lundi 30 décembre 2013

La grâce de Véronique Ovaldé

L'incipit de La grâce des brigands de Véronique Ovaldé est, tout simplement :
"Maria Cristina Väätonen, la vilaine sœur, adorait habiter à Santa Monica."
Avec ce nom venu d'ailleurs, ce mystérieux qualificatif et ce lieu californien, on a l'essentiel du roman. Dans les années 70, une femme devenue écrivain a rompu depuis longtemps les ponts avec sa famille. Elle l'a fui, alors qu'elle était encore mineure, étrangement encouragée par son père taciturne, pour se sauver d'une mère à moitié folle et d'une sœur qui l'est devenue. L'écriture et la lecture, pour Véronique Ovaldé, peut sauver des familles asphyxiantes et c'est ce qui a permis à Maria Cristina de survivre à son enfance. En contraste total avec les brumes du grand Nord où elle a grandi, elle roule en Mustang sur Mulholland Drive, comme dans un mythique paysage californien cinématographique. Or, le passé finit toujours par resurgir, comme on ne l'attend pas.
Il faut peut-être persévérer après les premières pages énigmatiques pour entrer dans les profondeurs de ce roman et se délecter de cette écriture si délicate. Gracieuse.

Éditions de l'Olivier, 2013, 288 pages.

Pour écouter sur France Culture La véridique et bienheureuse histoire de Georgia Lapoussette.

samedi 28 décembre 2013

Renaître à la vie

Pour ceux qui lisent en numérique, la nouvelle de Boris Pahor, Le berceau du monde, est disponible aux éditions StoryLab (spécialisées dans les formats courts, à lire en moins d'une heure).
L'écrivain slovène et centenaire — né à Trieste en 1913 — y raconte son retour des camps, en 1945 et en tenue rayée, à Lille. Cela passe par les premières sensations perçues en redécouvrant ce monde (d'où le titre de la nouvelle) auquel il faudra se réhabituer ou réapprendre après avoir tout perdu. Les moindres détails sont révélateurs, comme les attitudes des passants, le visage des femmes qui cherchent l'un des leurs parmi les rescapés, les vitrines de magasins ou le contact des draps dans un vrai lit :
"Et c'est grâce à cette toile immaculée qui lui offre un accueil franc, doux et engageant, que notre corps comprend en un éclair qu'il est sauvé."
Une phrase, prononcée par le narrateur, pourrait résumer toute l'œuvre de Boris Pahor :
"Nous devrons tout faire pour que le monde ne tire pas un rideau d'oubli sur ce qui s’est passé."
Éditions StoryLab, 2013, 45 mn de lecture.

vendredi 27 décembre 2013

Je me méfie des livres à succès

On me reproche parfois de ne dire que du bien des livres que je présente. 
Or, à quoi bon dire du mal sinon éviter des faux-pas ? Libre à chacun d'aimer ou pas.
Ce qui m'agace vraiment, c'est l'effet boule de neige : parce que certains livres se vendent, on pourrait croire qu'ils sont bons. Or, ils se vendent parfois pour de mauvaises raisons ou parce qu'ils ont fait l'objet de bons coups marketing.
Petite liste des livres à succès qui me sont tombés des mains et que je n'ai parfois même pas réussi à finir :
- Amélie Nothomb vend systématiquement tout ce qu'elle publie. Tant mieux pour elle. J'ai apprécié La nostalgie heureuse (voir ma chronique), mais Barbe bleue m'a barbée.
- Agnès Martin-Lugand a cartonné avec son roman Les Gens heureux lisent et boivent du café. Elle a surtout bien auto-géré ses ventes auto-éditées en numérique sur Internet avant que l'éditeur Michel Lafon flaire la bonne affaire. Les gens qui aiment la littérature boivent du thé ou du café et lisent autre chose.
- Romain Puértolas a une plume fantaisiste, mais son bagou fatigue à nous embarquer d'un pays à l'autre et d'un sujet à l'autre dans L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Certains y retrouveront l'humour des Marx Brothers. Moi, je suis tombée de l'armoire.

