lundi 31 août 2015

La guerre, et après

"Je lui ai expliqué que le but de ma visite était double : je cherchais des informations sur l'arrestation d'Émile, ou au moins une piste, mais je voulais aussi obtenir de la matière pour un roman qui s'inspirerait en partie de la Seconde Guerre mondiale. En partie seulement, car je m'étais aperçue en travaillant sur la trame du roman que ce qui m'intéressait le plus, c'était ce qui était arrivé après, plus exactement comment on avait pu continuer à vivre dans le même village que ceux que l'on soupçonnait d'avoir été à l'origine de l'arrestation d'un proche, quand ce n'était pas une certitude."
Cet extrait du Bercail de Marie Causse résume bien ce qu'est ce livre double : la première partie est une fiction, la seconde est une enquête sur son arrière-grand-père et son grand-oncle qui ne sont pas rentrés chez eux après la guerre.
Le tout est passionnant, bien écrit, sincère, bienveillant, avec ces détails — une expression ou une sensation —, qui font mouche.
Un troisième roman d'une grande qualité.

Collection L'Arpenteur, Gallimard, 2015, 256 pages.

lundi 10 août 2015

Fractions, effraction de mémoire

Effraction est le neuvième roman d'Alain Defossé et devrait jaillir du flot de cette rentrée littéraire.
Il a suffit d'un cambriolage, une effraction, pour que la vitre brisée dans le salon de cette dame, apparemment sans histoires, à la vie trop bien rangée, provoque une brèche, un courant d'air dans ses souvenirs.
"Quelque chose du passé s'immisce, peut-être. On ne sait pas pourquoi ce cambriolage fait resurgir quelque chose du passé. Peut-être est-ce un simple accroc dans une vie très lisse, qui dévoile, comme une déchirure sur un canapé montre au-dessous quel tissu le recouvrait avant, qu'il était rouge et doré avant d'être beige et neutre, que ça foisonnait au-dessous, les couleurs, les conversations, les postérieurs posés là de morts depuis des lustres, les verres qui s'entrechoquent et les drames qui se dénouent."
Alain Defossé sème de petits cailloux — des pierres précieuses — comme des indices, des secrets soigneusement oubliés, des contradictions mystérieuses, avec une étrange mise à distance. Nous entrons alors, sur la pointe des pieds, dans l'intimité de ce personnage ambigu en passant de la première à la troisième personne. Des témoignages des autres personnages, testes en italiques comme des dépositions de police, on n'en apprendra guère plus.
Un portrait en creux, magnifique, haletant, hanté de trous de mémoire et de cicatrices.

Éditions Fayard, 2015, 200 pages.

lundi 3 août 2015

L'envoûtement de Carole M.

Au début, l'univers de Carole Martinez peut surprendre, avec ce style unique, poétique, fantasque et fantastique, d'une autre époque, moyenâgeuse pour La terre qui penche, son troisième roman. Or, il suffit de passer un sas — quelques pages à peine —, et les phrases travaillées, le vocabulaire daté, l'histoire crue et cruelle, créent une atmosphère de conte qui pénètre et envoûte, à notre insu.
L'épopée se brode et se tisse vers 1630, en pays Comtois, où l'on retrouve le Domaine des Murmures, cadre du deuxième roman de l'écrivain qui se passait au XIIe siècle.
Le texte chante et danse, rythmé de comptines, chansons de geste et airs de caroles (danses du Moyen Âge).

Deux narratrices alternent, Blanche, une petite fille, et sa vieille âme. Parmi les personnages hauts en couleurs et forts en caractères — dont un ogre bien réel et une sirène de rivière —, on croise des chevaliers, des serfs, des sorcières et des femmes en butte au pouvoir des hommes. Mais parfois, les hommes éprouvent des sentiments et une petite fille peut échapper à l'ogre...
 "Il est mort, la face contre terre, mort, une épée inutile au côté, mort, et je me souviens même qu'il a pleuré avant de s'affaisser sur son gros caillou, pleuré de tristesse à l'idée de quitter ce monde formidable où tout est possible pour un géant en armes, où la violence l'emporte le plus souvent, où les enfants perdus dans les bois n'ont aucune chance de passer la nuit s'ils ignorent qu'ils peuvent être chardons."
De secrets de familles en batailles de fiefs, de mariages forcés en amours clandestines, la petite Blanche grandit, apprend et découvre le monde des adultes.

Éditions Gallimard, 2015, 368 pages.

Le  premier roman de Carole Martinez, Le cœur cousu, a remporté de nombreux prix littéraires et rencontre toujours un beau succès, avec déjà ce style de conte fantastique qui mêle la légende à la vie réelle de l'aïeule espagnole de l'autrice, jouée et perdue au jeu par son mari.