J'avais regardé, peu de temps avant, le documentaire réalisé avec son fils David Ernaux-Briot, Les années Super 8, où elle parle de son désir d'écrire pour "venger sa race" et ses premiers livres publiés.
Ce qui fait l'intérêt du film sont ces images de famille quasi universelles des années 70, mais surtout le texte qu'elle a écrit et qu'elle lit en voix off pour raconter ce qu'on ne voit pas de cette mère et épouse : les pensées qui la hantaient, dont le désir d'écrire.
J'avais aussi lu Le jeune homme, un récit très court, où elle revient sur une relation avec un étudiant qui lui rappelle ses propres années d'études à Rouen. Au départ, l'aventure lui semble un prétexte à écrire. Le jeune homme est "soumis à la précarité et à l'indigence des étudiants pauvres".
Là aussi, il y a une forme de revanche, de défi vis-à-vis de la société, mais cette fois à l'encontre des préjugés sexistes, notamment sur la différence d'âge dans un couple.Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues.
Entretemps a été réédité un petit livre, Retour à Yvetot, augmenté de photos, lettres et extraits de son journal, précédemment paru en 2013. Un an plus tôt, en 2012, Annie Ernaux accepte une invitation à venir parler de son œuvre à Yvetot, dans cette "ville mythique" où elle a passé son enfance et son adolescence et qui est au centre de son œuvre. Il s'agit du texte de la conférence et d'un entretien avec Marguerite Cornier, autrice d'une thèse sur Annie Ernaux et l'autobiographie. Autant de clefs pour comprendre son œuvre.Mon corps n'avait plus d'âge. Il fallait le regard lourdement réprobateur de clients à côté de nous dans un restaurant pour me le signifier. Regard qui, bien loin de me donner de la honte, renforçait ma détermination à ne pas cacher ma liaison avec un homme « qui aurait pu être mon fils » quand n'importe quel type de cinquante ans pouvait s'afficher avec celle qui n'était visiblement pas sa fille sans susciter aucune réprobation.
À propos de son style, dans son discours d'acceptation du Nobel, elle dit :
Il me fallait rompre avec le “bien écrire”, la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait. Spontanément, c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui m’est venu, une langue de l’excès, insurgée, souvent utilisée par les humiliés et les offensés, comme la seule façon de répondre à la mémoire des mépris, de la honte et de la honte de la honte.
Elle se demande encore si elle a réalisé la promesse qu'elle s'est faite à vingt ans de venger sa race.
Elle aura au moins eu la plus haute distinction littéraire qui soit. Et c'est bien ce qui me fait plaisir.
Le jeune homme, éditions Gallimard, 2022, 48 pages.
Retour à Yvetot, éditions du Mauconduit, 2022, 108 pages.
Autres chroniques à lire dans ce blog :
Écrire la vie
L'autre fille
(J'ai feuilleté Les cahiers de l'Herne et compte bien les lire bientôt.)
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