mercredi 25 décembre 2013

Alice au pays de l'escampette

Alice Munro, l'octogénaire canadienne anglophone, a reçu le prix Nobel de littérature en octobre dernier, alors qu'elle avait décidé, quelques mois auparavant, d'arrêter l'écriture.
Essentiellement nouvelliste, son œuvre comprend quatorze recueils et un seul roman avec, pour thèmes de prédilection, la condition humaine, les drames quotidiens, les relations entre parents et enfants, leurs secrets et leurs blessures.
Le plus souvent, les personnages principaux sont des femmes et les paysages sont ceux de l'Ontario. Malgré les descriptions minutieuses, les mystères et les interrogations persistent.
Dans Fugitives, un recueil de huit nouvelles, des femmes tentent ou réussissent à partir. Les portes de sorties cachent d'autres issues, des impasses, ou des ratages. À quoi veulent-elles échapper ? Que recherchent-elles ? Faire table rase du passé pour tout recommencer ? Le désir de se retrouver ? La fuite peut se réduire au mensonge, à la maladie ou à la résignation face au carcan conjugal, familial ou religieux.
L'écriture n'a-t-elle pas représenté, dans la vie de Munro, cette échappatoire nécessaire ?

Éditions de l'Olivier, 2008, 348 pages.

dimanche 15 décembre 2013

Tarantino à la marseillaise

Après le Bar de la Sidérurgie (voir ma chronique), Charles Gobi publie un deuxième roman jubilatoire : Chemin des Prud'hommes. Le cocktail est toujours aussi explosif, plein d'humour et de castagne. Même si on retrouve certains personnages du premier, il ne s'agit pas d'une suite, mais d'une collection, nommée PCPPP (Pratiques criminelles à la portée du petit peuple), ce qui donne une idée du genre. Un genre qui ne peut en aucun cas être policier puisqu'on ne voit pas l'ombre d'un uniforme, vu qu'on s'arrange entre soi... Il ne peut s'agir non plus de roman noir, malgré le nombre de cadavres, car mené avec trop de gaieté jusqu'à la "happy end".
En fait, le Chemin des prud'hommes est une adresse du quartier de Saint-Loup à Marseille, paisible et habitée par quelques voisins sympathiques et sans histoires... jusqu'à ce que des règlements de compte obligent des mafieux et des psychopathes à troubler la tranquillité des lieux. C'est sans compter sur l'ingéniosité de nos sympathiques voisins. S'enchaînent alors des scènes dignes d'un film de Tarantino : suspense, action, machinations, giclées de sang, explosions... Même si on devine d'avance qui va en prendre pour son grade, le suspense est total : on veut savoir comment le défi contre les méchants sera relevé. Les femmes ne sont pas en reste et prennent activement part au combat.
Côté bande son, on est bien à Marseille : en plus des dialogues truculents, on entend les cigales, le bruit des moteurs (mobylettes et autres voitures), des boules de pétanque qui s'entrechoquent, le sifflement des couteaux et la détonation des explosifs...
Et ce qui m'enthousiasme particulièrement dans les romans de Charles Gobi, c'est toujours cet esprit positif où l'amour et les relations humaines règnent. Réjouissant !

Et en plus, un livre autoédité, c'est super tendance...
Pour recevoir le livre, adressez un chèque de 17 € (15 € + 2 € de port) directement à : "Confort Numérique" - 63 rue François-Mauriac - 13010 Marseille.
Ou rendez-vous sur le site de Charles Gobi.
Pour ceux qui habitent Marseille, rendez-vous directement à la charmante boutique Marseille in the box, près du Vieux-Port : très exactement au 13, rue Reine Élisabeth, 13001.

