lundi 29 décembre 2014

Dernier tango à Buenos Aires

Je me moque de ce voyage épouvantable dans ce train bondé, réfugiée sur la plateforme à bagages : j'ai un bon livre.
Avec Les poupées sauvages, Claire Deville m'embarque dans le tourbillon du tango, le vrai, à Buenos Aires, avec les danseurs, les vrais, passionnés, voire acharnés, sinon rien. Jusqu'au bout de la nuit. Jusqu'au bout, tout court. Ici, le tango n'est ni une danse de salon, ni un passe-temps d'amateurs. C'est du grand art — extrême, une véritable drogue —, au-delà de la technique, avec ses codes, ses guerres, ses territoires... Grandeur et décadence.
Le voyage en train est passé étonnamment vite : j'étais ailleurs, dans un tango envoûtant, prenant, maléfique.
"C'est avec la nuit que viennent les loups. Chaque soir les chiens leur cèdent la place. Je les vois autour du lit comme autour d'un feu. Ils se rapprochent au fur et à mesure de la nuit et des cauchemars. Leurs yeux brillent de plus en plus fort avant que ne me libèrent les oiseaux de l'aube. Tout paraît insurmontable quand ils sont là. Une seule chose à faire : danser. Il est minuit, la journée commence."
Claire Deville est danseuse et connaît parfaitement son sujet. On sent qu'elle a touché l'âme de la danse.
Elle a reçu le prix de l'Association pour l'aide aux jeunes auteurs (APAJ) en partenariat avec Libération en 2013 pour Dernier tango à Bruxelles. Les poupées sauvages est son premier roman, édité par Le Délirium. Un coup de maître.

Éditions Le Délirium, 2014.

© Crédit photo : 2013 Tango Paparazzo.

mercredi 24 décembre 2014

La chance de lire Les Malchanceux

En guise de cadeau de Noël, une œuvre rare.
L'éditeur Quidam s'est fait une spécialité de publier des auteurs oubliés ou peu connus par rapport à leur grand talent. Il édite notamment Josipovici, dont j'ai parlé à deux reprises dans ce blog.
La forme de l'ouvrage (peut-on parler de livre ?) de Brian Stanley Johnson,
Les Malchanceux
, est originale à tous points de vue. Du point de vue du style, d'abord, qui reproduit le fil aléatoire de la pensée du narrateur qui divague en tous sens, passant du coq à l'âne, de digressions en activités banales d'une journée et de souvenirs en réflexions plus profondes. Par exemple :
"Et si j'allais faire un tour à l'étage, histoire de remuer le passé ? Oui, non. Ça va paraître louche, y a pas de bar là-haut, c'est mort, ah, fait chier, je m'en fiche des autres, de toute façon, je connais personne dans le coin, qui pourrait trouver ça louche, et puis, j'ai une bonne raison. La nostalgie, allez, grimpe les escaliers, aluminium des cornières, moquette piétinée et usée jusqu'à la corde, contremarches défoncées consciencieusement."
En parfaite cohérence, ce désordre est également reproduit dans l'objet lui-même : les chapitres sont présentés dans une boîte, non reliés entre eux, et, mis à part le premier et le dernier chapitre, on peut les lire dans l'ordre qui nous chante. Ils sont plus ou moins courts ou longs et la pagination y est inexistante. Les silences sont marqués par de très grands espaces à l'intérieur des lignes.

Dans sa préface, Jonathan Coe (qui a également écrit une biographie sur Johnson, toujours chez Quidam Editeur) nous explique le propos :
"La genèse des Malchanceux, c'est Nottingham, un samedi après-midi. Johnson, envoyé par son journal pour couvrir un match de football, y est de passage. La littérature ne nourrissant pas son homme, tout au long de sa carrière d'écrivain, il a dû accepter des emplois alimentaires, pigiste ou prof remplaçant le plus souvent. À cette époque, il travaillait comme journaliste sportif pour l'Observer."
Une fois arrivé, le narrateur-auteur se rend compte qu'il connaît la ville. C'est celle où il a connu son ami Tony, et c'est l'occasion de se remémorer les souvenirs de celui qui fut emporté prématurément.
"Je savais que s'il était toujours en vie la semaine suivante, il ne serait presque plus en état de parler, vu la vitesse à laquelle son état se dégradait, il se désintégrait, et mes dernières paroles pour lui, le peu que je pouvais lui donner, seul avec lui, prêt à partir, déjà habillé, la voiture n'attendant plus que moi pour nous emmener à la gare, c'était maintenant, alors je l'ai regardé, j'ai soutenu son regard, qui cette fois ne me lâchait pas, au prix de quel effort, je me le demande, et je lui ai dit, je n'ai rien trouvé d'autre, qu'est-ce que j'aurais pu dire d'autre, je lui ai dit, T'en fais pas mon pote, j'écrirai tout.     T'auras pas grand-chose à raconter, c'est ce qu'il a dit, après un silence, très lentement, et toujours, ce regard.          On en est tous là, c'est ce que je lui ai dit."
L'amitié, les amours, les enfants, la mort... La vie, quoi.

Quidam Éditeur, Collection Made In Europe, 2009.

dimanche 21 décembre 2014

Juste une mise au point

C'est un article dans M le magazine du Monde du 13 décembre 2014 qui m'a mis la puce à l'oreille : que vient faire Anna Jarota, ex-militante de Solidarnosc, en tant qu'agent littéraire de Valérie Trierweiler dans l'affaire de Merci pour ce moment ? Anna Jarota veut être certaine que la journaliste de M a bien lu le livre avant d'en parler. C'est là que le bât blesse : tout le monde s'est exprimé sur ce livre sans l'avoir lu, en se fiant aux propos des uns et des autres. C'est la métaphore des aveugles qui touchent chacun une partie différente d'un éléphant et en déduisent chacun un "point de vue" qui n'a rien à voir avec les autres.
Comme bon nombre, le best-seller de l'année m'a sidérée à sa sortie mais je m'étais refusé de l'acheter. Le voilà qui me tombe entre les mains, prêté par une voisine. Maintenant que je l'ai lu, je peux vous donner mon avis. Textuel. Rien de tel que de se faire sa propre opinion et j'en suis à nouveau sidérée mais, contre toute attente, en bien.
D'abord, l'ex-première dame ne se place ni en victime ni en vengeresse. Ce livre est une mise au point face à la campagne de diffamations et d'humiliation, publique et planétaire, dont elle a été l'objet. Le problème, c'est qu'en France, la première dame n'est qu'un faire-valoir à qui on ne demande qu'une chose : sois belle et tais-toi. C'était sans compter sur une femme qui a crevé le plafond de verre (et l'a payé cher) pour sortir de sa classe sociale et vivre de façon indépendante.
Ce livre est un témoignage étonnant de franchise et de courage pour rétablir la vérité et nous donner sa version des faits (à ma connaissance, personne ne l'a traînée en justice donc elle dit vrai).
C'est le récit sensible d'une femme qui a cru en un homme, l'a soutenu alors qu'il n'était même pas pris en compte dans les sondages, et qui est devenu Président de la République. Son histoire personnelle a croisé celle d'un pays. Elle a dû renoncer à son indépendance, a fait des erreurs, certes, n'a pas été protégée, puis a été trahie. Elle sort de son silence imposé. On n'apprend rien sur le monde politique et ses travers, ses médisances et ses luttes d'influence de machos. Juste quelques piques dans le panier de crabes.
Alors Valérie, merci pour ce récit !

