samedi 30 avril 2022

Ce qui compte c'est le style

Ici ça va. C'est ainsi que commencent les lettres ou les cartes postales.
C'est ainsi que commence ce magnifique roman de Thomas Vinau.
C'est l'histoire d'un jeune couple qui emménage dans une vieille maison à la campagne. Il débroussaille ; elle jardine.
Une fois qu'on a dit ça, on n'a rien dit. On n'a rien dit de la poésie de Thomas Vinau qui fait feu de tout bois avec trois fois rien — semble-t-il —, des phrases de trois mots parfois, des chapitres courts, des images lumineuses.

Il y a de quoi faire. C'est un joyeux chantier. Un peu comme une vie en kit dont les milliers d'éléments seraient éparpillés sur le sol et  qu'il faudrait prendre le temps de remonter.

Il débroussaille aussi son esprit et ses souvenirs. Au fur et à mesure, il découvre des trésors enfouis, des arbres fruitiers sous les ronces, la rivière au bout du terrain, mais aussi des souvenirs et un regain de confiance et de sérénité.

Mon esprit est un jardin désordonné. Une friche remplie de coton, de glace, de ronces et de fraises sauvages.

Par petites touches impressionnistes, Thomas Vinau peint des tableaux pleins de couleurs, d'émotions à fleur de peau, de parfums d'herbes et de vase mentholée.
Et c'est éblouissant.
C'est la vie, avec ses angoisses et ses moments de grâce.

Et puis un jour on se rend compte que le monde est plus grand que nos yeux. Et on reste là, perdus. Au bord du vertige.

Ce roman court est tellement beau qu'on a envie de le reprendre une fois fini pour se délecter à nouveau de ses charmes.

Alma éditeur, 2012 et version poche en 10/18, 2014, 144 pages.

vendredi 29 avril 2022

Une fiction très visionnaire

Écotopia est un roman d'anticipation d'Ernest Callenbach écrit en 1975 qui est en train de devenir réalité (enfin, qui pourrait). Les concepts n'en sont pas moins visionnaires, en tout cas l'auteur s'est inspiré des courants de pensées déjà présents dans les années 70 mais qui peinaient déjà à être entendus, encore moins à être appliqués. Bref, rien n'a changé.
Très en avance sur son temps, l'auteur décrit de façon impressionnante tous les principes actuels sur la transition écologique, l'après-pétrole, la sobriété heureuse, la semaine de 20 heures, le pouvoir et l'égalité des femmes, la communication non violente, le vivre-ensemble, la protection de la nature, la cause animale, le fonctionnement du recyclage, de l'éducation, des médias, des soins médicaux…
C'est l'histoire d'un journaliste Américain invité en Écotopia (comme son nom l'indique, un pays écologiste et utopique), composé de trois États de la côte Ouest des États-Unis (Californie, Oregon et État de Washington) et fermé depuis 20 ans car il y a eu sécession.
Le narrateur nous donne à lire à la fois son journal intime, pour ses réflexions personnelles sur ses découvertes et expériences, ainsi que les articles qu'il publie dans la presse américaine sur ce pays aux mœurs et à l'économie particulières.
Plein d'a priori et d'ironie au départ, le journaliste finit par apprécier le pays et ses habitants, d'autant qu'il va rencontrer une Écotopienne… (Et on rêve d'habiter dans cette utopie).
Un roman initiatique et une époustouflante fiction visionnaire, proche de nos préoccupations actuelles sur l'environnement.

Rue de l'échiquier, traduit de l'anglais (États-Unis) et préfacé par Brice Matthieussent, 2018, 304 pages.

mercredi 27 avril 2022

Portrait de Jim Harrison avec paysages

Seule la Terre est éternelle est un film de François Busnel et Adrien Soland, un portrait touchant sur l'écrivain américain Jim Harrison.
Cette longue interview est l'occasion de montrer de superbes paysages, les grands espaces américains, et de parler des thèmes chers à celui qui a notamment écrit sur le monde rural, la nature et sur la cause des Indiens d'Amérique.
L'homme paraît plus âgé qu'il ne l'est, fume et boit, tremble, marche difficilement. Il a été filmé peu avant sa disparition en 2016.

