vendredi 24 décembre 2021

Dans les profondeurs de l'âme

Une ambiance inquiétante et énigmatique plane sur le roman fantastique La Petite lumière d'Antonio Moresco.
On ne sait rien du narrateur, ni pourquoi il est venu s'isoler dans un hameau abandonné ni ce qu'il se passe aux alentours ni à quelle époque on se trouve, dans le passé proche (il y a des voitures) ou dans le futur. Il se passe des phénomènes de plus en plus déconcertants.
De chez lui, il aperçoit, à la nuit tombée, une petite lumière qui l'intrigue.
Il se renseigne dans d'autres villages où il rencontre des personnages plutôt bizarres qui lui donnent des explications pas moins étranges.
Petit à petit, se met en place un univers où le réalisme et le fantastique se côtoient.
La nature est omniprésente, végétale et animale, sauvage et féroce comme ces chiens effrayants des alentours.
Mais d'où vient cette persistante petite lumière ?

Je reste encore un long moment assis là. La lumière disparaît progressivement, tout ce monde végétal devient de plus en plus sombre devant mes yeux. De tous côtés commencent à se lever les cris des animaux nocturnes, invisibles dans le feuillage noir.
Pas un signe de vie humaine.
Excepté, quand l'obscurité se fait encore plus épaisse et que les premières étoiles commencent à paraître, de l'autre côté de cette étroite gorge abrupte, sur une partie plus plane de la ligne de crête, incurvée au milieu des bois comme une selle, chaque nuit, chaque nuit, toujours à la même heure, cette petite lumière qui s'allume soudain.

Cette fable touchante, au rythme lent malgré sa brièveté, tient en haleine et fait traverser des zones secrètes et sombres. Son univers et sa profondeur hantent longtemps.

Éditions Verdier, 2014, 124 pages (existe en poche).

jeudi 16 décembre 2021

En nos for(t)s intérieurs

C'est fascinant de lire Chez soi - Une odyssée de l'espace domestique de Mona Chollet alors que nous avons connu, depuis la parution de l'essai en 2015, quelques confinements et que nos maisons sont devenues le centre du monde. Tout prend un sens exacerbé. Et c'est tellement juste !
Déjà, Mona Chollet est une sorte de Proust du journalisme ou de l'anthropologie, une pionnière : elle a le don de défricher, de parler de choses intimes et quotidiennes sur lesquelles nous ne nous étions pas (forcément) posé de questions alors qu'elles n'attendaient qu'un essai sur nos modes de vie pour être déroulées.
C'était le cas pour ces Sorcières dont nous nous sommes tellement senties les héritières, puis ces questions de l'amour dans le couple.
Chez soi décortique ce que veut dire avoir un toit, déjà, et ce que nous y faisons, comment nous l'habitons et avec qui, comment et par qui nos habitats sont conçus.
C'est parce que son entourage se moquait de son côté casanier que l'autrice a décidé de s'attaquer au sujet et de défendre ceux qui aiment se réfugier dans leurs forts et fors intérieurs. Elle parle aussi très justement de la manière intelligente de fréquenter les réseaux sociaux. Et du temps que nous avons ou pas et comment nous le passons chez nous, ou pas.
Mais surtout, Mona Chollet vous fera aimer vos insomnies, ce temps suspendu dans la nuit si l'on n'est pas trop angoissé par la fatigue du lendemain, et notamment parce qu'il est agréable de se plonger dans une lecture passionnante et bien écrite.

Éditions Éditions La Découverte, collection Zones, 2015, 330 pages (existe en poche).

Lire aussi mes chroniques sur :
- Sorcières. La puissance invaincue des femmes ;
- Réinventer l'amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.

lundi 13 décembre 2021

La liberté, en lisant en écrivant

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeanette Winterson. Le titre donne le ton tragi-comique du livre, une autobiographie où l'autodérision est un combat pour la liberté de penser et de vivre.
Adoptée par une femme peu aimante, mystique, voire dérangée, la petite fille, puis l'adolescente, devra lutter pour survivre dans ce milieu hostile à bien des égards (la petite ville anglaise industrielle d'Accrington, près de Manchester, ne donne pas envie de s'y installer non plus).
Esprit frondeur, elle s'enfuit définitivement de chez ses parents adoptifs alors qu'elle est encore mineure. Elle fait ensuite des pieds et des mains pour intégrer Oxford et décide assez tôt qu'elle deviendra écrivain.
Elle avait déjà commencé à écumer en cachette la bibliothèque municipale en lisant les auteurs par ordre alphabétique, alors que les livres étaient proscrits à la maison.

L'hymne de l'école d'Accrington était “Louons maintenant les grands hommes“, un choix on ne peut plus inapproprié pour une école de filles, mais qui a contribué à faire de moi une féministe. Où étaient les femmes célèbres — ou n'importe quelle femme — et pourquoi n'avaient-elles droit à aucune louange ? Je me suis jurée de devenir célèbre et de recevoir les honneurs mérités quand je reviendrais.

En effet, elle gagne son pari avec son premier roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits qui remporte aussitôt un succès. Féministe, elle trouve son salut par la lecture puis par l'écriture.

J'essayais d'échapper à l'idée reçue selon laquelle les femmes écrivent toujours sur "l'expérience" — dans les limites de ce qu'elles connaissent — contrairement aux hommes qui écrivent sur ce qui est grand et audacieux — le grand schéma des choses, l'expérimentation avec la forme.

Pour elle, il n'est jamais trop tard. Malgré tout, elle ne garde pas de rancœur et choisit le pardon pour avancer.

Freud, l'un des maîtres du récit, savait que, contrairement à ce que suggère le temps linéaire, le passé n'est pas figé. On peut revenir en arrière. On peut reprendre les choses où on les a laissées. On peut réparer ce que d'autres ont brisé. On peut parler avec les morts.

Sa trajectoire exceptionnelle prouve que la lecture et l'écriture peuvent changer la vie.

L'Olivier, traduit de l'anglais par Céline Leroy, 2012, 276 pages (existe aussi en poche).

dimanche 12 décembre 2021

Balade sensuelle dans la nature

Fleurs, champignons, pomme de pin, écorces, papillons...
Un nouveau et superbe album, de l'illustratrice Pénélope qui nous avait déjà enchantés par sa poésie graphique avec l'album Colombe blanche.
Cette fois-ci, l'artiste nous invite à une balade des quatre saisons tactile, pour explorer du bout des doigts la nature et sensibiliser les voyants à l'expérimentation du toucher. Elle collabore depuis 2017 avec L'institut national des jeunes aveugles.
Le livre sobre, blanc sur blanc, et somptueux à la fois par ses motifs en relief, est une prouesse de fabrication qui en met aussi plein la vue.

