mercredi 20 septembre 2023

Les écrivaines effacées depuis le Moyen Âge

Après un premier tome de son anthologie de littérature, Autrices. Ces grandes effacées qui ont fait la littérature, Daphné Ticrizenis récidive avec un tome 2 et prépare un tome 3.
L'autrice a travaillé dans l'édition, notamment scolaire, et s'est insurgée du peu de présence de textes d'autrices proposés dans les manuels de français. Elle s'est donc attelée à la recherche de ces œuvres littéraires de femmes injustement oubliées d'après les études des historiens et historiennes de la littérature, et universitaires spécialistes.
Le premier tome, paru en 2022, concernait les femmes qui écrivaient du Moyen Âge à la Renaissance ; le deuxième, celles des XVIIIe et XIXe siècles et le troisième celles du XXe siècle à nos jours.
Trois tomes, quand même ! Que de femmes effacées malgré leur créativité, leur engagement, leur style !
L'anthologie n'est pas exhaustive mais privilégie les textes d'autrices qui nous parlent encore aujourd’hui : autobiographies, théâtre, poésie, romans, essais...
Dans le tome 2 qui vient de paraître (ci-dessus), il est question des femmes qui écrivent et contribuent au courant philosophique des Lumières, des révolutions de 1749 et de 1848 et de la Commune. Une période mouvementée où les femmes ont été particulièrement mises de côté, exclues, désavouées, humiliées, invisibilisées.
(On est bien d'accord : rien n'a changé, qu'on écrive ou pas.)
À cette époque, elles s'appellent Émilie du Châtelet, Louise d'Épinay, Olympe de Gouges, Germaine de Staël, George Sand, Louise Michel, Anne de Noailles...
Un matrimoine littéraire absolument passionnant !

Éditions Hors d'Atteinte, 2023, 336 pages.

Consultez le catalogue des éditions Hors d'Atteinte : "Maison d’édition féministe de fiction et de non-fiction où s’arment les luttes émancipatrices d’aujourd’hui et de demain."

dimanche 10 septembre 2023

Les animaux sont politiques

Dans ce pamphlet, Révoltes animales, sur nos relations croisées humains-non humains, la condition animale est vue sous son aspect politique.
Le philosophe végétalien Fahim Amir annonce notamment que « la gauche est de droite sur la question animale » et s'appuie sur « un marxisme légèrement “ensauvagé“ ».
Les animaux déchaînent les passions, qu'il s'agisse de chasse, de zoos, de cirques ou d'expérimentations animales ; qu'on s'en prenne à la fourrure, aux plumes d'oie ou aux élevages industriels, à la pêche à la baleine, le transport des animaux, la production de viande...
Or, les animaux sont aussi sujets de l’exploitation capitaliste et développent leurs propres façons d’y résister. L'auteur prend pour exemple des animaux qui ont longtemps cohabité avec l'humain : pigeons, porcs, chevaux... et qui ont développé des formes de résistantes fort intéressantes, qui sont de véritables modèles.
Ce livre captivant, foisonnant d'histoires et d'informations, est traduit de l’allemand avec des titres percutants. Il est publié en France par les éditions Divergences, dont le catalogue en
critique sociale et politique est à explorer.  

Éditions Divergences, traduit par Samuel Monsalve, 2022, 176 pages.

L'aventure Fan(m)zine, fanzine de femmes

Illustration de couverture
de Natacha Eloy

Une superbe revue vient de voir le jour à La Réunion, Fan(m)zine, avec de très beaux textes et illustrations, exclusivement composés par des femmes et autant de belles surprises. Une douzaine d'autrices s'exprime ainsi pour le meilleur et pour les filles ! (mais non, au contraire ces lectures intéressent tout le monde)
Pour en savoir davantage, nous avons interrogé son éditrice, Julie Legrand.

Comment est née l'idée de Fan(m)zine ?

Fan(m)zine est né d'un retour d'expérience. D'une envie de faire cohabiter les textes courts (nouvelles, poèmes, fonnkers) et/ou illustrations d'autrices dans un ouvrage collectif.

