Corseté dans un lit, je m’étais dit à voix presque haute : “Si je m’en sors, je traverse la France à pied”.Sylvain Tesson, une fois remis sur pieds mais encore convalescent après un grave accident qui l'a réduit en miettes, décide de suivre à pied une diagonale à travers la France par ces fameux chemins noirs tracés sur les cartes IGN au 25 000e. Il rend également hommage au roman Les Chemins noirs de René Frégni, l'histoire d'une cavale picaresque.
Je savais comment me déplacer puisque je tenais la marche à pied pour une médecine générale qui serait la clef de ma reconquête. En bref, jamais je n'avais entrepris de voyage aussi organisé.Il veut suivre au plus près ce qui est nommé "l'hyper-ruralité", les interstices, les zones peu urbanisées qui échappent aux réseaux en tous genres, autrement dit loin des sentiers battus, balisés et connectés. Plutôt habitué aux confins du monde, il part aux confins de la France.
Pour qui aime la littérature et/ou la marche dans la nature sauvage (si tant est qu'elle existe encore), le récit Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson est une délectation.
Non seulement l'écrivain fait des descriptions littéraires — poétiques — du paysage...
Le moment était romanesque : un chemin se perdait et nous nous y sentions bien car il n'offrait aucun espoir. Seulement le jaillissement des songes.Mais il pose aussi un regard professionnel sur le monde, comme géographe et critique des "aménageurs du territoire" qui ont pris le relais des paysans disparus. Extrait d'une ode au bocage et au génie de la haie :
Je retardais mes compagnons à trop contempler les murets. L'art de la marqueterie bocagère avait atteint ici un haut degré d'accomplissement. La pierre accueillait la mousse. La mousse arrondissait les angles et protégeait les sociétés de bêtes. Oh ! comme il eût été salvateur d'opposer une "théorie politique du bocage" aux convulsions du monde. On se serait inspiré du génie de la haie. Elle séparait sans emmurer, délimitait sans opacifier, protégeait sans repousser. L'air y passait, l'oiseau y nichait, le fruit y poussait. On pouvait la franchir mais elle arrêtait le glissement de terrain. À son ombre fleurissait la vie, dans ses entrelacs prospéraient des mondes, derrière sa dentelle se déployaient les parcelles.La marche à pied comme résistance à la marche du monde moderne.
Éditions Gallimard, 2016, 144 pages.
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