Éditions Les Grandes Personnes, 2021, 14 pages cartonnées en gaufrage.
Convient aux enfants à partir de 3 ans.



samedi 11 décembre 2021

Biographie d'une psychodramatiste

C'est la première biographie d'Anne Ancelin Schützenberger (1919-2018), intitulée Psychodrame d'une vie. Ce titre en dit long sur la vie dramatique et hors du commun de celle qui est devenue mondialement célèbre dès la publication de son ouvrage Aïe mes aïeux ! alors qu'elle a déjà plus de 70 ans.
L'autrice Colette Esmenjaud Glasman est elle-même psychologue et s'est formée pendant des années à ses côtés, puis a fondé avec elle l'École française de psychodrame. Elle a eu accès aux archives familiales et professionnelles d'Anne et a interrogé de nombreuses personnes qui l'ont connue, personnellement ou professionnellement.
C'est un travail très riche qui remonte aux ancêtres russes — arbre généalogique à l'appui — de celle qui est née Anna Eynoch et a inventé la psychogénéalogie. Elle a en effet porté un double nom d'emprunt (dont celui de son mari, malgré un mariage bref) et a toujours éludé certains épisodes dramatiques de sa propre vie, ce qui est étonnant pour quelqu'un qui a pointé les conséquences des non-dits et des secrets de famille. Mais son histoire était tellement incroyable qu'elle craignait qu'on ne la croie pas.
Bien évidemment, la biographie parle de son enfance, son arrivée en France, des relations houleuses avec sa mère, de ses études, de sa participation à la Résistance qui lui valut son nom d'Ancelin et de son long parcours professionnel, semé d'embûches et de persévérance...
C'est un récit captivant, détaillé et sans complaisance, de cette personnalité impulsive et passionnée.

Éditions Desclée de Brouwer, 2021, 486 pages, avec des photos.

Lire aussi ma chronique sur Le Plaisir de vivre d'Anne Ancelin Schützenberger.

vendredi 10 décembre 2021

Le secret du bonheur à la japonaise

La République du bonheur d'Ito Ogawa est la suite de La papeterie Tsubaki (que je n'ai pas lu, comme quoi, on peut commencer par ce roman).
La marchande de papiers, qui fait office d'écrivain public et reçoit les demandes les plus farfelues ou délicates, épouse son voisin le cafetier, veuf et papa d'une adorable fillette. Elle découvre la joie d'être mère et la vie de famille, pas toujours facile quand on a une forte personnalité.
Mais surtout, c'est l'ombre des morts qui plane sur ce bonheur possible : la grand-mère qui a élevé la papetière et la première femme de son époux. Comment dissiper les nuages et conserver, malgré tout, la joie de vivre ? C'est tout l'art de la romancière japonaise.
Le cadre de l'histoire est la petite ville de Kamakura, en bord de mer et entourée de collines de forêts, historique et très touristique avec ses nombreux temples et maisons traditionnelles. C'est aussi la ville où vécut Yasunari Kawabata, immense auteur japonais (un de mes préférés avec Junichiro Tanizaki).
Jolie balade dans le quotidien de personnages attachants et dans la bourgade japonaise, entre mer et nuages.

Éditions Philippe Picquier, 2020, 288 pages.

jeudi 9 décembre 2021

Cheminement artistique

Avant de rencontrer Mathieu Boogaerts pour un entretien à paraître dans Les Carnets du Ventoux, j'ai écouté ses chansons, regardé des vidéos et lu son livre Je ne sais pas, édité par La Machine à Cailloux*.
Je ne connais pas grand-chose à la musique mais j'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce petit livre qui en dit long sur lui, parce que justement l'auteur-compositeur-interprète y décortique très simplement la façon dont il crée ses albums.
D'ailleurs, le processus de création peut suivre les mêmes chemins pour d'autres domaines artistiques, dont l'écriture en général. D'ailleurs, il parle aussi de la façon dont il écrit ses chansons, d'où lui vient l'inspiration, quels artistes l'ont influencé, comment il compose ou aborde ses concerts, etc.

Autodidacte moi-même, je m'aperçois encore aujourd'hui, en côtoyant des musiciens qui ont appris de manière académique, à quel point le fait d'apprendre par soi-même, et donc de ne pas trop savoir ce que l'on joue, stimule l'imagination et rend tout possible.

Il écrit en toute modestie et très simplement, comme il est dans la vie, "plus à l'aise dans les chaussures de l'anti-héros que dans celles du héros".
Mais pourquoi ce titre Je ne sais pas ?

Je ne sais pas pourquoi je fais de la musique plutôt qu'autre chose. Je ne sais pas pourquoi je fais cette musique-là plutôt qu'une autre. Je ne sais pas pourquoi je me sens si bien quand j'y arrive et si mal quand je n'y arrive pas.

Il ne sais pas pourquoi mais explique très bien comment.
Accessible et passionnant.

Éditions La Machine à cailloux, 2010, 80 pages.

Malheureusement, la maison d'édition, qui invitait les musiciens à réfléchir et écrire sur le processus de création artistique, a disparu. Il reste cependant des livres dont celui de Mathieu Boogaerts à la librairie du Jardin Singulier.

mercredi 8 décembre 2021

Neil Young par lui-même

Au début, on se demande si c'est la traduction qui a été bâclée. Le style jeté au fil des pensées désarçonne au point de se demander si on arrivera au bout des 550 pages de ce pavé simplement intitulé Une autobiographie* et publié en 2012. On finit par s'habituer et par comprendre que Neil Young s'est lui-même essayé à l'exercice, à l'âge de 66 ans, sur les traces de son père qui était journaliste et écrivain, en laissant venir les souvenirs en désordre, mais avec son cœur. Il est donc bien l'auteur.
À la page 137, tout devient clair et c'est assumé :

Comme vous avez dû vous en apercevoir si vous êtes toujours là, je ne suis pas très calé en self-control. Jusqu'ici, je n'ai réécrit qu'un seul paragraphe de ce livre. Le hic, c'est qu'il n'y a pas de vérificateur d'orthographe pour l'existence.

Et page 197, non sans humour :

La forme pour la forme ne m'intéresse pas. Donc, si vous avez des difficultés à lire ce livre, donnez-le à quelqu'un d'autre. Fin du chapitre.

Dans le même genre, Patti Smith, par exemple, est bien plus douée pour l'écriture poétique. Du même coup, le livre semble sincère et on finit par apprécier le ton. Le musicien-chanteur-compositeur livre des souvenirs d'enfance, de ses parents, de ses débuts, de ses amis et collaborateurs et rend beaucoup d'hommages.
Créateur prolifique, après 40 ans de carrière et plus de 34 albums, il parle évidemment beaucoup de sa façon de travailler et comment il écrit ses chansons.
Par ailleurs, il est également impliqué (à l'époque) dans la commercialisation d'un système qui restitue plus fidèlement les enregistrements (Pono) et dans la recherche d'un carburant moins polluant car il est collectionneur de grosses voitures et sensible à l'écologie.
J'ai beaucoup écouté l'album Harvest depuis mon adolescence et je voulais en savoir un peu plus sur Neil Young, tout simplement.

Éditions Robert Laffont, 2012, 550 pages avec des photos en noir en blanc.

* pour l'édition française, alors que le titre original était Waging Heavy Peace.

mardi 7 décembre 2021

Aphorismes de pieds en cap

C'est un long titre pour un petit livre court, mais pas si vite lu ! En effet, sa lecture est savoureuse et longue en bouche.
C'est Biotope et anatomie de l'homme domestique de Philippe Annocque.
Le principe du livre est une série d'aphorismes et courtes phrases riches en jeux de mots et humour subtil.
Comme l'indique le long titre, le sujet est l'humain, son corps et son habitat, c'est-à-dire la maison. Tout simplement.
Quelques exemples ?

Parce que le débarras n'est pas forcément bon.

Une infiltration par le toit. Quelle tuile !

Les cheveux, les dents, les seins, les fesses : tout tombe à la fin.

