samedi 22 mai 2021

À l'ombre de René Char

C'est le témoignage émouvant et l'enquête d'Alice Casado, la petite-fille de la fille naturelle de René Char, Marcelle.
Dans Sois la bienvenue, elle reconstitue le parcours chaotique de son arrière-grand-mère, abandonnée, pupille de la Nation, prise en charge mais brimée par l'Assistance publique et un inspecteur plein de préjugés.
Elle est placée dans la famille Char comme domestique et rencontre le dernier né de la famille, René, lors de vacances d'été.
Enceinte, elle est rejetée de toutes parts, sauf de sa première nourrice, avec qui elle a toujours gardé un lien fort. Elle réussit à garder et élever son enfant, Marcelle.
Celle-ci, à l'âge de 28 ans, rencontrera son père et entamera une relation avec lui, mais le poète ne la reconnaitra jamais officiellement.
Où l'on comprend dans ce témoignage que les enfants naturels et illégitimes ne recherchent pas tant un héritage mais, justement, une reconnaissance, c'est-à-dire de l'amour.
Ce livre captivant jusqu'à la dernière page, nous plonge dès le début dans l'ombre du poète, mais bien plus, dans la lâcheté des pères (sans parler du mépris de classe), et surtout dans la détresse de ces mères-filles rejetées par la société et ces enfants sans père.

Lui, qui était convaincu qu'un poète n'a pas d'enfant, ne semblait pas concevoir à quel point l'enfant pouvait avoir besoin d'un père, poète ou non.

Stock, 2021, 240 pages.

Robinson des Pyrénées

Jacob Karhu est étudiant à Normale sup et se destine à la climatologie. Il décide de réaliser un vieux rêve : vivre un temps en pleine nature avec presque rien. C'est ainsi qu'il passe sept mois dans un refuge isolé des Pyrénées, une ancienne bergerie, à 1 700 mètres d'altitude et c'est l'expérience qu'il raconte sous forme de journal dans Vie sauvage, mode d'emploi.
Il obtient de la mairie l'autorisation d'occuper la cabane en échange de sa restauration et de son aménagement pour les randonneurs.
L'hiver est particulièrement long et rude. La vie sauvage aussi.
Jour après jour, mois après mois, il raconte l'avancée de ses travaux, ses tracas, ses réflexions sur la solitude, ses rapports avec les autres et le monde, avec sincérité. 

Vivre loin du monde, pour tenter de me comprendre moi-même.

Il va de temps en temps à la station la plus proche ou au village, qui est à cinq ou six heures de marche, pour se ravitailler et recevoir et envoyer des messages. Il a une chaîne YouTube où il est connu comme "l'ermite des Pyrénées" pour partager son expérience et montrer qu'on peut vivre avec le minimum. Il est presque autonome, construit une serre, cultive un petit potager et élève des poules.
Il reçoit de temps en temps des visites d'amis, d'habitants du village qui viennent lui donner un coup de mains ou d'inconnus qui le suivent sur YouTube.
Très didactique avec des croquis, des recettes, des explications scientifiques, des listes de matériels... son récit se veut un mode d'emploi pour la vie dans les bois. Il se lit comme un livre d'aventures, un paarcours initiatique, dans un style simple et vivant.

Flammarion, 2021, 280 pages. 

En complément du livre, Jacob Karhu a réalisé un film : Rénovation d'une cabane dans les Pyrénées.

