dimanche 9 septembre 2012

Exercice de style

Harry Mathews commence sa préface de 20 lignes par jour par :
Comme beaucoup d'écrivains je trouve souvent que me mettre au travail le matin est une entreprise décourageante à laquelle je consacre, pour l'éviter, beaucoup d'énergie. Il y a quatre ans, je me suis souvenu d'une injonction que Stendhal s'était donnée, tôt dans sa vie : Vingt lignes par jour, génie ou pas. Stendhal pensait alors à un moyen de terminer un livre. J'ai délibérément appliqué sa formule comme méthode pour surmonter l'angoisse de la page blanche.
Cela donne un journal de l'écrivain qui s'efforce, presque tous les jours, pendant plus d'un an (le temps de remplir tout un bloc de pages), d'écrire ses vingt lignes sur les réflexions qui lui passent par la tête, souvent sa difficulté d'écrire, mais aussi des anecdotes sur sa vie privée ou publique, rarement une page d'écriture automatique, avec assiduité, en tous cas avec brio. 
Toujours est-il que cette lecture est jubilatoire, pleine de surprises, comme dans un film de Godard (par exemple, Pierrot le Fou), et pas du tout brouillon.
D'ailleurs, en cours de route, lui vient l'idée que, peut-être, cet exercice de style personnel, au départ dans le seul but de s'échauffer, pourrait être publié et la notion de lecteur entre en jeu.
Il se demande, à propos de Walden ou la vie dans les bois : "Si Thoreau vivait véritablement seul, pour qui écrivait-il avec une telle éloquence ? Et s'il écrivait pour lui-même, pour qui publiait-il ?" Moi aussi, ça m'épate quelqu'un qui écrit pour lui et qui le fait avec tant de style !
Le livre se termine par "Tu es sur le point de trouver la réponse" (il se tutoie), comme si ce travail journalier avait joué le rôle d'un parcours initiatique pour d'autres projets et notamment une commande pour écrire quelques pages sur son amitié avec Georges Perec.

Éditions P.O.L, 1994, 192 pages.
Et puisque Raymond Queneau m'a inspiré le titre de cette chronique et qu'il était également membre de l'OuLiPo, comme Perec et Mathews, voici le lien vers le site officiel (riche et passionnant) du toujours actif Ouvroir de littérature potentielle.









vendredi 7 septembre 2012

Changer, c'est affronter le réel

La rentrée sans changement, c'est un peu déprimant. La routine me fatigue. Dès lors qu'on s'attaque à un nouveau projet, cela devient plus stimulant. Et s'il suffisait de changer seulement quelques éléments pour vivre différemment ? Peut-on changer de vie ou se contente-t-on d'approfondir ou de se réorienter en fonction de sa nature profonde ?
Anne Ducrocq, dans Le courage de changer sa vie, interroge une dizaine de personnes qui ont radicalement changé de vie. Je pense plutôt qu'elles se sont débarrassées d'une éducation ou d'une culture — comme d'une mue trop étroite — pour révéler une personnalité plus vraie, plus honnête envers elles-mêmes, plus réelle. "Partir, c'est affronter le réel", affirme Jacques Arènes.
Les entretiens, profonds et touchants, retracent les parcours initiatiques de ces témoins qui ont vécu des épreuves, des départs, des ruptures de parcours, et se sont battus contre la fatalité.
Une alpiniste de haut niveau décide de ne plus courir après les exploits mais encourage des enfants malades à se dépasser. Un frère carme évoque sa traversée du désert et comment il accompagne désormais les autres. Une femme frappée par une attaque de poliomyélite lutte contre son corps immobile. Un photographe italien, spécialiste de la mafia, quitte son pays pour d'autres horizons. Une ancienne droguée raconte sa guérison. Un réfugié politique yougoslave nous fait part de son exil forcé. Une femme renait après son divorce.
Dans la préface, Jacques Salomé cite sa grand-mère : "Le plus difficile n'est pas de découvrir l'Amérique, c'est de quitter l'Espagne !" C'est souvent la peur de l'inconnu qui nous retient.
Et Anne Ducrocq s'interroge : "De quoi avons-nous si peur ? Peut-être, simplement, de notre peur".

Éditions Albin Michel, Collection Espaces Libres, 2004, 204 pages.

lundi 3 septembre 2012

L'écriture est un sport d'endurance

Encouragée par Haruki Murakami, et la fraîcheur revenue, j'ai repris le jogging ce matin. Dans la foulée, je rédige une chronique car son livre a d'autres intérêts que de nous inciter au sport.
Cet ouvrage hybride — journal d'un sportif, essai, autobiographie... —, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, raconte comment ce patron de bar a décidé un beau jour d'écrire des romans. En même temps, pour lutter contre l'empâtement et faire de l'exercice, il s'est mis à courir de longues distances : "Garder, voire améliorer, une bonne condition physique afin d'être apte à écrire des romans".
La course, c'est la liberté de se défouler, voire se dépasser, quand on veut et où on veut, sans avoir à se rendre dans une salle ni trouver un partenaire pour pratiquer. Sur ce point, je suis bien d'accord.
Murakami fait donc un parallèle avec la course d'endurance et l'écriture, deux activités qui le définissent et qu'il aimerait qu'on grave sur sa tombe. Il se sort à merveille de l'exercice périlleux : écrire sur la pratique d'un sport.
J'apprécie également les goûts de l'auteur, qui est le traducteur japonais de deux écrivains américains qui me sont chers : Raymond Carver et Francis Scott Fitzgerald.
D'ailleurs, le titre japonais signifie littéralement : "Ce dont je parle quand je parle de courir", en hommage au recueil de nouvelles de Carver "What We Talk About When We Talk About Love", mais pour la traduction française le titre est devenu : "Parlez-moi d'amour".
Je vous encourage à (courir) le lire.

Éditions Belfond, 2009, 192 pages.

dimanche 2 septembre 2012

Chassés-croisés (plus ou moins) romantiques

Dans la série des œuvres ultra-romantiques du XIXe siècle portées au cinéma deux siècles plus tard : Jane Eyre, de Charlotte Brontë, revue par le réalisateur Cary Fukunaga. Cette dix-huitième (!) adaptation a visiblement bénéficié de beaucoup plus de moyens que le film français de Sylvie Verheyde (voir ci-dessous), ce qui est tout à l'honneur de cette dernière d'avoir, entre autres, réussi à illustrer le spleen d'Alfred de Musset. Quant à Charlotte Gainsbourg, elle avait aussi joué le rôle de Jane Eyre dans la version de Franco Zeffirelli. Grâce à Fukunaga, on retrouve Mia Wasikowska qui a interprété Alice au pays des merveilles (une autre œuvre du XIXe) de Tim burton, et surtout le subtil Michael Fassbender de Shame de Steve MacQueen II. La scénariste, Moira Buffini, a également écrit le scénario du truculent Tamara Drewe de Stephen Frears (dont j'avais parlé à sa sortie).
Voilà, c'était juste l'occasion de (re)parler de bons auteurs, acteurs et films !