La collection "Les affranchis" des éditions NIL demande à ses auteurs d'écrire la lettre qu'ils n'ont jamais écrite : "Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Écrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire."
Entre autres écrivains, Annie Ernaux et Linda Lê ont relevé le défi de s'adresser à des destinataires sans adresses (évidemment, nous sommes les véritables destinataires de ces lettres).
Annie Ernaux, dans L'autre fille, écrit à sa sœur aînée qui est morte avant qu'elle-même naisse, donc qu'elle n'a jamais connue. La petite Annie apprend la tragédie indirectement et de façon involontaire (ou inconsciente) par sa mère qui se confie à une dame. Le secret restera, si lourd qu'il n'a jamais été possible ensuite d'en parler avec ses parents. Un non-dit qui aura son poids et son importance sur l'identité et la vie de l'auteur, forcément, qu'elle traite avec la subtilité et l'intelligence qui la distinguent.
Linda Lê, elle, expose sa volonté de ne pas devenir mère dans À l'enfant que je n'aurai pas. Mais n'est-ce (naisse) pas lui donner vie que de lui écrire ? Peut-être pour mieux renoncer à la maternité ensuite et faire le deuil d'une possibilité. Elle s'adresse plutôt à son compagnon qui lui expose toutes les bonnes raisons d'avoir un enfant. Linda Lê évoque alors son enfance et l'éducation d'une mère amère et peu amène (une perverse narcissique, peut-être, comme le père de Kafka ?). Un style singulier et une vision très personnelle de ce tabou. Le livre a obtenu le Prix Renaudot poche 2011.
Des exemples à suivre : quand l'autre, ou les autres, ne peuvent pas entendre, on peut se libérer d'un contentieux en écrivant des lettres qu'on n'envoie pas.
Éditions NIL, Collection Les Affranchis.
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