samedi 25 juin 2022

Hors des sentiers battus

Pure poésie que cette envie de Devenir chevreuil de Tony Durand !
Alors qu'il passe plus de temps que de coutume chez lui (comme la plupart d'entre nous lors de cette fameuse année 2020), et notamment dans son jardin, la nature et le printemps l'inspirent.
Il improvise une ode au renouveau de la végétation, et s'imagine jeune chevreuil... jusqu'au jour où un animal, un vrai chevreuil, fait irruption à travers la haie.
Comme par magie, la rêverie a rendez-vous avec la réalité.
De nombreux courts chapitres commencent par Si j'étais un jeune chevreuil... et l'auteur de se glisser dans la peau du cervidé, des bois jusqu'aux sabots.
Devenir chevreuil suppose de ne plus être humain et donc de se débarrasser de certaines de nos contraintes :

Ah, si j'étais un jeune chevreuil, il y a fort à parier que le programme de mes journées s'en trouverait conséquemment allégé. Pas ou peu de réunions de travail, si ce n'est un conciliabule nocturne avec mes colocataires, chaque sujet nécessitant de l’être étant mis sur le tapis d'aiguilles de pin. Des échanges courtois, mais brefs. Quelques entrechoquements de bois à l’occasion, pour rétablir l'ordre des choses. (...) S'y ajouteraient, de manière ponctuelle, quelques impératifs  pas trop désagréables, tels que la perpétuation de l'espèce.


Humour, légèreté, liberté de ton, poésie... il n'y a qu'à se laisser emporter hors des sentiers battus par l'imagination débordante du cadre de Tony Durand.

Rue de l'échiquier, collection Le Don des nues, 2022, 64 pages.
Le Don des nues est une nouvelle collection des éditions Rue de l'échiquier qui rassemble des textes courts reliés par leur puissance d’évocation du monde vivant.

PS : C'est marrant : moi aussi j'ai aperçu un jeune chevreuil pendant le confinement et je ne peux que comprendre l'émerveillement ressenti.

Dessin de Tony Durand

Libraires, critiques, lecteurs, etc.

Libraires, critiques littéraires, lecteurs, auteurs... tout le monde en prend pour son grade dans ces articles écrits et publiés dans la presse anglaise, entre 1936 et 1946, par George Orwell et rassemblés dans ce petit — mais puissant — recueil : Sommes-nous ce que nous lisons ?
Encore une fois (lire aussi la chronique sur Pourquoi j'écris), l'auteur de 1984 n'y va pas avec le dos de la cuillère : cinglant et plein d'humour, d'une remarquable justesse et toujours d'actualité.
Il est d'autant plus juste dans ses propos qu'il a été lui-même libraire, critique littéraire et bien sûr auteur : il sait de quoi il parle.
Les quatre textes — Souvenirs de libraire, Confessions d'un critique littéraire, Les bons mauvais livres et Des livres ou des cigarettes — sont suivis d'une courte biographie.
Des livres ou des cigarettes est une défense de la lecture et du prix des livres — qui n'est pas une excuse pour ne pas lire — et se termine par :

Et si notre consommation de livres demeure aussi faible qu'auparavant, ayons au moins la décence d'admettre que cela est dû au fait que la lecture est un passe-temps moins captivant que les courses de chiens, le cinéma ou le pub, et arrêtons de raconter que les livres, achetés ou empruntés, coûtent trop cher.

Un livre indispensable aux libraires, critiques, lecteurs, auteurs, etc. qui se reconnaîtront.

1001 Nuits, 2022, 36 pages.
Et tout ceci pour 3 euros : aucune excuse.

mardi 21 juin 2022

Le fabuleux destin d'Alexandra David-Néel

À l'occasion d'une visite à la maison d'Alexandra David-Néel (1868-1969), à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-de-Provence), je me décide enfin à lire Voyage d'une Parisienne à Lhassa. À pied et en mendiant de la Chine à l'Inde et  à travers le Thibet, publié pour la première fois en 1927.
Nous avons tellement entendu parlé de cette femme passionnée par l'Orientalisme que nous avons l'impression de connaître son histoire. Or, cela vaut le coup de la lire car ce récit est un extraordinaire livre d'aventures, très bien écrit.
Ce qui a pour conséquence de donner envie de lire ses autres livres...
Avec le lama Yongden, qui est devenu son fils adoptif, elle a cheminé pendant huit mois, en 1924, à pied pour rejoindre le Thibet, et notamment Lhassa interdit aux étrangers en se faisant passer pour la mère du lama, c'est-à-dire pour une thibétaine en pèlerinage.
Autant dire que leurs conditions de voyages étaient extrêmes dans ce "Pays des Neiges" avec leur matériel rudimentaire (malgré quelques objets précieux et armes cachés sous leurs vêtements).
Le périple était également dangereux à cause des conditions climatiques, des risques d'accidents et surtout de rencontres périlleuses dans des régions désertiques où régnaient les brigands.
Ce qui intéressait aussi l'exploratrice était de traverser ces contrées où aucun étranger n'avait jamais mis les pieds et d'observer les us et coutumes des différentes ethnies rencontrées.
À sa sortie ce livre rencontra un beau succès et le voilà sans cesse réédité.

La nuit était venue, la neige se remit à tomber. Sous le ciel d'un noir d'encre, le paysage nocturne s'illumina alors, de façon étrange,. Une lumière diffuse, pâle et morne parut sourdre du sol tout blanc et s’échapper des arbres chargés de neige ; transformée par cette fantasmagorie, la forêt prit l'aspect insolite d'une sorte de royaume des Ombres. Blancs de la tête aux pieds, nous continuions, en boitant, notre marche taciturne parmi ce décor singulier, pareils à des fantômes se rendant à l'appel d'un sorcier thibétain ou à deux minables serviteurs de quelque Père Noël indigent.

Éditions Pocket, n° 2095, 380 pages.

Lire aussi ma chronique sur le récit de Christian Garcin et Éric Faye : Dans les pas d'Alexandra David-Néel.

La maison d'Alexandra David-Néel à Digne-les-Bains.