vendredi 21 décembre 2012

Femmes de lettres

Deux romans épistolaires épatants !
84, Charing Cross Road est l'adresse de la librairie londonienne Marks & Co, où Helene Hanff, une scénariste new-yorkaise à la plume bien trempée, passionnée de littérature anglaise, commande des livres d'occasion. Une amitié nait de cette correspondance avec le libraire Frank Doel, qui dure vingt ans, à partir de la fin des années 40. Basé sur une correspondance réelle, le texte est malgré tout estampillé roman. C'est charmant.
L'autre roman, la vraie fiction, est le désormais célèbre Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressmann Taylor, écrit en 1938 (d'abord publié sous le pseudo masculin Kressmann Taylor, sur le conseil de ses éditeurs qui trouvaient le texte trop fort pour être signé par une femme). Vraiment trop fort, en effet ! Le texte a été réédité dans les années 90. Il s'agit d'une correspondance fictive entre deux amis et associés : un Juif américain et un Allemand tendance nazi... Et comment, avec adresse, on passe des lettres au néant.
En évoquant ces échanges épistolaires, j'adresse un clin d'œil à mon amie Nadine avec qui je corresponds plusieurs fois par semaine, depuis plus de douze ans. Les mails ont remplacé les lettres et ont gagné en rapidité, sans rien perdre en intensité.    



mardi 18 décembre 2012

L'art d'en rire

Ah ! Tiens, j'ai oublié de parler de ce petit livre désopilant que m'a offert Myrtille : Les (vraies !) histoires de l'art, de Sylvain Coissard et Alexis Lemoine. Pas de texte, hormis les légendes. Que des images. Pas tout à fait des bandes-dessinées. En trois cases, trois temps et trois mouvements, vingt-trois chefs d'œuvre de la peinture sont revisités. Cela se passe de commentaires. Voyez plutôt la couverture qui propose une version décoiffante du Cri de Munch.
Après tout, c'est aussi le regardeur qui refait le tableau.

Éditions Palette, 2012, 14 x 24 cm, 48 pages.

dimanche 16 décembre 2012

Marseille est à la fête

Voilà un livre qui prouve que Marseille n'a pas usurpé son titre de capitale culturelle. Et la ville mérite bien ce pluriel mis entre parenthèses — jouant ainsi sur la pluralité et sur la Culture en général, avec capitale (!) — du titre de cet énorme (408 pages et près de 3 kg) et beau livre : Marseille Culture(s).
Les auteurs, Jean Contrucci et Gilles Rof, précisent en avant-propos que l'ouvrage
"ne se veut ni un catalogue, ni une anthologie, ni une étude exhaustive, ni un annuaire, ni un palmarès, ni un état des lieux..."
Alors, qu'est-ce que c'est ?
Un beau panorama des œuvres, événements ou artistes qui ont vécu, ou sont passés, à Marseille et ont marqué l'histoire de l'art, qu'il soit populaire, classique ou contemporain, car une belle place est offerte aux arts actuels.
Joli programme, bien valorisé. En effet, les auteurs ajoutent :
"L'esprit qui nous a guidé, et a guidé l'ensemble des très nombreux collaborateurs de cet ouvrage, se veut positif et allégé de tout combat de chapelles. Il salue l'initiative, l'envie, la puissance des créateurs qui habitent ou ont fréquenté cette ville. Il met en avant leurs idées et leurs réussites."
Et comme ils le disent si bien encore :
"La conclusion est rassurante. Qu'il s'agisse d'arts visuels ou de musiques, de théâtre ou de poésie, de cinéma ou d'architecture, de littérature ou de danse, la plus ancienne et la plus atypique des villes françaises aura toujours bénéficié de l'étonnante vitalité de ses créateurs, de ceux qui y ont puisé l'essentiel de leur inspiration, de ceux qui ont porté au loin sa renommée, ou encore de ceux venus d'ailleurs poser sur elle un regard fraternel ou critique, sachant que jamais, elle n'aura laissé quiconque indifférent."
Je vous rassure, je ne l'ai pas déjà lu en entier : c'est le genre de livre qui se feuillette, se picore, se déguste, se regarde plus attentivement, photo après illustration, peinture après portrait, et se lit par petits bouts, un entretien par-ci, une légende de photo par-là...
Un texte plein d'humour de Patrick Cauvin ouvre la fête, "Ma ville avec mes yeux d'enfant", d'autant plus touchant que ce fut le dernier de l'écrivain, à l'été 2010, juste avant de disparaître subitement.
Je termine cette chronique avec une de ses affirmations, dans l'esprit des galéjades :
"Alors, soyons objectifs : si quelqu'un vous demande ce qui est important à Marseille, la réponse à apporter est simple : tout." 

HC éditions, 2012, 408 pages.
Sur le site de l'éditeur, HC éditions, vous pouvez feuilleter quelques pages.

vendredi 14 décembre 2012

Un écrivain pas très catholique

C'est peu dire que l'écrivain José Saramago n'était pas très catholique. Ce Portugais, Prix Nobel de littérature en 1998, était très engagé à gauche. Après avoir fait scandale avec L'évangile selon Jésus-Christ, il en remet une couche avec son dernier roman : Caïn. Il y revisite les récits bibliques — à partir d'Adam et Ève, jusqu'à Noé, en passant par Moïse, Lilith et Abraham — et démonte, avec un humour caustique, les principes selon lesquels Dieu serait infiniment bon et miséricordieux.
Non seulement José Saramago défie Dieu et le prend en faute, mais il outrepasse les lois de la typographie et de la ponctuation : les majuscules servent à ponctuer ses longues phrases rythmées par des virgules, dialogues compris, et surtout pas pour les noms propres qui en sont dépourvus (Dieu est logé à la même enseigne). Preuve est faite que les règles ne servent qu'à être transgressées, pourvu que ce soit avec brio.
Le roman Caïn se termine par "L'histoire est terminée, il n'y aura rien d'autre à raconter". Un véritable point final à son œuvre, puisque José Saramago meurt en 2010, un an après sa publication.

PS : Annie, qui m'a prêté ce livre et me l'a vivement conseillé, trouve que je ne suis pas suffisamment dithyrambique dans cette chronique.
Donc, j'insiste : José Saramago est un auteur méconnu qui vaut la peine d'être lu.

Éditions du Seuil, 2011, 180 pages.

dimanche 9 décembre 2012

L'enfance Grimmée

Petite table, sois mise ! Drôle de titre pour un roman... C'est la formule magique du conte des frères Grimm qui permet à une petite table de se recouvrir aussitôt d'une nappe, de couverts et de plats fumants et bien garnis. Mais dans le roman d'Anne Serre, la table autour de laquelle se passent des choses étranges est immense, à la démesure de l'histoire orgiaque. Nous sommes donc dans l'univers du conte — contemporain, et pas vraiment pour les enfants — où les énormités sont de règle, surtout quand tout se dérègle.
Attention ! Cette histoire totalement incroyable risque de vous ensorceler et vous aspirer tout cru, ligoté aux 60 pages du livre impossible à lâcher ! Et le charme agira longtemps après.
Dans la maison de l'ogre, il y a une ogresse exaltée, envoûtée par le démon de l'amour, qui semble droit sortie du cabaret burlesque. Il y a trois filles dévergondées par les coups de braguette magique de leurs parents et des amis de leurs parents.... (ils ont l'inceste joyeux dans la famille, et pas égoïste). C'est la fête tous les jours, dans la joie, la bonne humeur (malgré le caractère irascible et brutal du père, mais on est un ogre ou on ne l'est pas) et le complet dérèglement des sens de la famille ! Sade n'est pas leur cousin, mais serait fier d'eux.
Malgré ce passé — que d'aucuns jugeraient monstrueux et traumatique —, la jeune narratrice raconte son histoire sans se départir de sa candeur et de sa gaîté. Mais finalement, le thème de ce roman pourrait être : comment la littérature vient aux filles. Car, s'il n'y a pas ce qu'on pourrait appeler une "morale", il y a bien une formule magique :
"Et je trouvai que tout était bien, que le monde traçait en riant des boucles, des volutes, qu'il suffisait — comme je l'avais toujours su, toujours cru — d'être extrêmement attentif pour que vivre vous procure une joie terrible, pour que se fabrique une œuvre d'art grâce à votre corps, à vos mains, à vos yeux, à votre pauvre cœur brisé."
Sublimez, sublimez, il en restera toujours quelque chose !

