vendredi 24 décembre 2021

Dans les profondeurs de l'âme

Une ambiance inquiétante et énigmatique plane sur le roman fantastique La Petite lumière d'Antonio Moresco.
On ne sait rien du narrateur, ni pourquoi il est venu s'isoler dans un hameau abandonné ni ce qu'il se passe aux alentours ni à quelle époque on se trouve, dans le passé proche (il y a des voitures) ou dans le futur. Il se passe des phénomènes de plus en plus déconcertants.
De chez lui, il aperçoit, à la nuit tombée, une petite lumière qui l'intrigue.
Il se renseigne dans d'autres villages où il rencontre des personnages plutôt bizarres qui lui donnent des explications pas moins étranges.
Petit à petit, se met en place un univers où le réalisme et le fantastique se côtoient.
La nature est omniprésente, végétale et animale, sauvage et féroce comme ces chiens effrayants des alentours.
Mais d'où vient cette persistante petite lumière ?

Je reste encore un long moment assis là. La lumière disparaît progressivement, tout ce monde végétal devient de plus en plus sombre devant mes yeux. De tous côtés commencent à se lever les cris des animaux nocturnes, invisibles dans le feuillage noir.
Pas un signe de vie humaine.
Excepté, quand l'obscurité se fait encore plus épaisse et que les premières étoiles commencent à paraître, de l'autre côté de cette étroite gorge abrupte, sur une partie plus plane de la ligne de crête, incurvée au milieu des bois comme une selle, chaque nuit, chaque nuit, toujours à la même heure, cette petite lumière qui s'allume soudain.

Cette fable touchante, au rythme lent malgré sa brièveté, tient en haleine et fait traverser des zones secrètes et sombres. Son univers et sa profondeur hantent longtemps.

Éditions Verdier, 2014, 124 pages (existe en poche).

jeudi 16 décembre 2021

En nos for(t)s intérieurs

C'est fascinant de lire Chez soi - Une odyssée de l'espace domestique de Mona Chollet alors que nous avons connu, depuis la parution de l'essai en 2015, quelques confinements et que nos maisons sont devenues le centre du monde. Tout prend un sens exacerbé. Et c'est tellement juste !
Déjà, Mona Chollet est une sorte de Proust du journalisme ou de l'anthropologie, une pionnière : elle a le don de défricher, de parler de choses intimes et quotidiennes sur lesquelles nous ne nous étions pas (forcément) posé de questions alors qu'elles n'attendaient qu'un essai sur nos modes de vie pour être déroulées.
C'était le cas pour ces Sorcières dont nous nous sommes tellement senties les héritières, puis ces questions de l'amour dans le couple.
Chez soi décortique ce que veut dire avoir un toit, déjà, et ce que nous y faisons, comment nous l'habitons et avec qui, comment et par qui nos habitats sont conçus.
C'est parce que son entourage se moquait de son côté casanier que l'autrice a décidé de s'attaquer au sujet et de défendre ceux qui aiment se réfugier dans leurs forts et fors intérieurs. Elle parle aussi très justement de la manière intelligente de fréquenter les réseaux sociaux. Et du temps que nous avons ou pas et comment nous le passons chez nous, ou pas.
Mais surtout, Mona Chollet vous fera aimer vos insomnies, ce temps suspendu dans la nuit si l'on n'est pas trop angoissé par la fatigue du lendemain, et notamment parce qu'il est agréable de se plonger dans une lecture passionnante et bien écrite.

Éditions Éditions La Découverte, collection Zones, 2015, 330 pages (existe en poche).

Lire aussi mes chroniques sur :
- Sorcières. La puissance invaincue des femmes ;
- Réinventer l'amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.

lundi 13 décembre 2021

La liberté, en lisant en écrivant

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeanette Winterson. Le titre donne le ton tragi-comique du livre, une autobiographie où l'autodérision est un combat pour la liberté de penser et de vivre.
Adoptée par une femme peu aimante, mystique, voire dérangée, la petite fille, puis l'adolescente, devra lutter pour survivre dans ce milieu hostile à bien des égards (la petite ville anglaise industrielle d'Accrington, près de Manchester, ne donne pas envie de s'y installer non plus).
Esprit frondeur, elle s'enfuit définitivement de chez ses parents adoptifs alors qu'elle est encore mineure. Elle fait ensuite des pieds et des mains pour intégrer Oxford et décide assez tôt qu'elle deviendra écrivain.
Elle avait déjà commencé à écumer en cachette la bibliothèque municipale en lisant les auteurs par ordre alphabétique, alors que les livres étaient proscrits à la maison.