Pourquoi le format court ?

En tant qu'autrice, j'ai publié plusieurs recueils de nouvelles. C'est une forme que j'affectionne de lire et d'écrire, bien qu'elle ne soit pas (assez) valorisée en France. Le parcours de l'autrice américaine JoyceCarol Oates, par exemple, a toujours été pour moi une référence. Que ce soit en tant que nouvelliste ou en tant qu'éditrice puisqu'elle a codirigé pendant de longues années la revue littéraire Ontario Review. Ses nouvelles ont été pour la plupart publiées en revues avant d'être rassemblées en recueils. Pour un auteur outre-Atlantique, c'est une façon classique de faire ses armes littéraires. Ce modèle, cette inspiration, ont influencé mon propre parcours.

Mes textes ont paru dans différentes revues indépendantes, recueils d'éditeurs ou de libraires. J’aime cette notion de collectif qui constitue des familles et permet aux textes de circuler. À La Réunion, je collabore depuis plusieurs numéros avec la revue Kanyar qui rassemble les contributions d'auteurs débutants ou confirmés, et privilégie les textes exigeants, libres, audacieux. Ses auteurs prennent plaisir à échanger, lors des séances de dédicaces et/ou de salons littéraires, en créant une dynamique de groupe qui devient source de projets collaboratifs. Éprouver ce collectif m'a donné envie de me lancer en proposant aux autrices de mon entourage de m'accompagner dans l'aventure Fan(m)zine et de créer ainsi, en quelque sorte, un cercle vertueux.

Dear diary de Jeanne Overton
Pourquoi ce titre, Fan(m)zine ?

En réfléchissant à la forme que j'allais donner au projet, celle du fanzine m'est venue à l'esprit, parce que je ne voulais pas publier un recueil de nouvelles classique. Le fanzine est une publication indépendante, souvent bricolée, qui rassemble des amateurs passionnés autour d'un sujet de prédilection. J’aime l’espace de liberté qu'il invoque, l'esprit « Do It Yourself » et la possibilité de faire cohabiter texte et image sur un même support. J'avais envie d'un objet ludique, accessible, au prix et au format de poche, qui passerait de main en main, comme un virus, un grigri, et qu'on prendrait plaisir à feuilleter pour ce qu'il est. L'ajout de la consonne m dans le mot, révélant le mot créole fanm a confirmé mon intuition, puisqu'il s'agissait de mettre en lumière les travaux de femmes-artistes en suggérant une sororité artistique où se répondraient différentes formes d’expressions dans un même ouvrage. Un objet féminin, certes, mais déconstruit, mobile, facétieux... mutant !

Pourquoi ne publier que des autrices?

Ce choix s'est imposé comme une évidence, du fait des interactions évoquées précédemment. Aussi, parce que le sujet de la féminité est central dans la plupart de mes textes. Par ailleurs, l'émergence de podcasts, médias ou écrits autour du féminisme a révélé ces dernières années de nouveaux espaces d'expression. Il m'a semblé que ces espaces manquaient à La Réunion, où l'exposition littéraire — bien qu'en nette évolution — restait jusqu'alors réduite et réservée aux mêmes « acteurs littéraires », souvent masculins. J'ai voulu créer un objet conçu comme un lieu où les femmes se sentiraient libres de faire entendre leur voix, de la manière dont elles le souhaiteraient, sous la forme de leur choix.

J'ai envisagé un objet-livre qui s'inscrirait dans cet élan collectif, et se positionnerait en tant que témoin de la mutation du féminisme contemporain. Une mue qui s'est, de fait, imposée comme thème du premier numéro de Fan(m)zine : Filles à la peau de serpent. Une publication singulière, qui offrirait un espace mixte de création et de réflexion.


Qui sont les contributrices de ce premier numéro ?

