lundi 26 octobre 2020

Métissage et tissage de mère en fils

Il y a des auteurs qui semblent écrire toujours le même livre. Ce n'est apparemment pas le cas de Philippe Annocque. Pourtant, d'après ce que je connais de son œuvre*, des passages souterrains se faufilent d'un livre à l'autre, notamment dans l'exploration du thème de l'identité ou dans la recherche de formes d'écriture originales, l'air de rien.
Par exemple, Les Singes rouges ont un lien de parenté avec Mon jeune grand-père, où l'auteur relisait et commentait les cartes envoyées par son grand-père paternel lorsqu'il était prisonnier de guerre. Dans Les Singes rouges, il rapporte des souvenirs d'enfance et de jeunesse de sa mère, en Guyane et en Martinique. Ce qui est particulièrement intéressant est sa façon de faire le lien avec sa propre histoire, de mêler ses propres souvenirs, réflexions et commentaires, n'hésitant pas à glisser de l'intertexte dans le texte en train de s'écrire.

Il ne peut pas vraiment le garder mais il ne pouvait pas l'effacer complètement non plus. On n'efface pas les souvenirs des enfants qui font des galipettes.

Il en résulte un savant et réjouissant tissage de niveaux de lecture, avec beaucoup d'humour, de délicatesse et de fantaisie. Malgré cela, le texte reste d'une apparente simplicité : un enfant pourrait le lire ou l'écouter, comme on lui raconterait des anecdotes de famille. J'y retrouve parfois quelques accents durassiens (bien que l'auteur dise ne pas l'avoir lue). 
Les titres des courts chapitres sont à l'infinitif, un mode non conjugué, sans temps ni pronom personnel, mais qui tend vers l'universel.
Curieusement, alors que le narrateur semble très proche de l'auteur — voire est la même personne puisque le texte est autobiographique —, il n'emploie pas la première personne du singulier, mais la troisième, une façon de prendre du recul, de la distance, de se dédoubler et se travestir en personnage de livre. On retrouve le jeu sur le dédoublement dans Élise et Lise, et le jeu sur les pronoms personnels dans le remarquable Liquide écrit à la personne zéro.
Les chutes des chapitres créent la surprise, résonnent en nous et invitent à la réflexion. Ils donnent envie de s'attarder sur ce que soulève le court chapitre. N'est-ce pas le propre de la poésie ou de la philosophie ?
Ce texte est un bijou de littérature. On se laisserait emporter encore pendant des centaines de pages et j'aurais encore beaucoup à en dire. Lisez Annocque !

Quidam éditeur, 2020, 172 pages.

 * Lire aussi :
- Liquide
- Pas Liev
- Elise et Lise
- Vie des hauts plateaux
- Notes sur les noms de la nature
- Seule la nuit tombe dans ses bras

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