Éditions Les Arènes, 2014, 320 pages.

mardi 9 décembre 2014

Sans retour

Un série d'ateliers-lectures sur Pascal Quignard à Vaison-la-Romaine m'a donné envie de lire ou relire cet auteur (souvent cité par Jean Claude Ameisen, par ailleurs).
À l'origine pensé pour le cinéma, Tous les matins du monde a été écrit par Pascal Quignard à la demande d'Alain Corneau. En fait de scénario, Quignard a écrit un roman, une œuvre littéraire dont chaque chapitre correspond à une scène. Une forme courte, mais quel bijou !
Le titre est tiré d'une phrase du livre : "Tous les matins du monde sont sans retour."
Dans le film, le violiste Marin Marais (à l'écran, Gérard et Guillaume Depardieu) brille à la Cour du roi et se souvient de son austère et colérique professeur Monsieur de Sainte Colombe (Jean-Pierre Marielle), et dont la fille aînée (délicieuse Anne Brochet) est morte d'amour pour lui.
Monsieur de Sainte Colombe, quant à lui, vivait reclus avec ses filles suite à la mort de sa femme, dont le fantôme lui rend visite quand il joue.
C'est l'histoire de la relation entre deux hommes passionnés de musique, mais totalement opposés dans leur façon de la vivre, comme deux parties d'un tableau en clair-obscur.
"Sans doute avez-vous trouvé une place qui est d'un bon rapport. Vous vivez dans un palais et le roi aime les mélodies dont vous entourez ses plaisirs. À mon avis, peu importe qu'on exerce son art dans un grand palais de pierre à cent chambres ou dans une cabane qui branle dans un mûrier. Pour moi il y a quelque chose de plus que l'art, de plus que les doigts, de plus que l'oreille, de plus que l'invention : c'est la vie passionnée que je mène."
Dans le roman comme dans le film, l'art dans toutes ses expressions (musique, peinture, théâtre...) touche au sublime.

Éditions Gallimard, 1991.




dimanche 7 décembre 2014

Enquêtes sur une valise et une malle

Xavier Giard, ex-libraire qui tient une agence de voyages à Marseille, a récupéré une malle et une valise ayant appartenu à son oncle, Yves Tommy-Martin, décédé à l'âge de 24 ans dans des conditions mystérieuses, dans les années 50.
Le roman familial racontait une histoire. Il a voulu éclaircir l'affaire et a découvert une autre version.
De la valise — contenant essentiellement la correspondance, des carnets de notes et des agendas de l'oncle — a été tiré Le timbre de Faulkner, écrit par Annie Denut. On découvre alors un jeune homme tourmenté, notamment par la découverte de son homosexualité et par le désaveu de sa famille. Il part étudier aux États-Unis où il écrit une thèse sur Faulkner. Puis, selon la coutume américaine de faire un tour d'Europe en fin d'études, il décide, avec un ami français et deux Américains, de partir pour un tour d'Afrique, dont malheureusement les jeunes hommes ne reviendront jamais.
De la malle ayant servi à l'expédition, a été écrit Dans le désert disparu, toujours par Annie Denut, une contre-enquête qui reprend les différentes pistes et articles de journaux parus à l'époque.
Un bel hommage à cet oncle disparu trop jeune, dont la vie et la mort étaient sources de chagrin, mais aussi de mystères et de secrets pour ses proches. Grâce aux relectures de l'histoire et des documents, Yves Tommy-Martin a regagné la lumière.
Ce sont deux livres passionnants sur sa vie et les vraies circonstances de sa mort, et qui, de plus, sont joliment illustrés avec des images et photos qui se trouvaient dans la valise et la malle.

On peut se procurer ces deux livres auprès de Xavier Giard : Là-bas éditions - 6, rue Pastoret - 13006 Marseille, 20 € chacun et 30 € les deux (par correspondance, comptez 5 € de frais de port).


vendredi 5 décembre 2014

Comment devenir philosophe ?

D'abord à quoi sert la philosophie ? Jérôme Lecoq répond d'emblée dans La pratique philosophique (dont le sous-titre est : Une méthode contemporaine pour mettre la sagesse au service de votre bien-être) :
"La pratique philosophique permet de remettre la pensée au travail, rien de moins !"
"Chacun peut se muer en philosophe en herbe, à condition de respecter certains principes méthodologiques et d'y mettre un peu d'effort dans la durée. Si n'est pas Hegel, Kant, Sartre ou Descartes qui veut, chacun a un peu de Socrate en soi. Car si Socrate nous a laissé un testament, ce serait qu'être un homme, c'est aussi être philosophe."
Vous avez tout oublié de vos cours de philo avant le Bac ? Ou bien vous n'avez rien compris ? Ou encore vous étiez frustrés du programme à boucler et de la sanction de la note ? Voilà une courte initiation qui vous rafraîchira la mémoire et une méthode qui vous permettra de mieux conduire votre pensée et vivre en société.
Et si les clés d'une vie meilleure (personnelle et professionnelle) sont une vie plus lucide, plus éveillée et plus authentique, alors laissez-vous guider pour un apprentissage car chacun peut penser, donc philosopher, seul ou en groupe.
De quoi vous posez — et poser aux autres — les bonnes questions, pour une pensée ou un dialogue plus clair et constructif. Autrement dit, vous aurez quelques outils pour coincer les interlocuteurs fuyants ou de mauvaise foi, ou mettre en confiance des personnes qui auraient du mal à s'exprimer.
Bref, tout pour se dégourdir l'esprit.

Éditions Eyrolles, 2014, 184 pages.
Jérôme Lecoq a fondé la société de conseil Dialogon qui propose des ateliers et entretiens aux particuliers et aux entreprises.

jeudi 4 décembre 2014

Le sel de Salgado

Un grand cinéaste, Wim Wenders, qui rend hommage à un grand photographe, Sebastiāo Salgado, cela fait un grand documentaire :  
Le sel de la terre.
Wenders n'en est pas à son coup d'essai en matière de documentaires-hommages sur d'autres artistes : la chorégraphe Pina Bausch, les musiciens cubains de Buena Vista Social Club, le cinéaste Ozu avec Tokyo-Ga ou le couturier Yamamoto avec Carnets de notes sur vêtements et villes...  
Le sel de la terre est co-réalisé par le fils du photographe brésilien, Juliano Ribeiro Salgado.
La bande-son est captivante avec les voix des deux amis, aux accents respectifs allemand ou brésilien, et celle du fils, qui commentent les images en français, et la musique originale signée Laurent Petitgand.
Le film traite à la fois de l'œuvre et des sujets de prédilection du photographe, mais aussi de sa vie d'aventurier sur toute la planète, et de sa famille, sa femme, Lélia Wanick Salgado qui l'a toujours encouragé, et ses fils. Ce portrait sensible, physique et moral, montre un homme touchant, engagé. Après avoir montré les conditions de vie et de travail des hommes, comme dans la mine d'or de Serra Pelada, il a aussi témoigné sur les exodes de différents continents, la famine au Sahel et les massacres du Rwanda. À ce moment, la misère et la cruauté humaines viennent à bout du photographe qui se remet difficilement d'avoir vu l'insoutenable cœur des ténèbres.
Puis, sur une idée de sa femme, il reprend goût à la vie en reboisant la forêt disparue dans la ferme familiale au Brésil. Alors Salgado repart à l'aventure autour de la Terre et s'intéresse alors à la nature sauvage et les animaux pour son projet Genesis, et l'optimisme revient.

dimanche 23 novembre 2014

C'est du Zola !