Éditions Verdier, 2012, 64 pages.

vendredi 7 décembre 2012

Pour faire le touriste éclairé à Marseille

2013 s'annonce comme l'année capitale de la culture à Marseille. J'ai deux livres à vous conseiller pour briller, sans bling-bling, dans les virées marseillaises ou dans les dîners du monde entier, car on voyage aussi en lisant et en restant chez soi.
Olivier Solinas invente le concept de "villosophie" pour parler de l'attachement à sa ville dans Promenades philosophiques dans Marseille. Ce professeur de philosophie, à l'esprit didactique, propose 35 lieux de balades, qui sont autant d'occasions de parler d'Histoire et d'histoires marseillaises que de philosophie. Ses invitations au voyage et aux expériences philosophiques nous transportent dans le temps et par l'esprit.
"Il y a toujours une raison au départ — car même fuir c'est espérer trouver mieux ailleurs — et toujours un espoir de revenir changé, avec quelque chose de plus, si tant est que revenir soit nécessaire. Bien sûr, les voyages sont aussi un moyen de réaliser des profits, pas seulement en termes d'intérêts économiques et commerciaux : on peut imaginer que par le voyage l'on se découvre, voire l'on se trouve. Le voyage est l'art de la transformation."
Une bibliographie bien fournie permet d'aller encore plus loin, dont ce guide truculent, savoureusement rédigé par l'écrivain François Thomazeau : Marseille insolite. Les trésors cachés de la cité phocéenne. 

Vous voilà armé (intellectuellement) pour venir apprécier la capitale de la culture en 2013 (et quand vous voudrez).

HC éditions, 2012, 224 pages.

jeudi 29 novembre 2012

Le silence est noir

Carla Guelfenbein est Chilienne. L'histoire de son roman, Le reste est silence, se passe dans son pays, où il est question aussi de Buenos Aires et Bogotá, des lieux qui évoquent forcément un passé sombre où le silence, la violence et la folie ont marqué l'Histoire et les gens.
C'est un roman à trois voix, de trois personnages d'une même famille : un petit garçon de douze ans, son père veuf et sa belle-mère. Chacun a ses fantômes secrets. Leur impossibilité, ou incapacité, à se parler met le lecteur dans la position dérangeante de celui qui sait tout et assiste avec impuissance aux ratages, aux pulsions, aux non-dits et aux dérapages. 
Dès le début, on sent le drame émerger avec ce petit garçon qui écoute les conversations des grandes personnes et découvre des secrets enfouis :
"Parfois, les mots sont comme des flèches. Ils vont et viennent, blessent et tuent, comme à la guerre. Voilà pourquoi j'aime bien enregistrer les adultes."
Le MP3 qui grave les conversations est comme l'arme des romans noirs : il y a certainement une raison pour qu'on parle de cet instrument dangereux dès la première page... 
Le roman est noir parce que planent des gestes retenus, des paroles tues, de vieux traumatismes qui ne demandent qu'à jaillir, sous quelque forme que ce soit, pas forcément la meilleure. 
Le style est lumineux, l'histoire est de plomb.

Éditions Actes Sud, 2010, 320 pages.

lundi 26 novembre 2012

Échappée belle en Islande

Dans L'Embellie, Auður Ava Ólafsdóttir nous emmène, avec une narratrice fantaisiste et attachante, dans un voyage initiatique en boucle sur la Nationale 1, la route circulaire qui fait le tour de l'Islande. Le paysage volcanique et le climat exotique — dans le sens de lointain, étrange et dépaysant — de l'île créent à eux seuls un univers spécial accentué par la nuit continue à cette latitude et cette époque de l'année (novembre). Inutile d'en raconter davantage, je préfère la citer :
"En fait, il manque très peu de choses à mon bonheur et à ma joie de vivre. Il n'est même pas nécessaire d'y voir clair, il n'y a qu'à mettre les essuie-glaces à plein régime et le chauffage à fond la caisse pour que la buée se dissipe peu à peu sur les vitres. C'est une grande liberté que de ne pas savoir exactement où l'on va en s'abandonnant à la sécurité de la route circulaire où tout s'enchaîne, pour revenir ensuite simplement à la case départ, presque sans s'en être aperçu."
Plus loin, comme si tout pouvait être comptabilisé (les chiffres ont beaucoup d'importance dans L'Embellie) :
"En résumant mes aventures depuis le début du voyage, je pourrais dire que j'ai provoqué la mort de quatre bêtes — cinq en comptant l'oie de la ville —, que j'ai tout de même franchi sans encombres quarante ponts à voie unique, huit éboulis difficiles et que j'ai eu des relations intimes avec trois hommes sur le premier segment d'une route d'un peu plus de trois cents kilomètres, non asphalté pour l'essentiel, tracé littéralement entre la montagne et la côte."
Les chiffres, mais aussi le hasard, tiennent une grande place dans cette histoire où les rencontres et les personnages épiques ne manquent pas, comme Tumi, ce petit garçon de quatre ans — un peu spécial et très attachant aussi — qui accompagne la narratrice. Les éventualités jalonnent le texte, donc, comme ces mystérieux passages en italique qui évoquent des flash-back, peut-être des souvenirs.
Enfin, autre surprise et cerise sur le roman, comme un bonus dans un DVD, en fin de livre, l'auteur reprend tous les plats et boissons, ainsi qu'un ouvrage de tricot, cités dans le roman et en indique le mode d'emploi précis avec beaucoup d'humour : "Quarante-sept recettes de cuisine et une recette de tricot" dont de nombreuses spécialités islandaises, boissons, desserts, plats de mouton et de poisson (églefin, saumon, morue, baleine...). Pratique et farci de clins d'œil, comme les différentes façons de préparer un café imbuvable ou, au contraire, un délicieux hamburger maison, bien meilleur que ceux qu'on achète dans les fast-food. Et de ce point de vue, l'Islande n'a rien d'exotique : on en trouve à tous les coins de rues (ou virages de route circulaire) comme partout ailleurs.