* Chaque roman peut se lire indépendamment :
- Les Goudes, c'est de l'anglais...
- Hercules des Trois Ponts
- Bar de la sidérurgie- Il est pas con, ce con ?
- La grosse Janine.   

dimanche 8 décembre 2013

Son nom de Venise

L'ombre de Marguerite Duras se profile dans Seule Venise de Claudie Gallay. Pas seulement parce que la narratrice lit Le Barrage contre le Pacifique, sur les conseils du libraire Dino. Surtout par son écriture forte, simple et poétique, en petites touches justes.
Suite à une rupture amoureuse dont elle ne se remet pas, une Française vient loger à Venise dans une pension, quelques jours, quelques semaines. Dans le labyrinthe des ruelles, elle se laisse porter par le hasard et les rencontres, notamment ce libraire taciturne comme elle, mais aussi les hôtes de la pension, dont le patron, un jeune couple d'amoureux et un prince russe qui se dévoile peu à peu.
Il est question d'amour, qui se perd ou qui vacille, et aussi d'art, de littérature, de cinéma (Woody Allen est cité deux fois), de peinture. On croise le peintre Zoran Music qui vivait à Venise jusqu'à la fin de sa vie et qui a peut-être survécu des camps de la mort grâce à ses croquis. D'ailleurs, un des thèmes de ce roman serait la survie, grâce à l'art et les mots.
Venise (dont le nom Venitia serait dérivé du latin Veni etiam : reviens encore) est un personnage à part entière qui console, comme l'évoque le titre issu d'une phrase du livre : "Parce que seule Venise me console de ce que je suis vraiment". Et, ainsi réduit à ces deux mots, le titre renvoie aussi à la solitude, alors que la ville est, souvent, une destination prisée des amoureux et des multitudes de touristes.
Claudie Gallay connaît bien la ville et nous entraîne dans sa vie intime, de l'intérieur, et en hiver, une saison qui se prête idéalement à cette atmosphère mélancolique et profonde. Son style est comme ces musiques qui entrent droit au cœur, dont on ne se lasse pas et qu'on écouterait inlassablement.

Éditions Actes Sud, Collection Babel n° 725, 2006, 304 pages.

jeudi 5 décembre 2013

De l'actuel avec du très ancien

Une nouvelle version des aventures extraordinaires de Gilgamesh, La quête de l'immortalité vient de paraître aux éditions Synchronique, grâce à l'œuvre remarquable des traducteurs : Stephen Mitchell, pour la version anglaise, et Aurélien Clause, pour la version française.
Ce sont des aventures extraordinaires pour plusieurs raisons. D'abord, il s'agit du plus vieux roman de l'histoire de la littérature, un mythe fondateur des civilisations occidentales, donc un grand classique, qui nous vient de Mésopotamie. En effet, à la fin du XIXe siècle, des archéologues anglais redécouvrent dans l'antique ville assyrienne de Ninive (au sud de l'actuel Kurdistan), plusieurs tablettes cunéiformes retraçant l'épopée, au IVe millénaire avant notre ère, du roi légendaire d'Uruk.
Ces légendes sont également, en elles-mêmes, extraordinaires : prouesses, batailles, déluge... qui évoquent des thèmes universels tels que le pouvoir, l'amitié, la sexualité, la mort, etc. 
Rainer Maria Rilke considérait déjà ce texte  "comme l'une des meilleures choses pouvant arriver à quelqu'un."
À partir de différentes sources et traductions d'érudits, les traducteurs ont effectué un magnifique travail, sous forme de poème en alexandrins d'une grand fluidité : le texte se lit vraiment comme un roman d'aventures. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l'histoire dans l'Histoire : une introduction, des notes explicatives et une bibliographie replacent le récit dans son contexte historique et littéraire.
La lecture est d'autant plus émouvante que ces légendes sont arrivées jusqu'à nous, alors qu'elles ont été perdues pendant des siècles : elles étaient déjà connues par nos ancêtres, il y a plus de trois millénaires.

Éditions Synchronique, 2013, 248 pages.