dimanche 26 mars 2023

Supplément d'âme en kaléidoscope

La narratrice est chargée d'écrire une brève notice sur Barbara Loden et son unique film, Wanda, pour un dictionnaire de cinéma. Mais la mystérieuse histoire de cette actrice-réalisatrice l'intrigue au point de vouloir en savoir davantage. Cela devient obsessionnel au point de devenir une véritable enquête — difficile et empêchée, comme si personne ne voulait en parler — qui deviendra le livre de Nathalie Léger : un journal de notes, Supplément à la vie de Barbara Loden.
En tout, cinq trajectoires de femmes font l'effet de miroirs et de projections où la vie réelle se superpose, en léger décalage, et inspire la création. Un road movie en cache un autre, avec chaque fois un double fond de fascination et d'identification.
En premier lieu, la vie de Barbara Loden touche la narratrice qui analyse son film et part sur ses traces aux États-Unis, dans le peu d'archives auxquelles elle a accès et auprès de personnes qui l'ont connue et veulent bien la rencontrer. Elle va même jusqu'à vouloir retrouver les lieux de tournage du film. Quelque chose fait écho à sa propre histoire et à celle de sa mère — un moment de flottement suite à son divorce.
Barbara Loden, elle-même, s'est inspirée d'un fait-divers qui n'est jamais précisément mentionné mais que Nathalie Léger retrouve à force d'éplucher la presse américaine. Il s'agit d'Alma Malone qui a été complice d'un hold-up raté et écope de vingt ans de prison. Elle remerciera le juge pour sa condamnation, comme si l'enfermement allait pouvoir contenir son errance.
Barbara Loden est frappée par son histoire et dira que Wanda, c'est elle. Bien sûr, c'est elle qui incarnera le personnage dans son propre film.

Résumons. Une femme contrefait une autre écrite par elle-même à partir d'une autre (ça, on l'apprend plus tard), jouant autre chose qu'un simple rôle, jouant non pas son propre rôle, mais une projection de soi dans une autre interprétée par soi-même à partir d'une autre.

On peut voir dans le personnage de Wanda une gloire, comme le pensait Marguerite Duras, ou comme une pauvre fille passive qui agacera les féministes. Il est vrai qu'elle a l'art de se laisser porter par le vent, vide, mélancolique, sans envie, dépersonnalisée, quitte à s'obstiner dans des relations risquées. Il suffira que quelqu'un, enfin, lui dise qu'elle est quelqu'un pour qu'elle résiste enfin.
Et c'est aussi tout le travail d'actrice de se glisser dans l'histoire des autres et tout le travail d'écriture de tout réinventer, remettre à plat, donner à voir des suppléments, ici pour prolonger la chaîne de Barbara Loden.

POL, 2012, 160 pages.

samedi 25 mars 2023

Cultivez votre lien à la nature

La vie urbaine est stressante.
L'air est pollué.
Les bruits sont incessants.
Comment ralentir et s'apaiser ?
Charlène Gruet, dans Vivre la nature en ville, nous invite à nous relier à tout ce qui est vivant en ville pour une meilleure santé physique et psychologique.
Pas la peine d'attendre le week-end : la nature est partout, dans les parcs mais aussi au coin de la rue.
Partez l'explorer et bénéficiez de ses bienfaits avec l'aide de ce guide qui fourmille d'idées, d'activités et de petits exercices pour vous faire du bien.
Marcher, rêver, respirer, écouter, sentir, observer, dessiner… autant d'expériences sensorielles pour ressentir l'écosystème qui nous entoure.
Des professionnels ou spécialistes témoignent aussi de leurs liens avec la nature et comment ils l'intègrent en ville pour le bien commun.
Et bien sûr, pour ajouter encore du sens, il faut s'engager et agir pour une ville-nature : plus vivante, plus agréable et donc meilleure pour la santé.
 

Éditions Ulmer, 2021, 160 pages.

Quelle nature ?

Baptiste Lanaspeze est auteur et éditeur. Il a également participé à la création du GR2013, le premier des Sentiers Métropolitains du monde, dont l'objectif est de renouveler la pratique de la randonnée urbaine et de permettre une connaissance intime des villes.
Il raconte dans ce petit livre, Nature, ce qui l'a amené à créer sa maison d'édition Wildproject, en 2009 à Marseille, pionnière sur les questions d'écologie.
Une centaine d'ouvrages ont été publiés, dont ceux de Rachel Carson, Kinji Imanishi, Carolyn Merchant, Wendell Berry, Baptiste Morizot… À l'origine, « 
le propos était de rénover l'idée de nature », écrit l'éditeur.
Plus de douze ans plus tard, il se demande si on peut encore parler de « nature ». Quelle nature ? De quel point de vue ? Qu'entendait-on par nature depuis des siècles ? Et aujourd'hui ?
U
n cheminement et une réflexion éclairante à la croisée de la philosophie, de la politique, de l'histoire, de la psychologie…

Éditions Anamosa, collection Le mot est faible, 2022, 104 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n° 35 du magazine Sans Transition !

