dimanche 23 février 2020

À (h)auteur d'enfant

Quelle fraîcheur et quelle fantaisie ! Quelle écriture inventive à hauteur d'enfant !
Derrière la gare d'Arno Camenisch se lit le sourire aux lèvres.
Le roman est une succession de scènes, de petits et grands événements — drôles, mélancoliques, étranges ou plus graves —, vécus et racontés par un petit garçon, espiègle et turbulent.
L'enfant transcrit comme il l'entend, avec sa graphie parfois phonétique et son langage teinté des différentes origines (romanche, italienne, allemande) de son village suisse.
Camille Luscher a également réalisé un beau travail de traduction pour nous faire entendre les racines, la poésie et le style de l'auteur. 
L'oncle a des grosses cotlettas et une deuschvo orange. Dans sa deuschvo, il a un arbre sent-bon avec des femmes à poils dessus. Il conduit vite et quand le soleil brille, il nous prend nous et le Fido avec. Il met ses lunettes de pilote et il enroule le toit à l'arrière et on se met debout sur la banquette en se tenant bien à la latte au milieu du toit. Le vent nous arrache les cheveux et on lâche une main sur les lignes droites. L'oncle rigole et regarde vite la route et de nouveau vers nous. Le Fido est installé sur le siège avant. L'Oncle lui caresse les oreilles quand il aboie et le tient par le collier dans les curvas. Dans les curvas, la deuschvo crisse et se lève de biais que presque elle tombe.
Lire aussi la chronique sur Ustrinkata du même auteur, chez le même éditeur, un roman qui se boit et se lit d'une traite !

Quidam éditeur, traduit de l'allemand (Suisse) par Camille Luscher, 2020, 100 pages.

lundi 3 février 2020

Thérapie à risque

C'est l'histoire captivante — et à tendance autobiographique — d'un psychologue et professeur de psychologie (c'est la véritable profession de l'auteur, Stéphane Rusinek) qui raconte sa mésaventure avec une patiente retorse qui l'a habilement manipulé : La patiente de 17 heures.
L'auteur entretient le suspense en nous faisant part d'échanges de textos avec sa fille : ils ont à voir avec la mystérieuse patiente qui transgresse les règles, voire impose les siennes.
Non seulement l'intrigue est rondement menée, mais elle est servie par un style clair et agréable, qui coule tout seul.
De plus, notre professeur, très pédagogue, nous fait entrevoir avec une grande clarté son métier, les principes des thérapies comportementales et cognitives (TCC) et la difficulté de traiter certains cas extrêmes.
Difficile d'en dire davantage sans dévoiler les ressorts de ce véritable thriller psychologique : ce roman est captivant, instructif, et se lit d'une traite.

Éditions Thierry Marchaisse, 2020, 200 pages.

Un roman brillant

Après l'excellent Chaleur, dans la folie finlandaise des championnats insolites, voici à nouveau un passionnant roman de Joseph Incardona : La soustraction des possibles.
Cette fois, l'histoire se passe en Suisse, dans une autre sorte de folie, celle de l'argent, des banques, des paradis fiscaux et du désir de toujours plus des années 90.
La couverture dorée et ses engrenages d'horlogerie suisse semble exprimer que tout ce qui brille n'est pas d'or : sous ce faste de l'argent se cache un roman noir et des tragédies, avec de redoutables trahisons, mais aussi un roman d'amours où l'on peut mourir d'amour. L'amour est aussi la seule chose que l'on ne peut pas acheter, même si le sexe est parfois monnayé (il est aussi question de prostitution avec un personnage de gigolo et des prostituées-tueuses à gages).
Si ce roman est brillant, c'est surtout par le style de Joseph Incardona : son humour si flagrant dans Chaleur surgit notamment par de malicieuses et réjouissantes interventions de l'auteur qui interpelle directement le lecteur.
L'écrivain nous parle aussi de littérature et de lecture : une activité qui pourrait ne servir à rien, mais qui ne l'est pas pour la plupart d'entre nous.
Tout ce qui ne sert à rien est précieux.
Éditions Finitude, 2020, 400 pages.