jeudi 13 mai 2021

Le temps de vivre

Illustration de Simon Roussin
Le programme est enthousiasmant : travailler trois heures par jour. C'est le thème de l'essai écrit par le personnage principal, Émilien Long, du brillant roman Paresse pour tous signé Hadrien Klent *.
C'est un roman qui fait semblant de ne pas être un essai puisque l'auteur nous invite dans une mise en abîme où un Prix Nobel d'économie a écrit un livre intitulé Le Droit à la paresse au XXIesiècle, inspiré du livre de Paul Lafargue et qui rappelle aussi Le capital au XXIesiècle de Thomas Piketty.
Encouragé par ses proches, Émilien se présente aux élections présidentielles, mais à sa façon, et nous entraîne dans les coulisses d'une campagne électorale.
Le roman mêle personnages fictifs et lieux réels (un vrai Marseille pas caricaturé) mais surtout des réflexions engagées sur le monde actuel.
Ce dispositif permet de mieux expliquer le propos, de donner des exemples précis, de mettre en situation la théorie, de donner la parole aux contradicteurs pour mieux argumenter en abordant de nombreux sujets politiques et sociétaux : capitalisme, surproduction et surconsommation, inégalités, minorités, transport, transition écologique, environnement...
Brillant et enthousiasmant, donc.

On n'a qu'une vie : celle que vous êtes en train de vivre, là, aujourd'hui, maintenant. Ce n'est pas un brouillon, ce n'est pas une esquisse. C'est votre vie : vous ne pouvez pas perdre votre temps pour la gagner. Il est temps de la vivre.

* Qui se cache derrière ce pseudo ? Tout ce que l'on sait, c'est que l'auteur habiterait à Marseille et qu'il a écrit ce livre de mars à décembre 2020. Autant dire que le confinement l'a inspiré et qu'il n'a pas cédé à la paresse.

Le Tripode, 2021, 360 pages.

vendredi 7 mai 2021

Tempête sous la neige

C'est avec grand plaisir que nous retrouvons le style fluide, d'une grande justesse, plein d'humour et d'humanité de Jean-Paul Didierlaurent pour des personnages et des situations bien campés.
Dans ce dernier roman, Malamute, on passe successivement d'un journal écrit en 1976 à un présent situé en 2015, dans une station de ski des Vosges.
L'auteur instille le suspense dès le début avec un couple de Slovaques qui vient s'installer en montagne pour élever des chiens de traineaux (ces fameux malamutes), mais échoue. Pourquoi ?
Quarante ans plus tard, le voisin taiseux est toujours là et semble bien connaître l'histoire... Comme il se fait âgé, sa fille lui impose un petit-neveu pour veiller sur lui. Une jeune femme vient s'installer dans la ferme des Slovaques. Chaque personnage a ses tourments, ses secrets, ses tragédies, ses fantômes.
On frise le burlesque avec une procession pour demander que la neige tombe sur la station, puis cela vire au fantastique quand il en tombe de telles quantités que le village est enseveli et coupé du monde.
La neige crée un huis-clos et sert de révélateur. Enfin, le dénouement tragique est inattendu et subtilement amené.
C'est un roman qu'on ne veut plus lâcher et qu'on referme, impressionné et admiratif, à la dernière page.
Un bonheur de lecture.

Au Diable Vauvert, 2021, 368 pages.

Lire aussi ma chronique sur Le reste de leur vie.

mercredi 5 mai 2021

La métamorphose de Marseille

Marseille réinventée

À la fin des années 1990, à Marseille, les quartiers d'Arenc, de la Joliette et du J4 se métamorphosent et deviennent le centre des affaires et de la culture.
La rénovation des anciens docks de la Joliette dès 1992, puis le projet Euroméditerranée lancé en 1995, initient cette renaissance du quartier. En l'espace de quelques années, les bâtiments poussent comme des champignons. En 2013 notamment, année de la culture à Marseille, plusieurs musées et lieux d'expositions sont créés.
C'est cette histoire que racontent les superbes photos de Jérôme Cabanel et les textes de l'historienne Judith Aziza dans ce beau livre Marseille réinventée, de la Joliette à Arenc.
La balade architecturale commence au Vieux-Port, au sommet de la tour du Roi René, se poursuit par le MuCEM inauguré en 2013 et sa voisine la Villa Méditerranée, en face de la cathédrale de la Major et du musée Regards de Provence.
Le parcours nous mène aux entrepôts de la Major transformés en Voûtes de la Major avant de rejoindre la rénovation d'immeubles emblématiques de la vie portuaire d'autrefois, et de revenir vers la rue de la République parallèle.
De nombreuses photos de chantiers rendent compte de cette transformation jusqu'aux Terrasses du Port et aux Docks.
À proximité, le FRAC (Fonds régional d'art contemporain) est reconnaissable à ses plaques de verre en façade. Plus loin encore, le silo d'Arenc a été transformé en salle de spectacle.
Enfin, le panorama se termine par la tour La Marseillaise, conçue par Jean nouvel et inaugurée en 2018, et sa voisine imaginée par Zaha Hadid, désormais emblématique tour de la CMA CGM, la plus haute de la ville avec ses 33 étages, qui date de 2011.
Un magnifique reportage sur l'effervescence et le renouveau de ces quartiers.

