mercredi 30 avril 2014

Chacun cherche sa place

Que fuient les hommes de cette famille ? Que cherchent-ils ? Jacob, le grand-père, a fui sa famille sans laisser d'adresse. David, le fils, a pris une maîtresse et s'est suicidé lorsqu'elle est morte. Simon, l'oncle, erre sans trouver sa place. La trouvera-t-il en aidant son neveu, Joseph, le petit-fils, ado et rebelle, à comprendre ses père et grand-père fuyants ?
Les fuyants est le titre de ce deuxième roman d'Arnaud Dudek.
J'ai l'air d'avoir tout dit avec ce résumé mais ce qui fait l'intérêt de ce roman c'est son style, évidemment. Précis, imagé, alerte pour aborder des sujets parfois tristes ou désabusés.
En fin de roman, dans une sorte d'épilogue intitulé "Lignes de fuite", Arnaud Dudek parle de son aventure de jeune écrivain et de son premier roman, Rester sage, et en évoquant son deuxième qu'il était en train d'écrire :
"Mini-saga familiale, tragicomédie de la filiation. J'ignore sur quels sentiers il va me mener, celui-ci. Quels silences embarrassés, quelles histoires étonnantes, quels francs sourires il va me permettre de croiser.
Mais ne me dites rien.
J'adore les surprises."
Nous aussi : belles surprises en vue !

Éditions Alma, 2013, 132 pages. 

vendredi 18 avril 2014

Sans Gabo, mille ans de solitude

Gabriel Garcia Marquez, dit Gabo, s'est éteint hier, 17 avril, et nous laisse pour mille ans de solitude, au moins.
Cent ans de solitude, paru en 1967 et toujours très populaire de nos jours, est un chef d'œuvre de la littérature sud-américaine, dans le style du réalisme magique.
Je citerais également parmi ses autres romans Chronique d'une mort annoncée ; L'amour au temps du choléra et parmi ses nouvelles L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, ou Mémoires de mes putains tristes, un livre que j'ai évoqué dans une chronique précédente. Et aussi un recueil d'entretiens avec Plinio Mendoza, Une odeur de Goyave, et ses mémoires d'enfance et de jeunesse : Vivre pour la raconter.
"La vie n'est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient."
Encore mille ans de lectures magiques. Merci Gabo !


mercredi 16 avril 2014

Ceux qui font "parler" les morts

On connaît mal le travail du médecin légiste, parfois caricaturé dans les films policiers, qu'on perçoit comme un scientifique coupé de ses émotions ou comme une figure sordide, sinistre.
Loin de ces clichés, Dominique Lecomte, professeur de médecine légale et directrice de l'Institut médico-légal du quai de la Râpée à Paris, raconte son quotidien dans La maison du mort, comme on appelle l'Institut médico-légal ou plus prosaïquement la "Morgue" (du verbe morguer qui signifie regarder fixement).
C'est un témoignage admirable et profondément touchant d'une experte qui exerce un métier tout en sensibilité, médecin des morts mais aussi des vivants, en prenant le temps d'accompagner les proches.
En effet, les médecins légistes sont en contact quotidien avec ces morts, victimes d'accidents sur la voie publique, de violences, de crimes, mais aussi les suicidés et ces inconnus, indigents ou isolés, parfois sans famille ou coupés des leurs... Ils font "parler" ces morts, en examinant leurs corps pour déceler les réelles causes du décès.
Mais plus délicat encore, ils ont parfois un rôle de passeur car ils reçoivent les proches d'un être cher qui meurt brutalement et peuvent les aider à encaisser le choc, à mieux comprendre leurs souffrances et leur "faire prendre conscience que la mort, inéluctable pour chacun d'entre nous, doit donner un sens à notre vie", un sens à la vie d'autant plus essentiel face au non-sens de la mort.

Éditions Fayard, 2010, 208 pages.

mercredi 2 avril 2014

Un rêve de funambule

Elle marchait sur un fil est le dernier roman de Philippe Delerm.
Le titre annonce l'atmosphère. On sent, dès le début, la tristesse, la solitude et l'équilibre fragile de Marie, sur le fil du rasoir, alors qu'elle vient d'être quittée par son compagnon, après des années de vie commune. Elle est lasse de son métier d'attachée de presse dans l'édition dont elle connaît tous les rouages et tous les pièges. C'est l'occasion de passer par les coulisses de l'industrie du livre, avant de nous retrouver dans celles du théâtre. Elle trouve enfin un sens à sa vie dans la création, écrit une pièce — Le fil — et la monte avec de jeunes comédiens. Mais l'esprit de troupe est fragilisé par les opportunités de chacun. Un des thèmes importants du roman est la difficulté à encourager ou influencer les jeunes dans leurs rêves de carrières artistiques, sachant que les places sont rares dans un milieu difficile.
Philippe Delerm a ce talent d'observateur (bien connu depuis La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules) pour traquer les détails, la fausseté ou la justesse d'une situation, les expressions convenues (comme dans Je vais passer pour un vieux con et autres petites phrases qui en disent long). Ce roman nostalgique fait souvent référence à Proust, À la recherche du temps perdu. En plus d'une réflexion sur la création artistique, le temps qui passe rend mélancolique, avec cette impression d'avoir raté sa vie.
Non, Philippe Delerm n'est pas un professeur de bonheur : il écrit aussi sur la tristesse et la mélancolie.
"Le mercurey d'Agnès était un vrai vin du soir, encourageant les rires et promettant un sommeil sans remords. Une de ces journées parfaites, dont le programme semble des plus reproductibles — et en même temps on sait déjà qu'elle sera la seule, on ne sait pas pourquoi."

Éditions du Seuil, 2014, 
224 pages.


© Le portrait de Philippe Delerm est une œuvre de la jeune photographe Hermance Triay qui a collaboré avec le studio Harcourt et a déjà à son actif une belle série de photos d'écrivains, entre autres. Elle propose d'ailleurs de tirer le portrait de tout un chacun, parce qu'on a toujours besoin d'une bonne image de soi. Ses autres travaux artistiques, comme les séries "Déjà-vu" ou "Zones à risques" sont également remarquables.

mardi 1 avril 2014

Quel roman !

C'est quoi ce roman ? est le titre plein d'humour du roman de Corinne Devillaire qui s'interroge avec malice, acuité et sensibilité sur les conflits transgénérationnels. Entre autres.
Pour résumer, un père de famille — avec sa femme et ses trois enfants — se voit contraint de rendre visite à sa mère avec qui il avait coupé les ponts. Mais cette irruption à l'improviste fait l'effet d'une bombe : un désastre pour les uns, un miracle pour les autres, dont deux coups de foudre. Les deux Robert, sources de quiproquos, ajoutent à la confusion générale. Une bombe à retardement : mutations et coups de théâtre en perspective !
Les faits nous sont rapportés dans un chassé-croisé en différé : journal de la grand-mère, dépositions de la mère et de la brillante fille cadette, mémoires de la fille aînée, lettres attendrissantes du petit dernier, séances d'hypnose du père...
Malgré leurs défauts, leurs pulsions, leurs mensonges ou leurs blocages, tous les personnages (presque tous) sont attachants : si humains.
Ce premier roman de Corinne Devillaire (aux éditions Thierry Marchaisse) est réjouissant : bien écrit, parfaitement mené, palpitant jusqu'au bout. C'est-à-dire jusqu'à ce que toutes les pièces du puzzle soient révélées. Une véritable comédie (dramatique) : quel roman !
Vivement le suivant.

Éditions Thierry Marchaisse, 2014, 224 pages.