Philippe Annocque, poète et romancier — ou magicien des mots, comme je l'ai déjà nommé dans une de mes chroniques — a publié une quinzaine d'ouvrages chez d'exigeants et singuliers éditeurs, dont Vie des hauts plateaux aux mêmes éditions Louise Bottu mais également sept romans, qui sont autant de bijoux de littérature, chez Quidam éditeur (voir ci-dessous quelques chroniques).
L'homme est un animal pas tout à fait comme les autres, mais de toute façon vous ne le verrez plus du tout de la même façon.

Éditions Louise Bottu, 2021, 62 pages. 

Hublots, le blog de l'auteur.

 * Lire aussi sur ce blog :
- Les Singes rouges
- Liquide
- Pas Liev
- Elise et Lise
- Vie des hauts plateaux
- Notes sur les noms de la nature
- Seule la nuit tombe dans ses bras

lundi 6 décembre 2021

Marcher et boire, inutile de choisir

Pour les amateurs de vin et de randonnées, c'est le guide idéal pour découvrir des domaines, rencontrer des vignerons, déguster leurs vins et arpenter de beaux paysages. Ou commencer par la randonnée pour finir au vignoble.
Un des derniers-nés des guides des éditions du Chemin des Crêtes se concentre sur le Sud-Est de la France : Rando-vin Provence et Corse de Romy Ducoulombier.
L'autrice est journaliste, spécialisée dans le vin et le tourisme.
Elle a sélectionné 40 domaines, de la Drôme provençale à la Côte d'Azur.
Romy Ducoulombier présente chaque fois le domaine, le vignoble, ses vins. Puis elle décrit la randonnée avec quelques informations pratiques, le tracé et le QR code pour se connecter directement sur le site Visorando.
Enfin, elle indique ce qu'il y a à voir ou à faire dans les alentours.
En attendant les beaux jours, avec les belles photos des domaines et des paysages, voilà qui donne envie !

Éditions du Chemin des crêtes, 2021, 224 pages.

jeudi 18 novembre 2021

Et l'amour dans tout ça ?

Après Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet poursuit et décline sa réflexion sur le patriarcat sous l'angle de l'amour dans Réinventer l'amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.
Comme d'habitude, la journaliste part de son expérience personnelle et de sa prise de conscience. Elle décortique et clarifie ces points qui, comme souvent, nous semblaient gênants sans qu'on comprenne pourquoi.
Parfois, quand on est féministe et en couple, des contradictions peuvent rendre les relations difficiles.
Mona Chollet met en lumière l'infériorité des femmes dans l'idéal romantique en prenant comme exemple des œuvres comme Belle du Seigneur d'Albert Cohen ; comment les hommes, "les vrais", sont encouragés à se montrer violents ; comment l'amour serait une affaire de femmes ; et enfin, comment les femmes seraient des sujets érotiques.

Non, les femmes n'ont pas tort d'aimer comme elles aiment, avec audace et courage. Il n'en reste pas moins que l’asymétrie contemporaine des attitudes féminines et masculines à l'égard de l'amour pose de nombreux problèmes.

Pour faciliter les relations, nous en revenons souvent à l'injonction "Sois belle et tais-toi". Et sinon, c'est l'impasse : il faudrait choisir entre bonheur amoureux et épanouissement personnel.

Quelle fonction remplit le conditionnement des femmes à l'amour ? Même si je ne pense pas, encore une fois, que l'hétérosexualité se résume à une ruse du patriarcat, il me paraît indéniable que, en abreuvant les filles et les femmes de romances, en leur vantant les charmes et l'importance de la présence d'un homme dans leur vie, on les encourage à accepter leur rôle traditionnel de pourvoyeuses de soins. On les place aussi en position de faiblesse dans leur vie sentimentale : si l'existence et la viabilité de la relation leur importent davantage qu'à leur compagnon, en cas de désaccord sur n'importe quel sujet, ce sont elles qui seront amenées à céder, à faire des compromis ou à se sacrifier. On éduque les femmes pour qu'elles deviennent des machines à donner, et les hommes pour qu'ils deviennent des machines à recevoir.

Comment réinventer l'amour dans ce contexte de remises en question ? Peut-être par une prise de conscience de ceux qui ont aussi envie de réfléchir aux conditionnements de part et d'autre, de les déconstruire, et de se mettre à la place de l'autre. Tout le monde y gagnerait en compréhension et harmonie.
Brillant essai. Lecture indispensable.

Éditions La Découverte, collection Zones, 2021, 276 pages.

lundi 15 novembre 2021

Le chant d'Élisée

Élise sur les chemins de Bérengère Cournut est d'abord un très bel objet avec sa couverture, fascinante et lumineuse, superbement illustrée par le tableau nommé Deux haies de Corinne Pauvert.
Les grands rabats sont comme une parenthèse qui nous plonge dans l'atmosphère féerique de ce roman, entre nature et fantastique, rêve et réalité.
C'est un roman surprenant d'abord, entièrement écrit en vers libres, légers et tourmentés, d'une langue pleine de grâce et de liberté. Et peu à peu l'univers nous happe.
Élise, la narratrice, part sur les traces de son frère, Élisée Reclus (1830-1905), l'écrivain géographe, libertaire et voyageur, défenseur de l'union libre, précurseur de l'écologie (entre autres). 

Je suis une fille, je m'appelle Élise
Je suis née il y a onze ans
Au flanc d'une colline boisée
Les pieds dans un ruisseau
La tête dans les bouleaux
Enfant des arbres, fille de l'eau

C'est donc à un voyage que nous convie l'autrice : un voyage onirique, initiatique, sauvage et féminin.
Un vent de liberté intemporelle !

Le Tripode, 2021, 176 pages.

samedi 13 novembre 2021

Vive les gentilshommes (dans ce monde de brutes) !

Propos d'un aspirant Gentleman
de Frédéric Rebet est un dictionnaire des bons mots, propos choisis, anecdotes, aphorismes, citations, conseils, histoires drôles, extraits ou listes de lectures et de films... bref, un joyeux bric-à-brac de savoir-vivre pleins de surprises, d'élégance et de drôleries.
L'auteur est un dandy bien de son temps qui œuvre dans le milieu musical et a notamment créé le label Naïves.
Malgré son intérêt pour un art de vivre parfois désuet qui était en vogue au XIXe siècle, son objectif est une ouverture d'esprit et l'intérêt porté aux autres, ce qui est tout à fait louable.
Si la culture britannique domine chez lui, il est également imprégné des française et japonaise.
"C'est aussi une ode à la singularité assumée, sans ostentation, avec l'apaisement qu'apporte le recul de l'humour", ajoute-t-il en fin d'ouvrage.

Il y a des jours "avec" et des jours "sans", et les jours "sans" il faut faire "avec".

C'est le livre sympa à offrir aux gentlemen, qui se reconnaitront, et aux autres qui en prendront de la graine, en s'amusant.