L'hymne de l'école d'Accrington était “Louons maintenant les grands hommes“, un choix on ne peut plus inapproprié pour une école de filles, mais qui a contribué à faire de moi une féministe. Où étaient les femmes célèbres — ou n'importe quelle femme — et pourquoi n'avaient-elles droit à aucune louange ? Je me suis jurée de devenir célèbre et de recevoir les honneurs mérités quand je reviendrais.

En effet, elle gagne son pari avec son premier roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits qui remporte aussitôt un succès. Féministe, elle trouve son salut par la lecture puis par l'écriture.

J'essayais d'échapper à l'idée reçue selon laquelle les femmes écrivent toujours sur "l'expérience" — dans les limites de ce qu'elles connaissent — contrairement aux hommes qui écrivent sur ce qui est grand et audacieux — le grand schéma des choses, l'expérimentation avec la forme.

Pour elle, il n'est jamais trop tard. Malgré tout, elle ne garde pas de rancœur et choisit le pardon pour avancer.

Freud, l'un des maîtres du récit, savait que, contrairement à ce que suggère le temps linéaire, le passé n'est pas figé. On peut revenir en arrière. On peut reprendre les choses où on les a laissées. On peut réparer ce que d'autres ont brisé. On peut parler avec les morts.

Sa trajectoire exceptionnelle prouve que la lecture et l'écriture peuvent changer la vie.

L'Olivier, traduit de l'anglais par Céline Leroy, 2012, 276 pages (existe aussi en poche).

dimanche 12 décembre 2021

Balade sensuelle dans la nature

Fleurs, champignons, pomme de pin, écorces, papillons...
Un nouveau et superbe album, de l'illustratrice Pénélope qui nous avait déjà enchantés par sa poésie graphique avec l'album Colombe blanche.
Cette fois-ci, l'artiste nous invite à une balade des quatre saisons tactile, pour explorer du bout des doigts la nature et sensibiliser les voyants à l'expérimentation du toucher. Elle collabore depuis 2017 avec L'institut national des jeunes aveugles.
Le livre sobre, blanc sur blanc, et somptueux à la fois par ses motifs en relief, est une prouesse de fabrication qui en met aussi plein la vue.

Éditions Les Grandes Personnes, 2021, 14 pages cartonnées en gaufrage.
Convient aux enfants à partir de 3 ans.



samedi 11 décembre 2021

Biographie d'une psychodramatiste

C'est la première biographie d'Anne Ancelin Schützenberger (1919-2018), intitulée Psychodrame d'une vie. Ce titre en dit long sur la vie dramatique et hors du commun de celle qui est devenue mondialement célèbre dès la publication de son ouvrage Aïe mes aïeux ! alors qu'elle a déjà plus de 70 ans.
L'autrice Colette Esmenjaud Glasman est elle-même psychologue et s'est formée pendant des années à ses côtés, puis a fondé avec elle l'École française de psychodrame. Elle a eu accès aux archives familiales et professionnelles d'Anne et a interrogé de nombreuses personnes qui l'ont connue, personnellement ou professionnellement.
C'est un travail très riche qui remonte aux ancêtres russes — arbre généalogique à l'appui — de celle qui est née Anna Eynoch et a inventé la psychogénéalogie. Elle a en effet porté un double nom d'emprunt (dont celui de son mari, malgré un mariage bref) et a toujours éludé certains épisodes dramatiques de sa propre vie, ce qui est étonnant pour quelqu'un qui a pointé les conséquences des non-dits et des secrets de famille. Mais son histoire était tellement incroyable qu'elle craignait qu'on ne la croie pas.
Bien évidemment, la biographie parle de son enfance, son arrivée en France, des relations houleuses avec sa mère, de ses études, de sa participation à la Résistance qui lui valut son nom d'Ancelin et de son long parcours professionnel, semé d'embûches et de persévérance...
C'est un récit captivant, détaillé et sans complaisance, de cette personnalité impulsive et passionnée.

