jeudi 18 novembre 2021

Et l'amour dans tout ça ?

Après Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet poursuit et décline sa réflexion sur le patriarcat sous l'angle de l'amour dans Réinventer l'amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.
Comme d'habitude, la journaliste part de son expérience personnelle et de sa prise de conscience. Elle décortique et clarifie ces points qui, comme souvent, nous semblaient gênants sans qu'on comprenne pourquoi.
Parfois, quand on est féministe et en couple, des contradictions peuvent rendre les relations difficiles.
Mona Chollet met en lumière l'infériorité des femmes dans l'idéal romantique en prenant comme exemple des œuvres comme Belle du Seigneur d'Albert Cohen ; comment les hommes, "les vrais", sont encouragés à se montrer violents ; comment l'amour serait une affaire de femmes ; et enfin, comment les femmes seraient des sujets érotiques.

Non, les femmes n'ont pas tort d'aimer comme elles aiment, avec audace et courage. Il n'en reste pas moins que l’asymétrie contemporaine des attitudes féminines et masculines à l'égard de l'amour pose de nombreux problèmes.

Pour faciliter les relations, nous en revenons souvent à l'injonction "Sois belle et tais-toi". Et sinon, c'est l'impasse : il faudrait choisir entre bonheur amoureux et épanouissement personnel.

Quelle fonction remplit le conditionnement des femmes à l'amour ? Même si je ne pense pas, encore une fois, que l'hétérosexualité se résume à une ruse du patriarcat, il me paraît indéniable que, en abreuvant les filles et les femmes de romances, en leur vantant les charmes et l'importance de la présence d'un homme dans leur vie, on les encourage à accepter leur rôle traditionnel de pourvoyeuses de soins. On les place aussi en position de faiblesse dans leur vie sentimentale : si l'existence et la viabilité de la relation leur importent davantage qu'à leur compagnon, en cas de désaccord sur n'importe quel sujet, ce sont elles qui seront amenées à céder, à faire des compromis ou à se sacrifier. On éduque les femmes pour qu'elles deviennent des machines à donner, et les hommes pour qu'ils deviennent des machines à recevoir.

Comment réinventer l'amour dans ce contexte de remises en question ? Peut-être par une prise de conscience de ceux qui ont aussi envie de réfléchir aux conditionnements de part et d'autre, de les déconstruire, et de se mettre à la place de l'autre. Tout le monde y gagnerait en compréhension et harmonie.
Brillant essai. Lecture indispensable.

Éditions La Découverte, collection Zones, 2021, 276 pages.

lundi 15 novembre 2021

Le chant d'Élisée

Élise sur les chemins de Bérengère Cournut est d'abord un très bel objet avec sa couverture, fascinante et lumineuse, superbement illustrée par le tableau nommé Deux haies de Corinne Pauvert.
Les grands rabats sont comme une parenthèse qui nous plonge dans l'atmosphère féerique de ce roman, entre nature et fantastique, rêve et réalité.
C'est un roman surprenant d'abord, entièrement écrit en vers libres, légers et tourmentés, d'une langue pleine de grâce et de liberté. Et peu à peu l'univers nous happe.
Élise, la narratrice, part sur les traces de son frère, Élisée Reclus (1830-1905), l'écrivain géographe, libertaire et voyageur, défenseur de l'union libre, précurseur de l'écologie (entre autres). 

Je suis une fille, je m'appelle Élise
Je suis née il y a onze ans
Au flanc d'une colline boisée
Les pieds dans un ruisseau
La tête dans les bouleaux
Enfant des arbres, fille de l'eau

C'est donc à un voyage que nous convie l'autrice : un voyage onirique, initiatique, sauvage et féminin.
Un vent de liberté intemporelle !

Le Tripode, 2021, 176 pages.

samedi 13 novembre 2021

Vive les gentilshommes (dans ce monde de brutes) !

Propos d'un aspirant Gentleman
de Frédéric Rebet est un dictionnaire des bons mots, propos choisis, anecdotes, aphorismes, citations, conseils, histoires drôles, extraits ou listes de lectures et de films... bref, un joyeux bric-à-brac de savoir-vivre pleins de surprises, d'élégance et de drôleries.
L'auteur est un dandy bien de son temps qui œuvre dans le milieu musical et a notamment créé le label Naïves.
Malgré son intérêt pour un art de vivre parfois désuet qui était en vogue au XIXe siècle, son objectif est une ouverture d'esprit et l'intérêt porté aux autres, ce qui est tout à fait louable.
Si la culture britannique domine chez lui, il est également imprégné des française et japonaise.
"C'est aussi une ode à la singularité assumée, sans ostentation, avec l'apaisement qu'apporte le recul de l'humour", ajoute-t-il en fin d'ouvrage.

Il y a des jours "avec" et des jours "sans", et les jours "sans" il faut faire "avec".

C'est le livre sympa à offrir aux gentlemen, qui se reconnaitront, et aux autres qui en prendront de la graine, en s'amusant.

Éditions de l'Opportun, 2021, 336 pages.

dimanche 7 novembre 2021

Un roman picaresque kaléidoscopique

Le Bon, la Brute et le Renard de Christian Garcin est un roman picaresque avec un extraordinaire entrelacement d'histoires, d'enquêtes, de quêtes... et bien sûr un clin d’œil au western et au road movie.
Nous n'avons pas affaire à des cow-boys mais à un trio de Chinois qui recherche la fille de l'un d'entre eux dans le désert californien entre deux nuits dans des motels. Le trio croise, sans vraiment le rencontrer, un duo de policiers américains qui, eux, recherchent un jeune homme. Ailleurs, à Paris, un autre Chinois, "auteur réticent et enquêteur perplexe", cherche la fille de son patron.
Mais ces personnes qui ne donnent plus de nouvelles souhaitent-elles vraiment être retrouvées par ceux qu'elles ont fui ?
La recherche de personnes disparues est un thème récurrent chez Christian Garcin comme dans Des Femmes disparaissent ; ou celui des rebuts de la société comme dans Les oiseaux morts de l'Amérique. Il est aussi question de chocs des cultures : les Chinois en Amérique, un Chinois à Paris, mais aussi entre Paris et Marseille...
Pour ceux qui lisent Christian Garcin, c'est avec délectation que l'on retrouve des personnages, des lieux et des thèmes déjà croisés ou visités dans d'autres de ses livres puisqu'il tisse une œuvre foisonnante toute en souterrains et archipels (lire l'entretien).
Christian Garcin s'amuse — et nous aussi ! — dans une mise en abîme à facettes qui crée un effet de caléidoscope avec un livre dans le livre : où un de ses personnages est devenu un personnage de roman. Inversement, un personnage (qui n'a rien à voir avec l'auteur) porte le nom de Christian Garcin
Enfin, on se régale de dialogues drôles et subtils, et de références et digressions passionnantes sur toutes sortes de sujets : la poésie chinoise, la pollution, les laissés pour compte, la cause animale, etc.
Humour, réflexion et poésie sont toujours au rendez-vous.

Actes Sud, 2020, 336 pages.

D'autres chroniques sur les ouvrages de l'auteur :

- Entretien avec Christian Garcin
- Petits oiseaux, grands arbres creux

-
Selon Vincent
- Les oiseaux morts de l'Amérique
- Dans les pas d'Alexandra David-Néel

- Les vies multiples de Jeremiah Reynolds
- Jeremiah & Jeremiah
- Vétilles
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas
- Sortilège 
- Des femmes disparaissent
- Les nuits de Vladivostok
- Romans pour la jeunesse