Les semailles et la passion

Les bons plans d'Élise, Révélez la semeuse ou le semeur citoyen qui sommeille en vous !
est l'histoire d'une citadine, Élise Goulhot, qui s'engage dans l'écologie, puis dans une reconversion professionnelle.
La voilà productrice de plants de légumes bio en Normandie. C'est sa passion, son enthousiasme et ses bons plan(t)s qu'elle partage dans ce livre.
Elle nous parle du monde agricole d'hier et d’aujourd’hui, et de la place qu'il faut se faire en tant que nouveau venu, et surtout en tant que femme.
Pour Élise, si elle a réussi, c'est que tout le monde peut le faire. Et que chacun peut faire sa part.
Voilà un guide très pratique où tout est expliqué de A à Z, et qui se lit avec plaisir : l’autrice écrit avec simplicité et une belle verve.
Elle raconte plein d'histoires, évoque ses combats et débats philosophico-écolo, glisse quelques précisions scientifiques.
Et elle prouve qu'avec juste quelques graines bien choisies, un peu de terreau et des pots, on peut faire beaucoup !
Et pourquoi pas semer en grand ?

Tana éditions, 2022, 192 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n° 35 du magazine Sans Transition !

vendredi 24 mars 2023

Sauver un arbre, en sauver mille

Les éditions CotCotCot créent une nouvelle collection, nommée Combats, destinée aux jeunes de 9 à 12 ans, sur des questions d'économie, d'écologie, de société… pour construire demain. Ce sont de jolis petits livres cousus au graphisme soigné.
Dans
Mille Arbres
de Caroline Lamarche et Aurélia Deschamps, deux enfants s'engagent et résistent à leur manière auprès des riverains pour sauver un vieux tilleul et toute une vallée contre un projet d'autoroute qui va défigurer le paysage et nuire aux habitants, dont les nombreux animaux.
Une postface sur les ZAD ou zones à défendre (expression qui détourne l'acronyme officiel « zone d’aménagement différé ») met en contexte le roman et ouvre le propos vers des questions d'actualités sur l'engagement, la sauvegarde de l'environnement, le droit des populations locales à définir l'avenir de leurs territoires.
Instructif et constructif.

CotCotCot éditions, 2022, 80 pages.

Cette chronique est initialement parue dans le n° 35 du magazine Sans Transition !

jeudi 23 mars 2023

À la recherche de la biodiversité

Où se cache la biodiversité en ville ? ou 90 clés et questions pour comprendre la nature en ville.
C'est ce que proposent les auteurs,
professeurs au Muséum national d'histoire naturelle et spécialistes de la biodiversité urbaine, Philippe Clergeau et Nathalie Machon.
Ils consacrent leurs recherches à l'installation d'une biodiversité dans les projets d'urbanisme (bâtiments végétalisés, trames vertes urbaines), à l'écologie des populations et des communautés végétales en ville et aux moyens de mieux les préserver.
Parmi les 90 clés : où se trouve la biodiversité, avec quelles espèces animales et végétales, qui sont les indésirables, pourquoi planter des arbres en ville, lesquels, quelles sont les plantes sauvages les plus courantes, quels animaux sauvages migrent en ville, comment s'adaptent-ils, et comment gérer certains envahissements, etc.
Si la nature en ville procure aux humains de nombreux bienfaits, elle offre aussi à certains animaux de nouveaux refuges.
Un petit guide foisonnant et passionnant.

Éditions Quae, 2022, 168 pages.

Cette chronique est parue dans le n° 34 du magazine Sans Transition !

Songes et jungles malgaches

Marie Ranjanoro, dont la nouvelle Les Époux a été publiée dans la revue Kanyar et la nouvelle La Vieille dans la revue L'Ampoule, signe un premier roman envoûtant : Feux, fièvres, forêts.
Son écriture poétique nous entraîne sur les traces de destins croisés à Madagascar vers 1947.
D'une part, deux très jeunes filles quittent leur village perdu dans la forêt et suivent leur destin vers la ville, de transes en traversées de la réalité.
En parallèle, il y a l'histoire du lieutenant Pierre Gallois d'Haurousse, au caractère imprévisible et trouble, qui est envoyé dans la Grande Île pour capturer une cheffe insurgée.
Il est escorté par un tirailleur sénégalais dont l'humanité transcende l'histoire.

Ce que je vais dire ici, je ne sais pas si je m'en souviens ou si on me l'a raconté. Mais le souvenir, je le vois, comme je vous vois, je l'entends, comme je vous entends, et je crois aussi sentir l'odeur du bois, du sisal tressé et de la sueur. Un souffle soulève la poussière. Dans la maison, on entend un râle continu et les murmures des femmes. Toujours, je me suis réveillée et endormie au son de leurs voix. Comme un fil que rien ne rompt jamais, ce son accompagne chaque instant de ma vie. Il fait sombre dans la maison. Il fait lourd, et comme un air palpable. Ici, et dans toutes les maisons, la seule lumière c'est un grand carré blanc qu'on ouvre et qu'on ferme et qui bruit des choses du dehors. La pénombre est silence, et la lumière est bruit. Ce sont aussi des milliers d'étoiles percées entre les palmes du toit.

L'autrice crée un univers fiévreux, aux confins de la magie et de la sorcellerie des contes et légendes, en lien avec l'histoire malgache et française, avec des thèmes très contemporains comme le féminisme et les rapports dominants-dominés.
Un roman d'une grande poésie où l'on plonge en retenant son souffle.

Laterit éditions, 2023, 230 pages.

La magnifique couverture appelle à la fois le pelage d'un animal ou une forêt vu d'avion. C'est un détail de l’œuvre d'Ambi, une artiste malgache engagée contre la déforestation : Brûlures sur soga (20 x 30 cm).