Éditions Zulma, 2012, 400 pages.

lundi 19 novembre 2012

La Reine du silence et le Roi de la Mode

J'ai été attirée par le titre étrange et répétitif, Photo-Photo, de Marie Nimier et les premières lignes de la quatrième de couverture :
"Il est une question que l'on me pose souvent, la question des idées. Comment elles arrivent, où je les pêche, le fameux “mais où va-t-elle chercher tout ça“. De quelle façon s'est imposée, en l'occurrence, l'idée d'écrire un roman à partir d'une séance photo avec Karl Lagerfeld ?"
Prise dans cette histoire qui semblait passer du coq à l'âne mais tournait autour des rencontres induites par une séance photo avec le Roi de la Mode, je me suis intéressée à d'autres romans de Marie Nimier et notamment La Reine du silence où elle tente de démêler les questions autour de son père, Roger Nimier, mort alors qu'elle n'avait que cinq ans et dont elle a peu de souvenirs et quelques trésors dont une carte postale où il lui demandait en lettres capitales : "QUE DIT LA REINE DU SILENCE ?"
Pour répondre à l'énigme, elle écrit, avec un style étonnant qui nous balade de son bureau à sa cuisine, c'est-à-dire de ses déambulations, réelles ou imaginaires, à ses réflexions sur l'écriture.

Le site officiel de Marie Nimier.

dimanche 11 novembre 2012

En attendant le Livre 4

Revenons sur la trilogie (pour l'instant) de Haruki Murakami : 1Q84. Les lecteurs attendent le Livre 4 et je ne vois pas pourquoi, si l'auteur y prend plaisir, il n'y aurait pas une suite, d'autant que le dernier tome se termine par un "Fin du Livre 3", qui le laisse supposer, et qu'il y a matière.
Je suis donc arrivée au bout de ces plus de 1500 pages en 3 livres, parfois agacée par les longueurs, les répétitions et autres précisions inutiles. Mais quelle est cette manie de faire de gros pavés bavards ? Ce n'est pas la première fois que je m'en plains. Il est tellement agréable de lire ces histoires servies en creux par un style qui fait appel à l'imagination du lecteur, comme chez Toni Morrison, par exemple, ou Christian Garcin ou Pierre Michon... auteurs qui taillent leur œuvre comme des diamants. Bref, inutile d'en écrire des tonnes pour briller.
Enfin, tant pis, c'est le style qu'a choisi monsieur Murakami pour cette belle histoire fantastique, magique et romantique où un homme et une femme se retrouvent vingt ans plus tard.
Ce serait dommage de s'arrêter à cette fin convenue de conte de fée.
Et après ? C'est peut-être là que l'histoire commence, dans un monde réinventé pour leur histoire commune.

Éditions Belfond, 2012, 544 pages.

jeudi 8 novembre 2012

Un long titre pour des histoires courtes

J'aime bien lire des nouvelles.
On a dix minutes : hop ! On se plonge dans un univers, le temps de se rafraîchir les idées.
J'ai déjà parlé de l'écriture de Christian Garcin dans de précédentes chroniques, à propos d'essais ou de romans (J'ai aimé "J'ai grandi" et Labyrinthes et sorties jubilatoires). Je lui consacre encore une chronique parce que, parfois, je trouve qu'on parle toujours des mêmes, surtout en cette période de Prix littéraires, et si peu des autres qui le valent tout autant.

La neige gelée ne permettait que de tout petits pas est un recueil de neuf nouvelles sur les thèmes de la fuite, du rejet, de la disparition, de l'absence... Magnifiques.

Éditions Verdier, 2005, 96 pages.

lundi 5 novembre 2012

Tous à l'asile !

Moi qui ne suis pas férue de romans policiers, j'ai pris plaisir à lire Au temps pour moi de Serge Scotto, écrivain marseillais. Ce n'est pas le genre de polar que l'on lit en diagonale : le style vaut la peine qu'on prenne le temps de savourer chaque phrase, de dégoter entre les lignes le deuxième degré, bon mot après bon mot. C'est d'ailleurs l'un des thèmes de ce roman : le mot juste et la chasse aux fautes, comme on ferait la chasse aux sorcières à coups de bons à tirer. On sent l'amour de la langue (souvent mauvaise langue) et du bon usage du français, exemples à l'appui. Dans une mise en abyme burlesque des romans dans le roman, Serge Scotto se moque de lui-même comme des autres, professionnels du livre et écrivains à posture. Sa gouaille et sa dent dure font rire jaune ou de bon cœur tant on passe de la lucidité à l'outrance, de la réalité à la fiction, de la tragédie à la farce. Et pour cause : le narrateur, Herbert Turaive, écrivain et tueur à gages, est un psychopathe et un misogyne surnaturel qui prend souvent ses désirs pour la réalité (comme son nom l'indique). Après un bref séjour à New York, Marseille est le théâtre de ses aventures délirantes :
"(...) je crois carrément que Marseille rend cinglé, à l'usage !... Assurant sa propre production de jobards, selon une recette tenue secrète, comme celle des navettes et du Coca-Cola ! En tous cas il est clair que chez nous, les fous se sentent comme chez eux : on en croise de toute sorte, à longueur de journée à chaque coin de rue, comme nulle part ailleurs... Marseille, terre d'asile !"
Une histoire de fous furieux où la part d'ombre de l'humanité n'est jamais loin des places au soleil, et où les plus dangereux ne sont pas toujours à l'ombre.
Éditions L'écailler, 2012, 164 pages.

Suite de Gagnant à vie, Au temps pour moi ne serait que le deuxième (pour l'instant, le second) d'une série à venir, avec Herbert Turaive pour héros déjanté.

Éditions L'écailler, 2008, 196 pages.


samedi 27 octobre 2012

Un conte de faits

Jean Pierre Bourguet nous offre une lecture savoureuse et réjouissante, pleine d'humanité, de bon sens et de sagesse, de philosophie positive qui fait réfléchir sur sa propre histoire.  
Un regard par-dessus l'épaule est un roman à suspense sur les secrets de famille et les malédictions qui se répètent jusqu'à ce qu'une génération trouve les clés et révèle l'énigme. Comme un puzzle dont on a du mal à se détacher, tant que toutes les pièces ne sont pas rangées à leur juste place pour composer le tableau final, on n'a pas envie de lâcher cette passionnante saga.
Ce conte est une fête, un hymne aux sens, à l'art et à la vie : on rencontre de belles personnes, on découvre de beaux villages et paysages des Cévennes, on savoure de bons petits plats, du bon vin et du champagne, et tout cela en musique !
Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?

Éditions Mon Village, 2012, 416 pages.
Le site du roman de Jean Pierre Bourguet

vendredi 26 octobre 2012

New York et nous

Pourquoi cette fascination pour New York ? C'est une ville mythique qu'on connait avant d'y avoir mis les pieds tellement les films, les photos et les livres nous ont déjà plongé dans son énergie. Le gigantisme des gratte-ciels, les sirènes des voitures de police et des énormes camions de pompiers, les taxis jaunes, les ponts, les docks, les monuments... Times Square, Central Park, Rockfeller Center, Broadway, Chelsea, Meatpacking, TriBeCa, la Statue de la Liberté... Quand on est à New York, on est dans son propre film et c'est magique !
Soledad Bravi, la sympathique illustratrice des BD des paresseuses, entre autres*, y va de son guide très personnel, comme un carnet de voyage. Elle partage ses petites anecdotes et histoires à elle, les lieux qu'elle préfère, ce qu'elle aime y faire, comme : flâner dans les jardins, dans les boutiques, dans les restaurants, dans les musées... et ses bonnes adresses.
"Je m'adresse à ceux qui cherchent à découvrir un autre New York, celui que l'on ne trouve pas forcément dans les guides. Prendre son temps, c'est la meilleure façon de voir la ville, de se mettre au rythme des habitants, flâner pour s'imprégner de la personnalité de New York, s'asseoir dans un jardin et écouter la ville, regarder la vie qui nous entoure."
Merci Soledad !
Ah ! Comme je voudrais retourner à New York...

