lundi 4 décembre 2017

Un homme à vau-l'eau

Toute cette histoire, a repris le juge, c'est d'abord la vôtre.
Oui. Bien sûr. La mienne. Mais alors laissez-moi la raconter comme je veux, qu'elle soit comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit, parce que je n'ai pas comme vous l'attirail du savoir ni des lois, et parce qu'en la racontant à ma manière, je ne sais pas, ça me fait quelque chose de doux au cœur, comme si je flottais ou quelque chose comme ça, peut-être comme si rien n'était jamais arrivé ou même, ou surtout, comme si là, tant que je parle, tant que je n'ai pas fini de parler, alors oui, voilà, ici même devant vous il ne peut rien m'arriver, comme si pour la première fois je suspendais la cascade de catastrophes qui a l'air de m'être tombée dessus sans relâche, comme des dominos que j'aurais installés moi-même patiemment pendant des années, et qui s'affaisseraient les uns sur les autres sans crier gare.
Article 353 du code pénal de Tanguy Viel est un huis-clos dans le bureau d'un juge. Le narrateur, Martial Kermeur, expose factuellement comment il en est arrivé à jeter Antoine Lazenec à la mer. En même temps qu'il se confie, il cherche lui-même à comprendre et trouve une oreille attentive et bienveillante en la personne du juge, qui cherche à savoir — comme nous  — pourquoi et comment.
J'ignore si tous les juges sont aussi compréhensifs que celui-là, qui semble même agacé par la situation dans laquelle s'est fourré son accusé :
Kermeur, bon sang, Kermeur, mais qu'est-ce qui vous a pris ?
Et, dénouement final, on apprendra aussi quel est ce fameux article 353 du code pénal.
Un roman très prenant et bien écrit, où il est question de justice, de providence, de destin et d'espoir dans un monde tristement banal et injuste en temps de crise.

Éditions de Minuit, 2017, 176 pages.

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