Les éditions du Sonneur, dans leur Petite Collection, présentent quatre nouvelles d'Émile Zola Comment on se marie : dans les milieux aristocratique, bourgeois, commerçant et artisan. C'est un regard critique sur le mariage et sur l'amour, sur les conventions sociales dans différents milieux. Et forcément, comme c'est du Zola, c'est plutôt noir, même si certains y voient de l'humour... noir. Dans l'introduction aux nouvelles il écrit notamment :
"Il est une autre cause aux fâcheux mariages d'aujourd'hui, sur laquelle je veux insister, avant d'arriver aux exemples. Cette cause est le fossé profond que l'éducation et l'instruction creusent chez nous, dès l'enfance, entre les garçons et les filles."
"Quel étrange système, partager l'humanité en deux camps, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre ; puis, après avoir armé les deux camps l'un contre l'autre, les unir en leur disant : "Vivez en paix !""
Dans Comment on meurt, même principe : quatre nouvelles sur l'agonie, la veillée, la mort, les funérailles d'un noble, d'une bourgeoise, d'un fils d'ouvrier et d'un paysan. Et là, encore, l'inégalité est d'autant plus criante selon que l'on est fortuné ou non. Noir, très noir.

Éditions du Sonneur, La Petite Collection.

Lire aussi ma chronique sur d'autres titres de la Petite Collection des éditions du sonneur, dont Comment écrire un livre de voyage.

mercredi 19 novembre 2014

Le petit guide design, beau et pratique

Pour tous ceux qui s'intéressent aux objets design, voici un sympathique petit guide qui répond à la question de son titre : Pourquoi est-ce un chef d'œuvre ? de Susie Hodge, aux éditions Eyrolles.
"Les beaux objets ne manquent pas, les objets fonctionnels non plus ; néanmoins peu réunissent ces deux conditions. Le chef d'œuvre est l'objet qui emplit sa mission à tous les niveaux, notamment en accédant à une forme de perfection, tant dans son aspect que dans sa fonction.
Le design est un rouage essentiel de la société, en ce sens qu'il transforme la façon dont nous vivons et travaillons. L'appréciation d'un design réussi dépend de divers paramètres : les origines culturelles, raciales et sociales, le cadre de vie, les sensibilités individuelles, l'âge, mais aussi la compréhension personnelle des éléments contribuant à rendre un objet esthétiquement fonctionnel. Certains produits doivent attendre des années avant d'acquérir une signifiance culturelle ; d'autres, au contraire, ont tendance à perdre leur pertinence au fil du temps et des situations économiques ou politiques."
Les grands noms du design d'hier et d'aujourd'hui sont évoqués à travers 80 produits emblématiques (l'épingle à nourrice de Hunt, le flacon de parfum N°5 de Chanel, en passant par la chaise Fourmi de Jacobsen ou le IPhone de Ive), chefs d'œuvre du XVIIIe à nos jours, en une dizaine de thématiques : beauté, originalité, forme, fonction, expression, mouvement, impact, quotidien, communication, harmonie.
Chaque objet a sa propre histoire et croise la nôtre.

Bref, un guide qui répond parfaitement aux exigences du design réussi : aussi beau que pratique ! 

Éditions Eyrolles, 2014, 224 pages, format 18,5 x 13,5
Dans la même collection Pourquoi est-ce un chef d'œuvre ? existent aussi quatre autres ouvrages sur la photo, les tableaux et sculptures, les créations de mode, les longs métrages d'animation...

dimanche 16 novembre 2014

Une chute capitale

Robert Goolrick nous a déjà donné des livres puissants, impossibles à lâcher, notamment Féroces.
Cette fois, avec La chute des princes, il s'attaque aux golden boys, princes du New York des années 80 (quand la ville était "sale, dangereuse et géniale"), ces fameux loups de Wall Street, dont l'unique but était de gagner un maximum d'argent en un rien de temps, sans se soucier ni de l'avenir ni des autres. Et pour cela, brûler ses ailes et sa vie par les deux bouts, à toute allure, jusqu'aux derniers excès ; chercher le plaisir partout, consommer à n'en plus pouvoir, abuser des drogues, de l'alcool, des filles, du luxe... jusqu'à la frénésie, le paroxysme, et pour finir la mort prématurée : overdose, suicide, sida, burn out... Tout cela, le cinéma et d'autres écrivains de sa génération l'on déjà raconté. Mais pas de cette façon si sensible et éclatante pour nous projeter dans cette chute vertigineuse.
Le narrateur est un rescapé de cette époque et raconte sa rédemption. L'auteur s'inspire de sa propre expérience dans la publicité : il a vécu cette période effrénée et s'est fait virer du jour au lendemain, sans revenus.
C'est ainsi que Robert Goolrick est devenu écrivain. Et quel écrivain ! Assurément un des plus talentueux des États-Unis.

Éditions Anne Carrière, 2014, 360 pages. 

Voir aussi mes chroniques sur :
- Féroces.
- Une femme simple et honnête.

vendredi 14 novembre 2014

Les plus belles photos de nature

Les éditions Biotope publient la version française du beau livre retraçant les 50 ans d'images du concours international Wildlife Photographer of the Year (organisé notamment par le Natural History Museum de Londres) : L'art de la photographie de nature.
Les textes de Rosamund Kidman Cox replacent dans leur contexte chaque photo et abordent différents sujets sur la photographie naturaliste et des photographes spécialisés, tels que : les débuts et l'évolution de cet art, l'œil de l'artiste, la lumière, le bon moment, la connaissance des paysages naturels et des animaux, les grands espaces et le minuscule...
Les photos récompensées et présentées reflètent l'immense diversité de styles, de techniques, d'approches de cette discipline.
Un livre grandiose et fascinant sur les animaux et la nature.

Éditions Biotope, 2014, 29 x 29 cm, 252 pages.
Photo de couverture : Jim Brandenburg (États-Unis).

Ci-contre, © Léger mouvement de queue, de David Lloyd (Nouvelle-Zélande).
Ci-dessous : Les profondeurs de Danakil, de Olivier Grunewald (France).
Le lancement officiel se fera lors du festival de la photo animalière de Montier-en-Der (Haute-Marne), du 20 au 23 novembre 2014, où Rosamund Kidman Cox dédicacera l'ouvrage.

lundi 10 novembre 2014

Un p(r)o(bl)ème = une solution

Il y a les études scientifiques d'un côté (page de gauche) et les poèmes de l'autre (page de droite ou suivante). Partant du constat que "les études scientifiques ça va bien deux minutes" et qu'un poème vaut mieux qu'un long discours scientifique — pas toujours pertinent —, les éditions Le Contrepoint ont eu l'idée amusante de placer en parallèle un problème et un poème (il suffit de retirer quelques lettres et la magie opère). Autrement dit, n'y allons pas par quatre chemins et moquons-nous des soi-disant vérités scientifiques avec de petits joyaux de la poésie, plein de bon sens, de grâce et de nuances.
"Américaines bien souvent, à la con en majorité, les études scientifiques ont un principe de base implacable qui consiste à : I - poser le cadre d'un protocole permettant de tout mesurer (c'est scientifique) ; II - en étendre le résultat à la population mondiale ; III - en tirer des conclusions débiles."
Quelques exemples de ces études indispensables (imaginez la boîte à rire à la fin de chaque énoncé) : gagner moins d'argent que sa femme rend fidèle ; les relations amoureuses à distance durent plus longtemps ; les enfants qui regardent trop la télévision finissent en prison à l'âge adulte ; plus on est vieux moins on a envie de vieillir... Bref, des recherches dignes du Prix Ig Nobel qui récompense les études les plus absurdes, drôles ou farfelues.
"... ou comment résoudre tous vos poèmes en récitant un petit problème. Et vice versa."
 Ouf ! un peu de poésie dans ce monde de blouses blanches !