Éditions Marabout, 2012, 96 pages.
* Le blog de Soledad et le site de Soledad.

mardi 23 octobre 2012

Je ne suis pas là pour le moment

Une vie meilleure ? Peut-être. Plus sensée, certainement !
Dans Une vie meilleure, Comment la philosophie habite concrètement votre vie, la bonne idée de Wolfram Eilenberger* est d'évoquer la philosophie du langage à travers des situations banales de la vie. À la fin de chaque texte, une partie, nommée "Ce que les philosophes en pensent", renvoie à une courte théorie et une bibliographie sur les questionnements abordés.
La plupart de ces textes sont traités avec humour, poussant parfois la réflexion jusqu'à l'absurdité.
J'ai bien aimé, entre autres, celui qui passe au crible la fameuse phrase décalée qu'on entend souvent sur les répondeurs : "Je ne suis pas là pour le moment" ; celui sur la vraie fausse histoire du père Noël ; ou encore celui sur les hasardeuses promesses qui engagent sur un avenir par essence incertain...
Une didactique initiation à la philosophie pour ne pas finir totalement idiot. À offrir à toute personne à qui vous voulez du bien.

* prof de philo et rédac chef de Philosophie Magazine en Allemagne. 

Éditions Flammarion, 2012, 246 pages.

samedi 20 octobre 2012

Une femme de Dublin

Nuala O'Faolain était chroniqueuse au Irish Times. Un éditeur lui propose de publier un recueil de ses chroniques. Elle propose une préface, qui devient finalement une autobiographie de plus de 300 pages : On s'est déjà vu quelque part ? Les Mémoires accidentels d'une femme de Dublin.
Elle y raconte son parcours d'Irlandaise de 56 ans, avec sincérité, sans complaisance et sans complexe, brisant les tabous liés à la condition féminine, à l'alcoolisme, à la sexualité... Son récit touchant rencontre un immense engouement, d'abord en Irlande puis aux États-Unis. Elle reviendra ensuite sur ce succès inespéré dans J'y suis presque (on peut les lire dans n'importe quel ordre).
"J'ai essayé dans ce livre de comprendre la manière dont a fonctionné ma vie. Et bien que ce que j'ai écrit soit personnel, une partie de ma situation difficile est générale. D'autres personnes que moi font face aux défis de l'âge moyen et aux défis de la solitude — qui, je le sais, existe aussi dans une relation —, de même que l'endroit où j'ai grandi et les influences que j'ai subies ont affecté plus de gens que moi."
"Ce n'est pas le nombre d'exemplaires vendus qui a changé ma vie. Mais le fait que ce que j'avais cru si personnel s'était révélé avoir tant d'importance pour d'autres."

Les livres de Nuala O'Faolain sont publiés en France aux éditions Sabine Wespieser.

lundi 15 octobre 2012

Nature profonde

J'ai eu envie de lire Serge Joncour en écoutant des entretiens à la radio.
Cet homme paraissait sensible, touchant et drôle à la fois. Parfois, on se trompe complètement. Là, pas du tout !
L'amour sans le faire est d'une grande délicatesse, qui se creuse au fil des pages, par petites touches subtiles. En même temps, face à ces mots écrits si bien choisis, il est question aussi des paroles qui ne sortent pas, des non dits, des tabous, des drames familiaux qui bloquent les situations.
J'ai retrouvé l'atmosphère de Profils paysans de Raymond Depardon avec ce descendant d'agriculteurs qui refuse de prendre la relève et part à la ville.
Mais ses racines et sa nature profonde sont dans cette terre sauvage...

Éditions Flammarion, 2012, 320 pages. 

mercredi 10 octobre 2012

Home and hope*

Home est un roman qui met K.O. et réveille en même temps, bref et percutant. Toni Morrison a la plume puissante et lumineuse. Cette écrivain — prix Nobel de littérature en 1993 (la seule femme noire à l'avoir reçu) et superstar des lettres aux États-Unis — met son espoir dans les femmes et dans l'intelligence.
Home raconte l'histoire de Frank et sa sœur Cee qui s'élèvent ensemble dans les années 50 aux États-Unis. Ils sont Noirs et ne sont en sécurité nulle part. La violence est partout, même à la maison. Dès la troisième page, un type se fait enterrer vivant. Ensuite, ça bastonne et ça tue, dans les rues comme à la guerre de Corée. L'histoire est poignante, mais on pourrait dire qu'on l'a déjà lue cent fois. C'est le style de Toni Morrison qui frappe vraiment très fort et réjouit.
(Encore merci à Françoise de m'avoir offert ce livre !)

* Foyer et espoir.

Éditions Christian Bourgois, 2012, 154 pages.

mardi 2 octobre 2012

Clichés flous du Japon

C'est pratique un cliché ou une idée reçue. C'est une image qui a l'air vraie, mais pas très représentative, peut-être anecdotique ou simplifiée... Et sur le Japon, un pays si lointain, si étrange(r) et pourtant si proche : ils sont légion et ont la vie dure ! Par exemple : ce serait le pays du miracle économique, de l'électronique, des robots, des mangas, des arts martiaux, des catastrophes naturelles, de l'harmonie avec la nature, des yakuzas, des kamikazes, d'un peuple de travailleurs, très polis et zen, mais qui se suicident beaucoup... Sans parler des fantasmes sur les Japonaises : soumises et libérées, femmes au foyer ou geishas... et autres croyances ancrées depuis des siècles d'abord par les premiers explorateurs et jusqu'à Amélie Nothomb (notamment dans "Stupeurs et tremblements") qui en rajoute une couche alors qu'elle est sensée bien connaître ce pays...
Philippe Pelletier, spécialiste du Japon, revient sur ces mythes sans cesse rabâchés et remet certaines pendules à l'heure dans "La fascination du Japon, Idées reçues sur l'archipel japonais", chiffres comparatifs et explications à l'appui. Voilà un livre qui va en décevoir plus d'un en découvrant que les Japonais sont des gens "normaux" (pour reprendre une expression cliché qui ne veut rien dire).
D'ailleurs, cette collection "Idées reçues" aux éditions du Cavalier Bleu a un bel avenir devant elle. J'attends avec impatience le volume des idées reçues sur les Français vus par les Japonais ou les Marseillais vus par les Parisiens et inversement...

Éditions Le Cavalier Bleu, Collection "Idées reçues", 2015 (éditions revue et augmentée), 296 pages.

dimanche 9 septembre 2012

Exercice de style

Harry Mathews commence sa préface de 20 lignes par jour par :
Comme beaucoup d'écrivains je trouve souvent que me mettre au travail le matin est une entreprise décourageante à laquelle je consacre, pour l'éviter, beaucoup d'énergie. Il y a quatre ans, je me suis souvenu d'une injonction que Stendhal s'était donnée, tôt dans sa vie : Vingt lignes par jour, génie ou pas. Stendhal pensait alors à un moyen de terminer un livre. J'ai délibérément appliqué sa formule comme méthode pour surmonter l'angoisse de la page blanche.
Cela donne un journal de l'écrivain qui s'efforce, presque tous les jours, pendant plus d'un an (le temps de remplir tout un bloc de pages), d'écrire ses vingt lignes sur les réflexions qui lui passent par la tête, souvent sa difficulté d'écrire, mais aussi des anecdotes sur sa vie privée ou publique, rarement une page d'écriture automatique, avec assiduité, en tous cas avec brio. 
Toujours est-il que cette lecture est jubilatoire, pleine de surprises, comme dans un film de Godard (par exemple, Pierrot le Fou), et pas du tout brouillon.
D'ailleurs, en cours de route, lui vient l'idée que, peut-être, cet exercice de style personnel, au départ dans le seul but de s'échauffer, pourrait être publié et la notion de lecteur entre en jeu.
Il se demande, à propos de Walden ou la vie dans les bois : "Si Thoreau vivait véritablement seul, pour qui écrivait-il avec une telle éloquence ? Et s'il écrivait pour lui-même, pour qui publiait-il ?" Moi aussi, ça m'épate quelqu'un qui écrit pour lui et qui le fait avec tant de style !
Le livre se termine par "Tu es sur le point de trouver la réponse" (il se tutoie), comme si ce travail journalier avait joué le rôle d'un parcours initiatique pour d'autres projets et notamment une commande pour écrire quelques pages sur son amitié avec Georges Perec.

