dimanche 31 janvier 2016

Mort à crédits

Encore une belle surprise de ce début d'année !
Christophe Desmurger publie son deuxième roman : L'assassinat de Gilles Marzotti. Une histoire qui pourrait arriver à (presque) tout le monde.
Raoul a un petit problème avec l'argent et... avec son banquier, le fameux Marzotti.
Marzotti m'a conseillé de faire mes comptes. Sur la dernière page du chéquier. Une colonne pour les débits. Une pour les crédits. Et le solde doit être positif. Même avec une autorisation de découvert. Je l'ai laissé me prendre pour un con sans l'interrompre. Je devais lui accorder cette faveur pour obtenir son consentement. J'ai rangé mon chéquier et ma carte de crédit dans leurs nouveaux étuis. Je l'ai remercié. J'ai refusé poliment le calendrier. Je n'aurais su où afficher ce paysage de montagne avec le nom de ma banque en plein ciel printanier.
À part ces soucis financiers, tout irait pour le mieux. Raoul écrit (enfin, comme la plupart des auteurs, ses livres ne se vendent pas suffisamment) et Nicole peint. Nicole est belle, comme la vie. Matteo nait de leur amour. Quand on aime, on ne compte pas et Raoul en fait trop pour sa petite famille, dépense trop. De découverts en crédits revolving, il perd les pédales. Marzotti le toise. De page en page, Raoul s'approche du gouffre. Marzotti le hante. Raoul cache l'état de son compte en banque à Nicole. De mensonges en dissimulations, le rêve se déchire. Nicole déchante et déclare forfait. La vie bascule. Raoul dégringole. Sa folie des dépenses risque de lui coûter cher. Marzotti le pousse au fond du trou. Raoul rêve de lui faire payer. Qui n'a jamais imaginé assassiner son bourreau ? Passera-t-il à l'acte dans un moment de délire ?
Le suspense nous tient jusqu'au dernier chapitre car Raoul est attachant : il n'a pas les pieds sur terre et vit la tête dans les étoiles. Sur le fil du rasoir, il se démène, jusqu'au bout.
Un roman bien mené, sensible et plein d'humour, touchant. Réjouissant.

Éditions Fayard, 2016, 256 pages.

vendredi 29 janvier 2016

À pas feutrés de la nuit à la nuit

Henning Mankell partageait sa vie entre la Suède et le Mozambique où il a longtemps dirigé un théâtre. Auteur de pièces de théâtre et de livres pour la jeunesse, il est surtout célèbre pour ses romans policiers dont le héros est le commissaire Kurt Wallander. Mais c'est son roman Les Chaussures italiennes que j'avais adoré, peuplé de personnages libres, originaux ou marginaux, au caractère bien trempé.
Sable mouvant, Fragments de ma vie est un livre autobiographique
qu'il commence à écrire lorsqu'il apprend qu'il est atteint d'un cancer (qui l'emportera finalement en octobre 2015). La mort l'attend dans le vestibule et il est temps pour lui de se retourner sur sa propre histoire, de s'interroger sur ce que c'est que vivre, d'évoquer des souvenirs personnels et des sujets de société qui lui tiennent à cœur.
Henning Mankell est un conteur mais aussi un homme engagé, passionnant, responsable de ses choix dans une société injuste.
Dès les premières pages, on se sent happé, englouti dans ce sable mouvant, émouvant.
D'aucuns trouvent leur vérité dans les religions. D'autres continuent de tourner leur regard vers les étoiles. Quand j'étais enfant, une nuit — c'était une nuit glaciale, je n'arrivais pas à dormir —, j'ai vu apparaître un chien solitaire qui courait dans la rue, éclairé par un lampadaire qui oscillait dans le vent. Puis l'obscurité l'a avalé. Il me semble parfois que toutes mes questions sur la vie et la mort, le passé et l'avenir, ont partie liée avec ce chien filant à pas feutrés de la nuit à la nuit.