Éditions Le Contrepoint, Collection Poésie Pratique, 2014, 48 pages.

jeudi 6 novembre 2014

La magie de l'amour

J'attends toujours avec impatience la sortie d'un nouveau film de Woody Allen. Je n'ai pas été déçue avec Magic in the Moonlight.
Il y a un personnage cynique, désabusé, désillusionné, avec des répliques tellement drastiques qu'il en devient comique. Ironie du sort, ce personnage est un illusionniste qui se cache derrière un personnage et un pseudo chinois. Il y a une jeune fille ravissante et douée pour épater la galerie et faire rêver les autres. Il y a des paysages idylliques de la Côte d'Azur, des villas somptueuses, des voitures de rêve et des coupes de champagne.
Il y a les croyances, qui sont peut-être des illusions mais, qui aident à lutter contre l'angoisse de la mort et de l'absurdité de notre passage sur terre. Il y a les contradictions de chacun entre rationalité et folie douce. Il y a la magie du parfum des roses, des étoiles dans le ciel, du sourire des autres...
C'est drôle, c'est touchant et ça fait réfléchir sur des sujets graves et insupportables — la mort, par exemple  — et le sens de la vie.
Merci Woody !

mercredi 5 novembre 2014

Pour voir plus loin

Jean Claude Ameisen est surtout connu du grand public pour son excellente émission sur France Inter Sur les épaules de Darwin, où il aime tisser des relations entre la science, la littérature, la poésie, la philosophie et la société, avec un timbre de voix et un tempo envoûtants.
Deux ouvrages ont déjà été publiés d'après cette émission : Les battements du temps et Je t'offrirai des spectacles admirables. Voici le troisième volet consacré à nos origines : Retrouver l'aube.
Le style est celui des contes, comme Sur les épaules de Darwin, et pourrait débuter par il était une fois, à la manière des rites de transmission orale.
"Dans chaque peuple, dans chaque culture, dans chaque région de chaque continent où nos ancêtres ont posé le pied, il y a des récits qui disent le commencement du monde"
Jean Claude Ameisen nous raconte des histoires fascinantes, fantastiques et véridiques basées sur les toutes dernières avancées de la science et de la recherche : un véritable voyage à travers les âges et les mondes perdus qui sont à nos origines, pour retrouver l'aube, selon la phrase de Pascal Quignard : "Retrouver l'aube, partout, partout, partout".
Une lecture aussi instructive que réjouissante.

Éditions Les Liens qui libèrent, 2014, 448 pages. 

lundi 3 novembre 2014

Un regard si doux

L'exposition de photographies de Raymond Depardon, Un moment si doux, qui se déroule jusqu'au 2 mars 2015 au Mucem à Marseille, propose un parcours dans l'œuvre et la vie de l'artiste depuis les années 50 avec 137 photographies en couleur, dont 40 spécialement réalisées pour l’exposition et 23 prises à Marseille.
Son regard — un regard si doux — s'attache surtout aux scènes de la vie quotidienne, voire ordinaire, dans la rue ou dans les cafés. Parfois seule une touche de couleur vive illumine le cadre, attire l'œil, et la poésie jaillit.
À cette occasion, les éditions Xavier Barral coéditent Méditerranée, un beau livre de 82 photographies prises sur le pourtour méditerranéen, dont celles prises à Marseille en 2014.
Un beau texte de Claudine Nougaret, Carnet de voyage, accompagne le photographe dans les rues de Marseille et commence par :
"J'aime marcher dans les rues de Marseille, être saisie par la violence du vent pour mieux me perdre dans le bleu du ciel. J'aime m'abriter sous l'ombrière du quai de la Fraternité, écouter les exclamations des touristes, le brouhaha de la ville."

Légendes photos :
Ci-dessus : 1998, La Vieille Charité, Marseille.
Ci-contre : 2014, Quai de la Joliette, Marseille.
Photographies © Raymond Depardon / Magnum Photos

Coédition Xavier Barral et Le Mucem, 2014, 
112 pages.
Lire aussi ma chronique sur Profils Paysans.

samedi 25 octobre 2014

Comme un chien

Revenons à Patrick Modiano. Un pedigree est un récit autobiographique un peu particulier : court et peu détaillé, dans un style bref et concis, comme s'il l'avait écrit pour en finir au plus vite avec une vie qui n'était pas la sienne. Il a volontairement éliminé des souvenirs plus intimes pour ne garder que des moments qui lui sont étrangers, qu'on lui a imposés ou qu'il n'a pas compris.
Le phrasé et les thèmes sont tellement proches de ses romans que la distance entre fiction et biographie est floue. Certaines personnes rappellent étrangement des personnages de ses romans.
"Mais la vie continuait sans que l'on sût très bien pourquoi l'on se trouvait à tel moment avec certaines personnes plutôt qu'avec d'autres, à tel endroit plutôt qu'ailleurs, et si le film était une version originale ou une version doublée."
Il s'agit plutôt d'un récit en creux où il n'aurait rassemblé que les événements et les personnages troubles et mystérieux de sa vie, à commencer par ses parents qui semblent avoir davantage cherché à se débarrasser de lui que de lui apporter un quelconque soutien.
"Et de menus événements se succèdent et glissent sur vous sans y laisser beaucoup de traces. Vous avez l'impression de ne pas pouvoir vivre encore votre vraie vie, et d'être un passager clandestin. De cette vie en fraude, quelques bribes me reviennent."
Pas de cohérence ni de paradis perdu dans l'enfance de Modiano : il semble avoir erré comme un chien sans attache. Ces énigmes perpétuelles et ces épisodes en pointillés, voire contradictoires, ont créé un univers particulier qui a certainement inspiré toute son œuvre.
"Et les jours, les mois passent. Et les saisons. Quelquefois, je voudrais revenir en arrière et revivre toutes ces années mieux que je ne les ai vécues. Mais comment ?"
"Et toujours cette légère ivresse mêlée de somnolence, dans les rues de l'été, comme après une nuit blanche."
Enfin, son premier livre est accepté et le jeune homme qui a atteint sa majorité peut prendre sa vie en main.
"Ce soir-là, je m'étais senti léger pour la première fois de ma vie. La menace qui pesait sur moi pendant toutes ces années, me contraignant à être sans cesse sur le qui-vive, s'était dissipée dans l'air de Paris. J'avais pris le large avant que le ponton vermoulu ne s'écroule. Il était temps."
Éditions Gallimard, Collection Folio (n° 4377), 2006, 144 pages.

vendredi 17 octobre 2014

Comment Niki de Saint Phalle est devenue artiste

Autre grande exposition actuelle au Grand Palais (jusqu'au 2 février 2015) : Niki de Saint Phalle. C'est l'occasion de revenir (j'avais évoqué ce livre percutant à l'occasion d'un thème sur le secret dans une précédente chronique) sur son poignant récit Mon Secret, composé comme une lettre à sa fille. Le secret en question est l'inceste qu'elle a subi de la part de son père, un monsieur considéré par ailleurs comme très honorable, à tel point que les médecins ne la croiront pas quand elle confiera son terrible secret à ceux-là qui auraient dû l'aider.
Tout cela pour nous rappeler que 90 % des abus sexuels ont lieu à la maison et de la part de personnes à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, respectés et "respectables"...
Niki de Saint Phalle trouve finalement un exutoire dans l'art, d'où une œuvre parfois violente, comme par exemple les tirs contre une cible en chemise et cravate qui représentait son père.
Et cela aussi pour nous rappeler qu'un énorme pourcentage des artistes a subi un traumatisme dans son enfance. Comme pensait Nietzsche : "L'art nous protège de la vérité qui tue." Autrement dit, une belle façon de canaliser sa colère, de s'exprimer et de s'engager pour donner à réfléchir aux autres. À réfléchir ou à sourire, ou à s'attendrir ou à résister... car il n'y a pas qu'une raison et une façon de créer.
Merci Niki !