Images Plurielles, 2021, 144 pages.

dimanche 2 mai 2021

Rompre le lien entre le plus et le mieux

De l'hypermarché à l'hyper marché mondial, il n'y a qu'un pas. Dans son essai, À gauche en sortant de l'hyper marché, la députée de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain, s'en prend à la grande distribution, à la puissance de la mondialisation, à la consommation de masse, au système tout entier.
Certes, dans les centres commerciaux, certaines personnes trouvent des lieux de vie et de rencontres.
Mais, d'une manière générale, les hypermarchés sont conçus comme des lieux de courses à la consommation stimulée par le marketing. L'argent y circule, mais dysfonctionne, avec de forts dividendes pour les uns et des bas salaires pour les autres. Au final, le profit se fait sur le dos des travailleurs, des agriculteurs et des consommateurs.
De plus, cette logique de profit prime sur l'intérêt humain et environnemental : l'agro-industrie détruit la santé du consommateur et la nature.
En période de confinement, les hyper sont restés ouverts, autorisés à (presque) tout vendre, contrairement aux petits commerces de proximité. Deux poids, deux mesures.
Il est temps que le pouvoir d'achat prime sur le pouvoir de vivre.

Grasset, 2020, 160 pages.

Cette chronique est parue dans une version similaire dans le magazine Sans Transition ! n° 27.

L'univers fascinant des champignons

Voilà qui va passionner les curieux et amateurs de champignons et les éclairer sur un aspect méconnu : leurs propriétés médicinales.
En effet, dans son Traité de mycothérapie. Tout savoir sur les champignons médicinaux Alain Tardif rassemble toutes les connaissances actuelles sur les usages médicinaux des champignons.
L'auteur est fasciné depuis le plus jeune âge par le règne fongique et raconte cette passion dans son introduction, ainsi que celles de la botanique et des balades en forêt. Il devient ensuite naturopathe puis s'intéresse à la mycothérapie.
Sachant que les passionnés sont souvent passionnants, son ouvrage est fort instructif, pédagogique et agréable à lire. Grâce à des citations placées en début de chapitres, comme celles de Coluche ou Alphonse Allais, il ne manque pas d'humour non plus.
Dans une première partie, il commence par l'historique de cette discipline, connue depuis l'Antiquité et utilisée par les chamanes ou en médecine chinoise ou japonaise, mais encore méconnue et boudée chez nous. Puis il passe en revue quelques grandes figures de ce domaine, rappelle ce qu'est un champignon (son cycle, sa structure), raconte comment sont élaborés les produits de mycothérapie, comment sont cultivés les champignons, comment s'en procurer des frais (avec conseils pour la cueillette), leurs qualités nutritives, mais aussi les toxiques, les hallucinogènes...
Dans la seconde partie, la plus importante, une centaine d'espèces actuellement connues pour leurs propriétés médicinales est détaillée, fiche par fiche.
Puis un certain nombre de troubles de la santé sont abordés avec les traitements possibles par la mycothérapie.
Bref, c'est la bible des champignons guérisseurs.

Éditions Dangles, 2021, 544 pages. 

J'en profite pour rappeler mon petit livre d'initiation à la cueillette des champignons pour les enfants.