À l'origine du projet, la lecture de Roger Bernanos, Les grands cimetières sous la lune — sur cette période noire et sanglante de la guerre civile espagnole avec la bénédiction de l'Église —, résonne pour Lydie Salvayre avec certaines atrocités actuelles.
Elle met en regard cette œuvre de Bernanos avec l'histoire personnelle de sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, qui ne se souvenait plus que d'une période solaire de sa jeunesse : ce fameux été 1936 à Barcelone, une parenthèse libertaire juste avant la guerre. L'ombre et la lumière d'un même événement.
"Ne persiste en sa mémoire que cet été 36, où la vie où l'amour la prirent à bras-le-corps, cet été où elle eut l'impression d'exister pleinement et en accord avec le monde, cet été de jeunesse totale comme eût dit Pasolini et à l'ombre duquel elle vécut peut-être le restant de ses jours, cet été qu'elle a, je présume, rétrospectivement embelli, dont elle a, je présume, recréé la légende pour mieux combattre ses regrets à moins que ce ne soit pour mieux me plaire, cet été radieux que j'ai mis en sûreté dans ces lignes puisque les livres sont faits, aussi, pour cela.
L'été radieux de ma mère, l'année lugubre de Bernanos dont le souvenir restera planté dans sa mémoire comme un couteau à ouvrir les yeux : deux scènes d'une même histoire, deux expériences, deux visions qui depuis quelques mois sont entrées dans mes nuits et mes jours, où, lentement, elles infusent."L'autre grand intérêt de ce récit romancé est le travail sur la langue parlée de la mère : un français arrangé, teinté de mots et tournures issus de l'espagnol. Ayant moi-même un père espagnol qui a toujours estropié le français, je ne peux que savourer le résultat.
"À la différence de Diego, qui a, comme tu dirais, les dents longues, et dont les palabres et les actes semblent servir un gol secret, José est un cœur pur, ça existe ma chérie, ne te ris pas, José est un caballero, si j'ose dire, il aime régaler, est-ce que régaler est français ? Il s'est dédiqué à son rêve avec toute sa juventud et toute sa candeur, et il s'est lancé comme un cheval fou dans un plan qui ne voulait rien d'autre qu'un monde beau. Ne te ris pas, il y en avait beaucoup comme lui en l'époque, les circonstances le permittaient sans doute, et ce plan il l'a défendu sans calcul ni pensée-arrière, je le dis sans l'ombrage d'un doute."Éditions du Seuil, 2014, 288 pages.
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