Éditions de La Différence, 1994 et 2010, 40 pages.

Palais japonais

Les écrivains japonais, fins palais, parleraient davantage de nourriture et de boissons que les autres écrivains dans leurs romans et nouvelles, voire dans leurs essais. Partant de ce constat, Ryoko Sekiguchi a rassemblé, traduit et commenté des contes et nouvelles du XIIe siècle à nos jours dans cette anthologie nommée Le Club des gourmets et autres cuisines japonaises, publiée chez POL et illustrée par La Cocotte.
Parmi les auteurs : Kôzaburô Arashiyama, Osamu Dazai, Rosanjin Kitaôji, Shiki Masaoka, Kenji Miyazawa, Kafû Nagai, Kanoko Okamoto, Jun’ichirô Tanizaki... ainsi que des anonymes.
Dans ces histoires savoureuses ou terrifiantes à se mettre sous la dent, il est question de façons d'apprécier le saké, de souvenirs d'enfance de sushis, de cent façons d'accommoder le tôfu, d'un repas à La Tour d'argent qui aurait pu tourner à l'incident gastronomique, d'un moine qui résiste à la consommation de champignons vénéneux, de nonnes qui dansent après avoir mangé d'autres champignons, de la cuisine comme marqueur de l'appartenance sociale et d'un club de gourmets qui pousse loin la recherche du sublime par la nourriture.
À la fin de chaque texte, un pertinent commentaire de Ryoko Sekiguchi permet d'apprécier le contexte et autres anecdotes liées à l'auteur et à l'histoire.
Les Japonais aussi élèvent au rang d'art le fait de cuisiner, présenter les plats et bien sûr boire et manger.
Bon appétit !

Éditions P.O.L, 2013, 224 pages.

jeudi 16 octobre 2014

Murs mûrs de graffiti

Nos murs ou parois de grottes ont toujours été des supports publics de choix pour s'exprimer et attirer le regard, que le message soit spontané, gratuit, révolté, humoristique, politique, artistique...
L'artiste et professeur Bernard Fontaine trace une histoire, des origines à nos jours, du graffiti.
Dans le foisonnement et la diversité des œuvres éphémères à travers le monde et le temps, quelques repères sont pointés : l'art des cavernes, les peintures antiques de Pompéi, la culture Pop, les débuts du writing et du tag, le street art...
Et, bien sûr, ses artistes contemporains : Ernest Pignon-Ernest, Basquiat, Miss Tic, Banksy, YZ, Space Invader, Thomas Canto, Zevs...
Sans oublier que cet art qui peut conduire ses auteurs aux galeries ou aux musées, les exposent aussi à des amendes et peines de prison !
Pour un aperçu du graffiti sous toutes ses formes et dans tous ses états.

Éditions Eyrolles, Collection "Découvrir et comprendre", 2014, 160 pages.

mercredi 15 octobre 2014

La saga Sagan

Françoise Sagan n'a pas vingt ans lorsqu'elle écrit son premier roman Bonjour Tristesse. C'était il y a soixante ans et le livre n'a jamais cessé d'être un succès.
Les éditions Julliard célèbrent ce roman culte en le rééditant à l'identique de la version originale.
Si son roman est culte, l'auteur aussi : elle reste une légende de la littérature française, peut-être plus connue que ses livres sont lus. Parce que sa vie était un roman.

Éditions Julliard, 2014, 192 pages.
Marie-Dominique Lelièvre a d'ailleurs publié une belle biographie en 2008 : Sagan à toute allure. Et Diane Kurys, avec une Sylvie Testud très ressemblante, en a également réalisé un film sympathique.
Re-bonjour Sagan !

Éditions Denoël, 2008, 352 pages.

mardi 14 octobre 2014

Le monde flottant de Hokusai

À l'occasion de l'exposition au Grand Palais jusqu'en janvier 2015, les ouvrages fleurissent sur Hokusai (1760-1849).
Les éditions Eyrolles publient notamment un beau livre sur les Ukiyo-e du maître, ces images peintes d'un monde éphémère et flottant, qui ont inspiré par la suite les Impressionnistes, les Nabis ou l'Art Nouveau... et aujourd'hui encore les auteurs de films d'animation ou de bandes dessinées.
Au sommaire de l'ouvrage : le contexte historique, au Japon et en Europe, dans lequel l'art de l'Ukiyo-e a pris son essor dès le XVIIe siècle, la biographie de l'artiste, son œuvre colossale (plusieurs milliers d'estampes), ses techniques et thématiques.
Une belle introduction à ces images fascinantes et à la vie du vieux fou de dessin qui écrivait, vers 1834, dans la postface de son ouvrage des Cent Vues du mont Fuji :
"Depuis l'âge de cinq ans,j'ai la manie de recopier la forme des choses et depuis près d'un demi-siècle, j'expose beaucoup de dessins ; cependant je n'ai rien peint de notable avant d'avoir soixante-dix ans. À soixante-treize ans, j'ai assimilé légèrement la forme des herbes et des arbres, la structure des oiseaux et d'autres animaux, insectes et poissons ; par conséquent, à quatre-vingts ans, j'espère que je me serai amélioré et à quatre-vingt-dix ans que j'aurai perçu l'essence même des choses, de telle sorte qu'à cent ans j'aurai atteint le divin mystère et qu'à cent dix ans, même un point ou une ligne seront vivants. Je prie pour que l'un de vous vive assez longtemps pour vérifier mes dires. Écrit à l'âge de soixante-quinze ans par moi, jadis Hokusai, aujourd'hui Gakiorojin, le vieil homme, fou de dessin."
Ah ! cette modestie et ce goût du perfectionnisme bien japonais !

