar, François Taillandier, Ricardo Uztarroz, Anne Vallaeys, Angélique Villeneuve, Sigolène Vinson.

Éditions Don Quichotte, 2017, 336 pages.

vendredi 12 mai 2017

Ces êtres vivants doués de sensibilité

Anna Alter et Boris Cyrulnik nous racontent les avancées de la science sur les émotions et sentiments des animaux. Cela donne un livre épatant pour les enfants de 7 à 11 ans : À l'école des animaux, ce qu'on ne sait pas encore... Les tendres illustrations sont de Catherine Cordasco.
Boris Cyrulnik s'est toujours passionné pour les animaux et ce qu'ils peuvent nous apprendre sur nous-mêmes : comment les adultes éduquent les petits, le besoin d'attachement de certaines espèces, comment ils communiquent entre eux, comment ils jouent ou se manipulent, comment ils s'organisent, comment ils vivent le deuil d'un proche...
On apprend une foule d'histoires surprenantes et touchantes sur la vie des animaux — du guépard au calmar, du chameau à l'abeille (presque du coq à l'âne) — qui nous rappellent souvent nos propres comportements !
Si l'on peut observer la peur, l'empathie ou le bonheur sur certains de nos compagnons à quatre pattes, on ignore encore quelle est la vraie nature de ces sentiments. Les chercheurs ne sont pas toujours d'accord : certains pensent qu'on ne peut prêter aux animaux des émotions humaines. En tout cas, la comparaison permet de remettre l'homme à sa place.

Éditions Le Pommier Jeunesse, Collection "Sur les épaules des savants", 2017, 48 pages.

jeudi 11 mai 2017

Kanyar à La Lucarne des écrivains

Tous à La Lucarne des écrivains
le 19 mai !


Vous connaissez Kanyar*, cette revue indépendante de création littéraire créée en 2013 par notre ami André Pangrani.
Parmi les plus de 30 auteurs qui ont participé aux 5 premiers numéros, 8 d'entre eux — Cécile Antoir, Marie-Jeanne Bourdon, Jean-Christophe Dalléry, Emmanuel Gédouin, Xavier Marotte, Marie Martinez, Albertine M. Itela, Edward Roux — seront le 19 mai prochain à La Lucarne des écrivains (115, rue de l'Ourcq, Paris 19e arrondissement, métro Crimée), à partir de 19 h 30.
Ils vous raconteront des histoires, vous dédicaceront les 3 derniers numéros encore disponibles.
Si kanyar signifie vaurien en créole réunionnais, la revue Kanyar, elle, vaut bien le voyage jusqu'à La Lucarne des écrivains le 19 mai. 
Venez, j'y serai !

* Lire les chroniques :

mercredi 10 mai 2017

"J'aime quand la forme parle"

Pierre-Louis Rivière est professeur d'arts plastiques, musicien, comédien, metteur en scène, auteur de pièces de théâtre (Garson, Carousel, Émeutes...), de romans (Notes des derniers jours, Le vaste monde, Clermance Kilo, Voyante extralucide, Todo mundo) et aussi de nouvelles dans la revue Kanyar : Double Salto Arrière et Novela.
Un artiste multiforme, donc, et surtout intéressé par la forme, justement, surtout quand elle parle.

Tes thèmes de prédilection sont l'errance, la déambulation, la ville, et bien sûr la créolité. Originaire de l'île de La Réunion, tu as vécu au Brésil, deux pays que l'on retrouve dans tes œuvres sans qu'ils soient cités. 
Pierre-Louis Rivière : Je suis frappé par les similitudes du brésilien et du créole réunionnais. Au départ, le roman devait s'intituler Créoles, en souvenir du magnifique Dubliners de Joyce. Todo mundo n'était que le sous-titre mais il est finalement devenu le titre du livre. En créole réunionnais, todo mundo se dit tout domoun, ce qui est phonétiquement très proche. Ces correspondances sont logiques puisque la route maritime pour venir à La Réunion passait par le Brésil, donc beaucoup de mots ont transité de cette façon. Cela se retrouve dans les noms de plantes que les voyageurs rapportaient du Brésil. Par exemple, le xuxu (prononcé chouchou) brésilien a donné le chouchou à La Réunion et non la christophine comme on l'appelle aux Antilles.
Je me suis amusé à rédiger, pour mon usage personnel, un petit glossaire de tous ces mots et ces expressions très proches. Todo mundo porte notre proximité créole et je pense qu’il fait, en fin de compte, un meilleur titre.

