Ce conte contemporain pour adultes aurait pu débuter par Il était une fois... ou plus précisément par Il était deux filles, Élise et Lise... car c'est une histoire de double je, de jeux de reflets presque identiques, légèrement déformants. Les deux prénoms se ressemblent tellement, les deux jeunes filles sont si proches, si inséparables, presque interchangeables... Elles font l'effet de vases communicants qui jouent sur la confusion des deux personnages. Quand la sororité résonne avec porosité, on ne sait plus qui est qui, qui manipule qui.
Bien sûr, avant tout c'est l'auteur qui mène en bateau le lecteur par un dispositif impressionnant.
Une ritournelle énigmatique revient régulièrement, intrigante, lancinante, finalement angoissante.
Élise prend l'air. L'air prend Élise. Tout cet air, ce souffle qui la traverse. Élise ne comprend pas. De quoi a-t-elle peur ?Et nous, de quoi avons-nous peur ?
L'auteur joue sur la fascination dans les contes — et dans la vie — de certains personnages pour d'autres dont la place leur est enviable, sur l'ascendant insidieux dont certains usent pour hypnotiser, envoûter leur proie.
Luc, le prince pas si charmant, est sous le charme — maléfique ou pas ? — des deux filles.
Parmi les autres personnages, Sarah, une sorte de double de l'auteur, est aussi une observatrice et apporte de l'eau au moulin de l'histoire, avec des éléments théoriques faisant référence notamment à La morphologie du conte de Vladimir Propp, mais aussi à Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim. Il est question des doubles dans les contes mais aussi chez les auteurs de contes (qui ne sont que des rapporteurs et pas vraiment des auteurs), Grimm et Perrault, dont les premiers sont des frères et le second aurait utilisé le nom de son fils.
Bref, je m'emballe, je m'emballe, mais tout cela n'est peut-être que le fruit de mon imagination car comme l'écrit Philippe Annocque : "On n'est jamais sûr de rien."
Chacun se racontera sa propre histoire, trouvera ses propres clefs et ouvrira ses propres tiroirs en lisant ce conte qui propose une multitude de pistes et de fenêtres mais nous laisse dans le doute, face à notre propre reflet dans l'histoire. À tel point qu'à la fin, il faut reprendre la lecture, la relire sous un autre angle, avec une autre inclinaison du miroir. Voilà la spirale infernale.
Décidément, Philippe Annocque est un magicien des mots et des histoires, un diabolique conteur.
Quidam éditeur, 2017, 136 pages.
Sur le même auteur, lire aussi mes chroniques :
- Pas Liev ;
- Liquide ;
- Vie des hauts plateaux.
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