Éditions P.O.L, 1994, 192 pages.
Et puisque Raymond Queneau m'a inspiré le titre de cette chronique et qu'il était également membre de l'OuLiPo, comme Perec et Mathews, voici le lien vers le site officiel (riche et passionnant) du toujours actif Ouvroir de littérature potentielle.









vendredi 7 septembre 2012

Changer, c'est affronter le réel

La rentrée sans changement, c'est un peu déprimant. La routine me fatigue. Dès lors qu'on s'attaque à un nouveau projet, cela devient plus stimulant. Et s'il suffisait de changer seulement quelques éléments pour vivre différemment ? Peut-on changer de vie ou se contente-t-on d'approfondir ou de se réorienter en fonction de sa nature profonde ?
Anne Ducrocq, dans Le courage de changer sa vie, interroge une dizaine de personnes qui ont radicalement changé de vie. Je pense plutôt qu'elles se sont débarrassées d'une éducation ou d'une culture — comme d'une mue trop étroite — pour révéler une personnalité plus vraie, plus honnête envers elles-mêmes, plus réelle. "Partir, c'est affronter le réel", affirme Jacques Arènes.
Les entretiens, profonds et touchants, retracent les parcours initiatiques de ces témoins qui ont vécu des épreuves, des départs, des ruptures de parcours, et se sont battus contre la fatalité.
Une alpiniste de haut niveau décide de ne plus courir après les exploits mais encourage des enfants malades à se dépasser. Un frère carme évoque sa traversée du désert et comment il accompagne désormais les autres. Une femme frappée par une attaque de poliomyélite lutte contre son corps immobile. Un photographe italien, spécialiste de la mafia, quitte son pays pour d'autres horizons. Une ancienne droguée raconte sa guérison. Un réfugié politique yougoslave nous fait part de son exil forcé. Une femme renait après son divorce.
Dans la préface, Jacques Salomé cite sa grand-mère : "Le plus difficile n'est pas de découvrir l'Amérique, c'est de quitter l'Espagne !" C'est souvent la peur de l'inconnu qui nous retient.
Et Anne Ducrocq s'interroge : "De quoi avons-nous si peur ? Peut-être, simplement, de notre peur".

Éditions Albin Michel, Collection Espaces Libres, 2004, 204 pages.

lundi 3 septembre 2012

L'écriture est un sport d'endurance

Encouragée par Haruki Murakami, et la fraîcheur revenue, j'ai repris le jogging ce matin. Dans la foulée, je rédige une chronique car son livre a d'autres intérêts que de nous inciter au sport.
Cet ouvrage hybride — journal d'un sportif, essai, autobiographie... —, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, raconte comment ce patron de bar a décidé un beau jour d'écrire des romans. En même temps, pour lutter contre l'empâtement et faire de l'exercice, il s'est mis à courir de longues distances : "Garder, voire améliorer, une bonne condition physique afin d'être apte à écrire des romans".
La course, c'est la liberté de se défouler, voire se dépasser, quand on veut et où on veut, sans avoir à se rendre dans une salle ni trouver un partenaire pour pratiquer. Sur ce point, je suis bien d'accord.
Murakami fait donc un parallèle avec la course d'endurance et l'écriture, deux activités qui le définissent et qu'il aimerait qu'on grave sur sa tombe. Il se sort à merveille de l'exercice périlleux : écrire sur la pratique d'un sport.
J'apprécie également les goûts de l'auteur, qui est le traducteur japonais de deux écrivains américains qui me sont chers : Raymond Carver et Francis Scott Fitzgerald.
D'ailleurs, le titre japonais signifie littéralement : "Ce dont je parle quand je parle de courir", en hommage au recueil de nouvelles de Carver "What We Talk About When We Talk About Love", mais pour la traduction française le titre est devenu : "Parlez-moi d'amour".
Je vous encourage à (courir) le lire.

Éditions Belfond, 2009, 192 pages.

dimanche 2 septembre 2012

Chassés-croisés (plus ou moins) romantiques

Dans la série des œuvres ultra-romantiques du XIXe siècle portées au cinéma deux siècles plus tard : Jane Eyre, de Charlotte Brontë, revue par le réalisateur Cary Fukunaga. Cette dix-huitième (!) adaptation a visiblement bénéficié de beaucoup plus de moyens que le film français de Sylvie Verheyde (voir ci-dessous), ce qui est tout à l'honneur de cette dernière d'avoir, entre autres, réussi à illustrer le spleen d'Alfred de Musset. Quant à Charlotte Gainsbourg, elle avait aussi joué le rôle de Jane Eyre dans la version de Franco Zeffirelli. Grâce à Fukunaga, on retrouve Mia Wasikowska qui a interprété Alice au pays des merveilles (une autre œuvre du XIXe) de Tim burton, et surtout le subtil Michael Fassbender de Shame de Steve MacQueen II. La scénariste, Moira Buffini, a également écrit le scénario du truculent Tamara Drewe de Stephen Frears (dont j'avais parlé à sa sortie).
Voilà, c'était juste l'occasion de (re)parler de bons auteurs, acteurs et films !



vendredi 24 août 2012

Le film qui donne envie de relire Musset

Confession d'un enfant du siècle de Sylvie Verheyde est un film ultra romantique et ultra moderne, d'après le roman autobiographique d'Alfred de Musset sur sa liaison avec George Sand.
Le choix de la rock star anglaise Pete Doherty en Octave, dandy blafard et décadent, est idéal pour réincarner l'amant de Brigitte Pierson (le personnage inspiré de George Sand) interprété par la délicate Charlotte Gainsbourg. Dommage que pour s'adapter à Pete Doherty, Musset soit traduit en anglais. Restent les sous-titres en français fidèles au poète du XIXe.
Je ne suis pas certaine que les jeunes fans de Pete Doherty supportent ce film délicieusement lent, long, tourmenté, et où il ne se passe pas grand-chose... mais les romantiques du XXIe siècle apprécieront.

dimanche 19 août 2012

Ça marche !

"Dix ans après Éloge de la marche, et n'ayant jamais cessé de marcher, j'ai voulu reprendre le chemin de l'écriture pour témoigner d'autres expériences, de rencontres, de lectures", annonce David Le Breton, professeur de sociologie à l'Université de Strasbourg, au début de son deuxième essai sur la marche : Marcher, Éloge des chemins et de la lenteur.
Le cheminement du livre part du Statut de la marche pour rejoindre les Compagnons de route, en passant par diverses étapes, dont : Lenteur, Sensorialité, Manger, Dormir, Marcheuses, Paysage, Méditerranée, Soucis, Marcher en ville, Spiritualité, La marche comme renaissance.
Ses compagnons de route sont d'autres auteurs — marcheurs et voyageurs — qu'il cite : Bouvier, Lacarrière, Rousseau, Stevenson, Tesson, Thoreau...
"Le monde n'est pas avare de ses offrandes ni le voyageur de les recevoir. Tout voyage est un cheminement à travers les sens, une invitation à la sensualité. Une foule de sensations heureuses justifie mille fois d'exister et surtout d'être là à ce moment."
Aussi bien écrit que documenté : ça marche !