Film documentaire, 2022.


jeudi 21 avril 2022

Attendre, c'est la vie

Dans L'Attente, Michelle Willi rend un magnifique hommage à sa grand-mère en publiant une sélection de lettres parmi les centaines qu'elle a écrit à son fiancé pendant la guerre, entre 1914 et 1919.
Sa grand-mère Luce est alors une jeune fille d'une vingtaine d'années, pleine de projets, d'envies, de passion. Elle a une belle plume et s'exprime avec sincérité, intensité et sensibilité. C'est une artiste, qui dessine et peint notamment. Quelques-unes de ses œuvres picturales sont d'ailleurs reproduites dans l'ouvrage, ainsi que des photos.
Michelle Willi a eu la bonne idée de répondre à sa grand-mère de façon posthume, une centaine d'années plus tard, pour donner un peu de contexte historique et renvoyer à ses propres souvenirs de petite fille.
Car il s'agit de lettres intimes, bien sûr, mais qui racontent bien davantage. Il y a d'abord l'aspect historique de la vie parisienne à cette époque troublée — et les guerres ne sont jamais si loin. Ces lettres sont le signe même de l'absence et de l'attente, longue et insoutenable, de l'être aimé.
Et il s'agit également d'un témoignage de la condition féminine : ce dont cette artiste, intelligente et pas encore mariée, rêvait et ce qu'elle est devenue par la suite, d'après ce que nous confie Michelle Willi. 
Entre les lignes, on imagine et on devine bien des choses.
Un ouvrage passionnant et touchant.

Éditions Sous le vent, 2021, 176 pages, 13,50 euros.
L'ouvrage est en vente à la librairie Montfort de Vaison-la-Romaine, au Point presse et à l'office de tourisme d'Entrechaux.

vendredi 15 avril 2022

Un Kanyar tout neuf !

Superbe dessin de couverture de Sara Quod.
Pour son numéro 9, Kanyar, fidèle à sa diversité de sujets, de lieux et de styles, passe du coq à l'âme.
Oui, il y a des histoires de coq, mais aussi d'abeilles et de cabris à La Réunion, et beaucoup d'états d'âme, sombres ou ensoleillés, d'ici ou d'ailleurs.
On voyage en train vers Reims ou Marseille, en 4L dans les Hauts de L’Étang-Salé, en Panda ou en Twingo sur les routes de Mayenne ou de Bretagne.
On passe d'une salle de gym à la terrasse d'un café parisien, d'un cabinet de psy au cimetière de Sainte-Suzanne.
On croise aussi une machine à coudre, des timbres-poste, un coffret à clé, un jardin hanté, une statue vacillante.
On pénètre dans des univers, graves ou fantaisistes, dans des histoires inventées, rêvées, hallucinées, ou inspirées de faits et personnages réels.
Ce sont des histoires d'amour, des drames, des secrets et des repas de famille, des chroniques du quotidien…
Il y a des souvenirs de voyages, des souvenirs d'enfance mais aussi des histoires d'exils et de pays lointains.
La poésie, la littérature, l'art et la musique inspirent et traversent ce numéro avec des airs de chansons, de maloya ou de jazz manouche. 

Ont contribué à ce numéro 9 : Karine Boulanger, Estelle Coppolani, Catherine Coulombel, Emmanuel Gédouin, Emmanuel Genvrin, Nathalie Hermine, Élodie Lauret, Jocelyne Le Bleis, Julie Legrand, Nathalie Valentine Legros, Isabelle Martinez, Marie Martinez, Sara Quod (dessin de couverture), Marie Ranjanoro, Bruno Testa.

Ce numéro, comme les précédents, est aussi en vente dans la supérette du site de la revue Kanyar si vous ne trouvez pas de librairie à proximité de chez vous. Cliquez ici et laissez-vous guider.

Kanyar n°9, avril 2022, 176 pages.