Éditions de l'Opportun, 2021, 336 pages.

dimanche 7 novembre 2021

Un roman picaresque kaléidoscopique

Le Bon, la Brute et le Renard de Christian Garcin est un roman picaresque avec un extraordinaire entrelacement d'histoires, d'enquêtes, de quêtes... et bien sûr un clin d’œil au western et au road movie.
Nous n'avons pas affaire à des cow-boys mais à un trio de Chinois qui recherche la fille de l'un d'entre eux dans le désert californien entre deux nuits dans des motels. Le trio croise, sans vraiment le rencontrer, un duo de policiers américains qui, eux, recherchent un jeune homme. Ailleurs, à Paris, un autre Chinois, "auteur réticent et enquêteur perplexe", cherche la fille de son patron.
Mais ces personnes qui ne donnent plus de nouvelles souhaitent-elles vraiment être retrouvées par ceux qu'elles ont fui ?
La recherche de personnes disparues est un thème récurrent chez Christian Garcin comme dans Des Femmes disparaissent ; ou celui des rebuts de la société comme dans Les oiseaux morts de l'Amérique. Il est aussi question de chocs des cultures : les Chinois en Amérique, un Chinois à Paris, mais aussi entre Paris et Marseille...
Pour ceux qui lisent Christian Garcin, c'est avec délectation que l'on retrouve des personnages, des lieux et des thèmes déjà croisés ou visités dans d'autres de ses livres puisqu'il tisse une œuvre foisonnante toute en souterrains et archipels (lire l'entretien).
Christian Garcin s'amuse — et nous aussi ! — dans une mise en abîme à facettes qui crée un effet de caléidoscope avec un livre dans le livre : où un de ses personnages est devenu un personnage de roman. Inversement, un personnage (qui n'a rien à voir avec l'auteur) porte le nom de Christian Garcin
Enfin, on se régale de dialogues drôles et subtils, et de références et digressions passionnantes sur toutes sortes de sujets : la poésie chinoise, la pollution, les laissés pour compte, la cause animale, etc.
Humour, réflexion et poésie sont toujours au rendez-vous.

Actes Sud, 2020, 336 pages.

D'autres chroniques sur les ouvrages de l'auteur :

- Entretien avec Christian Garcin
- Petits oiseaux, grands arbres creux

-
Selon Vincent
- Les oiseaux morts de l'Amérique
- Dans les pas d'Alexandra David-Néel

- Les vies multiples de Jeremiah Reynolds
- Jeremiah & Jeremiah
- Vétilles
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas
- Sortilège 
- Des femmes disparaissent
- Les nuits de Vladivostok
- Romans pour la jeunesse

 

dimanche 31 octobre 2021

Silver économie et cœurs en or

Après Marie Charrel qui met en lumière les femmes de plus de 50 ans, dans Qui a peur des vieilles ?, Ixchel Delaporte nous parle d'une catégorie de personnes encore plus invisibles : celles qui sont encore plus âgées, dans Dame de compagnie, en immersion au pays de la vieillesse.
L'autrice enquête sur ce monde doublement invisible : les personnes du quatrième âge et celles qui s'en occupent. L'utilisation du féminin est requise puisque ces auxiliaires de vie, comme on les appelle, sont essentiellement des femmes, souvent étrangères, des travailleuses sans diplôme et aux conditions de vie et de labeur difficiles.
Ixchel Delaporte a fait son enquête en immersion, à la manière de Florence Aubenas pour Le Quai de Ouistreham, c'est-à-dire en se faisant embaucher pour faire ce travail et en expérimenter les réelles conditions.
Un des paradoxes de ce monde invisible, c'est qu'il devient de plus en plus important : le chiffre de 2,5 millions, en 2015, de personnes âgées en perte d'autonomie devrait doubler d'ici 2050. C'est une situation taboue et paradoxale que notre société ne veut pas voir et qui touche tous les milieux : c'est notre sort à tous demain, si nous ne mourrons pas avant. Que faisons-nous pour nos aïeux et pour tous ceux qui les accompagnent ? Il est évident que ce lien social, auprès de personnes qui sont souvent en souffrance physique et psychique, est indispensable au quotidien.
Et finalement : que faisons-nous pour notre avenir ? 

Silver économie : où est l'argent ?

Le secteur, appelé silver économie (rapport aux cheveux argentés), recrute à tour de bras, mais le turn over y est aussi très important puisque ce travail, souvent ingrat de "bonne à tout faire", est peu valorisé, ce qui veut surtout dire mal payé. Le taux de burn-out y est également impressionnant car comment dire non quand on aide ou quand on a besoin de travailler pour vivre ? C'est ce qu'a vécu l'autrice, engagée à fond dans sa mission, mais arrivée au bout du rouleau.
Ixchel Delaporte soulève bien des questions en nous emmenant dans ce monde secret et intime de personnes de tous horizons et dans des situations très différentes : riches ou pauvres, à domicile ou en Ehpad, atteintes de maladies dégénératives ou isolées, veuves en proie à un deuil insurmontable, ou vieillissantes qui deviennent lentes et de moins autonomes. Elles sont souvent psychologiquement affaiblies parce que tout simplement, vieillir, se sentir diminué physiquement, c'est définitivement triste. Et c'est d'autant plus angoissant que nous nous dirigeons inexorablement dans cette voie.
L'autrice interroge aussi nos relations à nos propres parents.
C'est avec beaucoup de cœur et d'empathie qu'Ixchel Delaporte décrit ces rencontres et ce dur travail quotidien,  qui demande patience et abnégation, mais qui est également riche de confidences et de moments lumineux.
Un travail impressionnant, riche, poignant, très touchant qui devrait faire réfléchir à l'évolution de nos sociétés, à la prise en charge des personnes en perte d'autonomie et à la valorisation de celles qui les accompagnent.

La Brune au Rouergue, 2021, 224 pages.

samedi 30 octobre 2021

Ode à l'amour et aux librairies

Une nouvelle collection est née aux éditions Privat : Petit éloge amoureux de...
Voilà confiée la tâche de faire l'éloge de la librairie à Patrick Besson, écrivain, critique littéraire, membre du jury du Prix Renaudot, donc lecteur et musardeur en librairies, à Paris et ailleurs dans le monde.

"Entre les livres et moi c'est une telle passion, une telle folie, une telle tendresse."

Le livre se présente en trois parties. La première égrène les souvenirs de l'auteur en littérature : ses lectures, sa carrière, les librairies qu'il a fréquenté. Mais aussi les femmes qu'il a fréquentées. Car il s'agit d'un éloge amoureux avant tout.
Un peu désabusé, Patrick Besson n'est pas toujours tendre et élogieux avec certains libraires ou connaissances.
La deuxième partie est une nouvelle, Édith Blancpain, libraire, encore une ode à l'amour (perdu) pour une libraire. Un rien autobiographique.
Enfin, la troisième partie, En guise de post-scriptum, est une liste non exhaustive des librairies en France, classées par régions, et en Belgique.

"Le royaume des lignes droites. Les librairies : oasis dans le désert de mon adolescence. Poursuivi par la réalité assommante, je m'y réfugie autant que possible."

Éditions Privat, 2021, 184 pages.

Lire aussi ma chronique sur une autre ode aux libraires : Jolie libraire dans la lumière.

vendredi 29 octobre 2021

Voyage au Japon

Merveilleux voyage que nous propose Éric Faye avec ces Fenêtres sur le Japon !
Pour qui s'intéresse à ce pays et sa culture, si lointains, si proches, si mystérieux et si évidents aussi parfois, l'auteur érudit — mais au style si limpide, si passionnant — donne à voir, à travers une sélection d'œuvres écrites ou filmées, quelques points de vue sur ce pays, ses habitants, leur histoire, leurs histoires...
Il nous prend par la main, nous tend des clefs, rend visible ce qui est caché entre les lignes ou derrière les images.

Chaque chapitre est une fenêtre ouverte sur un aspect de la société nipponne, par laquelle je jette un regard d'écrivain — en aucun cas celui d'un spécialiste. Peut-être émergera-t-il de cet archipel de livres et de films un portrait (très subjectif) du Japon d'hier et d'aujourd'hui.