Éditions Métailié, 2012, 140 pages.

dimanche 5 août 2012

Travailler moins pour jouir plus !

En rangeant mes livres, je retrouve ce texte — utopiste mais non moins actuel et charmant — de Bertrand Russell : Éloge de l'oisiveté, que je viens de relire à la plage, en attendant que mon maillot sèche (autrement dit, en très peu de temps vu les températures diurnes à la plage des Catalans).
Il a paru pour la première fois en 1932 et a été réédité en 2002 par les éditions Allia.
Je vous cite les dernières phrases :
"La bonté est, de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l'aisance et de la sécurité, non d'une vie de galérien. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n'y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment."
Éditions Allia, 2002, 48 pages.
 
Dans la même collection (à collectionner, donc) aux éditions Allia :
- Kazimir Malévitch : La Paresse comme vérité effective de l'homme.
- Clément Pansaers : L'Apologie de la paresse.
- Robert Louis Stevenson : Une Apologie des loisirs.
- Paul Lafargue : Le Droit à la paresse.
- Samuel Johnson : Le Paresseux.

vendredi 3 août 2012

La vieille dame qui croit au père Noël

C'est à quatre-vingt-dix ans, en 2009, que Anne Ancelin Schützenberger écrit Le plaisir de vivre. Elle raconte sa vie et celle de sa famille (traversées d'histoires tellement incroyables qu'on ne l'a souvent pas crue), sa façon de voir la vie et son énergie à toutes épreuves, grâce à la sérendipité et au plaisir de vivre. Cette étonnante vieille dame croit encore au père Noël (et dire qu'on a culpabilisé parce que mon neveu de sept ans y croyait encore en décembre dernier !) :
 "Moi, le père Noël, je continue d'y croire. Parce que pour moi, le miracle, la chance d'un hasard heureux, cela arrive sans arrêt. Il me semble que beaucoup de choses arrivent parce qu'on y croit. Et parce qu'on y croit, on est capable de le voir lorsque cela survient."
Elle résume également son parcours professionnel passionnant. Elle est surtout connue pour son best-seller sur la psychogénéalogie — Aïe, mes aïeux ! —, et a beaucoup travaillé aussi avec les malades atteints de cancers, dont certains guérissent soudain, reprenant goût à la vie.
"On a d'autant plus envie de vivre qu'on a réellement affronté la mort, qu'on s'est découvert soi-même, ses possibilités et sa voie."
Une lecture d'utilité publique, à lire et à offrir à tous les âges !

Éditions Payot & Rivages, Collection Petite Bibliothèque Payot n° 814, 2011, 224 pages.
Le site de Anne Ancelin Schützenberger.

mercredi 1 août 2012

Vacances en famille

Vous avez remarqué comme on régresse un peu quand on retourne en vacances dans la maison familiale ? On redevient fils ou fille de Untel, neveu ou nièce... On replonge dans le cocon et les lois du clan, avec des moments d'émotions ou de tension.
C'est le thème du livre de Caroline Lunoir : La faute de goût. Un roman où je ne vois aucune faute de goût dans le style : personnel et agréable. Le clan qu'elle décrit — avec une grande justesse — est à la fois féroce et attendrissant, comme toutes les familles. La narratrice en fait partie, hérite de certains côtés et tente de prendre ses distances avec d'autres, avec le réalisme de sa jeunesse, car les temps changent d'une génération à l'autre. Mais comment s'y opposer quand l'humiliation manque de classe (sans lutte de classe) ? Est-ce une question de place dans le groupe auquel nous appartenons ?
Le récit se situe en août, entre cuisine et piscine, entre cousines et grands-parents. C'est le roman idéal pour lire intelligent pendant les vacances, sans se prendre la tête. 

Éditions Actes Sud, 2013, Collection Babel n° 1194, 128 pages. 
 

lundi 30 juillet 2012

L'autre 1984, avec un Q comme Question

1Q84 de Haruki Murakami fait clairement référence au 1984 de George Orwell, aux mondes parallèles, à la violence cachée, aux mondes totalitaires, aux sectes, mais aussi aux violences faites aux femmes et aux petites filles. Il est aussi beaucoup question de littérature et d'écriture.
Deux histoires s'entrecroisent (mais ne se croisent pas encore dans le Livre 1 Avril-Juin). Celle d'un professeur de mathématiques — sans histoires, dans tous les sens du terme — qui se trouve embringué dans une histoire de l'autre monde (vraiment) et qui lui fournira une trame de roman. Et celle d'une instructrice d'arts martiaux qui n'hésite pas, pour la juste cause, à "déplacer quelqu'un vers un autre monde".
"1Q84 — voilà comment je vais appeler ce nouveau monde, décida Aomamé. Q, c'est la lettre initiale du mot Question. Le signe de quelque chose qui est chargé d'interrogations."
La suite dans les livres 2 (Juillet-Septembre) et 3 (Octobre-Décembre) : voir ma chronique.

Éditions Belfond, 2011, 544 pages.

jeudi 26 juillet 2012

C'est La vie !

Le principe du roman de Régis de Sa Moreira, La vie, est amusant : un personnage en croise un autre qui pense à un autre et, de paragraphe en paragraphe, on passe de l'un à l'autre comme du coq à l'âne.
Un homme, une femme, un enfant, une grand-mère, un embryon, un fou, une actrice, une cuisinière...
L'action rebondit, n'a ni queue ni tête, mais c'est La vie !

Éditions Au Diable Vauvert, 2012, 120 pages. 


dimanche 15 juillet 2012

Deux + deux = trois ou cinq

Françoise commande "Vide et plein : le langage pictural chinois" de François Cheng à sa libraire et reçoit "Le vide et le plein : Carnets du Japon 1964-1970" de Nicolas Bouvier. J'en hérite et je fais un beau voyage au Japon... de mon canapé.
J'ai noté deux passages dans ces carnets de notes de l'écrivain voyageur : des réflexions sur le voyage et sur la littérature.
"Trop de gens attendent tout du voyage sans s'être jamais souciés de ce que le voyage attend d'eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérissent d'insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines, et l'ivresse des premières semaines où, tout étant nouveau, vous avez l'impression de l'être vous-même, leur donne l'impression passagère qu'ils ont été exaucés. Puis quand le moi dont ils voulaient discrètement se défaire dans la gare du départ ou dans le premier port les retrouve au détour d'un paysage étranger, ce moi morose et solitaire auquel on pensait avoir réglé son compte, ils en rendent responsable le pays où ils ont choisi de vivre."
"Si l'on comprenait tout, il est évident que l'on n'écrirait rien. On n'écrit pas sur : deux + deux = quatre. On écrit sur le malaise, sur les sentiments complexes qui naissent de : deux + deux = trois ou cinq."
Éditions  Gallimard, Collection Folio n° 4898, 2009, 256 pages.

vendredi 6 juillet 2012

À noter sur vos listes

Ça fait plaisir : encore un livre que j'ai eu du mal à lâcher une fois commencé et que j'ai envie d'offrir à tout le monde : La liste de mes envies de Grégoire Delacourt. À noter sur vos listes de livres à lire. Le roman remporte déjà un beau succès. Bien mérité !
Cela parle de liens et de bons sentiments, de la difficulté à les installer et de leur rapidité à disparaître. Cela parle d'amour et des petits bonheurs à goûter ici et maintenant. Cela parle aussi de trahison, de deuil, de maladie de fin de vie... C'est triste et c'est optimiste.
C'est juste, clair, simple (ce qui est difficile à écrire).
Laissez-vous tenter par l'histoire de cette mercière d'Arras qui gagne à Euromillions et qui a peur que l'équilibre lumineux de son quotidien n'explose.
Je ne vous en dis pas plus : j'espère vous avoir donné envie.