Éditions Desclée de Brouwer, 2021, 486 pages, avec des photos.

Lire aussi ma chronique sur Le Plaisir de vivre d'Anne Ancelin Schützenberger.

vendredi 10 décembre 2021

Le secret du bonheur à la japonaise

La République du bonheur d'Ito Ogawa est la suite de La papeterie Tsubaki (que je n'ai pas lu, comme quoi, on peut commencer par ce roman).
La marchande de papiers, qui fait office d'écrivain public et reçoit les demandes les plus farfelues ou délicates, épouse son voisin le cafetier, veuf et papa d'une adorable fillette. Elle découvre la joie d'être mère et la vie de famille, pas toujours facile quand on a une forte personnalité.
Mais surtout, c'est l'ombre des morts qui plane sur ce bonheur possible : la grand-mère qui a élevé la papetière et la première femme de son époux. Comment dissiper les nuages et conserver, malgré tout, la joie de vivre ? C'est tout l'art de la romancière japonaise.
Le cadre de l'histoire est la petite ville de Kamakura, en bord de mer et entourée de collines de forêts, historique et très touristique avec ses nombreux temples et maisons traditionnelles. C'est aussi la ville où vécut Yasunari Kawabata, immense auteur japonais (un de mes préférés avec Junichiro Tanizaki).
Jolie balade dans le quotidien de personnages attachants et dans la bourgade japonaise, entre mer et nuages.

Éditions Philippe Picquier, 2020, 288 pages.

jeudi 9 décembre 2021

Cheminement artistique

Avant de rencontrer Mathieu Boogaerts pour un entretien à paraître dans Les Carnets du Ventoux, j'ai écouté ses chansons, regardé des vidéos et lu son livre Je ne sais pas, édité par La Machine à Cailloux*.
Je ne connais pas grand-chose à la musique mais j'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce petit livre qui en dit long sur lui, parce que justement l'auteur-compositeur-interprète y décortique très simplement la façon dont il crée ses albums.
D'ailleurs, le processus de création peut suivre les mêmes chemins pour d'autres domaines artistiques, dont l'écriture en général. D'ailleurs, il parle aussi de la façon dont il écrit ses chansons, d'où lui vient l'inspiration, quels artistes l'ont influencé, comment il compose ou aborde ses concerts, etc.

Autodidacte moi-même, je m'aperçois encore aujourd'hui, en côtoyant des musiciens qui ont appris de manière académique, à quel point le fait d'apprendre par soi-même, et donc de ne pas trop savoir ce que l'on joue, stimule l'imagination et rend tout possible.

Il écrit en toute modestie et très simplement, comme il est dans la vie, "plus à l'aise dans les chaussures de l'anti-héros que dans celles du héros".
Mais pourquoi ce titre Je ne sais pas ?

Je ne sais pas pourquoi je fais de la musique plutôt qu'autre chose. Je ne sais pas pourquoi je fais cette musique-là plutôt qu'une autre. Je ne sais pas pourquoi je me sens si bien quand j'y arrive et si mal quand je n'y arrive pas.

Il ne sais pas pourquoi mais explique très bien comment.
Accessible et passionnant.

Éditions La Machine à cailloux, 2010, 80 pages.

Malheureusement, la maison d'édition, qui invitait les musiciens à réfléchir et écrire sur le processus de création artistique, a disparu. Il reste cependant des livres dont celui de Mathieu Boogaerts à la librairie du Jardin Singulier.

mercredi 8 décembre 2021

Neil Young par lui-même

Au début, on se demande si c'est la traduction qui a été bâclée. Le style jeté au fil des pensées désarçonne au point de se demander si on arrivera au bout des 550 pages de ce pavé simplement intitulé Une autobiographie* et publié en 2012. On finit par s'habituer et par comprendre que Neil Young s'est lui-même essayé à l'exercice, à l'âge de 66 ans, sur les traces de son père qui était journaliste et écrivain, en laissant venir les souvenirs en désordre, mais avec son cœur. Il est donc bien l'auteur.
À la page 137, tout devient clair et c'est assumé :

Comme vous avez dû vous en apercevoir si vous êtes toujours là, je ne suis pas très calé en self-control. Jusqu'ici, je n'ai réécrit qu'un seul paragraphe de ce livre. Le hic, c'est qu'il n'y a pas de vérificateur d'orthographe pour l'existence.