Éditions Eyrolles, Collection Grandes expositions, 2014, 192 pages.

lundi 13 octobre 2014

Théâtres de crimes sur papier glacé

L'idée de ce livre saisissant de photos d'Hermance Triay et de nouvelles de Marc Villard, Scènes de crime, dans l'esprit du roman noir, est la suite logique du travail de la jeune photographe.
Depuis plus de quinze ans, Hermance Triay s'interroge sur ce qui nous fascine dans le polar et photographie à la chambre des lieux qui laissent une grande part à l'imaginaire et à l'angoisse par, à la fois, leur banale et inquiétante étrangeté.
L'exposition de ses photographies au festival Paris Polar de 2009 inspire l'écrivain Marc Villard. Ils imaginent alors ce projet de livre publié ce mois-ci dans la collection Collatéral, des éditions Le bec en l'air, qui croise littérature et photographie contemporaine.
Hermance réalise en tout une centaine de photos de lieux au cours de voyages en Europe et en Amérique. Ils en sélectionnent ensuite une vingtaine pour le livre et imaginent quelles armes pourraient correspondre à chaque lieu et histoire.
Chaque nouvelle est précédée, au-dessus du titre, de la photo de l'arme — sur fond blanc, à la manière froide des prises de vue de la police criminelle — et d'un détail de la scène en noir et blanc, à la façon des reproductions de la rubrique "faits divers" des journaux quotidiens. Sur la double page suivante, vient la scène du crime très précisément choisie comme "un plateau de théâtre avec entrées et sorties de scène, sans perspectives, et avec un sentiment de piège (visuel) ; un espace qui génère de l'angoisse, un lieu désert ou un lieu familier mais où une mauvaise rencontre est possible". Reste ensuite à saisir la scène au bon moment, par temps gris, lumière neutre, sous la neige... ou de nuit. (La façon dont Hermance Triay a mené ce travail est très détaillée sur son site.)
Au-delà des excellentes nouvelles de Marc Villard, ces photographies de lieux invitent notre imagination à s'interroger et créer nos propres histoires. À tel point que ces Scènes de crime pourraient parfaitement convenir à des personnes qui n'aiment pas lire !

Éditions Le Bec en l'air, 2014, 160 pages.

samedi 11 octobre 2014

Pure poésie

Dans La présence pure, Christian Bobin peint un tableau sensible, par petites touches délicates — de courts paragraphes ou juste une phrase poétique en prose — pour évoquer le séjour de son père en institut spécialisé pour personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
En quelques mots, comme par magie, il fait apparaître des scènes incongrues, tendres ou étranges de cette maladie qui transforme la vision des choses.
"J'écris dans l'espérance de découvrir quelques phrases, juste quelques phrases, seulement quelques phrases qui soient assez claires et honnêtes pour briller autant qu'une petite feuille d'arbre vernie par la lumière et brossée par le vent." 
Dans le même temps, l'auteur établit une sorte de correspondance avec un arbre planté devant son salon.
"Mon père est depuis trois mois entré dans une maison dont il ne ressortira pas. Il a la maladie d'Alzheimer. Mon père et cet arbre me conduisent vers les mêmes pensées. De l'un, naufragé dans son esprit, et de l'autre, surpris par l'automne, j'attends et je reçois la même chose."
Plus loin encore :
"L'arbre devant la fenêtre et les gens de la maison de long séjour ont la même présence pure — sans défense aucune devant ce qui leur arrive jour après jour, nuit après nuit."
Un court texte de pure poésie.

Éditions Le Temps qu'il fait, 1999, 72 pages.

jeudi 9 octobre 2014

Modiano, Nobel de littérature

L'Académie suédoise a décerné aujourd'hui, le 9 octobre 2014, le prix Nobel de littérature à Patrick Modiano « pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation ».
Voir ma chronique à propos de L'herbe des nuits.
Un excellent Nobel !

lundi 6 octobre 2014

Écrire, c'est résister

Ce Petit éloge du sensible d'Élisabeth Barillé est un bijou de réflexion sur la richesse intérieure et les petits plaisirs gratuits du quotidien, souvent oubliés ou passés inaperçus, dévalorisés dans notre monde de diktats en tous genres où la consommation effrénée est reine.
Élisabeth Barillé fait l'éloge d'une certaine liberté d'être au monde et célèbre le moment présent, la moindre petite tâche à accomplir et l'importance du ressenti.
En tant qu'écrivain, elle cite également ses auteurs de prédilection et son bonheur d'écrire.
"Écrire, c'est résister sans cesse. Écrire, c'est exister encore."
Éditions Gallimard, Collection Folio 2 € (n° 4787), 2008, 112 pages.

mercredi 1 octobre 2014

La beauté du geste

"J'ai déjeuné avec Claire Maisonneuve au Gargagnole, le bouchon de la rue Ozanam ; nous avons parlé boutique un bon moment et cela m'a remis le moral en selle pour cinq minutes tant, d'ordinaire, je trouve vain de vouloir écrire des livres à notre époque où ignares et faiseurs tiennent avec superbe le haut du pavé absorbant tout du pas beaucoup d'air qu'il nous reste pour encore un peu respirer."
Je voulais depuis longtemps rendre hommage à Pierre Autin-Grenier, écrivain français qui nous a quittés en avril 2014.
Son écriture ciselée et poétique, à la forme brève, est truffée d'expressions savoureuses. Sous l'humour (souvent noir, quitte à broyer du noir) et le ton désinvolte, le grain de sable fait parfois grincer des dents.
Dans C'est tous les jours comme ça, les situations un tantinet loufoques épinglent les absurdités du quotidien et la menace des totalitarismes. Il évoque volontiers sa fréquentation des bistrots et bouchons lyonnais, ses discussions entre amis, le quotidien de voisins aussi originaux que peuvent être les vôtres.
C'est que l'auteur est un authentique défenseur d'un certain art de vivre, poétique et sans illusions, où la beauté du geste — l'écriture, notamment — prévaut sur l'utilité ou le gain.
"Je continuerai donc à étourdir mes vieux jours à la fabrication de ma dentelle à la main, dans l'ombre et l'abnégation et seulement pour la beauté du geste, aussi pour m'occuper l'esprit et tenter de me soustraire, autant que faire se peut, à la turbulente inquiétude du lendemain."
Éditions Finitude, 2010, 160 pages.

vendredi 19 septembre 2014

Une clandestine dans son placard

Après avoir découvert Éric Faye avec son journal japonais, Malgré Fukushima, j'avais envie de lire d'autres ouvrages de cet auteur voyageur et curieux du Japon.
Nagasaki est un court roman qui a reçu le prix de l'Académie française en 2010. L'auteur s'est inspiré d'un fait divers qu'il a découvert dans la presse japonaise en 2008 : un homme finit par soupçonner que quelqu'un s'introduit chez lui en son absence. Pour en avoir le cœur net, il place une caméra pour surveiller sa cuisine à distance, de son bureau. Une silhouette féminine apparaît !
Au-delà du fait divers qui aurait pu se dérouler n'importe où ailleurs qu'à Nagasaki, Éric Faye imagine ce qui se passe dans l'esprit de l'homme (perturbé par cette intrusion, il ne se sent plus chez lui) et de la femme qui vivait clandestinement chez lui depuis un an : pourquoi et comment elle (en) est arrivée là.
Il part de cette histoire particulière pour développer une réflexion universelle sur la solitude, l'intimité, les lieux de l'enfance et ceux qu'on habite et qu'on partage parfois, l'imprévu qui surgit dans une vie apparemment sous contrôle.
Un roman aussi bref que sensible.

Éditions J'ai lu, 2011, 96 pages.

jeudi 18 septembre 2014

Passé recomposé

Jean Meckert (également connu sous divers pseudonymes, notamment Jean Amila comme auteur de nombreux polars) signait, avec Comme un écho errant, un roman autobiographique, inspiré de son expérience d'amnésie.
Suite à une agression, il perd une partie de sa mémoire et n'a que des images fugitives. De son travail d'auteur il ne garde rien, même en relisant ses propres livres. Il est même incapable d'écrire dans les premiers temps. Par contre, des souvenirs d'enfance sont plus vivaces et c'est l'occasion de revenir sur cette époque fondatrice et sa famille. Sa sœur s'emploie activement à lui rafraîchir son passé. Il évoque également sa mère suicidaire et son père fusillé à la guerre de 14 — un mystère qui cache un secret révélé en fin d'ouvrage.
Le roman avait été refusé par Gallimard en son temps car jugé trop hybride alors que c'est justement ce qui fait son intérêt : un livre exceptionnel, une tentative de recomposer le passé qui part en brioche avec une écriture râpeuse, directe et désemparée.