Éric Faye explique en fin d'ouvrage :

Il fallait faire des choix et je souhaitais me tourner avant tout vers des œuvres dont le propos illustre des obsessions ou singularités, ou encore des tabous de la société japonaise.

J'aurais, en tant que lectrice, poursuivi le voyage encore longtemps... et il peut se poursuivre grâce aux œuvres abordées et à une foisonnante bibliographie.

Éditions Picquier, 2021, 336 pages.

À lire aussi dans ce blog, d'autres chroniques sur les livres d'Éric Faye :
- Dans les pas d'Alexandra David-Néel, du Tibet au Yunnan (avec Christian Garcin)
- Nagasaki
- Malgré Fukushima - Journal japonais

jeudi 30 septembre 2021

Objets trouvés

Après L'anomalie qui a remporté le Prix Goncourt 2020 et battu des records de tirages, Hervé Le Tellier nous offre une œuvre oulipienne complètement différente, un objet ludique, humoristique et poétique, décalé avec son air rétro et classique mais revisité au présent et original : L'herbier des villes. Choses sauvées du néant.
Il s'agit, non pas de plantes glanées dans la campagne pour un herbier classique, mais d'objets trouvés et collectés dans la rue, des tickets, des papiers... plutôt égarés et échappés de la poubelle ou du balai. Comme toujours pour l'Oulipo, il y a une règle du jeu d'écriture que l'auteur indique en début d'ouvrage.
Ces objets, tellement communs et destinés au rebut, parfois rebutants, parfois étonnants, n'ont habituellement pas grand intérêt, ou plus du tout, mais les voilà épinglés, c'est-à-dire fixés en photographies, dûment étiquetés avec nom latin et vulgaire, élevés au rang de précieux spécimens.
Sur la page de droite, en vis-à-vis, se trouve un haïku plein de clins d'œil, à la typographie et la composition recherchées.
Enfin, ce recueil d'objets est lui-même un bel objet.

Éditions Textuel, 2021, 96 pages.



dimanche 26 septembre 2021

Le pays des rides heureuses

La journaliste économique Marie Charrel qui a su nous envoûter avec son roman Les Danseurs de l'aube, ou son enquête romancée Je suis ici pour vaincre la nuit, vient de publier Qui a peur des vieilles ?, un essai sur un passionnant sujet de société : l'âgisme.
Il s'agit des discriminations fondées sur l'âge, qui s'accompagnent souvent de sexisme puisque ce sont surtout les femmes qui en font les frais, en tout cas beaucoup plus tôt que les hommes.
En effet, une des inégalités entre les hommes et les femmes est l'âge, et le regard qu'on porte sur les personnes mûres. Après 45 ou 50 ans, les femmes deviennent étrangement transparentes.
L'autrice s'est plongée dans l'étude de ce phénomène — presque un tabou — en croisant les références culturelles (films et livres), les analyses historiques et sociologiques, et des dizaines de témoignages de personnes connues ou inconnues (surtout des femmes).
Très instructif, son livre tend également un miroir à chacun, homme ou femme.
Malgré tout, les personnes interrogées et concernées ne vivent pas si mal leur maturité. Car des tabous commencent à tomber. Les diktats et les injonctions se floutent. S'il reste encore des progrès à accomplir, le changement de regard est en chemin. Même si, comme on le voit dans la presse féminine d'un article à l'autre dans le même numéro, des injonctions contradictoires persistent.
Alors pourquoi tant de jeunisme ? On est toujours la vieille ou le vieux de quelqu'un d'autre. À quel âge est-on vieux et comment bien vieillir ? Et peut-être que la question est : qui a peur de vieillir ?
Comme l'écrit Belinda Cannone dans La Tentation de Pénélope

"Alors soyons puissantes, mes sœurs, parce qu'ainsi s'entretiendront la joie de vivre et le feu."

Le résultat est un essai vivant, passionnant et revigorant.

Éditions Les Pérégrines, 2021, 288 pages.

samedi 25 septembre 2021

Zone d'ombres dans la zone blanche de la zone humide de la zone à défendre

Zone blanche est le troisième roman de Jocelyn Bonnerave. Il mêle l'intime et le politique.
Une zone blanche est un territoire où le réseau téléphonique ne passe pas. Le narrateur est un musicien célèbre qui débarque dans une ZAD (zone à défendre) où vivait son frère qui a disparu et qu'il a un peu perdu de vue. La zone à défendre est une zone humide, qui abrite une écrevisse rare, menacée par un projet d'enfouissement de déchets. Ce n'est pas son milieu, ni la voie qu'il a choisi. Mais petit à petit, il va faire connaissance avec ses habitants, leurs sympathisants, leurs valeurs, leur mode de vie, leurs combats... mais aussi leurs opposants.
Des souvenirs d'enfance vont surgir. En même temps, il va découvrir la vie que menait son frère ces dernières années.
L'auteur nous entraîne d'emblée dans son histoire, un thriller qu'on ne peut plus lâcher. Le style coule et joue avec les mots avec une grande justesse, une pointe d'humour et beaucoup d'émotions. Les images jaillissent avec force et élégance.
Jocelyn Bonnerave a également écrit une thèse sur l'improvisation musicale. On le sent dans son élément pour parler de sons et de concerts. Du bon son, sans fausse note.
Un excellent roman, sur le fond et la forme. À défendre.

Un passage particulièrement savoureux :

    Mes pas me mènent au chantier d'Émeline. Le lieu a été baptisé « West » par les premiers occupants, il y a trois ou quatre ans un simple hangar au départ, devenu peu à peu une maison en paille, située en vis-à-vis de la vieille ferme de Jussy par rapport à la route. Jussy ressemble à « J'y suis » : presque logiquement, les nouveaux venus inventèrent « Jirest », ce qui en disait long sur leur ténacité. Les habitants de la ZAD adorent jouer avec les mots, s'appuyer ainsi sur le cadastre existant pour créer de nouveaux noms. Ça part dans tous les sens. À côté du Gros Caillou, deux yourtes se sont montées, d'abord Petit Genou puis Grand Hibou. Le lieu-dit « Les fosses noires » a créé « Les vraies rouges ». Une ancienne maison de maître est devenue « La villa mais d'ici ». La bibliothèque installée dans une fermette, non loin d'un silo à grains, est appelée « L'ivraie ». Les premiers jours, je souriais avec un peu de complaisance en découvrant ces jeux de mots qui me semblaient faciles, pas si éloignés des trouvailles de coiffeurs, les terribles Créa'tif, Capill'hair, etc. Maintenant que les paroles aristocratiques de mes chansons ne me comblent plus, j'en suis à jalouser cette inventivité qui, sous couvert de blague, donne à des espaces toujours menacés de destruction une vraie pérennité. Même détruit, Jirest demeure, Jirest est un mot, un bon mot dans les mémoires.

Éditions La Brune au Rouergue, 2021, 224 pages. 

mercredi 25 août 2021

L'outre mer

Mariette Navarro a écrit Ultramarins suite à une résidence d'auteurs à bord d'un cargo en 2012, puis à la Maison de la poésie de Rennes en 2016. Elle est l'autrice de textes en prose poétique et de pièces de théâtre. C'est son premier roman.

