samedi 19 janvier 2013

Elle répare et elle repart

On a l'impression d'avoir déjà lu cette histoire qui ressemble à tant d'autres, et pourtant, elle est si particulière que je n'ai pas lâché le livre tant que je ne l'ai pas fini. Colombe Schneck, la sympathique chroniqueuse littéraire de France Inter (entre autres), raconte, dans La réparation, un secret de famille qu'elle finit par percer. Une quête que beaucoup entreprennent car, tant que les fantômes ne sont pas réhabilités, ils hantent les vivants. Or, un secret cache leur existence et leur mort : une trop grande douleur empêche d'en parler aux descendants, et l'inconscient familial travaille dans l'ombre. Il faut souvent attendre plusieurs générations avant qu'un membre de la famille soit prêt à faire toute la lumière. Connaître leur vie et leur donner une place dans la famille, leur permet d'exister enfin, même absents.
Colombe Schneck s'est confrontée à l'indicible. Elle raconte et tente de comprendre le parti-pris d'un choix impossible et d'un sacrifice : l'horreur et la mort contre l'amour et la vie. Finalement, le récit de Colombe — un prénom prédestiné pour la paix — est lumineux et positif : elle répare, en quelque sorte, et elle repart.

Éditions Grasset, 2012, 224 pages.

vendredi 18 janvier 2013

"J'aime regarder les filles"

Nancy Huston, dans Reflets dans un œil d'homme, porte un regard différent sur le regard des hommes sur les femmes, et comment celles-ci se sentent regardées.
Elle dérange les idées reçues sur la question de la femme occidentale libre ou libérée quand, dans le même temps, les industries des cosmétiques et de la chirurgie esthétique, ainsi que celle de la pornographie, ne cessent d'augmenter. Il y a un paradoxe troublant entre la montée du féminisme et l'invention de la photographie qui a multiplié les images des femmes en se focalisant sur certaines. Entre la mannequin et la putain, où est passée la mère ?
On en oublierait que — contrairement à ce qu'affirmait Simone de Beauvoir — on nait femme, et on le devient encore plus ! Il y a, bel et bien, une différence des sexes. Nancy Huston constate :
"Mais pour atteindre à quelque chose comme une vraie entente entre les sexes, il faudrait cesser de percevoir comme "universels" les comportements masculins (multiplication des partenaires sexuels, survalorisation de la puissance, de la concurrence, de la solitude et de l'autonomie), et de passer sous silence le fait que ce sont les mâles de notre espèce qui, de façon prépondérante, font la guerre, les films et les jeux vidéo, dirigent les banques, les entreprises et les gouvernements... et sont les acteurs exclusifs de 90 % de nos actualités."
Et plus loin encore :
"En d'autres termes, on doit certes faire tout ce qui est en notre pouvoir pour atténuer certaines différences entre les sexes ; mais, pour y parvenir, il faudrait mettre les hommes à l'école des femmes et pas seulement l'inverse."
Une lecture indispensable, pour tous et toutes.

Éditions Actes Sud, 2012, 320 pages.

Lire aussi la chronique sur L'espèce Fabulatrice.

jeudi 17 janvier 2013

Littérature versus Actualité

L'inactualité. La littérature est-elle de son temps ? est un ouvrage collectif écrit par une trentaine d'enseignants-chercheurs en littérature de l'université Jean Moulin de Lyon, sous la direction de Gilles Bonnet. Explorant les œuvres de nos contemporains mais aussi des classiques — Artaud, Barthes, Bergougnioux, Bouvier, Flaubert, Gide, Michon, Modiano, Stendhal... — les multiples possibilités sont approchées et commentées, de ceux qui semblent bien ancrés dans leur temps, jusqu'à ceux qui font presque office d'inadaptés, voire d'anachroniques.
Mais qu'est-ce qu'écrire ? C'est parfois "choisir de s'éloigner, de rester seul, de ne pas participer à son temps", mais ce faisant n'est-ce pas, au contraire, laisser une trace pour l'avenir, poser un regard contemporain, ici et maintenant, sur une histoire collective ou personnelle en évolution où se télescopent tous les temps ?
Des analyses passionnantes sur une question aux mille facettes, dont les écrivains sont ici le sujet mais qui renvoie forcément à nos interrogations, comme : de quoi et de qui sommes-nous contemporains ?   

Éditions Hermann, 2013, 317 pages.

dimanche 13 janvier 2013

Tout lecteur est un prince charmant

La collection "Le goût de..." aux éditions Mercure de France rassemble des anthologies de textes sur un thème ou un lieu géographique, ville ou pays. Ils font découvrir ou redécouvrir. Ils donnent envie de lire les textes entiers. Ils donnent aussi le goût de revoir ou aller voir de plus près la ville en question : Barcelone, Antibes ou Venise...
Dans Le goût de la lecture, tout lecteur se délectera et se reconnaîtra dans les évocations des écrivains cités. Les textes sont choisis et présentés par Michèle Gazier qui commente :
"On lit pour s'oublier, pour se retrouver. On lit avec sa vie, ses humeurs, sa rage, sa tristesse, son complexe. On lit des livres qu'ont écrits des écrivains mais que notre regard réinvente. Lire c'est réveiller la princesse endormie. Tout lecteur est un prince charmant."
Éditions Mercure de France, Collection "Le goût de...", 2010, 112 pages.  


dimanche 6 janvier 2013

Je vais relire Proust

On peut dire "C'est très bien fait", justement, à propos de Je vais passer pour un vieux con et autres petites phrases qui en disent long de Philippe Delerm. Tout est résumé dans le titre : l'auteur y analyse avec humour des expressions qui sous-entendent une situation particulière comme la précautionneuse "Je vais passer pour un vieux con" ou la redondante  "Vous n'avez aucun nouveau message" ou l'hypocrite "Et puis je vais vous faire une confidence"... j'en passe et des meilleures, jusqu'à "Je vais relire Proust".
À ce propos, Marcel Proust est l'auteur d'un texte succulent, Sur la lecture, qui était une préface pour sa traduction de Sésame et les Lys de John Ruskin. Les lecteurs, occasionnels ou férus, savoureront ce texte court qui permettrait d'aborder Proust sans s'affoler devant l'épaisseur d'un volume de La Recherche. Il commence par :
"Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré."
Il y a longtemps que je voulais parler de ce petit livre de Marcel : merci Delerm de m'avoir tendu la perche !
"C'est vraiment par gourmandise".

Éditions du Seuil, 2012, 144 pages.