Éditions du Seuil, 2015, 368 pages. 

lundi 18 janvier 2016

132 variations poétiques et 66 autres

Dans L'air de rin, qui vient de paraître aux éditions Louise Bottu dans la collection ContraintEs, Bruno Fern joue en virtuose sur la sonorité des mots. Il décline en 132 variations la musicalité d'un vers de Mallarmé, "Aboli bibelot d'inanité sonore", et en 66 variations celui de Guillaume d'Aquitaine : "Ferai un vers de pur néant".
Cette ode à la poésie est aussi une ode aux poètes. Le titre de l'ouvrage fait d'ailleurs référence au poème La môme néant de Jean Tardieu.
Qui dit virtuose dit artiste et parfaite maîtrise : sans effort apparent, malgré la scrupuleuse contrainte imposée, le résultat — qui a du sens — est d'une simplicité aussi épatante qu'amusante. Cette poésie ne se prend pas au sérieux car avec Bruno Fern la technique peut rimer aussi avec comique ou érotique.
Et avec gourmandise car quelle belle surprise que ce petit livre de pur plaisir poétique !
Un exemple ? Histoire de pulvériser le décor d'entrée de jeu, la première variation donne le coup d'envoi... à la dynamite :
1 - Intro kamikaze
Allons-y Alonzo dynamiter l'décor.
Comme quoi, L'air de rin, avec trois fois rien, on peut écrire de très belles choses.

Éditions Louise Bottu, Collection Contraintes, 2016, 58 pages.
Avec une préface de Jean-Pierre Verheggen.

D'autres chroniques sur d'autres livres des éditions Louise Bottu :
- Vie des hauts plateaux de Philippe Annocque.
- Ozu de Marc Pautrel.

jeudi 14 janvier 2016

La science à portée de croquis

L'Italienne Fiamma Luzzati vit à Paris et fait un travail passionnant de vulgarisation scientifique en racontant en bandes-dessinées ses rencontres avec des chercheurs ou scientifiques : Le cerveau peut-il faire deux choses à la fois ? et autres petites questions de grande importance.
Dans ce premier ouvrage (espérons qu'il y en aura d'autres), on trouve une mine d'informations sur des sujets aussi divers que le fonctionnement de la mémoire, les incroyables capacités des pigeons parisiens, les robots les plus sophistiqués, les capacités du cerveau, l'autisme, pourquoi les filles sont moins bonnes en maths que les garçons, mais aussi des sujets de philo, etc.
Autant de questions que l'on ne se posait pas forcément mais auxquelles on est content de trouver des réponses étonnantes.
Les sujets sont sérieux, souvent ardus, mais Fiamma Luzzati trouve toujours un angle sympathique où elle se croque en Candide qui pose des questions aux spécialistes et nous raconte ses avventure au pays de la science. Alors tout devient lumineux.
En fin d'ouvrage, des références permettent d'aller plus loin dans l'information.
Mais avant tout, Fiamma Luzzati tient un blog publié sur le site lemonde.fr, L'avventura où l'on peut découvrir ses histoires. Là aussi, elle indique de nombreuses références pour en savoir plus sur le sujet traité, comme la schizophrénie, les TOC, mais aussi la conséquence du réchauffement climatique sur nos vins, ou les déchets radioactifs...
Et sur son site, également nommé L'avventura, on trouve aussi bien des "gribouillis", des réflexions sur la vie quotidienne, des BD sur la gastronomie en italien, ou sur la philosophie en français...
Et encore pleins de réflexions sérieuses, utiles et/ou rigolotes.
Tout feu tout Fiamma !

Éditions Delcourt, 2015, 256 pages. 