Un porte-conteneurs fend la mer.
À son bord, une commandante aguerrie et vingt hommes de mer. Peut-être davantage au-delà des mers. Tous des ultramarins.
Un jour, contre toute attente, elle donne son accord pour une presque folie : une baignade en pleine mer. Elle reste seule sur le navire, mais c'est comme si elle perdait pied.
En mer, naissent les légendes, d'un grain de sable, d'un souffle dans la machine, d'un petit écart, d'une dérive entre le monde des vivants, celui des morts, celui des terriens et celui des marins. Des fantômes surgissent du fond des mers, du fond du cœur, de l'outre mer.

Elle se souviendra de la position, elle se penche pour noter sur la carte cet endroit d'Atlantique sans mystère, où il s'en est fallu de peu pour qu'une autre embarcation croise leur route et s'étonne de leur immobilité. Elle appuie particulièrement le crayon, jusqu'à percer la feuille, jusqu'à laisser un trou dans le papier à l'endroit de leur saut, une ouverture possible à garder en mémoire.


Un roman magnétique, une légende où les hommes et les machines échappent à la réalité, perdent leurs repères, sortent des radars. Un roman magnifique.

Quidam éditeur, 2021, 156 pages.

dimanche 18 juillet 2021

Un grand-père flamand

Pendant plus de trente ans, Stefan Hertmans a conservé sans les ouvrir deux cahiers que son grand-père, Urbain Martien, lui avait confiés quelques mois avant sa mort.
Certes, dans Guerre et Térébenthine, il y a les années de guerre de tranchées de 14-18 que cet homme a vécues comme une épouvante, blessé plusieurs fois, mais aussi des passions, plus ou moins secrètes, des passions amoureuses et celle de la peinture. Urbain avait aussi marché dans les traces de son propre père qui était peintre et avait secrètement semé des clefs dans ses œuvres.
Stefan Hertmans évoque ses propres souvenirs de son grand-père, reprend les cahiers qu'il lui a laissé, va sur les lieux où il a vécu et souffert, et décrypte ses tableaux dont certains révèlent ses secrets.

J'avais décidé de ne lire ses mémoires que lorsque je pourrais y consacrer tout mon temps, partant du principe que la lecture du contenu produirait un tel effet sur moi que j'aurais aussitôt envie d'écrire l'histoire de sa vie, que je devrais me sentir libéré d'autres mots, ne rien avoir à faire, pour me mettre à son service. Mais les années s'écoulaient (...)

C'est un portrait sensible et un émouvant hommage que l'auteur du Cœur converti rend à son grand-père.

Gallimard, 2015, 416 pages (et collection Folio n° 6261).

Un apprentissage de la transition

Hervé Gardette, journaliste et chroniqueur à France culture, raconte dans Ma transition écologique. Comment je me suis radicalisé comment, au fil du temps, en se spécialisant dans l'écologie, il cherche à garder ses distances avec son sujet sans devenir militant.
Tout commence quand la directrice de cette radio publique nationale lui propose cette chronique. Jusqu'ici, l'écologie l'intéressait, forcément, mais de là à en faire sa spécialité...
Malgré tout, il tente le coup. Il nous parle de ses lectures et de sa transformation inéluctable avec beaucoup d'humour et de brio. De ses premiers pas à son mode décroissant, en passant par sa radicalisation et le confinement, ce recueil de chroniques, aborde une multitude de sujets.
Comme un parcours initiatique, il est très agréable à lire.

Coédition Novice et France Culture, 2021, 160 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n° 29 du magazine Sans Transition !

vendredi 16 juillet 2021

Sept ans avec les chevreuils

L'homme-chevreuil
est le récit impressionnant d'un jeune homme qui a vécu en totale immersion dans la forêt normande pendant sept ans.
Enfant déjà, solitaire, Geoffroy Delorme est davantage attiré par la nature que par ses semblables.
Petit à petit, il fait des séjours de plus en plus longs en forêt. Il se rapproche des chevreuils et ils s'apprivoisent mutuellement : « 
Grâce à eux, j'ai appris à survivre dans un environnement hostile. J'ai étudié leur comportement, je me suis calé sur leur rythme. »
En effet, seul humain parmi ces animaux, sans aucun matériel, il apprend à manger et dormir comme eux, en autonomie.
Il leur donne des noms et nous fait entrer dans leur intimité.
Il les photographie, ainsi que d'autres animaux de la forêt : renard, écureuil... Ses superbes photos parsèment le livre.
C'est un véritable plaidoyer pour la sauvegarde de la forêt et de ses habitants.

Les Arènes, 2021, 256 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n° 29 du magazine Sans Transition !

jeudi 15 juillet 2021

Les déchets en BD

Anne Belot nous montre l'envers du décor et les biais cognitifs qui nous empêchent d'agir dans Déchets Land. La face cachée de nos déchets.
Elle fait d'un sujet rebutant une BD clairement expliquée, à la fois essai et guide pratique : très instructive, documentée et super accessible.
Bienvenue dans l'univers impitoyable des déchets et du cerveau qui trie aussi les informations.
Avec des dessins et beaucoup d'humour, le message passe : comment les déchets sont traités (ou pas) et comment nous pouvons agir quand trop c'est trop.
Il y a trop de déchets partout : stockés, incinérés, sauvages, cachés, exportés, recyclables.
Pourquoi trop ?
Pour le profit de certains, bien sûr.
Et comment moins ?
Parce que, heureusement, il y a des solutions, pour la planète et pour le cerveau, en faisant sauter les blocages sans culpabiliser.
Alors la montagne (de déchets) paraît moins insurmontable : on peut aussi consommer mieux et moins.
Résultat : rien à jeter dans cette BD !

Éditions Thierry Souccar, 2021, 232 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n° 29 du magazine Sans Transition !

mercredi 14 juillet 2021

Pour les droits du vivant

Marine Calmet, juriste en droit de l'environnement et des peuples autochtones, milite pour les droits de la nature et des générations futures.
Dans
Devenir gardiens de la nature, elle pointe le vide juridique sur la défense de l'environnement qui autorise l'exploitation, le pillage et la destruction du vivant en toute impunité.
L'autrice raconte son parcours, sa révolte et son engagement en Guyane contre les projets de la Montagne d'or et des forages offshore de Total, mais aussi en Métropole avec son programme de transition écologique par le droit, Wild Legal.
Elle nous invite à devenir gardiens de la nature, à passer à l'acte, à désobéir de façon créative et constructive, à former une nouvelle communauté pour donner des droits à la nature et lutter contre les écocides.

Éditions Tana, 2021, 256 pages. 

Cette chronique est initialement parue dans le n° 29 du magazine Sans Transition !

vendredi 18 juin 2021

Miscellanées de Christian Garcin

À la manière des Notes de chevet de Sei Shonagon, ou tout simplement de son Vétilles (éditions L'Escampette, 2015), Petits oiseaux, grands arbres creux est un recueil de miscellanées de Christian Garcin.
C'est une île de plus à l'archipel de son œuvre, ou l'extension du réseau souterrain entre ses autres livres, plus personnel.
De ces extraits de carnets de notes, l'écrivain trop discret (qui gagnerait à être connu et reconnu au-delà du petit cercle de happy few qui l'apprécient) se dévoile subtilement, par petites touches, en une phrase ou deux pages.
Notes d'humeur, d'humour, anecdotes douces-amères, aveux, impressions fugaces ou tenaces, souvenirs d'enfance ou de voyage, extraits de lectures, choses entendues, vues ou non vues, réflexions piquantes, politiques ou philosophiques, instants magiques, coïncidences, petits bonheurs et grands malaises, poésie du quotidien, de la nature...
On passe ainsi de l'araignée au blaireau en passant par la grive et le pic mar, de Proust à Balzac en passant par Claude Sautet, de la Patagonie au Japon en passant par l'Inde, de surprise en surprise.
J'ai coché tellement de paragraphes qui me touchent que je ne sais lequel citer, sachant qu'aucun ne sera représentatif dans cet ensemble hétéroclite.