Le thème du mélodrame est également très présent dans ton œuvre.
J'aime bien jouer avec les ressorts du mélodrame, les histoires de famille, les secrets, les revers de fortune, les problèmes de filiation, de descendance qui, dans nos pays créoles, se compliquent de l'incertitude de la couleur de peau, plus ou moins noire, blanche, beige...

C'est surtout la forme qui est très importante, comme ces déambulations qui résonnent avec les pensées du narrateur dans la construction de Todo mundo, par exemple.
Oui, les écritures journalistiques ne m'intéressent pas. Il semble pourtant que les éditeurs préfèrent des sujets chocs qui résonnent avec l'actualité. Je suis, quant à moi, davantage influencé par l'art contemporain et le travail que je fais avec les étudiants de l'école d'art où j'enseigne. Je suis très attaché à la forme et j'aime quand la forme parle, quand les opérations plastiques ont du sens en soi, fuient l'illustration pour chercher la métaphore ; par exemple, lorsqu'une déchirure dans la forme résonne avec une déchirure du personnage. J'aime travailler avec les processus d'écriture, jouer avec les structures. Dans Le Vaste monde, par exemple, je raconte une histoire sans fin où la succession aléatoire des aventures évoque le chaos incompréhensible du monde, où tout finit sur un champ de ruines. Mais la forme, c’est aussi la géographie du roman, les territoires d’errance, les lieux et leurs complexités qui sont toujours, pour moi, à l’origine de l’écriture.

Des projets ?
Oui, je continue à écrire. J'ai d'autres espaces en tête et deux chantiers en cours.

À suivre, alors !

mardi 9 mai 2017

Cadavres latinos en série

Pouvoir, politique, journalisme, police, armée, guérilla, gardes du corps, trahisons, corruption, folie, cadavres... voilà l'ambiance de l'excellent roman noir à la sauce latino-américaine — assaisonné d'humour tout aussi noir —  Le directeur n'aime pas les cadavres. L'auteur, Rafael Menjívar Ochoa (1959-2011), originaire du Salvador, a vécu plus de vingt ans en exil.
— Tu sais ce qu'il y a de moche dans le métier ? Rodríguez but trois micro gorgées de son café. C'est qu'on ne peut jamais savoir ce qui s'est passé. Il manque toujours des pièces au puzzle. Au mieux, on gagne au finish ; c'est le mort qui remporte le gros lot.
Sur le qui-vive, on ne sait jamais qui, à quel moment et comment la mort — omniprésente — va faucher. Oui, s'il n'aime pas les cadavres, le directeur est bien mal servi...
L'humour aussi tombe par surprise comme une respiration salutaire.
On débarque dans une histoire compliquée de famille, plus décomposée que recomposée, où survit encore la seconde épouse du père, Milady. Là aussi, tout n'est que trahisons, secrets, folie morbide...
Le narrateur revient auprès de son père mourant, directeur d'un quotidien, après des années d'absence pendant lesquelles il a exercé divers métiers, dont figurant au cinéma en tant que cadavre (comme par hasard).
Pour jouer les cadavres il faut être un cadavre. Pas le feindre, l'être vraiment, et les cours de théâtre ne vont pas jusque-là, il y a des limites que beaucoup n'osent pas franchir.
Le cynisme est à chaque coin de page, souligné par une soi-disant coquille dans le journal qui fournira un alibi à quelques obscurs règlements de compte.
— Le n est très proche du v, dit-il enfin. Et le i du y. Les gestes sont presque les mêmes pour écrire cynisme et civisme.
— Le n est à côté du b, dit Gilberto. Et le i à côté du u.
Le directeur n'aime pas les cadavres fait partie d'une "trilogie mexicaine" de cinq œuvres qui seront toutes éditées par Quidam. Peu importe d'où on démarre puisque chaque "épisode" adopte un point de vue différent et apporte un éclairage nouveau à l'inextricable puzzle.
À suivre de près, donc, car c'est du roman noir latino-américain comme on en lit peu.

Quidam éditeur, traduit de l'espagnol (Salvador) par Thierry Davo, Collection Les Âmes Noires, 2017, 168 pages.