D'autres chroniques sur le cerveau :
- La femme qui prenait son mari pour un chapeau de Fiamma Luzzati
- 101 astuces pour mieux penser - Débloquez le potentiel de votre cerveau ! de Xavier Delengaigne
- Mon cerveau, ce héros - Mythes et réalités d'Elena Pasquinelli- Peut-on manipuler notre cerveau ? de Christian Marendaz
- Vivre Penser Regarder de Siri Hustvedt
- La femme qui tremble - Une histoire de mes nerfs de Siri Hustvedt

lundi 11 janvier 2016

En quête de Dulmaa, mère mongole

Magnifique premier roman que celui de Hubert François, Dulmaa, intriguant dès la première page.
Après la mort de son père, une jeune fille franco-mongole part en Mongolie à la recherche de sa mère, Dulmaa, qui était repartie dans son pays natal sans un mot d'explication. Elle veut savoir pourquoi. Logique.
Or, elle se heurte d'emblée à la culture mongole qui n'admet pas que les enfants demandent des comptes à leurs parents. Le choc des cultures, les non-dits, les secrets, les coutumes ancestrales et les péripéties rendent la quête difficile, voire impossible. Heureusement, le grand-père tombe toujours à pic pour intervenir discrètement et comme par magie, comme d'autres rencontres opportunes : une vieille femme, un chien étrange, des chevaux, des forêts, un orage, un lac...
De même, elle puise une aide précieuse dans des cahiers que son père avait écrits lors de ses voyages en Mongolie.
Une belle réflexion sur les rapports parents-enfants, une incroyable épopée moderne, un réjouissant roman d'aventures et surtout un vrai voyage initiatique aux confins du monde pour cette jeune fille en quête d'identité par rapport à sa double nationalité.

Éditions Thierry Marchaisse, 2016, 240 pages.

samedi 9 janvier 2016

La face cachée du Castor

Marie-Jo Bonnet, historienne et militante de la cause féministe, dans son essai Simone de Beauvoir et les femmes, égratigne le mythe de Simone de Beauvoir comme modèle de la femme libre, et propose une relecture critique du Deuxième sexe et d'autres ouvrages.
Entre les livres publiés — la vie publique du Castor — et les papiers personnels (journaux et correspondance) — donc sa vie privée et bien cachée — se glissent quelques contradictions grinçantes, voire un clivage. En effet, Simone de Beauvoir a occulté ou nié certains points de sa vie personnelle et sexuelle, beaucoup moins assumée et émancipée qu'en apparence.
Or, s'il était de son droit de ne pas tout dévoiler de son intimité, sa façon de faire rappelle parfois celle de la marquise de Merteuil, ambivalente, condescendante avec les autres femmes, cruelle, manipulant les maîtresses qu'elle se partageait ou se disputait avec Sartre.
Ou comment on ne nait pas féministe, on le devient.

Éditions Albin Michel, 2015, 352 pages.

jeudi 7 janvier 2016

Sur un air de Nina Simone

Quand Nina Simone chante, c'est souvent triste, parfois gai, mais c'est toujours beau.
Olivier Bourdeaut signe un beau premier roman, En attendant Bojangles, fantaisiste et poétique, un peu triste aussi car les personnages, un brin cinglés et extravagants, sont dans un état limite.
Ils dansent sur cet air de Nina Simone, "Mister Bojangles", en attendant que le tourbillon les emporte.
Le narrateur est un petit garçon. Sa maman est folle, son papa est fou d'elle et lui offre un château en Espagne. La vie est une fête, une invention perpétuelle, quitte à mentir un peu sur la réalité pour la rendre plus belle...
Le titre rend hommage à Samuel Becket et Nina Simone. On pense à Boris Vian dans les premières pages et on est conquis jusqu'à la dernière.

Éditions Finitude, 2016, 160 pages.

