lundi 28 mars 2022

Quand la vie est un théâtre

Jocelyn Lagarrigue est comédien. Il devient écrivain avec La nuit recomposée, son premier roman.
Il nous parle d'un milieu qu'il connaît très bien et en parle admirablement : le théâtre et ses coulisses. Il y a le côté scène, en pleine lumière, l'espace de création, mais il y a aussi le côté sombre avec les questionnements, les angoisses des acteurs, la vraie vie hors des planches. La limite entre les deux côtés est parfois floue quand la vie devient un drame, quand la fiction vous prend à la gorge.
C'est l'histoire d'un comédien, talentueux et excessif, qui nous entraîne dans le tourbillon de ses passions que (presque) rien n'arrête.
Nous sommes happés par le flot de pensées, de paroles, d'actions... car tout le texte est à la première personne du singulier, ce Je d'acteur.
Tout est intense, sur le fil. Tout doit être intense, quitte à malmener les autres, les autres personnages et les lecteurs.
Inquiets, nous voudrions le sauver, le guider hors de ses mauvais pas, mais il nous échappe, toujours fuyant.

Comment en suis-je arrivé là ? C'est la question des hommes qui touchent le fond et sont surpris lorsque le fond se dérobe à nouveau sous leurs pieds. Art de la chute, art de la fuite.

Un texte d'une grande intensité, aussi lumineux que sombre.

Quidam éditeur, 2022, 216 pages.

dimanche 27 mars 2022

Thriller écologiste

Olivier Appollodorus, dit Appollo, avait signé une remarquable nouvelle intitulée La Désolation et parue dans la revue Kanyar n°2, publiée en novembre 2013.
Il l'a transformée en scénario de roman graphique dessiné par Christophe Gaultier et publiée en 2021 sous le même titre.
C'est une autre dimension.
L'histoire est celle d'un Réunionnais qui, suite à un chagrin d'amour, s'embarque comme touriste sur le Marion Dufresne avec des scientifiques qui partent en mission dans les Terres australes et antarctiques françaises.
On sent vite une rivalité entre les deux groupes de voyageurs ; les chercheurs ayant tendance à mépriser les vacanciers.
Sur place, le climat est extrême. La nature est sauvage, protégée. Elle sera le théâtre d'aventures presque incroyables, aussi extrêmes que le climat. Je vous laisse la surprise. 
Ce thriller se double d'une réflexion sur l'écologie, ce qui ajoute à son intérêt. Car, si le titre fait référence à un ancien nom des îles Kerguelen, La Désolation est peut-être aussi le regard que l'on peut porter sur l'état du monde.

Dargaud, 2021, 96 pages.

Autres chroniques de ce blog sur les œuvres d'Appollo,
- un entretien avec Appollo ;
- La grippe Coloniale ;
- Une vie sans Barjot ;
- Chroniques du Léopard ;
- Aux archives ! ;
- Île Bourbon 1730.

Maisons habitées et maisons rêvées

L'autrice britannique Deborah Levy, originaire d'Afrique du Sud, a écrit son Autobiographie en mouvement ou vivante (living autobiography), comme elle l'appelle, c'est-à-dire de manière libre.
Pour l'instant, elle est éditée en trois parties, avec Ce que je ne veux pas savoir (2013), Le Coût de la vie (2018) et État des lieux (2021).
Il est beaucoup question de maisons dans ce triptyque, un peu comme l'entend Virginia Woolf, pour avoir un endroit à soi pour écrire, pour se ressourcer, un espace intérieur à préserver. Il y a celles qu'elle a occupées, celles qu'elle a quittées (notamment celle de son enfance en Afrique du Sud), mais aussi les maisons symboliques comme le patriarcat qu'elle considère comme une grande maison ou la littérature qui l'a accueillie, ou encore la notion de nid vide lorsque sa fille part à l'Université. Il y a ce cabanon dans un jardin où elle peut écrire, et cette maison laide où elle vit malgré ses défauts, et celles des autres qui la font rêver, comme le jardin de Bonnard avec ses mimosas ou celle de Georgia O'Keeffe au Nouveau-Mexique avec sa cheminée ovale. Enfin, il y a cette maison idéale qu'elle imagine, et cet univers qu'elle crée en écrivant.

J'ai commencé à me demander ce que toutes les femmes aux désirs portés disparus, toutes les femmes réécrites (comme le déesses) et moi aurions dans notre portefeuille de propriétés à la fin de notre vie.

Elle invite dans ses livres d'autres femmes de lettres qui l'inspirent comme Simone de Beauvoir ou Marguerite Duras. Elle nous invite dans ses pages et nous inspire à son tour.