Éditions Joseph K., 2012, 192 pages.

samedi 6 septembre 2014

Hercules des Trois Ponts : et de trois !

Charles Gobi est de retour avec un troisième roman, Hercules des Trois Ponts, où l'on retrouve les personnages hauts en couleurs de ses deux romans précédents : Bar de la Sidérurgie et Chemin des Prud'hommes.
Comme dans les deux premiers, un quartier méconnu de Marseille est à l'honneur et des super méchants se font dézinguer par des quidams qui ne paient pas de mine mais qui, armés jusqu'aux dents, ne se laissent pas marcher sur les pieds. Les deux nouveaux héros sont Hercules, un géant des collines, et Esprit, un nain des cités, dont la rencontre improbable va créer un duo très attachant. 
J'ai comparé Charles Gobi à un Tarantino marseillais dans une précédente chronique et, cette fois-ci, je pense aux films de Leos Carax : parfois dérangeants quand on les découvre, mais dont l'univers hors du commun laisse une trace dans la mémoire pendant longtemps.
On retrouve surtout la plume de l'auteur qui n'a pas sa pareille pour faire l'article :
"C'est noir comme une pète de chèvre et entièrement écrit en marseillais authentique sauf quelques mots en roumain (eh oui). Vous n'êtes pas obligé de l'acheter mais d'un autre côté s'il y a un contrôle du ministère de la Culture et que vous ne l'avez pas on va se moquer de vous pendant plusieurs générations. Vous pensez oh ben je m'en tape, moi... Oui ben et vos gosses qui seront montrés du doigt au caté, vous allez leur expliquer ça comment ?
Bref, réfléchissez-y à deux fois.
Ce livre superbe avec la couverture en couleurs et les pages écrites des deux côtés vaut 15 € de rien du tout.15 € c'est le prix de 15 à 20 baguettes.
Que feriez-vous de tout ce pain ?"
Et ça ne mange pas de pain de le découvrir.
Le livre est disponible par correspondance sur le site de l'auteur qui s'auto-édite (où l'on peut également lire des extraits) ou, pour ceux qui peuvent s'y rendre, dans la boutique Marseille in the box, tout près du Vieux-Port à Marseille.

* Voir mes chroniques des autres livres du même acabit de Charles Gobi :
- Bar de la Sidérurgie
- Chemin des Prud'hommes
- Hercules des Trois-Ponts
- Les Goudes, c'est de l'anglais...
- La grosse Janine
- Il est pas con, ce con ?

vendredi 5 septembre 2014

Agatha Christie, sa vie est un roman (graphique)

La célébrissime femme de lettres anglaise a écrit plus de soixante romans, cent cinquante nouvelles, une vingtaine de pièces de théâtre et deux autobiographies... car sa vie pleine d'aventures et de mésaventures est romanesque à souhait.
Un sujet rêvé pour les spécialistes de la littérature anglo-saxonne ou criminelle que sont les deux scénaristes, Anne Martinetti et Guillaume Lebeau, du roman graphique Agatha, La vraie vie d'Agatha Christie, dessiné par Alexandre Franc.
Le livre commence sur la mystérieuse disparition de la romancière qui a défrayé la chronique en son temps et qu'elle avait probablement elle-même mise en scène pour se venger de son mari volage (prétextant ensuite une perte de mémoire pour ne pas avouer). Le scénario revient ensuite sur les événements essentiels de sa vie : son enfance, ses débuts dans l'écriture, ses voyages, ses relations avec son mari, sa fille, son deuxième mariage, ses succès...
Agatha vit avec ses personnages de roman, notamment Hercule Poirot, qui vient la hanter dans ses moments de solitude et de réflexion.
Et dire qu'elle a commencé à écrire pour gagner un pari avec sa sœur !

Éditions Marabout, Collection Marabulles, 2014, 124 pages.

mercredi 3 septembre 2014

De Marcel à Proust

Comment Marcel devient Proust - Enquête sur l'énigme de la créativité est un essai passionnant qui réjouira les lecteurs de La recherche.
Thierry Marchaisse nous éclaire sur la construction sous-jacente de l'œuvre et son aspect philosophique et dogmatique.
En effet, d'après sa correspondance, Proust avait, dès le départ, une idée précise de la structure de son œuvre mais s'est sans cesse efforcé d'en gommer tous les signes, dressant même des paravents pour mieux la cacher au fil de l'œuvre.
Pour mieux nous révéler cette dimension cachée, Thierry Marchaisse use d'outils modernes, comme la figure de Joseph Jastrow (qui représente à la fois un lapin et un canard selon comment on la regarde) ou le ruban de Möbius. Il attire également notre attention sur ce qui a déclenché l'écriture chez Proust (le passage à l'acte après la procrastination du narrateur) et comment il s'y prend.
Il résume La Recherche en ces termes :
"Où l'on apprend comment le narrateur de cette œuvre est devenu son auteur et surtout comment, en démontrant par là même une vérité philosophique majeure, il a réalisé ainsi, contre toute attente, le rêve de sa vie comme la nature de sa vocation."
Et encore plus simplement en quatre mots : Comment Marcel devient Proust.

Éditions Epel, 2009, 130 pages.

mercredi 27 août 2014

Deux sœurs

Revoilà la sympathique Joyce Maynard avec un nouveau livre traduit et publié par son éditeur français, Philippe Rey. Après ses autobiographies Et devant moi, le monde et Une adolescence américaine, c'est avec le roman L'homme de la montagne qu'on retrouve son style enjoué, apparemment spontané, sans façon, et tellement juste et profond, cru à l'occasion.
Le sujet n'est pas léger : inspiré d'une histoire vraie à propos d'un tueur en série. Contrairement à ce que laisse supposer le titre, il s'agit avant tout de l'histoire de deux sœurs, très proches et livrées à elles-mêmes, et de leur relation à leur père, inspecteur de police chargé de l'enquête pour retrouver le criminel — ce qui donne lieu à de magnifiques portraits.
Et comme on sent le danger planer, annoncé dès le début, on est tenu en haleine et on ne lâche plus le livre jusqu'aux remerciements en fin d'ouvrage...
Rebondissements, histoires dans l'histoire : belles surprises en série.

Éditions Philippe Rey, 2014, 320 pages. 

dimanche 24 août 2014

L'expérience Josipovici

Lire un livre de Gabriel Josipovici, c'est vivre une expérience.
Dans Moo Pak, le narrateur rapporte ses conversations avec son ami écrivain Jack Toledano, lors de promenades à travers Londres. On n'a pas l'impression de passer du coq à l'âne et pourtant, comme dans une discussion d'un seul tenant, à bâtons rompus, on passe d'un sujet à l'autre sans presque s'en rendre compte. Il est beaucoup question de langage, d'écriture, de littérature (Kafka, Dante, Homère, Proust, Swift...), de livres en train de s'écrire, et autres façons de vivre...
"Il est très difficile d'écrire quand on est seul, dit-il. On se demande en permanence pourquoi on le fait et si, comme moi, on est profondément méfiant de la notion d'inspiration et de la notion que l'on a quelque chose à dire au monde, alors la tentation de se tourner vers quelque chose qui en vaudrait évidemment davantage la peine est très grande. D'autre part, dit-il, il est presque impossible d'écrire quand on n'est pas seul."
Je ne dévoilerai rien de la fin, magistrale, et qui fait que ce livre existe et qu'il est unique.