mercredi 6 janvier 2016

L'histoire de Maren et Yann

Marguerite Duras exerce une telle fascination qu'elle laisse encore une empreinte, des liens et des traces, des chemins qui se prolongent et s'enchevêtrent, vers des secrets impossibles, vers des abîmes de vide après sa mort.
Son dernier compagnon, Yann Andréa, jouait auprès d'elle, entre autres, le rôle de muse au service de la littérature, pour qu'elle puisse écrire ses derniers livres et pièces de théâtre, réaliser ses derniers films. 
Et à son tour, l'éditrice Maren Sell a joué ce rôle auprès de Yann, pour l'inciter à écrire encore, avec des "exercices de survie", des échanges de feuillets, et ainsi le soutenir, le sauver peut-être, mais aussi se rapprocher de lui.
Après Cet amour-là, qui fut un succès, et Ainsi, ce dernier livre, L'histoire, les complète, éclaire certains mystères. Une relation intime est née au-delà de ce travail entre l'éditrice et son auteur capricieux, immature ou tout simplement dépressif.
C'est leur histoire à eux, écrite à deux, par chapitres alternés, imbriqués. Il écrit sa vacuité, son manque d'inspiration sous forme de poèmes, assis sur les banquettes rouges des bars de Saint-Germain-des-Prés, devant des verres de vodka-orange. Elle raconte leur histoire, leur folie d'il y a plus d'une dizaine d'années déjà et qui n'a pu être publiée que maintenant, après la mort de Yann et surtout celle du mari de l'éditrice. Et entre eux deux, la présence de Marguerite est palpable encore.
Dans l'esprit de la maison Pauvert, que Maren Sell a longtemps dirigée, ce livre transgresse la routine, le conformisme et les convenances.

Éditions Pauvert, 2016, 232 pages.

lundi 4 janvier 2016

La femme qui voulait devenir elle-même

La magnifique couverture
a été dessinée par Juliette Maroni.
Dès le début, on a le souffle coupé par La femme au colt 45 de Marie Redonnet. Le style est sobre, taillé au plus juste, puissant. Maîtrisé (plus de quinze romans écrits depuis 1986). Un choc.
Impossible de lâcher le livre jusqu'à la dernière page : je l'ai lu d'un trait, fascinée. Séduite.
Une femme, Lora Sander, se retrouve seule et fuit la dictature de son pays. Elle était comédienne, vedette du Magic Théâtre dirigé par son mari aimant et protecteur. Son mari a été arrêté et son fils rebelle a pris les armes et le maquis.
Pour une femme seule, le danger et la violence sont omniprésents, à chaque coin de rue, à chaque rencontre : vols, viols, menaces, coups... Elle porte un colt 45 légué par son père. Elle sait s'en servir. Cette arme à feu sert de fil rouge au récit. Peu de choses sont dites, mais on sent une force dans l'écriture et dans l'histoire de cette femme qui décide, avec ou sans son colt, de prendre en mains son destin, de se libérer d'un passé plutôt confortable. Elle se retrouve en terre inconnue, sans papiers, sans identité.
Son voyage initiatique doit la mener vers son émancipation. 
(...) ma décision n'est pas un choix politique. C'est un choix personnel. Sans mon colt 45 maintenant qu'il rouille au fond du fleuve, je dois apprendre toute seule à devenir Lora Sander. Si je réussis j'aurai fait mes preuves. 

Éditions Le Tripode, 2016, 112 pages.

samedi 2 janvier 2016

Voutch ! À vos souhaits...

L'année commence d'excellente façon avec le Petit traité de Voutchologie fondamentale à l'usage des fans et autres Voutchophiles éventuels.
Avec Voutch... à vos souhaits !
Sous forme d'entretien soi-disant mené par Jean-Bernard Moussu (trop occupé au bout du monde, il a envoyé son assistant Benjamin Tessier pour faire le boulot), le livre est l'occasion de mieux connaître le dessinateur humoristique : son parcours, sa technique, ses ratés, ses succès... Où l'on découvre ses premiers essais, ses exploits en lancer de boomerang, l'adoption de la gouache, des dessins refusés mais réussis, des réalisations inédites, ses débuts dans Lui puis Télérama, Madame Figaro ou Psychologies Magazine, et bien d'autres choses.
Les Voutchophiles seront ravis, les autres seront conquis.
La "préface de quelqu'un d'assez connu" est de Frédéric Beigbeder, "titulaire de la chaire de Voutchologie à l'université de Feuquioux, à Saule", qu'il a connu lors de son passage dans la publicité.
Questions et réponses sérieuses (l'humour, c'est du travail et c'est sérieux) et décalées sont présentées dans des bulles joliment colorées et... décalées. Le tout pétille comme du champagne.
Tous mes vœux de bonne humeur !

Éditions du cherche midi, Collection Bibliothèque du dessinateur, 2015, 210 pages.

Le site officiel de Voutch.