Manifeste pour la beauté du vivant

Le célèbre botaniste Francis Hallé lance un projet d'une forêt en libre évolution sur un grand espace (environ 70 000 hectares) en Europe de l'Ouest et sur plusieurs siècles.
Pourquoi ? Il s'en explique en détail dans ce petit livre : Pour une forêt primaire en Europe de l'Ouest.
Les forêts primaires sont d'une grande beauté et d'un grand intérêt : à la fois berceau et muséum du vivant.
Alors que les forêts primaires ont presque disparu en Europe et qu'elles sont en déclin sous les tropiques, il rappelle ce qu'elles représentent et l'importance du temps long.
Il détaille l'origine du projet, ses aspects philosophiques et différentes questions : comment sera gérée et étudiée cette expérience, avec qui, pourquoi, de quelle façon.
À l'été 2021, le lieu précis n'était pas encore déterminé.

À savoir que, pour son association, il ne cherche pas forcément des moyens financiers mais surtout des adhérents pour avoir davantage de poids et faire entendre sa voix. 

Actes Sud, 2021, 10 x 19 cm, 64 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le magazine
Sans Transition !

jeudi 14 avril 2022

Roman hypnotique

Sous hypnose est un passionnant roman écrit par un hypnothérapeute, Bruno Lasnier, qui nous conduit dans un cabinet de psy.
Il nous montre à la fois la démarche thérapeutique, comment se déroule une séance — avec l'entretien en face à face, l'hypnose et le dénouement —, ainsi que les propres réflexions du psy, des extraits de ses notes, et la façon dont il guide son patient vers des souvenirs enfouis.
Nous entrons alors dans la psyché humaine comme dans une enquête. Car la raison qui conduit le patient à venir voir l'hypnothérapeute, un peu par curiosité, est pour le moins étonnante : il ne retrouve plus une précieuse enveloppe qu'il avait cachée.
Le psy relève le défi de dénouer l'énigme en une séance et de découvrir, avec son patient, ce qui l'empêche d'y remettre la main dessus. 

Qui empêche cette main de retrouver ce qu'elle a si bien caché, et à quelle fin ?

Le thérapeute en profite pour se demander pour quelles raisons il est devenu thérapeute.
L'ouvrage se lit d'une traite, sous hypnose, et rappelle forcément ceux d'Irvin D. Yalom, psychiatre et écrivain américain, notamment Mensonges sur le divan, aussi captivant et bien écrit.

Amphora, label Bold, 2022, 144 pages.


De l'humour pour échapper à l'angoisse

Tiens, dès qu'on lit Fabrice Caro sur la couverture de l'originale collection Sygne de Gallimard (qui se donne pour ligne, "une façon inédite et captivante d’écrire le monde"), on se dit que ça risque d'être drôle.
Banco ! C'est Broadway.
Le rire est déclenché au détour d'une phrase, forcément où on ne s'y attend pas. Effet de surprise, fantaisie dans l'apparente banalité de l'histoire d'un certain Axel, un monsieur-tout-le-monde mélancolique doué d'autodérision (ce qui le sauve et le lecteur avec).
Contrairement à sa femme, il ne sait jamais comment s'y prendre pour se sortir d'affaires somme toute très courantes, parfois gênantes (et hilarantes), mais qu'il ajourne et qui prennent des proportions obsédantes. Il fait une montagne de tout avec un penchant timide, ne voulant surtout pas faire de vagues, ne sachant pas dire non. Il subit tout et tout le monde, mais affirme que c'est parfait.
Bien évidemment, c'est la meilleure façon de s'empêtrer dans des situations où il ne voulait surtout pas se trouver.
Broadway est ce monde rêvé et idéal qui correspond rarement à la réalité.
Quelle inventivité !

Du paddle à Biarritz. Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d’amis n’apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Tout le monde était emballé, c’était l’idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne.

Gallimard, collection Sygne, 2020, 208 pages. Existe aussi en audio et bientôt (en mai 2022) en Folio !


lundi 11 avril 2022

Éloge de la lenteur

Rien ne sert de courir, c'est le conseil de Blaise Leclerc qui propose de nous Apprendre à ralentir, avec son Plaidoyer pour un monde apaisé.