Ce printemps-là à Majorque, alors que la vie était très compliquée et que je ne voyais tout bonnement pas vers quoi tendre, je songeai que ce vers quoi je pouvais tendre était une prise électrique. Plus utiles encore pour un écrivain qu'une chambre à soi sont les rallonges et une panoplie d'adaptateurs pour l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

Ce serait dommage de s'arrêter à une trilogie. Nous attendons la suite. 

Éditions du Sous-sol, traduction de Céline Leroy, coffret de la trilogie avec un carnet contenant un poème inédit de Deborah Levy.



samedi 26 mars 2022

Le savoir-vivre à la japonaise

Parce qu'on lui demandait souvent comment elle faisait pour "rester zen", une expression qui ne veut rien dire pour un Japonais (le zen étant une religion et non un comportement), June Fujiwara, qui vit depuis une vingtaine d'années en France, a décidé d'écrire un livre pour nous éclairer sur l'art de vivre japonais.
Elle développe donc quatre de ces notions : le mujō ou l'éloge de l’impermanence et la conscience du moment présent ; le wa ou la quête de l’harmonie, notamment dans ses relations avec les autres ; le wabi sabi ou la beauté du dépouillement et de la patine du temps ; et enfin le okiyome ou le rituel de la purification, du rangement, du bain mais aussi les bienfaits de la nature sur notre santé.
En effet, ces principes de savoir-vivre permettent de mieux résister au stress, de se recentrer sur l'essentiel, de prendre soin de nous et des autres (ce qui est précieux en ce moment).
Si certaines méthodes nous inspirent moins, d'autres sont plus faciles à suivre au quotidien ou de temps en temps. Chaque partie se termine par des conseils pratiques.
Mais ce livre se lit aussi avec plaisir comme un essai, juste pour mieux comprendre cette culture, cette façon d'être au monde et les valeurs qui imprègnent et animent les Japonaises et les Japonais.

Éditions de l'Opportun, 2021, 232 pages.

vendredi 25 mars 2022

New York pour ne pas y aller

Dans son dernier livre, New York sans New York, Philippe Delerm fait le pari — réussi — de parler de la ville américaine sans jamais y être allé. Il a failli y aller une fois, mais le séjour a été annulé et depuis, il préfère la rêver. Et il nous prouve qu'il n'est parfois pas nécessaire de connaître réellement un lieu pour s'en faire une idée et en parler avec justesse.

Je me sens aussi peu new-yorkais qu'il est possible de ne pas l'être. De là sans doute aussi cette envie de New York, sans tout gâcher par le voyage.

Il est vrai que New York est un mythe, une légende, le berceau d'une culture qui rayonne dans le monde entier.
Certains mots, comme skyline, fire escapes ou gratte-ciel, évoquent automatiquement l'image que l'on s'en fait. Des noms de lieux emblématiques parlent à tout le monde : Wall Street, Central Park, Harlem, Bronx, Manhattan, Brooklyn...
L'écrivain décortique et développe des images poétiques à partir de films, d'acteurs (James Dean), de réalisateurs (Woody Allen), de musiciens et chanteurs (un quarante-cinq tours de Bob Dylan, le son de Simon et Garfunkel), de livres (Paris vs New York du graphiste Vahram Muratyan), d'écrivains (Paul Auster, Herman Melville, Walt Whitman), de films (West Side Story), de dessins et photos, la revue The New Yorker... Et même les restaurants où il ne mangera jamais et l'hôtel Bowery où il ne séjournera jamais non plus.

Tous ces films regardés, toutes ces photos, tous ces albums, tous ces livres, non pas pour aller à New York un jour, mais un peu bizarrement pour ne pas y aller, pour préserver le secret d’une ville essentielle qui ne supporterait pas d’être tant soit peu violée par la réalité.
Oui, toutes ces fenêtres ouvertes sur New York avec étrangement le sentiment de ne pas les ouvrir pour en connaître davantage. J'ai toujours sur que j'étais fait pour regarder, pas pour apprendre ni comprendre.

Un délicieux voyage dans le temps et à New York. C'est la magie de la littérature.

Le Seuil, 2022, 208 pages.

D'autres chroniques sur les livres de Philippe Delerm :
La vie en relief ;
- L'extase du selfie et autres gestes qui nous disent ;
- Et vous avez eu beau temps ? La perfidie ordinaire des petites phrases ;
- Journal d'un homme heureux ;
- Je vais passer pour un vieux con et autres petites phrases qui en disent long ;
- Elle marchait sur un fil ;
- Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter la terre.