Et page 197, non sans humour :

La forme pour la forme ne m'intéresse pas. Donc, si vous avez des difficultés à lire ce livre, donnez-le à quelqu'un d'autre. Fin du chapitre.

Dans le même genre, Patti Smith, par exemple, est bien plus douée pour l'écriture poétique. Du même coup, le livre semble sincère et on finit par apprécier le ton. Le musicien-chanteur-compositeur livre des souvenirs d'enfance, de ses parents, de ses débuts, de ses amis et collaborateurs et rend beaucoup d'hommages.
Créateur prolifique, après 40 ans de carrière et plus de 34 albums, il parle évidemment beaucoup de sa façon de travailler et comment il écrit ses chansons.
Par ailleurs, il est également impliqué (à l'époque) dans la commercialisation d'un système qui restitue plus fidèlement les enregistrements (Pono) et dans la recherche d'un carburant moins polluant car il est collectionneur de grosses voitures et sensible à l'écologie.
J'ai beaucoup écouté l'album Harvest depuis mon adolescence et je voulais en savoir un peu plus sur Neil Young, tout simplement.

Éditions Robert Laffont, 2012, 550 pages avec des photos en noir en blanc.

* pour l'édition française, alors que le titre original était Waging Heavy Peace.

mardi 7 décembre 2021

Aphorismes de pieds en cap

C'est un long titre pour un petit livre court, mais pas si vite lu ! En effet, sa lecture est savoureuse et longue en bouche.
C'est Biotope et anatomie de l'homme domestique de Philippe Annocque.
Le principe du livre est une série d'aphorismes et courtes phrases riches en jeux de mots et humour subtil.
Comme l'indique le long titre, le sujet est l'humain, son corps et son habitat, c'est-à-dire la maison. Tout simplement.
Quelques exemples ?

Parce que le débarras n'est pas forcément bon.

Une infiltration par le toit. Quelle tuile !

Les cheveux, les dents, les seins, les fesses : tout tombe à la fin.

Philippe Annocque, poète et romancier — ou magicien des mots, comme je l'ai déjà nommé dans une de mes chroniques — a publié une quinzaine d'ouvrages chez d'exigeants et singuliers éditeurs, dont Vie des hauts plateaux aux mêmes éditions Louise Bottu mais également sept romans, qui sont autant de bijoux de littérature, chez Quidam éditeur (voir ci-dessous quelques chroniques).
L'homme est un animal pas tout à fait comme les autres, mais de toute façon vous ne le verrez plus du tout de la même façon.

Éditions Louise Bottu, 2021, 62 pages. 

Hublots, le blog de l'auteur.

 * Lire aussi sur ce blog :
- Les Singes rouges
- Liquide
- Pas Liev
- Elise et Lise
- Vie des hauts plateaux
- Notes sur les noms de la nature
- Seule la nuit tombe dans ses bras

lundi 6 décembre 2021

Marcher et boire, inutile de choisir

Pour les amateurs de vin et de randonnées, c'est le guide idéal pour découvrir des domaines, rencontrer des vignerons, déguster leurs vins et arpenter de beaux paysages. Ou commencer par la randonnée pour finir au vignoble.
Un des derniers-nés des guides des éditions du Chemin des Crêtes se concentre sur le Sud-Est de la France : Rando-vin Provence et Corse de Romy Ducoulombier.
L'autrice est journaliste, spécialisée dans le vin et le tourisme.
Elle a sélectionné 40 domaines, de la Drôme provençale à la Côte d'Azur.
Romy Ducoulombier présente chaque fois le domaine, le vignoble, ses vins. Puis elle décrit la randonnée avec quelques informations pratiques, le tracé et le QR code pour se connecter directement sur le site Visorando.
Enfin, elle indique ce qu'il y a à voir ou à faire dans les alentours.
En attendant les beaux jours, avec les belles photos des domaines et des paysages, voilà qui donne envie !

Éditions du Chemin des crêtes, 2021, 224 pages.