Pour notre bien-être et celui de la planète, il est urgent de freiner notre course folle après le temps, la (sur)consommation…
L'auteur synthétise pourquoi il est urgent de ralentir et comment le faire : apprendre à ne rien faire,
se déplacer plus lentement,
éliminer les choses et les activités inutiles. 

Il développe ensuite les bienfaits de ce ralentissement : temps retrouvé pour soi et les autres, une meilleure santé, une diminution des pollutions… 

Enfin, six personnes qui ont ralenti racontent leurs expériences : trouver un équilibre, faire du travail manuel, goûter sa liberté… 

Et surtout : commençons par prendre le temps de lire !

Éditions Terre vivante, 2021, 96 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le numéro 32 du magazine Sans Transition !

Au fil de l'eau

Avec un titre en hommage à Haruki Murakami, Julie Legrand clôt sa trilogie, après Tangor Amer et Petites morsures animales, avec ce recueil de seize nouvelles intitulé Sur le rivage et dont le fil conducteur, au fil des pages, est l'eau.
J'ignore si l'autrice écrit au fil de l'eau mais avec le chant des oiseaux, c'est certain, comme elle nous le confiait dans un entretien.
Il semble que tout l'inspire : la féminité, les moments charnières de la vie où l'on s'interroge sur le sens de la vie, les sujets d'actualité dramatiques — le changement climatique ou les migrants — comme les états d'âme du quotidien.
Douée d'un sens de l'observation aiguisé, l'autrice prolixe a un grand talent pour décortiquer le réel, entrer dans le corps et l'esprit de ses narratrices et narrateurs, comme si elle avait vécu mille vies, personnages célèbres ou inconnus, comme un certain Bernard de 62 ans qui a roulé sa bosse ou ces adolescentes qui traînent leur neurasthénie. Si les histoires sont courtes, elles sont en revanche très profondes et détaillées, riches en références, drôles ou plus mélancoliques.
Seize nouvelles, donc, dans lesquelles on plonge dans d'autres vies que la nôtre, et où l'on passe avec la même aisance des nuits décadentes du Palace à un luxueux cabinet d'avocats, au rayon du Daily Monop' à une plage de La Réunion, comme si on y était.

Éditions Orphie, 2021, 152 pages.

Julie Legrand a également publié plusieurs nouvelles dans la revue littéraires Kanyar, dont Sur la plage, éperdument reprise dans ce recueil.

Lire aussi l'entretien avec Julie et les chroniques sur :
- La fleur que tu m'avais jetée
- Bons baisers de l'île. Tableaux-souvenirs de l'île de la Réunion
- L'extinction 
- Petites morsures animales

samedi 9 avril 2022

Le coût exorbitant d'un like ou d'un mail

Le numérique, invisible, pourrait paraître magique. Or, quand on prend en compte toutes les infrastructures nécessaires pour le faire fonctionner, on tombe du nuage !
C'est ce qu'explique Guillaume Pitron dans
L'enfer numérique. Voyage au bout d'un like.
En effet, la réalité est nettement plus sombre : la fabrication des smartphones, la matière noire de l'immatériel, le fameux nuage qui n'est pas tout rose, l'électricité nécessaire, l'expansion des technologies, les robots très pollueurs, le grand câblage sous-marin, la géopolitique des infrastructures... au final, le coût environnemental d'un like sur les réseaux sociaux ou d'un mail s'avère exorbitant.
Quels sont les enjeux ? Quels sont les risques ? Quelles sont les solutions ? Une enquête éclairante et très documentée.

Éditions Les Liens qui Libèrent, 2021, 348 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le numéro 32 du magazine Sans Transition !

