"Mon grand-père amenait ses maîtresses chez lui et faisait l'amour avec elles en couchant ma mère dans le même lit. Ma grand-mère, dont c'était le deuxième mari, demanda le divorce. Après avoir fait mine de vouloir se tuer avec un couteau de cuisine, il accepta gentiment."S'ensuit un déchaînement de vengeances et un enchaînement de divorces, remariages et suicides.
Et sans transition, dans le paragraphe suivant, on apprend que son grand-père réussissait la sauce béarnaise. On ne peut pas être ignoble en tout.
De paragraphe en surprise, sans ordre chronologique ni d'importance, de drames en anecdotes dérisoires ou comiques, toute la famille y passe. Certains souvenirs ou situations trouvent un écho en nous.
Dans L'Agrume, c'est l'ex-copain que l'on déteste dès le premier paragraphe :
"Nous étions assis sur un banc près des Halles, sous une espèce de pergola en bois. Il faisait bon. Il m'a dit je ne t'aime pas."Dès le départ, c'est dit, et la suite le confirme. Pas de pathos, pas de sentiments, ni même de sexe : une drôle d'histoire d'amour, réduite à une accumulation de faits, toujours par petites touches. La narratrice, passive voire soumise, n'a pas pour autant le beau rôle. L'Agrume laisse un goût acide, amer. Je comprends l'envie romanesque de coucher sur papier un personnage aussi insupportable, esthète à sa façon, mythomane, égocentrique et incompréhensible.
Dans Eau sauvage, Valérie Mréjen brosse le portrait de son père par bribes de monologues et traite ainsi du fossé des générations et de la difficulté à communiquer. Un père s'adresse à sa fille sans que la réponse ne nous soit donnée. Que répondre à ces injonctions et ces inquiétudes de papa-poule un peu à côté de la plaque ? Paradoxalement, ses efforts tragi-comiques pour établir le dialogue le rendent touchant. Parfois, ses propos semblent directement transcrits de cartes postales, de conversations téléphoniques ou de messages laissés sur répondeur :
"Allô, tout va bien ma chérie ? Non parce que j'ai vu ce matin dans le journal qu'un immeuble a brûlé dans le XIe et comme tu es dans le XIIe j'ai pensé à toi en me disant que c'était peut-être chez toi."C'est le plus drôle des trois livres sur les hommes de sa vie.
Ces trois livres sont édités chez Allia.
(Il existe une version en livre de poche, chez J'ai lu, qui a l'avantage de regrouper les trois livres, mais elle est vraiment trop moche, surtout par rapport aux jolis petits livres de Allia. Le plaisir de la lecture, c'est aussi avoir de jolis objets en mains)
Le site de Valérie Mréjen. Une de mes vidéos préférées est Manufrance.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire