dimanche 28 mars 2021

Chère Simone !

L'autrice et journaliste allemande Julia Korbik nourrit une passion pour Simone de Beauvoir et nous offre une relecture et une redécouverte vivifiantes de sa vie et son œuvre, dans Oh, Simone ! Penser, aimer, lutter avec Simone de Beauvoir.
Celle qui écrivait à Nelson Algren : "J'aime avec passion la vie, j'abomine l'idée de devoir mourir. Je suis terriblement avide, aussi, je veux tout de la vie, être une femme et aussi un homme, avoir beaucoup d'amis, et aussi la solitude, travailler énormément, écrire de bons livres, et aussi voyager, m'amuser, être égoïste, et aussi généreuse..." était aussi écrivaine, philosophe, féministe.
Julia Korbik a un style vivant qui rend cette biographie captivante. Elle ponctue son texte de citations et d'anecdotes amusantes, comme "Le saviez-vous ? Simone en 14 points (surprenants)", de biographies de ses proches, comme sa meilleure amie Zaza.
Et bien sûr, les amours et rencontres décisives de sa vie : Sartre, Algren, Lanzmann... avec des extraits de lettres et de notes.
Lanzmann dira à propos de Simone : "Elle m'a appris à voyager. Elle m'a appris à voir. Elle m'a appris à penser." Et, Simone nous en apprend encore, comme le prouve cet ouvrage.
Cette forme dynamique, cet angle, vu d'une étrangère, avec l'objectif de faire connaître Simone aux jeunes lectrices, sont vraiment enthousiasmants.

« Je conclurai donc en vous disant qu’à mon avis le féminisme est loin d’être dépassé et qu’au contraire il faut le maintenir vivant ; s’y opposer, le nier, ce n’est pas dépasser quelque chose, mais c’est régresser. Je pense que le féminisme est une cause commune de l’homme et de la femme et que les hommes n’arriveront à vivre dans un monde plus juste, mieux organisé, un monde plus valable, que lorsque les femmes auront un statut plus juste et plus valable ; la conquête de l’égalité entre les sexes les concerne tous les deux. D’autre part, les femmes ne doivent pas s’enfermer dans des revendications spécifiques. Il faut qu’elles en élargissent la portée, et qu’elles luttent aussi au côté des hommes pour un changement général de la société, parce qu’elles n’arriveront à faire triompher leur propre cause qu’en aidant au progrès de l’humanité tout entière. »

Éditions La Ville brûle, 2020, 288 pages.  

Où l'on retrouve Simone dans d'autres chroniques :
- Audacieuses
- Simone de Beauvoir et les femmes

jeudi 18 mars 2021

L’étoffe des héros

Éric Dautriat a signé ce magnifique roman, Le brisement de la mer, son sixième livre, une fable mythologique et philosophique qui nous emmène en voyage dans le temps et l'espace.
Ulysse est-il vraiment heureux d'être rentré de voyage ? Il s’ennuie, se penche sur son passé (plus ou moins) glorieux et sa condition de mortel, obsédé par la mer et les femmes. Pénélope semble plus sereine. Elle n’est dupe de rien mais ne juge pas. Elle pardonne. Un étrange voyageur, nommé Nîl (dont le prénom devrait vous rappeler quelqu'un), débarque et prétend être allé sur la Lune.

Dans ce conte philosophique, où la mer a rendez-vous avec la Lune, se rencontrent deux personnages mythiques, deux époques, deux odyssées extraordinaires, qui, malgré quelques différences, ont beaucoup en commun.
Comme l'écrit Éric Dautriat dans son avant-propos : « L'aventure de l'espace du XXe siècle entretient avec les mythes les plus anciens des liens étroits, souvent conscients, si l'on en juge par les noms donnés aux fusées et aux vaisseaux spatiaux, à commencer par Titan et Apollo ». De même, les noms des constellations empruntent beaucoup à la mythologie grecque.

L'auteur, ingénieur de l'aéronautique et de l'espace, longtemps dirigeant du programme Ariane, réussit l'exploit d'interroger et revisiter ces mythes, avec poésie et sensualité. Les personnages d’Homère reprennent vie, corps et chair, et surtout esprit. Ces héros, taillés dans l'étoffe des légendes éternelles, deviennent proches et contemporains, tellement humains.
La lecture du
Brisement de la mer est du miel, une ode à la nature, à la beauté des étoiles et de la mer. On y voit la silhouette des pins et les rangées de vignes ; la vie rude et sèche des terres de marins baignées de soleil. On y sent les embruns, les parfums de lentisque des maquis et des garrigues de la Méditerranée. On y sent le goût du sel, de l’huile d’olive et du vin. On y sent le grain du sable et celui de la peau des femmes.
On en sort heureux d'avoir fait un beau voyage.
 

Éditions de La Belle Cordière, 2020, 230 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n°110 des Carnets du Ventoux.

lundi 15 mars 2021

L'impermanence du monde

Dans Ce qui vient, le journaliste Stéphane Paoli interroge une quinzaine d'hommes et de femmes, savants, penseurs et chercheurs, sur ce qui se trame dans leurs disciplines respectives.
Il tente ainsi de tisser une toile du monde de demain, prenant en compte différents domaines, parfois complexes et souvent passionnants, interdépendants, tels que l'économie, internet, la génétique, la robotique, l'anthropologie, la santé, la culture, la géopolitique, l'art contemporain, les relations personnes-machines, etc.
Et pour parler de demain, il faut parfois revenir à hier, à l'histoire de la Terre et de l'humanité pour mieux comprendre son adaptation perpétuelle aux changements, surtout quand survient un virus invisible qui fait exploser bien des certitudes...

Les Liens qui Libèrent, 2020, 304 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le numéro 25 du magazine Sans Transition !.

Pour une transition positive et concrète

Grégory Derville est maître de conférences en science politique et a participé à "Beauvais en transition". Déjà auteur d'un livre sur la permaculture, il crée un écolieu à la campagne pour mettre en œuvre concrètement ses recherches. Avec ce livre pratique, Réussir la transition écologique. Outils pratiques pour agir ensemble, il explique, en expert et praticien, comment transformer en profondeur le territoire : quartiers, villages, villes. Lucide face à la situation écologique, il propose une vision positive et stimulante du futur pour la construction d'une autre société, en unissant les forces et compétences (famille, amis, voisins, associations, élus locaux...). Voilà un véritable mode d'emploi pour savoir comment s'y prendre et quelles actions mener, en s'appuyant sur 9 types d'initiatives détaillées et des exemples précis déjà existants.
Un véritable mode d'emploi pour la transition. 

Terre Vivante, préface de Pablo Servigne, 2019, 208 pages. 
 
Cette chronique est initialement parue dans le numéro 25 du magazine Sans Transition !.

Pour un journalisme constructif

Si ce livre, Imaginer le monde de demain : Le rôle positif des médias, de Gilles Vanderpooten, s'adresse en priorité aux professionnels de la presse et étudiants en journalisme, il remet en cause la presse telle qu'elle est décriée.
Pour sortir du catastrophisme médiatique qui joue sur le ressort de la peur, une nouvelle forme de journalisme, plus constructif, donne envie d'agir.
Certes, les mauvaises nouvelles abondent mais elles entraînent une certaine résignation (en plus de saper le moral). Le thème du changement climatique est un exemple de ces thèmes complexes et anxiogènes par excellence.
Malgré tout, le pire n'est pas majoritaire et des lueurs d'espoirs émergent. D'autres informations rendent compte de la réalité concrète et répondent aux attentes de certains citoyens fatigués de la spirale des mauvaises nouvelles. Les médias peuvent apporter des outils de réflexion et des solutions à plus long terme et à la portée des citoyens pour changer le monde.
Ils sont une source d'inspiration et permettent de mieux appréhender le monde.

Actes Sud, 2020, 176 pages.


Cette chronique est initialement parue dans le numéro 25 du magazine Sans Transition !.

Révoltez-vous ! Plantez partout !

Comme à New York dans les années 70, dans les friches urbaines, des citoyens jardinent et font pousser des fruits et légumes.
C'est la Green Guerilla et c'est l'objet de cette bande dessinée pour le jardinage urbain : Guerilla Green. Guide de survie végétale en milieu urbain d'Ophélie Damblé et Cookie Kalkair.
L'autrice Ophélie raconte sa propre histoire et incite à se lancer dans ce projet citoyen d'agriculture en ville : une pratique militante pour se réapproprier l'espace public. Elle nous fait part également de ses recherches et de l'historique de ces mouvements de rébellion par le jardinage. C'est instructif et malgré le sérieux du sujet, cela ne manque pas d'humour.
Elle raconte une foule d'anecdotes et d'histoires du monde entier. Et surtout elle explique tout en détails, voire en vidéo (à visionner grâce à des QR code).
Elle donne au moins cinq bonnes raisons de planter partout et notamment de dépolluer la ville et de créer un impact social positif. Ensuite, il n'y a plus qu'à passer à l'attaque.

Révoltez-vous ! Plantez partout !

Jardiner en ville, c'est un peu comme mettre une part de campagne à la ville, mais en plus militant. Et cela fait tout de suite du bien !

Steinkis, 2019, 176 pages.

Pour en savoir plus : Ta mère nature.

Le plastique, pas si fantastique

Nelly Pons s'attaque au problème du plastique dans Océan Plastique. Enquête sur une pollution globale. Comme nous nous y attendions, ce n'est pas fantastique !
Nos déchets sont partout, jusqu'au fond des mers, notamment à l'état de plastiques. Le recyclage total est presque impossible. En proie au trafic, il est mal géré. Tout l'écosystème est en danger et bien sûr aussi notre santé.
Comment freiner les multiples pollutions ?
L'autrice a voulu comprendre comment nous en sommes arrivés là et surtout comment en sortir : avec de vraies solutions. Car oui, nous pouvons agir.
Une enquête très complète avec des entretiens éclairants de spécialistes, des schémas, un plan d'action : nettoyer, mieux gérer les déchets, limiter... et surtout changer les mentalités et reconnaître des droits à la nature.
Si le plastique n'est pas fantastique, cet essai est un fantastique pavé dans la mare !

Actes Sud, 2020, 384 pages

Cette chronique est initialement parue dans le numéro 27 du magazine Sans Transition !.

Duo de choc

Deux grands noms américains de la littérature et du dessin sont réunis pour ces deux nouvelles de Charles Bukowski illustrées par Robert Crumb : There's no Business et Bring me your love.
Chaque nouvelle fait l'objet d'un livre à part. Le fait de ne pas avoir traduit les titres nous met davantage dans l'ambiance.
Bring me your love est excellente ! Bukowski, cet autre grand maître de la nouvelle américaine (avec Raymond Carver) nous mène littéralement en bateau jusqu'à la chute. Une histoire de couple et de folie où, quand on veut enfermer sa femme, on dit qu'elle est folle : une technique bien connue pour se débarrasser de celles qui ne se soumettent pas.
There's no Business est l'histoire d'un has been du show-business : c'est trash, bien dans le style des deux auteurs.
Deux textes courts et choc !

Au Diable vauvert, 2020 et 2021, 32 pages.

Lire aussi mes autres chroniques sur Bukowski :
- Sur l'alcool
- Sur l'écriture



dimanche 14 mars 2021

Un dernier voyage en images avec Hugo Pratt

En 1992, Hugo Pratt entreprend un dernier voyage dans le Pacifique. C'est le récit qu'il raconte dans J'avais un rendez-vous, une réédition augmentée d'une sorte de testament spirituel.
Il évoque son univers composé d'images et sa fascination pour les dessins depuis son enfance à Venise, comme ces vignettes représentant des paysages exotiques ou un grand livre illustré que sa voisine lui avait montré.
Autant de lectures, d'invitations au voyage et de rendez-vous, souvent inattendus, car dit-il : "au fond, les meilleures réponses nous sont données lorsqu'on ne pose pas de questions..."
Il part d'île en île sur ces lieux de légendes qui ne sont pas toujours des paradis, mais chargés d'histoires de marins, d'explorateurs, de colons... Rapa Nui, Rarotonga, Pago Pago, Samoa, Apia (avec un émouvant hommage à Stevenson), Nouvelle-Irlande...

Rapa Nui est une porte d’entrée vers des mondes disparus, vers des légendes trop belles pour qu’on y renonce et trop naïves pour qu’on y croie. Oui, sans aucun doute, cette île est une merveilleuse invitation à la rêverie, à l’imaginaire.

Comme le raconte Patrizia Zanotti qui a voyagé d'île en île avec Hugo Pratt, ce dernier préparait méticuleusement ses voyages, se documentait, étudiait les cartes, lisait la littérature. "En réalité, Pratt voyageait plus dans l’idée d’éprouver certains lieux que de les découvrir. Pour lui, se rendre dans le Pacifique, après toutes les pages qu’il avait dessinées avec Corto Maltese, Capitan Cormorant, ou encore pour L’Île au trésor, c’était retrouver les paysages qui avaient alimenté son imagination. Il ne cherchait pas à se documenter sur un lieu pour ensuite le dessiner, tout simplement parce que les dessins, il les avait déjà faits. Son voyage était un voyage nostalgique, où il cherchait à réanimer la fascination qui, depuis son adolescence, l’avait poussé à dessiner. Il recherchait les lieux dont il avait rêvé. C’était comme rentrer dans la magie des pages de Stevenson, de Conrad, de Melville et de tant d’autres", écrit-elle dans la postface.
L'ouvrage est superbement illustré avec, bien sûr, le personnage de Corto Maltese. Il comporte également un album photo de leur voyage, ainsi qu'une truculente biographie en quelques dates marquantes et citations.
Un passionnant et magnifique voyage dans l'imaginaire et les pas de ce grand dessinateur.

Le Tripode, 2020, 224 pages.