jeudi 7 avril 2022

Sur la piste de Norwich Restinghale

Comme à son habitude, Christian Garcin brouille les pistes ou plutôt construit un jeu de pistes et de passerelles entre ses ouvrages.
Celui-ci, Une Odyssée pour Denver - Un inédit de Norwich Restinghale paraît dans la bien nommée collection Détours des éditions Champ Vallon. Il est comme un tiroir dans le magnifique roman Du bruit dans les arbres paru il y a vingt ans.
En effet, on y retrouve quatre des personnages : le poète Norwich Restinghale ; George Traunberg qui pourrait être Georges, le critique littéraire (avec un s en moins) ; Laurie, l'exécutrice testamentaire et Denver, la sœur du poète.
Ce roman est une savoureuse mise en abîme de l'auteur du texte inédit en question, qui serait Norwich Restinghale, mais peut-être aussi Laurie Brentano, d'après George Traunberg, l'auteur de la préface intitulée Quelques pistes narratives...
Le mystère plane sur l'auteur, comme cela était déjà sous-entendu dans Du bruit dans les arbres. On en oublierait presque que c'est Christian Garcin lui-même qui présente ses nouvelles et poèmes sous un autre nom que le sien.

Champ Vallon, 2022, 112 pages. 

Les éditions Champ Vallon ont également publié Sortilèges de Christian Garcin.

Ce blog, en suivant en pointillés l'œuvre foisonnante de Christian Garcin, constitue également un archipel ou un réseau sous-terrain avec des galeries et passerelles d'un livre à l'autre. Vous pourrez y naviguer d'une chronique à l'autre en suivant les liens, ce qui, j'espère, vous donnera envie de vous plonger dans les livres de l'écrivain.
- un entretien avec Christian Garcin avec de superbes photos.
-
une chronique sur Du bruit dans les arbres.

De la musique dans les pages

Du bruit dans les arbres de Christian Garcin est un roman qui, malgré la tension de l'intrigue, vous joue une petite musique poétique dans la tête.
Norwich Restinghale, un vieux poète qui a une réputation de misanthrope, vient de faire paraître un texte alors qu'il n'a pas publié depuis des années. Il a même accepté une interview.
Un critique littéraire, Georges, et un photographe, Paul, sont envoyés, mais pas n'importe lesquels : ils connaissent bien le poète et son œuvre et ont de vraies raisons personnelles de lui en vouloir, de ces raisons qui changent le cours de la vie.
Ils partent la veille et passent une nuit dans une auberge près de la tour où le poète vit reclus, ou presque.
Les trois personnages s'expriment à tour de rôle et se dévoilent. Ils ot en commun d'avoir été frappé par la perte d'êtres chers. Chacun se demande pourquoi il a accepté cette rencontre.

Je leur dirai que rien n'a d'importance sauf une chose : les branches d'acacias et de poiriers, les platanes du début de printemps lorsque la pluie menaçait, ces espaces exigus qui se métamorphosaient en immenses contrées dès que nous y grimpions, et les feuillages qui dansaient sous l'effet de la brise et du vent, je leur dirai que rien aujourd'hui ne me semble avoir plus d'importance que le bruit du vent dans les arbres, que la seule chose au monde que je regretterai à l'instant où j'en terminerai avec cette comédie de la vie ce sera cela, Denver et ses amies, la brise, les branches qui s'agitent, les jeux de lumière dans les feuilles, l'approche de la pluie, et le chuchotis infini, puissant et mystérieux, du vent dans les arbres.

La vraie rencontre du livre est certainement celle de la poésie, de la finesse et de la profondeur du propos.

Gallimard, collection Folio, première parution en 2002.

Lire aussi Une Odyssée pour Denver - Un inédit de Norwich Restinghale comme un tiroir dans ce livre.

mercredi 6 avril 2022

Justesse des gens de la terre et de la Terre

Pleine terre de Corinne Royer est un roman psychologique, politique et poétique librement inspiré d'un fait divers.
En 2017, un jeune éleveur bio en Saône-et-Loire, endetté et pris dans un acharnement administratif, part en cavale, puis est abattu par la gendarmerie. Avec une grande sensibilité, en trois ans de harcèlement administratif et neuf jours de traque, l'autrice interroge les aberrations du système agricole — et du monde en général — qui ne se remet pas en question et qui entraîne une perte de sens par rapport au vivant.

Pour revenir sur ce qui a conduit à l'engrenage dramatique, Corinne Royer donne la parole au jeune homme mais aussi à d'autres personnages : une sœur, un vieux voisin, des amis, un fonctionnaire.
Un roman informé, informant et poignant sur la beauté et la fragilité de la Terre.

