Emmanuel Gédouin |
Emmanuel Gédouin écrit des nouvelles depuis qu'André Pangrani le lui a proposé pour la revue Kanyar fondée en 2012. Et depuis, il publie dans chaque numéro. Il était temps de l'interroger sur sa rencontre avec André, sa façon d'écrire, son goût pour le roman noir, Jim Jarmusch, Paul Auster... et ses sources d'inspiration.
Depuis quand écris-tu en général et des nouvelles en particulier ?
Je
pense que j'écris plus ou moins depuis une vingtaine d'années. J'ai
commencé par des microfictions, des petites choses que j'ai égarées
depuis dans des tiroirs ou des ordinateurs dont j'ai oublié les mots
de passe. Il en avait une que j'aimais bien, une page pas plus, un
gars qui faisait le plein en pleine nuit sur une l’aire d'autoroute
des Deux caps près de Calais. Une rencontre lunaire derrière un
hygiaphone entre un pompiste et un automobiliste fatigué. Une
situation à la Jim Jarmush, influence majeure !
Emmanuel est publié dans tous les Kanyar. |
On
habitait le même immeuble dans le 20e [arrondissement de Paris,
NDLR], on se croisait dans les escaliers, bonjour, bonjour. Et puis
un soir, ça devait être une fête des voisins, on a terminé les
bouteilles ensemble et on a refait le monde. On a parlé livres et
films, je lui ai dit que j’écrivais un peu, il m'a demandé de lui
envoyer un texte et il a trouvé ça bien. Je n’avais jamais rien
publié donc ça été un petit choc quand il m’a demandé d’écrire
pour Kanyar. Génial. Pas de sujet, pas de format précis,
vas-y, fais-toi plaisir. Là j’ai écrit Nationale 4,
l’histoire d’un gars qui doit ramener sa voiture de société au
siège de sa boîte avant de se faire virer, l’occasion pour lui de
se pencher sur sa vie et ses échecs.
Qu’est-ce
qui t’a intéressé au départ ?
Au
départ pour être honnête j’étais juste flatté qu’on puisse
trouver mon écriture intéressante. J’avais écrit un roman que je
trouvais pas trop mal (je le trouve nul maintenant !) et je
m’étais fait remballer par les maisons d’édition même si
j’avais reçu quelques retours plutôt sympa et quelques avis très
positifs de mon entourage. Mais j’avais pris un petit coup sur la
tête quand même avec ces refus et j’avais dû ravaler mon
orgueil. André est arrivé, avec sa décontraction légendaire et il
m’a dit « mais non, c’est vachement bien ce que tu fais »,
donc après forcément j’étais prêt à le suivre ! Puis les
numéros se sont enchaînés gentiment, et mes nouvelles sont
toujours parues dans Kanyar.
Est-ce
que tu écris dans d’autres revues ? D’autres choses (romans,
poèmes, chansons, blog…) ?
J’ai
écrit trois romans qui sont restés dans un tiroir. Bourrés de
défauts, difficiles à relire. Si je suis honnête, j’en garde
deux qui, si je les retravaille, sont peut-être corrects. Le
troisième est tout pourri ! Je n’ai jamais écrit de poèmes
ni de chansons. Blog oui bien sûr, j’en ai tenu plusieurs. Le
premier était un projet, le Tour de mon nombril en 40 chansons.
Quand j’ai eu 40 ans je me suis penché sur ma vie musicale et j’ai
fait le Tour des 40 morceaux qui avaient le plus marqué ma vie.
L’occasion de raconter des anecdotes, de revisiter certaines
époques, d’évoquer des amitiés. Ensuite j’ai animé « Le
tour du nombril » pendant 4 ou 5 ans. J’y écrivais des
chroniques musicales, cinéma et surtout littéraires.
D’ailleurs,
je trouve dommage de ne plus te lire sur ton blog : manque de temps ?
de motivation ?
J’ai
fait le tour de la question je crois. Quelque temps avant que
j’arrête j’ai commencé à ressentir une vraie forme de
lassitude. Je lisais les livres en me demandant ce que j’allais
bien pouvoir écrire dessus, j’y prenais de moins en moins de
plaisir, j’avais l’impression de me répéter un peu…
Dur
à dire, je suis plutôt éclectique même si je rame un peu avec les
classiques que j’ai très peu lus. Je suis un lecteur fainéant et
dès que le terrain littéraire se durcit, dès que je sens que
l’effort est trop dur à accomplir, je refuse
l’obstacle. Balzac par exemple, je n’ai jamais rien lu. Proust,
j’ai commencé À la recherche… dix fois mais je ne suis
jamais allé au-delà de Combray.