Éditions JC Lattès, 2012, 220 pages.

mercredi 4 juillet 2012

Pervers pépères

Le livre était là depuis plusieurs semaines, envoyé par les éditions Eyrolles, sans que j'aie vraiment envie de m'y plonger. La curiosité a fini par agir. Le titre a des allures de thriller : "J'ai aimé un pervers" et, en effet, quelle tension ! Le style ne cherche pas à être littéraire, mais les récits prennent à la gorge dès le début. Et le pire, c'est que tout est vrai.
Ce sont trois histoires croisées, vécues par trois femmes différentes — Mathilde Cartel, Carole Richard et Amélie Rousset — qui racontent des expériences similaires avec leurs maris pervers narcissiques.
Elles se sont rencontrées dans un séminaire sur la manipulation dans le couple et au travail, après avoir enfin réalisé qu'elles vivaient, depuis des années, sous la coupe d'un fou qui trompait bien son monde.
Les récits s'articulent selon les différentes étapes caractéristiques du lent processus de destruction : les alertes qu'on n'écoute pas, le sentiment de solitude, l'alternance du chaud et du froid, la manipulation, la culpabilisation, la dévalorisation... et finalement comment elles s'en sont sorties. Ouf ! Ça finit bien pour elles, mais leurs témoignages est d'utilité publique : informer d'autres victimes et les aider à réagir. Les pervers narcissiques représentent 2 à 3 % de la population et nous en avons déjà probablement rencontré.
Il paraît que la version "perverse mégère" existe aussi. Les témoignages de leurs maris persécutés seraient les bienvenus...

Éditions Eyrolles, Collection Histoires de vie, 2012, 200 pages.

dimanche 10 juin 2012

Parlons du bonheur

Dans les moments difficiles, je me demande toujours où trouver des solutions, du soutien, le moyen de sortir de l'impasse. Il y a les ami(e)s à qui je peux me confier ou tout simplement bavarder de tout et de rien en passant un bon moment. Et puis, il y a des essais où j'espère trouver une autre façon de penser. Le problème avec la bibliothérapie (se soigner en lisant), c'est justement qu'il ne faut pas se contenter de lire, mais s'efforcer d'appliquer les méthodes proposées et d'approfondir les réflexions. Sinon, ça ne change pas grand-chose ou pas pour très longtemps.
Thierry Janssen, dans Le défi positif, propose une synthèse des récentes études en biologie, neurosciences et psychologie sur le bonheur et la bonne santé, puis une piste d'introspection pour tenter de comprendre comment nous fonctionnons et de quelle façon nous pourrions être plus positifs, en cultivant nos forces du caractère et nos vertus, et en donnant du sens à nos expériences.
C'est sûrement le travail de toute une vie pour atteindre la sagesse.
La sagesse est "le sommet de l'excellence humaine", selon le psychologue allemand Paul Baltes, et "le résultat d'une maturation qui nous fait accepter nos succès et nos échecs au lieu de désespérer à l'idée d'avoir gâché notre existence", selon le psychanalyste américain Erik Erikson.
Restez sages !

Éditions Les Liens qui Libèrent, 2011, 380 pages. 

samedi 9 juin 2012

Une critique d'art s'expose

Dans une série d'entretiens avec Richard Leydier, critique d'art, Catherine Millet raconte son parcours passionnant, en tant que directrice de la rédaction de la revue sur l'art contemporain art press et auteur de livres sur l'art et de récits autobiographiques : D'Art Press à Catherine M.
Il est donc question de l'histoire de art press et plus largement de l'art contemporain, puisque Catherine Millet a commencé à écrire des critiques en 1968, alors qu'elle n'avait que 20 ans, et qu'elle a fondé sa revue art press en 1972, avec le galeriste Daniel Templon.
Ce point de vue exceptionnel de témoin direct fait d'elle une historienne de l'art contemporain qui assume sa subjectivité et prend le risque de s'exposer.
En effet, qu'elle écrive sur l'art ou sur sa vie intime, Catherine Millet pense que c'est en étant très personnel qu'on rejoint l'universel.

Éditions Gallimard, Collection Témoins de l'art, 2011, 256 pages.

Quant à ses récits personnels, justement, j'ai déjà évoqué La vie sexuelle de Catherine M. à l'écriture originale, c'est-à-dire dans le style d'une critique d'art.
Elle a ensuite publié Jour de souffrance ; une douloureuse crise de jalousie qui a duré trois ans, magistralement écrite et décrite, avec la précision et l'obsession qui sont siennes. Un témoignage de première main qui met parfois mal à l'aise tant le récit est cru, impudique et direct, mais sidérant de vérité. À la manière de Rousseau dans ses Confessions, ce récit est un document inédit sur la nature humaine.

Éditions Flammarion, 2008, 272 pages.

dimanche 3 juin 2012

Le royaume de Pierre Michon

Éditions Verdier, Collection jaune, 1996.
Évidemment, j'ai poursuivi mon exploration de l'œuvre de Pierre Michon, dont certains pensent qu'il est un des plus grands écrivains français vivants. Je suis bien d'accord. Son style est admirable. Je dirais même que c'est du lourd, du concentré, dans le sens où ce n'est pas le genre qu'on lit pour passer le temps, distraitement : cela demande un minimum d'attention. Les phrases sont longues, complexes, denses de références et d'érudition. Un dictionnaire — et pourquoi pas une encyclopédie ou une histoire de la littérature ? — est souvent utile. Je ne vous dis pas ça pour vous dégoûter, au contraire. Ce serait dommage de passer à côté de cet orfèvre du style, de cet univers étonnant, presque d'un autre siècle. Un exemple de bijou de ce tailleur de Pierre : Le Roi du bois ; quelque cinquante pages qui laissent longtemps une empreinte dans l'esprit. À mon avis, avec Vies minuscules, c'est une bonne approche de son œuvre.
Heureusement, son écriture suscite un tel engouement qu'un nombre impressionnant de livres nous donne des clés pour la comprendre, découvrir ses subtilités et ses inspirations. Par exemple, le recueil d'entretiens Le Roi vient quand il veut ou le livre-CD d'Agnès Castiglione (voir l'illustration dans une précédente chronique).
Enfin, avec ou sans clés, par la grande ou la petite porte, on entre quand même dans le royaume de Pierre Michon, car son mystère ouvre les fenêtres de notre imagination. Après tout, c'est bien l'intérêt : ne pas tout comprendre, rêver, créer son propre monde.

jeudi 31 mai 2012

Rapport sur Grégoire Bouillier

En cherchant un livre de Bouïda dans les rayonnages, je tombe sur la tranche noire de celui de Bouillier. Grégoire de son prénom. Jamais entendu parler et je tiens à partager ma découverte.
Le titre sent l'autobiographie : Rapport sur moi. Sur la quatrième de couverture, une seule phrase, drôlement fataliste : "Ce sont des choses qui arrivent. Grégoire Bouillier". L'incipit est : "J'ai vécu une enfance heureuse." Je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça cache quelque chose, un deuxième degré, une faille. La suite me donne raison. C'est le point de vue distancié, sur le ton neutre d'un rapport plus ou moins officiel, sur une famille extravagante, invraisemblable et bien toquée. Cela donne un récit tragi-comique (surtout tragique), burlesque. Par exemple : "Ce n'est pas la première fois que ma mère tente de se suicider. Les trois derniers réveillons de Noël ont déjà été l'occasion de présenter nos vœux à Police-Secours."
En tout cas, un style et un récit prenants qui rebondissent de surprise en récurrence et en jeu de mots.