C’était le jour mais il lui semblait que la nuit ne finirait plus. Allongé à même la sente où courait une végétation touffue, il avait ouvert les yeux aux premiers cris des passereaux. À présent, l’aube grandissait. Il ne s’en imprégnait pas, il restait tout entier dans l’ombre. Son bassin était si lourdement ancré au sol que les fougères écrasées sous le sacrum avaient rendu une sève huileuse qui lui inondait les reins. Depuis combien d’années ne s’était-il pas éveillé ainsi, à l’aplomb du ciel, dans la clarté encore laiteuse, entre les plis charnus de la terre ?


Actes Sud, août 2021, 336 pages, 21 euros.

Cette chronique est initialement parue dans le numéro 32 du magazine Sans Transition !

lundi 4 avril 2022

C'est du lourd !

Le roman burlesque le plus drôle et virevoltant de ce début d'année : L'autre femme de Mercedes Rosende. L'autrice est Uruguayenne, ce qui est assez original chez nous, et son roman fait l'effet d'une bombe.
C'est du jamais lu : une sorte de roman noir avec un humour noir et une succession de personnages attachants, rocambolesques ou pitoyables.
Le personnage principal est haut en couleurs, avec un côté sombre et manipulateur. On ne sait pas si elle fait un complexe d'infériorité ou de supériorité vis-à-vis de son physique et de son manque de réussite, comparée à sa sœur notamment, mais elle prend sa revanche et elle y va fort.
Dès l'incipit, elle se présente et annonce le ton :

Bonjour, Ursula, bienvenue dans le monde des gros, où tous les miroirs t'annoncent de mauvaises nouvelles.

S'ensuit une scène désopilante dans une cabine d'essayage. Nous la suivons ensuite à une réunion des Obèses anonymes. Elle participe également à des émissions de télévisions où elle joue un rôle dans le public. Tout est grossièrement truqué dans cette émission et c'est truculent.
Notre personnage est un peu fofolle ou plus maline qu'on ne croit. Elle se met carrément en danger en se faisant passer pour une autre, suite à une erreur téléphonique. En effet, la personne au bout du fil cherchait à joindre une homonyme nommée, comme elle, Ursula Lopez.
S'ensuit un jeu de manipulation risqué.
Suspens et surprises sont au rendez-vous jusqu'à la dernière page. Une belle découverte.

Quidam éditeur, 2022, 238 pages.

samedi 2 avril 2022

Se perdre et se retrouver en forêt

Le roman de Laird Hunt, Dans la maison au cœur de la forêt profonde, est comme une forêt où l'on peut se perdre et se retrouver.
On peut y rencontrer bien des surprises, faire des rencontres avec des personnages et des animaux, braver des dangers, mais aussi trouver de la magie, de l'espérance, de l'étrange, du fantastique, du rêve...
On peut y traverser des épreuves, mais aussi y trouver refuge, comme dans un conte.
La forêt est le lieu de tous les mythes, de toutes les origines, dont les premiers hommes.
Et nous voilà plongés dans le labyrinthe de toutes ces possibilités, qui se superposent parfois, et où les identités des personnages deviennent floues, se transforment, évoluent.
Goody quitte sa maison pour aller cueillir des baies pour son mari et son fils. Des souvenirs lui reviennent de son enfance, de l'attitude de ses parents, de celle de son mari...
Est-ce qu'elle disparaît quelques heures, quelques semaines ou quelques années ?
Tout est possible dans ce roman mouvant, où rien n'est sûr, mais où l'on est tenu sur les traces de cette femme à qui on a interdit beaucoup de choses et qui cherche peut-être à s'en libérer. La magie opère.

Quand le jour commença à poindre, mon chemin semblait clair. Car en se levant, le bon soleil alluma une ligne au milieu du champ tout en longueur qui s'étendait devant moi et sembla frapper l'air au-dessus des arbres au loin, et le vaste monde au-delà, pour tout enflammer.

Actes Sud, traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut, 2022, 224 pages.

Écouter l'auteur parler de la genèse de ce roman.