Papillon de nuit
de Natacha Eloy

Elles sont douze autrices et/ou illustratrices (dont un binôme), de La Réunion et de métropole. Les contributrices réunionnaises sont pour la plupart bien connues du milieu littéraire et artistique de l'île puisque toutes ont publié romans, nouvelles, théâtre, poésie ou illustrations chez des éditeurs locaux ou nationaux. Elles m'ont fait l'amitié de répondre à ma proposition avec enthousiasme et générosité, en respectant les consignes du thème et les délais d’écriture. Leur implication m'a confirmé que la création d'un Fan(m)zine à La Réunion était bienvenue voire nécessaire.

Pourquoi n’as-tu pas participé en tant qu’autrice, mis à part l’édito ?

En fait, si, j’ai participé, sous nom d’alias (Alya S.), ce qui n’était pas prévu au départ. Autant l’édito a été composé en amont de la réception des contributions, autant ce texte s’est imposé au moment du montage de la maquette, dans un souci d’équilibre, comme dans un tout, un point d’orgue, au travers duquel les voix résonneraient ensemble. De ce point de vue, il m’a semblé que ce texte aurait pu être écrit à plusieurs mains, jusqu’à former une identité virtuelle, qui n’exclurait pas l’intelligence artificielle, raison pour laquelle il est doté d’une identité propre, bien qu’imprécise. Le fanzine permet toutes sortes de surprises et d’excentricités. J’ai pensé au travail de Sophie Calle qui a fait de sa vie intime une œuvre, à Alfred Hitchcock et ses caméos dans ses films, une façon ludique de mettre son grain de sel dans une œuvre collective sans tirer la couverture à soi…

La petite fille aux allumettes
de Nicole Legrand
Pourquoi avoir ajouté des extraits de textes d’autrices renommées et connues pour leur engagement féministe ?

Pour le clin d'œil. Sans verser dans la pédagogie ou le militantisme à tout crin, j'aimais l'idée de partager mes réflexions de lectrice autour de la question féministe en recontextualisant les écrits emblématiques d'autrices pionnières comme Virginie Despentes, (King Kong Théorie), Chloé Delaume (Mes bien chères sœurs) ou Valérie Solanas, considérée comme la mère fondatrice du féminisme radical, dont le Scum Manifesto a été réédité en 2021 (et préfacé par l'essayiste Lauren Bastide). Ces autrices ont fait bouger les lignes en ouvrant la voie aux jeunes générations. Elles ont œuvré à la mue féministe et il me semblait important de le rappeler. Par ailleurs, j'aimais l'idée que ces extraits s'intègrent au recueil en faisant écho aux autres textes, avec leur langue, leur musicalité propre, identifiable. Ainsi, chaque contributrice de Fan(m)zine serait appréhendée de la même manière par le lecteur, bénéficierait de la même visibilité que ses consœurs d'écriture.

Peux-tu nous dire quelques mots de l'œuvre de Natacha Eloy en couverture ?

Il déchire ! Natacha Eloy, autrice et dessinatrice réunionnaise issue à la fois des arts visuels et du collectif BD Le Cri du Margouillat, est un peu la marraine de ce premier numéro. Hormis la couverture, deux autres de ses contributions (texte et illustrations) sont au sommaire. Qui dit fanzine, dit aussi identité visuelle forte. Natacha a su restituer l'état d'esprit que je voulais insuffler à la couverture : des couleurs vives, de l'impertinence, une pointe de sophistication, de la drôlerie saupoudrée de mysticisme. Tout y est, et ce portrait de « fille à la peau de serpent » est simplement magnétique.

À quelle fréquence sera publié Fan(m)zine ?

J'envisage une publication annuelle. Comme je m'occupe seule du travail éditorial, six mois sont nécessaires pour la sélection des contributions et six mois supplémentaires pour les corrections, la réécriture et la finalisation de In maquette.

Quel sera le thème du second numéro ? Comment seront sélectionnés les textes ?

Le prochain thème sera annoncé sur la page Facebook de Fan(m)zine par le biais d'un appel à contributions (textes, illustrations en noir et blanc). J’en préciserai les délais ainsi que toutes les modalités.


Où est diffusée la revue ?

Pour le moment, exclusivement à La Réunion. Pour la suite, on verra bien ce que l’avenir (lui) réserve !