— Et finalement, tu as été heureux ?
Il réfléchit.
— Tu sais, nous, à l'époque, le bonheur, on savait pas ce que c'était. Alors, forcément, on n'était pas malheureux.

Et c'est toujours un bonheur de lecture.

Éditions Finitude, 2021, 176 pages.

D'autres chroniques sur ses nombreux ouvrages :

- Entretien avec Christian Garcin
-
Selon Vincent
- Les oiseaux morts de l'Amérique
- Dans les pas d'Alexandra David-Néel

- Les vies multiples de Jeremiah Reynolds
- Jeremiah & Jeremiah
- Vétilles
- J'ai grandi
- Labyrinthes et Cie, La jubilation des hasards et Carnet japonais
- La neige gelée ne permettait que de tout petits pas
- Sortilège 
- Des femmes disparaissent
- Les nuits de Vladivostok
- Romans pour la jeunesse

mercredi 16 juin 2021

Dix femmes d'esprit

La journaliste Nathalie Calmé s'est entretenu avec dix femmes exceptionnelles, passionnantes et inspirantes. Elle les a parfois rencontrées plusieurs fois sur plusieurs années.
Ce recueil, Aventurières de l'esprit, dix femmes remarquables, a été écrit pendant le confinement et, en fin d'entretien, il est demandé à chacune quel message elle souhaite transmettre au regard de l'année 2020.
Elles ont toutes des parcours hors du commun, étonnants, et sont souvent engagées pour des causes et aussi dans la spiritualité : la navigatrice et romancière Isabelle Autissier et son rapport à la solitude ; la voyageuse Amandine Roche engagée dans des missions humanitaires ; la pianiste coréenne H. J. Lim ; sœur Chân Không bouddhiste zen vietnamienne ; Byron Katie qui a inventé la méthode d'introspection du Travail ; sœur catherine ermite (elle tient à son nom en minuscules) et son expérience extrême de vie solitaire mais encadrée par son église ; la directrice d'orchestre Claire Gibault ; Dominique Loreau qui est installée au Japon et prône l'art de la simplicité ; la pasteure Lytta Basset et enfin la théologienne Annick de Souzenelle

Un recueil très habité, que l'on a envie de garder en livre de chevet.

Éditions du Relié, 2021, 240 pages.

dimanche 13 juin 2021

Un roman très singulier

Métastase ou le caillou rigolo, le titre de ce roman singulier de Jacques Fulgence n'attire pas forcément : il intrigue. Et il annonce le topo. Certes, il sera question de troubles (amoureux parfois) et de névroses, mais aussi d'auto-dérision, d'inventivité et de poésie.
Et cela commence fort avec un poème placé en exergue :

À que te chue l'argaille du vérol,
Si ton bilic s'enfloche d'estiercol ?
Zupe ! zupe le klour nyfule !
Foin de pithor dans nos anchules !

Lucien Boisvert
Les Sonatiques

Ne cherchez pas le poète qui invente ce langage exalté : Lucien Boisvert est le personnage principal du roman. Cet hypocondriaque a la particularité d'écrire un grand poème sur des maladies, histoire de les conjurer. À part cela, il mène une vie de vieux garçon sans histoires, avec ses manies, ses habitudes et sa chienne, qui porte le nom étrange de Métastase.
Jusqu'au jour où il rencontre Laure la bien nommée, elle qui est doreuse, solaire et éclatante de gaieté.
L'imprévu est au coin de la rue, ce qui déstabilise quelque peu notre poète. Malgré des résistances, la lumière semble enfin éclairer son quotidien. 

Elle le pousse à sortir de sa coquille. Si on se voyait ce soir à neuf heures et demie ? Ce soir, ah ! Attendez, je regarde si je n'ai pas... Il fait semblant de chercher, mais il sait bien qu'il n'a pas. La seule chose qu'il ait, c'est l'envie de bousculer le temps à coups de poing pour qu'il soit plus vite neuf heures et demie.


Elle réussit à l'emmener en voyage, lui qui ne quitte jamais Paris.
Et, dans ce roman subtil, étonnant et totalement original, Jacques Fulgence réussit à nous entraîner, de surprise en surprise, où l'on ne s'y attend pas.

Auto-édition, 2016, 192 pages, disponible directement chez l'auteur
(04 90 66 33 73).

Lire aussi la chronique sur L'écrevisse à cheval, un recueil de nouvelles de l'auteur.

samedi 22 mai 2021

À l'ombre de René Char

C'est le témoignage émouvant et l'enquête d'Alice Casado, la petite-fille de la fille naturelle de René Char, Marcelle.
Dans Sois la bienvenue, elle reconstitue le parcours chaotique de son arrière-grand-mère, abandonnée, pupille de la Nation, prise en charge mais brimée par l'Assistance publique et un inspecteur plein de préjugés.
Elle est placée dans la famille Char comme domestique et rencontre le dernier né de la famille, René, lors de vacances d'été.
Enceinte, elle est rejetée de toutes parts, sauf de sa première nourrice, avec qui elle a toujours gardé un lien fort. Elle réussit à garder et élever son enfant, Marcelle.
Celle-ci, à l'âge de 28 ans, rencontrera son père et entamera une relation avec lui, mais le poète ne la reconnaitra jamais officiellement.
Où l'on comprend dans ce témoignage que les enfants naturels et illégitimes ne recherchent pas tant un héritage mais, justement, une reconnaissance, c'est-à-dire de l'amour.
Ce livre captivant jusqu'à la dernière page, nous plonge dès le début dans l'ombre du poète, mais bien plus, dans la lâcheté des pères (sans parler du mépris de classe), et surtout dans la détresse de ces mères-filles rejetées par la société et ces enfants sans père.

Lui, qui était convaincu qu'un poète n'a pas d'enfant, ne semblait pas concevoir à quel point l'enfant pouvait avoir besoin d'un père, poète ou non.

Stock, 2021, 240 pages.

Robinson des Pyrénées

Jacob Karhu est étudiant à Normale sup et se destine à la climatologie. Il décide de réaliser un vieux rêve : vivre un temps en pleine nature avec presque rien. C'est ainsi qu'il passe sept mois dans un refuge isolé des Pyrénées, une ancienne bergerie, à 1 700 mètres d'altitude et c'est l'expérience qu'il raconte sous forme de journal dans Vie sauvage, mode d'emploi.
Il obtient de la mairie l'autorisation d'occuper la cabane en échange de sa restauration et de son aménagement pour les randonneurs.
L'hiver est particulièrement long et rude. La vie sauvage aussi.
Jour après jour, mois après mois, il raconte l'avancée de ses travaux, ses tracas, ses réflexions sur la solitude, ses rapports avec les autres et le monde, avec sincérité. 

Vivre loin du monde, pour tenter de me comprendre moi-même.