Je
suis plutôt littérature contemporaine, je casse ma tirelire à
chaque rentrée littéraire, je lis un peu de polars aussi mais pas
tant que ça, du noir, j’adore le noir, pas mal de littérature
américaine, à peu près tout ce que sort Gallmeister. C’est Paul
Auster qui m’a donné envie de lire il y a trente ans, j’ai dû
étudier Moon Palace à la fac, j’ai totalement adoré et je
me suis à tout dévorer. Et puis je n’ai plus réussi à lire
pendant des années. Incapable de me concentrer, je relisais dix fois
les mêmes pages. Jusqu’au jour où c’est revenu, il y a une
quelques années. Et depuis je dévore.
Est-ce
que l’écriture de nouvelles a changé ta vision de l’écriture ?
Quels sujets t’intéressent ?
C’est
très paradoxal mais je lis peu de nouvelles. Disons que j’ai du
mal à en enchaîner la lecture. J’adore me plonger dans une
nouvelle mais il faut que je puisse la lire d’une traite, ne pas
être dérangé. C’est comme si tous les mots et tout ce qu’il y
a entre les mots comptait encore plus que dans un roman. Alors je
trouve ça épuisant à lire. Mais à la limite, c’est comme aller
à une expo. Si je tombe en arrêt devant un tableau, je lui donne
toute mon attention, il me prend tout et je n’ai aucune envie de le
laisser alors pour aller voir le suivant. Une nouvelle, si elle est
bien foutue, c’est un tableau, ou une photographie, une somme de
détails. J’envisage l’écriture d’une nouvelle comme une scène
de film, comme un décor à planter, je m’attache plus à dresser
le portrait de personnages en quelques descriptions, à ne pas
utiliser trop de mots, quelques traits pas plus. Le lecteur fait le
reste.
Maintenant
que tu as au moins 7 nouvelles à ton actif pour Kanyar, as-tu
remarqué des sujets de prédilection qui se dégagent et dont tu
n’avais pas forcément conscience avant ?
Ah
oui, c’est même en train de devenir un TOC dangereux ! j’aime
bien les personnages un peu paumés, en plein doute existentiel qui
se retrouvent loin de chez eux. J’aime bien les personnages bourrés
de failles, un peu au bord de la rupture, toujours prêts à prendre
la fuite. Pourquoi j’aime ça particulièrement ? cette
question me réveille parfois la nuit ! Je pense que j’ai
toujours aimé les lisières, les abords. Je n’ai jamais aimé être
au centre ni de l’attention ni du cercle. J’ai toujours été à
l’intérieur du cercle mais plus près des bords que du noyau. Pour
pouvoir m’en barrer en courant ? c’est déjà arrivé…
Je
ne sais pas répondre à cette question. Je ne sais pas comment les
idées arrivent ni comment je les transforme en scène puis en
histoires. La dernière, Nuit noire, est partie d’une
anecdote vécue au mois de septembre dernier. Je me suis retrouvé à
la porte de ma chambre d’hôtel à La Ciotat en pleine nuit sans
pouvoir entrer. Et j’ai erré dans Marseille comme une âme en
peine pendant quelques heures à la recherche d’une chambre libre
quelque part. Là je me suis dit que j’avais de la matière pour
débuter une histoire. Ce sont les lieux qui inspirent les histoires
la plupart du temps.
Immokalee,
c’est un bled paumé du centre de la Floride où je suis passé
plusieurs fois, cette année encore. Rien à voir de spectaculaire,
c’est plutôt moche mais c’est lent et tendu comme les gars qui
te regardent passer sur le bord de la route. Höfn en Islande,
pareil. Découvert en voiture, seul, au ralenti un jour de printemps
presque polaire. Je me suis dit qu’il y avait un côté western là-bas.
C’est toujours les lieux qui déclenchent les histoires. Même la
Nationale 4 entre Toul et Vitry-le-François !
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