dimanche 11 juin 2023

S'affranchir de son milieu

Enthousiasmée par la lecture de Karen et moi de Nathalie Skowronek, je poursuis l'exploration de l'œuvre avec le roman Un monde sur mesure.
Cette fois-ci, la narratrice, qu'on sent encore très proche de l'autrice, nous immerge dans le milieu de la couture et du prêt-à-porter qui est celui de sa famille depuis quatre générations : des tailleurs juifs de Pologne aux propriétaires de boutiques en Belgique.
C'est à la fois l'histoire des siens, une saga familiale, et la description d'une profession qui a beaucoup évolué depuis les vêtements faits sur mesure puis ces "pièces" achetées chez les grossistes du Sentier ou dans le quartier de la rue Popincourt à Paris. Cette époque est révolue puisque les grandes enseignes internationales ont maintenant remplacé les commerçants indépendants et font fabriquer directement en Asie.
On découvre alors cet univers de la mode, des grossistes — ce qui rappelle un peu le film La Vérité si je mens ! mais en version documentaire et des boutiques, vu de l'intérieur avec sa frénésie, son jargon, ses us et coutumes et son déclin.
C'est un très bel hommage à sa famille, son épopée, ses métiers et ses drames, puisque certains membres ne sont pas revenus des camps de concentration. D'ailleurs, une partie de la lignée continue à porter ce poids du passé, alors qu'une autre se tourne résolument vers l'avenir et veut vivre dans son temps.
Et surtout, le roman nous parle — comme un parcours initiatique — de l'expérience personnelle de la narratrice qui a grandi dans les commerces de ses parents et de sa grand-mère et y a ensuite travaillé pendant sept ans : il ne pouvait pas en être autrement dans cette famille.
Or, cette voie toute tracée n'allait pas de soi. Le costume n'était pas vraiment taillé pour elle car elle rêvait d'autre chose. Elle a vécu comme un déchirement et une trahison le fait de rompre avec la tradition familiale et de choisir d'autres métiers et activités : l'édition et l'écriture. Sa vocation littéraire n'était pas soutenue par les siens, qui trouvait cela plutôt incongru.
C'est donc le récit d'une libération, d'un choix personnel, puisqu'elle s'est affranchie d'un avenir tout tracé.

Espace Nord, 2019, 220 pages.

Le roman, dans son édition poche, est suivi d'un entretien avec Françoise Chatelain puis d'une postface sur l'œuvre de Nathalie Skowronek.

Lire aussi la chronique sur Karen et moi.

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