Il va de temps en temps à la station la plus proche ou au village, qui est à cinq ou six heures de marche, pour se ravitailler et recevoir et envoyer des messages. Il a une chaîne YouTube où il est connu comme "l'ermite des Pyrénées" pour partager son expérience et montrer qu'on peut vivre avec le minimum. Il est presque autonome, construit une serre, cultive un petit potager et élève des poules.
Il reçoit de temps en temps des visites d'amis, d'habitants du village qui viennent lui donner un coup de mains ou d'inconnus qui le suivent sur YouTube.
Très didactique avec des croquis, des recettes, des explications scientifiques, des listes de matériels... son récit se veut un mode d'emploi pour la vie dans les bois. Il se lit comme un livre d'aventures, un paarcours initiatique, dans un style simple et vivant.

Flammarion, 2021, 280 pages. 

En complément du livre, Jacob Karhu a réalisé un film : Rénovation d'une cabane dans les Pyrénées.

jeudi 13 mai 2021

Le temps de vivre

Illustration de Simon Roussin
Le programme est enthousiasmant : travailler trois heures par jour. C'est le thème de l'essai écrit par le personnage principal, Émilien Long, du brillant roman Paresse pour tous signé Hadrien Klent *.
C'est un roman qui fait semblant de ne pas être un essai puisque l'auteur nous invite dans une mise en abîme où un Prix Nobel d'économie a écrit un livre intitulé Le Droit à la paresse au XXIesiècle, inspiré du livre de Paul Lafargue et qui rappelle aussi Le capital au XXIesiècle de Thomas Piketty.
Encouragé par ses proches, Émilien se présente aux élections présidentielles, mais à sa façon, et nous entraîne dans les coulisses d'une campagne électorale.
Le roman mêle personnages fictifs et lieux réels (un vrai Marseille pas caricaturé) mais surtout des réflexions engagées sur le monde actuel.
Ce dispositif permet de mieux expliquer le propos, de donner des exemples précis, de mettre en situation la théorie, de donner la parole aux contradicteurs pour mieux argumenter en abordant de nombreux sujets politiques et sociétaux : capitalisme, surproduction et surconsommation, inégalités, minorités, transport, transition écologique, environnement...
Brillant et enthousiasmant, donc.

On n'a qu'une vie : celle que vous êtes en train de vivre, là, aujourd'hui, maintenant. Ce n'est pas un brouillon, ce n'est pas une esquisse. C'est votre vie : vous ne pouvez pas perdre votre temps pour la gagner. Il est temps de la vivre.

* Qui se cache derrière ce pseudo ? Tout ce que l'on sait, c'est que l'auteur habiterait à Marseille et qu'il a écrit ce livre de mars à décembre 2020. Autant dire que le confinement l'a inspiré et qu'il n'a pas cédé à la paresse.

Le Tripode, 2021, 360 pages.

vendredi 7 mai 2021

Tempête sous la neige

C'est avec grand plaisir que nous retrouvons le style fluide, d'une grande justesse, plein d'humour et d'humanité de Jean-Paul Didierlaurent pour des personnages et des situations bien campés.
Dans ce dernier roman, Malamute, on passe successivement d'un journal écrit en 1976 à un présent situé en 2015, dans une station de ski des Vosges.
L'auteur instille le suspense dès le début avec un couple de Slovaques qui vient s'installer en montagne pour élever des chiens de traineaux (ces fameux malamutes), mais échoue. Pourquoi ?
Quarante ans plus tard, le voisin taiseux est toujours là et semble bien connaître l'histoire... Comme il se fait âgé, sa fille lui impose un petit-neveu pour veiller sur lui. Une jeune femme vient s'installer dans la ferme des Slovaques. Chaque personnage a ses tourments, ses secrets, ses tragédies, ses fantômes.
On frise le burlesque avec une procession pour demander que la neige tombe sur la station, puis cela vire au fantastique quand il en tombe de telles quantités que le village est enseveli et coupé du monde.
La neige crée un huis-clos et sert de révélateur. Enfin, le dénouement tragique est inattendu et subtilement amené.
C'est un roman qu'on ne veut plus lâcher et qu'on referme, impressionné et admiratif, à la dernière page.
Un bonheur de lecture.

Au Diable Vauvert, 2021, 368 pages.

Lire aussi ma chronique sur Le reste de leur vie.

mercredi 5 mai 2021

La métamorphose de Marseille

Marseille réinventée

À la fin des années 1990, à Marseille, les quartiers d'Arenc, de la Joliette et du J4 se métamorphosent et deviennent le centre des affaires et de la culture.
La rénovation des anciens docks de la Joliette dès 1992, puis le projet Euroméditerranée lancé en 1995, initient cette renaissance du quartier. En l'espace de quelques années, les bâtiments poussent comme des champignons. En 2013 notamment, année de la culture à Marseille, plusieurs musées et lieux d'expositions sont créés.
C'est cette histoire que racontent les superbes photos de Jérôme Cabanel et les textes de l'historienne Judith Aziza dans ce beau livre Marseille réinventée, de la Joliette à Arenc.
La balade architecturale commence au Vieux-Port, au sommet de la tour du Roi René, se poursuit par le MuCEM inauguré en 2013 et sa voisine la Villa Méditerranée, en face de la cathédrale de la Major et du musée Regards de Provence.
Le parcours nous mène aux entrepôts de la Major transformés en Voûtes de la Major avant de rejoindre la rénovation d'immeubles emblématiques de la vie portuaire d'autrefois, et de revenir vers la rue de la République parallèle.
De nombreuses photos de chantiers rendent compte de cette transformation jusqu'aux Terrasses du Port et aux Docks.
À proximité, le FRAC (Fonds régional d'art contemporain) est reconnaissable à ses plaques de verre en façade. Plus loin encore, le silo d'Arenc a été transformé en salle de spectacle.
Enfin, le panorama se termine par la tour La Marseillaise, conçue par Jean nouvel et inaugurée en 2018, et sa voisine imaginée par Zaha Hadid, désormais emblématique tour de la CMA CGM, la plus haute de la ville avec ses 33 étages, qui date de 2011.
Un magnifique reportage sur l'effervescence et le renouveau de ces quartiers.

Images Plurielles, 2021, 144 pages.

dimanche 2 mai 2021

Rompre le lien entre le plus et le mieux

De l'hypermarché à l'hyper marché mondial, il n'y a qu'un pas. Dans son essai, À gauche en sortant de l'hyper marché, la députée de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain, s'en prend à la grande distribution, à la puissance de la mondialisation, à la consommation de masse, au système tout entier.
Certes, dans les centres commerciaux, certaines personnes trouvent des lieux de vie et de rencontres.
Mais, d'une manière générale, les hypermarchés sont conçus comme des lieux de courses à la consommation stimulée par le marketing. L'argent y circule, mais dysfonctionne, avec de forts dividendes pour les uns et des bas salaires pour les autres. Au final, le profit se fait sur le dos des travailleurs, des agriculteurs et des consommateurs.
De plus, cette logique de profit prime sur l'intérêt humain et environnemental : l'agro-industrie détruit la santé du consommateur et la nature.
En période de confinement, les hyper sont restés ouverts, autorisés à (presque) tout vendre, contrairement aux petits commerces de proximité. Deux poids, deux mesures.
Il est temps que le pouvoir d'achat prime sur le pouvoir de vivre.

Grasset, 2020, 160 pages.

Cette chronique est parue dans une version similaire dans le magazine Sans Transition ! n° 27.