dimanche 31 octobre 2021

Silver économie et cœurs en or

Après Marie Charrel qui met en lumière les femmes de plus de 50 ans, dans Qui a peur des vieilles ?, Ixchel Delaporte nous parle d'une catégorie de personnes encore plus invisibles : celles qui sont encore plus âgées, dans Dame de compagnie, en immersion au pays de la vieillesse.
L'autrice enquête sur ce monde doublement invisible : les personnes du quatrième âge et celles qui s'en occupent. L'utilisation du féminin est requise puisque ces auxiliaires de vie, comme on les appelle, sont essentiellement des femmes, souvent étrangères, des travailleuses sans diplôme et aux conditions de vie et de labeur difficiles.
Ixchel Delaporte a fait son enquête en immersion, à la manière de Florence Aubenas pour Le Quai de Ouistreham, c'est-à-dire en se faisant embaucher pour faire ce travail et en expérimenter les réelles conditions.
Un des paradoxes de ce monde invisible, c'est qu'il devient de plus en plus important : le chiffre de 2,5 millions, en 2015, de personnes âgées en perte d'autonomie devrait doubler d'ici 2050. C'est une situation taboue et paradoxale que notre société ne veut pas voir et qui touche tous les milieux : c'est notre sort à tous demain, si nous ne mourrons pas avant. Que faisons-nous pour nos aïeux et pour tous ceux qui les accompagnent ? Il est évident que ce lien social, auprès de personnes qui sont souvent en souffrance physique et psychique, est indispensable au quotidien.
Et finalement : que faisons-nous pour notre avenir ? 

Silver économie : où est l'argent ?

Le secteur, appelé silver économie (rapport aux cheveux argentés), recrute à tour de bras, mais le turn over y est aussi très important puisque ce travail, souvent ingrat de "bonne à tout faire", est peu valorisé, ce qui veut surtout dire mal payé. Le taux de burn-out y est également impressionnant car comment dire non quand on aide ou quand on a besoin de travailler pour vivre ? C'est ce qu'a vécu l'autrice, engagée à fond dans sa mission, mais arrivée au bout du rouleau.
Ixchel Delaporte soulève bien des questions en nous emmenant dans ce monde secret et intime de personnes de tous horizons et dans des situations très différentes : riches ou pauvres, à domicile ou en Ehpad, atteintes de maladies dégénératives ou isolées, veuves en proie à un deuil insurmontable, ou vieillissantes qui deviennent lentes et de moins autonomes. Elles sont souvent psychologiquement affaiblies parce que tout simplement, vieillir, se sentir diminué physiquement, c'est définitivement triste. Et c'est d'autant plus angoissant que nous nous dirigeons inexorablement dans cette voie.
L'autrice interroge aussi nos relations à nos propres parents.
C'est avec beaucoup de cœur et d'empathie qu'Ixchel Delaporte décrit ces rencontres et ce dur travail quotidien,  qui demande patience et abnégation, mais qui est également riche de confidences et de moments lumineux.
Un travail impressionnant, riche, poignant, très touchant qui devrait faire réfléchir à l'évolution de nos sociétés, à la prise en charge des personnes en perte d'autonomie et à la valorisation de celles qui les accompagnent.

La Brune au Rouergue, 2021, 224 pages.

samedi 30 octobre 2021

Ode à l'amour et aux librairies

Une nouvelle collection est née aux éditions Privat : Petit éloge amoureux de...
Voilà confiée la tâche de faire l'éloge de la librairie à Patrick Besson, écrivain, critique littéraire, membre du jury du Prix Renaudot, donc lecteur et musardeur en librairies, à Paris et ailleurs dans le monde.

"Entre les livres et moi c'est une telle passion, une telle folie, une telle tendresse."

Le livre se présente en trois parties. La première égrène les souvenirs de l'auteur en littérature : ses lectures, sa carrière, les librairies qu'il a fréquenté. Mais aussi les femmes qu'il a fréquentées. Car il s'agit d'un éloge amoureux avant tout.
Un peu désabusé, Patrick Besson n'est pas toujours tendre et élogieux avec certains libraires ou connaissances.
La deuxième partie est une nouvelle, Édith Blancpain, libraire, encore une ode à l'amour (perdu) pour une libraire. Un rien autobiographique.
Enfin, la troisième partie, En guise de post-scriptum, est une liste non exhaustive des librairies en France, classées par régions, et en Belgique.

"Le royaume des lignes droites. Les librairies : oasis dans le désert de mon adolescence. Poursuivi par la réalité assommante, je m'y réfugie autant que possible."

Éditions Privat, 2021, 184 pages.

Lire aussi ma chronique sur une autre ode aux libraires : Jolie libraire dans la lumière.

vendredi 29 octobre 2021

Voyage au Japon

Merveilleux voyage que nous propose Éric Faye avec ces Fenêtres sur le Japon !
Pour qui s'intéresse à ce pays et sa culture, si lointains, si proches, si mystérieux et si évidents aussi parfois, l'auteur érudit — mais au style si limpide, si passionnant — donne à voir, à travers une sélection d'œuvres écrites ou filmées, quelques points de vue sur ce pays, ses habitants, leur histoire, leurs histoires...
Il nous prend par la main, nous tend des clefs, rend visible ce qui est caché entre les lignes ou derrière les images.

Chaque chapitre est une fenêtre ouverte sur un aspect de la société nipponne, par laquelle je jette un regard d'écrivain — en aucun cas celui d'un spécialiste. Peut-être émergera-t-il de cet archipel de livres et de films un portrait (très subjectif) du Japon d'hier et d'aujourd'hui.

Éric Faye explique en fin d'ouvrage :

Il fallait faire des choix et je souhaitais me tourner avant tout vers des œuvres dont le propos illustre des obsessions ou singularités, ou encore des tabous de la société japonaise.

J'aurais, en tant que lectrice, poursuivi le voyage encore longtemps... et il peut se poursuivre grâce aux œuvres abordées et à une foisonnante bibliographie.

Éditions Picquier, 2021, 336 pages.

À lire aussi dans ce blog, d'autres chroniques sur les livres d'Éric Faye :
- Dans les pas d'Alexandra David-Néel, du Tibet au Yunnan (avec Christian Garcin)
- Nagasaki
- Malgré Fukushima - Journal japonais