À qui cela profite ? Aux filles ? Aux clients ? Aux proxénètes ?
Sophie Bouillon, journaliste*, pose des questions dans son livre Elles, Les prostituées et nous. Elle obtient certaines réponses quand d'autres restent en suspens devant une situation aussi sensible que disparate, avec une multitude d'intervenants, jusqu'à l'État et sa législation, en plein débat.
Elle dresse une série de portraits de filles — Camilla, Laurie, Maria, Precious, et autres pseudos pour de vraies personnes — qu'elle a rencontrées sur leurs lieux de travail, à Paris, Bruges, Genève...
Elles disent jouer un rôle, changent d'identité, mentent aux clients... Alors pourquoi ne mentiraient-elles pas à la journaliste qui leur demande si elles sont là de leur plein gré et si elles ont choisi ce métier ? Pourquoi ne se mentiraient-elles pas à elles-mêmes, comme l'affirme une ancienne prostituée ? Rares sont celles qui réussissent à sortir de leur milieu et de l'engrenage, et encore plus rares sont celles qui osent parler de leur passé — un lourd secret.
On ne nait pas prostituée. On ne se dit pas un jour, "Oh ouais, tiens, chouette, je vais aller me prostituer". Il y a des facteurs qui font que l'on entre dans la prostitution.La journaliste participe également à des rondes de policiers de la BAC et raconte l'absurdité et la perte de temps d'avoir à arrêter des filles pour racolage, sachant qu'elles risquent des violences de la part de leurs proxénètes.
Et les clients ? Qui sont-ils ? Que viennent-ils chercher ? La prostitution serait-elle "une addiction, d'un côté comme de l'autre", comme le suggère un ancien client ? Là aussi, qui ose parler ? Ce n'est pas la même démarche de fréquenter la rue Saint-Denis et de faire appel aux "escorts".
Sophie Bouillon rencontre aussi un rabatteur, une tenancière de boîte de lap dance qui décrit les subtilités de la loi anti-proxénétisme, qui tiennent parfois à une ficelle de string...
En plein débat sur la proposition de loi, ce livre pose des questions de société où le déni et les clichés cachent une réalité très loin de la guimauve et du conte de fée de Pretty Woman.
"Les prostituées ont le droit d'être prostituées mais n'ont pas le droit d'avoir des clients." L'absurdité d'une loi qui ne s'assume pas.
* Elle a reçu le prestigieux prix Albert Londres en 2009.
Éditions Premier Parallèle, 2015, 120 pages.
- Voir un extrait de l'émission 28 minutes du 9 juin 2015, sur Arte, où était invitée Sophie Bouillon.
- Lire aussi ma chronique sur La dérobade de Jeanne Cordelier.
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