Quidam éditeur, 2011, 192 pages.
En France, une grande partie de l'œuvre de Gabriel Josipovici est publiée par Quidam Éditeur.

Lire aussi mes chroniques sur :
- Tout passe ;
- Goldberg : Variations ;
- Infini - l'histoire d'un moment.

samedi 16 août 2014

Voyageur enthousiaste au Japon

Faute de voyager au Japon, j'ai suivi avec plaisir, dans Malgré Fukushima - Journal japonais, le séjour qu'Éric Faye a effectué au Japon pendant quatre mois d'été et d'automne 2012, sillonnant l'archipel du nord au sud, avec pour camp de base la villa Kujoyama à Kyoto. Il faisait partie des derniers lauréats avant la restauration des lieux et sa réouverture en septembre prochain.
Dans la tradition japonaise des notes de chevet initiées par Sei Shōnagon (qu'il cite en exergue), son journal au style vivant est agrémenté de photos — trop petites, elles mériteraient une édition spéciale —, d'anecdotes et d'informations. Un esprit curieux et délicat.
"Voyer m'intrigue. Je viens d'atteindre les quarante-neuf ans avec toujours le même enthousiasme pour l'ailleurs. Dans quel but est-ce que je voyage ? Je l'ignore. Par habitude ? Les habitudes ne procurent pas autant de joies. Les habitudes rassurent. Voyager est tout autre chose. Autant le fait de vouloir voyager m'intrigue, autant la vie sédentaire m'est insupportable. Peut-être suis-je ainsi fait que je n'ai d'autre choix que de changer de lieu régulièrement, pour rompre avec l'impression que rôde autour de moi une petite mort."

Éditions José Corti, 2014, 160 pages.

dimanche 3 août 2014

Ode à la vie, ode à la poésie !

Il y a longtemps que je n'avais pas vu une comédie aussi charmante, rafraîchissante et drôle : le film Maestro de Léa Fazer, hommage à Éric Rohmer et Jocelyn Quivrin qui devait initialement réaliser le film, inspiré de sa propre expérience.
Un acteur foufou (irrésistible Pio Marmaï), plus intéressé par les films à gros cachets, les belles voitures et les jolies actrices, se retrouve sur le tournage des Amours d'Astrée et de Céladon, le dernier film du maestro (magistral Michael Lonsdale), passionné de poésie et de textes classiques. Le choc des cultures crée l'effet comique tout au long du film. Au fur et à mesure, cette rencontre s'avèrera bouleversante et décisive — initiatique — dans la vie du jeune comédien qui découvre un autre art de vivre.
Comme dit le personnage de Michael Lonsdale : "La poésie, il n'y a rien à comprendre, il faut la sentir, la vivre et... il faut avoir été malheureux en amour, peut-être."
Voilà un film désopilant qui donne envie de se laisser traverser par la mélancolie et la délicatesse, de lire ou relire les grands classiques, les poèmes de Verlaine et surtout de revoir les films de Rohmer...


mercredi 23 juillet 2014

Le sang de la grenade

Aki Shimazaki est une écrivain japonaise qui vit à Montréal. Elle revisite l'Histoire du Japon et ses périodes troubles, parfois passées sous silence, où les blessures de milliers d'hommes et de femmes sont restées ouvertes. Imbriquées les unes dans les autres, ses histoires — au style simple, concis et délicat — sont prises dans des mystères et des secrets qui se dévoilent peu à peu.
Elle procède par pentalogies (série de cinq romans) qu'il n'est pas nécessaire de lire dans l'ordre des tomes. Après Le Poids des secrets (lire ma chronique), voici Au cœur du Yamato.
J'ai commencé la lecture de cette série par Zakuro (qui signifie grenade), sensé être le tome 2. Un homme n'est pas revenu des camps de Sibérie et sa famille le croit disparu. Pourquoi ne serait-il pas rentré ?

À suivre...

Éditions Léméac / Actes Sud, Collection Babel n° 1143, 2014, 144 pages.

samedi 12 juillet 2014

Jungle Fever

Il faut beaucoup aimer les hommes, de Marie Darrieussecq, est une histoire de passion et d'attente jusqu'à l'insoutenable, de déroute et d'impasse. C'est un pléonasme de parler de passivité, d'obsession ou d'excessivité pour une passion. Quand on sait que le titre est extrait d'une phrase de Marguerite Duras, dans La Vie matérielle : "Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter", voilà qui donne le ton et inverse presque le sens de cette injonction.
La quatrième de couverture annonce brièvement et magistralement la couleur (si je puis dire) avec une question :
Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. L'homme est noir, la femme est blanche. Et alors ?
Et alors ? La question de la couleur — et ses idées reçues sur les couples "mixtes", les Noirs et l'Afrique (dont le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar) —, est essentielle, derrière la fameuse Jungle fever (un terme péjoratif).
C'est l'histoire de ce coup de foudre, de cette rencontre d'une telle intensité qu'elle va changer la trajectoire d'une femme blanche, une actrice française qui vit à Hollywood, vers l'univers d'un homme noir et de sa grande idée, son grand projet : la réalisation du film Au cœur des ténèbres, en plein Congo.
Son obsession à lui, c'est le film ; son obsession à elle, c'est lui. Donc elle le suit au bout du monde. À l'instar de Apocalypse Now, on s'attend aux pires conditions de tournage dans la torpeur de la forêt africaine, qui sera finalement celle du Cameroun.
Le roman s'ordonne comme un film en DVD avec un générique, une fin (The End, comme on dit au cinéma) et des bonus, qui n'ont rien d'anodin. Le tout premier paragraphe ouvre la voie dans la forêt du livre :
"On prend la mer et on atteint un fleuve. On peut prendre un avion, je ne dis pas. Mais on atteint un fleuve et il faut entrer dans le fleuve. Parfois il y a un port, et des grues, des cargos, des marins. Et des lumières la nuit. Un port sur la part de delta habitable. Ensuite, il n'y a personne. Seulement des arbres, à mesure qu'on remonte le fleuve."
Éditions P.O.L, 2013, 320 pages.

vendredi 4 juillet 2014

Bref, voici Brèves

Brèves est la revue pionnière de la nouvelle en France, qui a pour sous-titre "anthologie permanente de la nouvelle".
Elle publie des nouvelles, bien sûr, d'écrivains reconnus ou inconnus, des dossiers ou des numéros spéciaux sur un auteur, un thème ou un pays particulier, mais aussi des entretiens, des actualités sur la vie littéraire et éditoriale, des critiques des parutions...
Passionnant.

Voici un extrait de Bref éloge de la nouvelle de Michel Lamart, paru dans le n° 103 :
"Une nouvelle réussie, c'est un texte auquel on ne peut rien supprimer sans qu'il perde son sens. Et, de là, son impact. Si l'efficacité romanesque est liée à la rigueur du style, sinon à la brièveté, on conviendra que le nouvelliste n'a pas d'autre cahier des charges à respecter. Accrocher le lecteur sans l'ennuyer : préoccupation majeure !"