Éditions Allia, 2002, 160 pages.

dimanche 6 mai 2012

Vies minuscules et capitales

Dans Vies minuscules, Pierre Michon rend hommage à des personnes qui ont compté dans son histoire et celle de sa famille, parfois des légendes transmises oralement de génération en génération, notamment par sa grand-mère. Grâce à la littérature, ces courtes biographies redonnent vie à ces hommes et ces femmes souvent disparus, les font entrer dans la lumière et la grande légende, écrite, pour leur donner leurs lettres de noblesse. De minuscules, ils deviennent majuscules, en lettres capitales. Car Pierre Michon hisse ces humbles sur un piédestal avec un style très écrit, presque exagérément travaillé, en contraste avec la modestie des personnages : une véritable broderie sur des vies réelles. L'auteur noircit les pages et remplit les blancs des histoires, ne se cachant pas d'intervenir : "Imaginons encore une fois qu'il en fut comme je vais le dire" à propos de "Vie de la petite morte". Ne se cachant pas non plus de raconter sa propre histoire par intervalles et en transparence : "Mais parlant de lui, c'est de moi que je parle", dans "Vie d'André Dufourneau".
Hors de la famille, les disparus sont peut-être encore vivants, comme les frères Bakroot, camarades de préau, ou Marianne et Claudette, des ex-compagnes, qui ont réellement traversé sa vie (enfin, je le suppose). "Je l'ai déçue, Claudette, et c'est peu dire ; le dernier sentiment qu'elle eut pour moi, le dernier regard qu'elle me porta, fut de répulsion peut-être, de peur et de pitié mêlées. Elle a fui ce qui la dépossédait, et s'est peut-être retrouvée elle-même dans le cours des choses." Et à l'origine de ces disparus, son propre père, parti, alors que Pierre Michon n'avait que deux ans.
Enfin, comme socle des piédestaux, il y a les lieux et la terre, à travers leurs noms, Chatelus, Mourioux, Saint-Goussaud et surtout la ferme des Cards, dans la Creuse, où Pierre Michon est né et qu'il a reçue en héritage. C'est pour lui le tombeau des ancêtres auquel il redonne vie, sous la forme d'un musée ou d'un temple.
En dépassant sa vie de deuils, Pierre Michon en finit avec ce passé et transforme hommes et lieux en mythologies.

Éditions Gallimard, Collection Folio, première impression en 1984
256 pages.

samedi 28 avril 2012

Lettres à des absents

La collection "Les affranchis" des éditions NIL demande à ses auteurs d'écrire la lettre qu'ils n'ont jamais écrite : "Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Écrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire."
Entre autres écrivains, Annie Ernaux et Linda Lê ont relevé le défi de s'adresser à des destinataires sans adresses (évidemment, nous sommes les véritables destinataires de ces lettres).
Annie Ernaux, dans L'autre fille, écrit à sa sœur aînée qui est morte avant qu'elle-même naisse, donc qu'elle n'a jamais connue. La petite Annie apprend la tragédie indirectement et de façon involontaire (ou inconsciente) par sa mère qui se confie à une dame. Le secret restera, si lourd qu'il n'a jamais été possible ensuite d'en parler avec ses parents. Un non-dit qui aura son poids et son importance sur l'identité et la vie de l'auteur, forcément, qu'elle traite avec la subtilité et l'intelligence qui la distinguent.
Linda Lê, elle, expose sa volonté de ne pas devenir mère dans À l'enfant que je n'aurai pas. Mais n'est-ce (naisse) pas lui donner vie que de lui écrire ? Peut-être pour mieux renoncer à la maternité ensuite et faire le deuil d'une possibilité. Elle s'adresse plutôt à son compagnon qui lui expose toutes les bonnes raisons d'avoir un enfant. Linda Lê évoque alors son enfance et l'éducation d'une mère amère et peu amène (une perverse narcissique, peut-être, comme le père de Kafka ?). Un style singulier et une vision très personnelle de ce tabou. Le livre a obtenu le Prix Renaudot poche 2011.
Des exemples à suivre : quand l'autre, ou les autres, ne peuvent pas entendre, on peut se libérer d'un contentieux en écrivant des lettres qu'on n'envoie pas.

Éditions NIL, Collection Les Affranchis.

vendredi 27 avril 2012

Lignée de femmes

Je suis dans ma période Nancy Huston dont j'explore l'œuvre polymorphe : essais, romans, théâtre, livres pour la jeunesse, correspondance, scénarios...
Prodige est issu d'un projet de scénario de film, qui n'a pas vu le jour, avec Yves Angelo. Il a pour sous-titre : Polyphonie.
Nancy Huston a quand même voulu donner vie au projet et à ses personnages avec cette suite de monologues où chacun prend la parole à son tour, comme dans une saga polyphonique. C'est l'histoire de trois générations de femmes, trois pianistes, de mère en fille : Sofia, Lara et Maya.
La musique est un des thèmes de l'œuvre de la romancière (Les Variations Goldberg, Cantique des plaines, Instruments des ténèbres), car elle est également musicienne et fille de pianiste prodige. Les femmes et le féministe sont également parmi ses sujets de prédilection.
Par petites touches noires et blanches, une musique vibrante, une atmosphère légère et lourde, d'amour, d'exil, de transmission, de rapport mère-fille, de vie et de mort... Un roman court et poignant.

Éditions Actes Sud, Collection Babel n° 515, 2002, 192 pages.

mercredi 25 avril 2012

Journal des monts et merveilles

Démons quotidiens est un livre à quatre mains (à deux, en fait, une main chacun, car on n'écrit ou ne dessine que d'une seule main, pas avec les deux comme on joue au piano).
Les lavis de Ralph Petty et les avis de Nancy Huston se correspondent au jour le jour, de juin 2010 à mai 2011. L'artiste et professeur de peinture à l'Université américaine de Paris, Ralph Petty, gardait ces dessins jusque là pour lui-même et appelle ce travail quotidien : Notes du souterrain. Après sa lecture des journaux ou l'écoute des nouvelles à la radio, il réalise ces lavis en dix ou quinze minutes.
Pour Nancy Huston, le défi était d'accompagner ces œuvres d'un texte par jour, comme une chronique des événements du monde imbriqués avec ceux de la vie privée (un sujet cher à l'auteur). Réflexions, anecdotes, coups de gueule, voyages, rencontres, choses vues ou lues ou entendues, bonnes et mauvaises nouvelles...
Nancy Huston conclut ainsi l'avant-propos : "C'est une banalité de dire que la beauté est impuissante face à la souffrance — mais ce n'est pas une raison pour laisser la souffrance phagocyter la beauté. Ainsi, au lieu d'entériner le vieil adage "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles", j'ai décidé que les bonnes nouvelles méritaient parfois d'être dites elles aussi."
Bonne nouvelle !

Éditions L'iconoclaste, 2011, 406 pages.